« L’Union n’est plus européenne, mais allemande » : signé… Libé !
De nombreux précédents sur l’hégémonie allemande…
Lundi 10 septembre 2018 s’est produit un séisme de magnitude 10 sur l’échelle de Richter politique, idéologique et médiatique. En effet, un article intitulé « L’Union n’est plus européenne, mais allemande » a osé être publié sur un site internet. Lecteur attentif que vous êtes de l’actualité, vous vous dites qu’il s’agit une nouvelle fois d’un de ces articles classiques du PRCF qui ne cesse de vitupérer contre l’UE[1], ou bien d’un billet récidiviste de Jean-Luc Mélenchon qui, sur son blog le 30 mai dernier, a eu l’audace d’écrire : « Ma conviction est faite. Pour moi, le principal problème de l’Europe est la politique du gouvernement allemand. L’ordolibéralisme qui est sa doctrine est le nom de la politique qui convient aux intérêts du capitalisme allemand, à son besoin de dominer et à la structure de la société allemande actuelle quant à la pyramide des âges. Mais bien sûr on ne peut en discuter. La question ne peut même pas être évoquée. L’Allemagne est l’impensé de la politique française qui ne peut faire mieux qu’une mièvrerie désuète comme ces arpèges sur le prétendu « couple » franco-allemand. Tout regard critique est de la germanophobie. Toute volonté de rééquilibrage revient à vouloir la guerre avec l’Allemagne. Ces couplets m’ont été servis jusque par des gentils animateurs de la petite gauche pour qui le capitalisme est une abstraction non hiérarchisée et l’internationalisme un refus par principe de penser la Nation dans une stratégie révolutionnaire. Même sous le portrait du Che qui lui criait sans problème « la patrie ou la mort ». »[2]
A moins qu’il s’agisse d’un article de l’un de ces intellectuels « germanophobes », parmi lesquels on dénombre la journaliste et essayiste Coralie Delaume qui avait publié un article en décembre 2014 « Comment l’Europe devient un nouvel Empire allemand »[3], l’historien et romancier Olivier Delorme qui a eu l’outrecuidance de publier sur son blog le 10 juin 2018 un article intitulé « En finir avec le IVe Reich »[4], ou bien encore l’économiste et philosophe Frédéric Lordon auteur d’un article sur le blog du Monde diplomatique le 18 juin 2013 intitulé « De la domination allemande (ce qu’elle est, et ce qu’elle n’est pas) »[5].
- A lire sur www.initiative-communiste.fr : Faire face sur des bases progressistes à la dangereuse Europe allemande – par Georges Gastaud
Le coup de théâtre : le réveil de Jean Quatremer !
Or quelle n’est pas notre grande surprise de découvrir que cet article a été posté sur… Libération, et que de surcroît la personne hardie qui s’est lancée dans une diatribe envers l’Allemagne est… Jean Quatremer ![6] Mais quelle mouche a donc piqué ce héraut de l’européisme, auteur en 2017 d’un ouvrage intitulé Les Salauds de l’Europe. Guide à l’usage des eurosceptiques[7] – on appréciera au passage la présentation de l’éditeur décrivant ainsi le journaliste eurobéat : « l’un des meilleurs spécialistes de l’Europe reprend un à un les arguments de ses opposants en démêlant le vrai du faux » ; un croisé-« pédago-européiste »-en-guerre-contre-les-« fake news » avant l’heure, en somme… – et qui se mettait en scène dans un selfie avec l’un de ses amis chantres de l’eurobéatitude, le journaliste du Monde Arnaud Leparmentier, le 5 juillet 2015[8], au moment où le peuple grec rejetait par référendum le « plan de sauvetage » de la meurtrière Troïka BCE-FMI-Commission européenne[9] – selfie qui avait donné à Frédéric Lordon l’occasion d’écrire un délicieux papier à ce sujet[10] ?! Et comment ne pas renvoyer à ce vibrant plaidoyer atlantiste et fédéraliste – truffé d’erreurs historiques… – prononcé par le « spécialiste de l’Europe » en mai 2013 sur le plateau de Ce Soir ou jamais au cours d’un débat intitulé « L’Allemagne, ennemie publique n°1 ? »[11]…
C’est que notre nouveau « germanophobe » patenté a soudain découvert que l’Europe est bel et bien sous hégémonie allemande, s’offusquant que « la candidature à la candidature [à la présidence de la Commission européenne] de Manfred Weber, adoubée par la chancelière Angela Merkel, tout comme les visées germaniques sur la Banque centrale européenne, est symptomatique de l’Europe allemande qui se met impitoyablement en place depuis la crise de la zone euro de 2010. »[12] Et d’énumérer la (longue) liste des postes et des institutions de l’UE sous contrôle allemand : la Commission européenne par le biais de Jean-Claude Juncker, qui « est extrêmement proche des intérêts allemands, comme il l’était déjà lorsqu’il était ministre des Finances puis Premier ministre du Grand Duché » ; le Parlement européen (sans compter le fait que « le secrétaire général adjoint du Parlement est lui-aussi Allemand, une institution qui a été dirigée pendant cinq ans par un Allemand (Martin Schulz, 2012-2017) ») ; le Service européen d’action extérieure. Pire, s’inquiète Jean Quatremer :
« Sur huit groupes politiques, quatre, dont les deux plus importants (PPE et PSE), sont présidés par des Allemands. Pour compléter ce tableau, il ne faut pas oublier que les présidents de la Cour des comptes européenne (Klaus-Heiner Lehne), de la Banque européenne d’investissement (Werner Höyer), du Mécanisme européen de stabilité (Klaus Regling), du Conseil de résolution unique des crises bancaires (Elke König) sont Allemands tout comme le commissaire européen chargé du budget, le nerf de la guerre, Gunther Ottinger[13] (sic). Et bien sûr, tous sont membres ou proches de la CDU d’Angela Merkel. »
Un retard à l’allumage de… 70 ans (au minimum)
Nous attendons avec impatience les réactions outrées, stupéfaites ou exprimant leur « honte » et leur « indignation » de la part de la « gauche » boboïsante et eurobéate (de fait, anticommuniste), comme lorsque le député européen EELV Yannick Jadot condamna un tweet de Jean-Luc Mélenchon au sujet de l’élimination de l’Allemagne au premier tour de la coupe du monde de football de 2018, profitant de l’occasion pour le taxer de « germanophobe »[14]. En attendons, ne boudons pas notre plaisir de constater que l’un des chiens de garde médiatiques de l’européisme béat et de l’idéologie capitaliste, impérialiste et atlantiste (CIA), prompt à insulter de tous les noms celles et ceux dénonçant – à raison – la mortifère « construction européenne », s’aperçoit que les critiques envers « l’Europe allemande » sont totalement justifiées.
Ne nous laissons toutefois pas bercer par l’illusion de croire que cette soudaine hégémonie allemande est récente. Déjà, au cours de la campagne pour les premières élections européennes en 1979, Jacques Chirac, président du Rassemblement pour la République (RPR) qui s’exprimait alors avec des accents gaullistes – que l’actuelle Oligarchie politique, économique et médiatique (OPEM) qualifierait volontiers de « populisme », « nationalisme », « xénophobie », etc. –, dénonçait « cette Europe non européenne, mais dominée par les intérêts germano-américains »[15]. Et là encore, J. Chirac ne faisait que reprendre une analyse effectuée au moins 25 ans auparavant. Ainsi, le philosophe et résistant français Joseph Hours, l’un des fondateurs du Mouvement républicain populaire (MRP) chrétien-démocrate à la Libération, affirmait dans un article intitulé « L’Europe à ne pas faire » et publié dans La Vie intellectuelle en octobre 1950 : « Faire l’unité européenne, ce n’est pas ébaucher dans je ne sais quelle cité intemporelle et interplanétaire une construction juridique harmonieuse et pure, c’est avant tout faire revivre le Saint-Empire. »[16] Et de récidiver quatre ans plus tard : « Le Saint Empire n’est autre que l’unité de la société européenne dont le sacerdoce et l’Empire ne sont que deux pouvoirs pour ne pas dire deux fonctions. » – justifiant son opposition à la Communauté européenne de la Défense.
L’Europe allemande : EN SORTIR POUR S’EN SORTIR !
En somme, Jean Quatremer ne fait que valider implicitement, et probablement à contre-cœur et inconsciemment, les analyses historiques d’Annie Lacroix-Riz – qu’il n’a certainement pas lues, ne rêvons pas… –, qui démontre magistralement dans son ouvrage salutaire Aux Origines du carcan européen, 1900-1960, que la « construction européenne » correspond en fait à « la stratégie, depuis le début du XXe siècle, d’effacement du grand capital français devant ses deux grands alliés-rivaux hégémoniques, l’Allemagne et les Etats-Unis, si précieux boucliers sociopolitiques ». C’est d’ailleurs exactement ce qu’affirmait, avec ses mots, Jean Jaurès en déclarant en 1898 : « Nous savons que dans l’état présent du monde et de l’Europe, les nations distinctes et autonomes sont la condition de la liberté humaine et du progrès humain. Tant que le prolétariat international ne sera pas assez organisé pour amener l’Europe à l’état d’unité, l’Europe ne pourra être unifiée que par une sorte de césarisme monstrueux, par un saint empire capitaliste qui écraserait à la fois les fiertés nationales et les revendications prolétariennes. Nous ne voulons pas d’une domesticité internationale. Nous voulons l’Internationale de la liberté, de la justice et du droit ouvrier. » De même, Annie Lacroix-Riz démontre-t-elle pertinemment (et nombreuses sources à l’appui) les liens serrés liant Le Vatican, l’Europe et le Reich, à l’origine des accusations justifiées de Joseph Hours et du principe de « subsidiarité » – qui prend la forme très concrète du dépouillement et du dépècement de la République une et indivisible entre autres[17] – guidant l’actuelle « construction européenne » supra- et infranationale.
Plus que jamais, les analyses du PRCF sur la situation capitaliste, impérialiste, atlantiste, anticommuniste, antisyndicale et fascisante de l’Europe sont validées par « l’analyse concrète d’une situation concrète », véritable « âme vivante du marxisme » énoncée par Lénine en juin 1920[18] et que pratique, s’en sans rendre compte de toute évidence, Jean Quatremer. Quant à la question que pose ce dernier en guise de conclusion de son article, à savoir « les peuples européens sont-ils prêts à accepter d’être ainsi dirigés par l’Allemagne ? », la réponse à apporter est claire, nette et définitive : NON ! Et c’est bien la raison pour laquelle, plutôt que de faire miroiter la grande illusion – au même titre que celle que condamnait dans son chef d’œuvre cinématographique Jean Renoir en 1937 au sujet d’une possible entente pacifique avec l’Allemagne – d’une improbable « réforme de l’UE », d’une « Europe sociale », d’une « Europe plus démocratique » ou de tout autre propos traduisant la candeur, l’impuissance et le désarroi intellectuel, politique et idéologique des eurobéats de « gauche »[19], il est indispensable et salutaire de rejoindre le PRCF qui milite pour les Quatre sorties, celles de l’euro, de l’UE, de l’OTAN et du capitalisme, seule condition pour en finir totalement et définitivement avec l’Europe allemande. Et pour débattre de la situation sur la « construction européenne » et entendre une autre voix à ce sujet, participez nombreux au Tour de France du Frexit progressiste que le PRCF s’apprête à lancer en cette année 2019 d’élections européennes, pour lesquelles une seule solution s’impose face à l’Europe allemande : BOYCOTT ![20]
[1] Pour rappel parmi les nombreux articles publiés à ce sujet sur le site Initiative communiste, voir le lien suivant : https://www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/faire-face-bases-progressistes-a-dangereuse-allemande-georges-gastaud/
[2] Voir le lien suivant pour lire l’article complet : https://melenchon.fr/2018/05/30/ladieu-a-lallemagne/
[3] Voir le lien suivant : http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2014/12/03/31002-20141203ARTFIG00341-comment-l-europe-devient-un-nouvel-empire-allemand.php
[4] Voir le lien suivant : http://www.olivier-delorme.com/odblog/index.php?2018/06/10/923-en-finir-avec-le-ive-reich
[5] Voir le lien suivant : https://blog.mondediplo.net/2013-06-18-De-la-domination-allemande-ce-qu-elle-est-et-ce
[6] Voir le lien suivant : http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2018/09/10/une-allemagne-europeenne-dans-une-europe-allemande/
[7] Voir le lien suivant : https://calmann-levy.fr/livre/les-salauds-de-leurope-9782702160886
[8] Voir le lien suivant : https://twitter.com/ArLeparmentier/status/616669403363590146
[9] Voir le lien suivant : https://www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/oxi-grece-victoire-du-non-cest-non-a-lue-61-de-oxi/
[10] Voir le lien suivant : https://blog.mondediplo.net/2015-07-07-Le-crepuscule-d-une-epoque Un article qui incitera Jean Quatremer à verser dans la calomnie, comme le montre bien Acrimed au lien suivant : https://www.acrimed.org/Jean-Quatremer-humoriste-et-martyr
[11] Voir le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=1Atyvt9TlcQ
[12] Sauf indication contraire, toutes les citations qui suivent sont tirées de l’article publié par Jean Quatremer.
[13] Pour rappel, Gunther Oettinger avait déclaré le 29 mai 2018 : « Les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter ». Voir le lien suivant : https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/05/29/la-gaffe-du-commissaire-allemand-gunther-oettinger-qui-enflamme-l-italie_5306622_3214.html
[14] Voir le lien suivant : http://www.slate.fr/story/163910/yannick-jadot-tweets-insoumis-defaite-allemagne-coupe-du-monde-foot-melenchon-germanophobe
[15] Voir le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=0bkFV-j3Nz0
[16] Lire cet article – à charge contre Joseph Hours – au sujet de l’Europe vaticane : https://journals.openedition.org/chretienssocietes/2228?lang=en
[17] Pour rappel à ce sujet, voir le lien suivant : https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/macron-la-republique-en-miette-par-fadi-kassem/
[18] Voir le lien suivant : https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1920/06/vil19200612.htm
[19] Pour rappel à ce sujet, voir le lien suivant : https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/non-benoit-hamon-nest-pas-la-gauche/
[20] Voir le lien suivant : https://www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/pour-un-tour-de-france-du-frexit/