Remarques sur l’interview de Jean-Luc Mélenchon : tous les chemins de l’indépendantisme français mènent au Frexit progressiste ! Par Fadi Kassem, membre du secrétariat politique du PRCF
Dans une interview du 11 décembre 2017, Jean-Luc Mélenchon développe sa stratégie et sa vision de l’Union européenne, affirmant notamment être un « indépendantiste français » tout en adjurant que « [s]a ligne, ce n’est pas le Frexit ». Pourtant, la ligne indépendantiste de JLM ne peut que mener à la sortir de l’UE, de l’euro et de l’OTAN et, ainsi, ouvrir enfin la perspective d’une véritable rupture avec le capitalisme.
Se réclamant de la souveraineté du peuple, Jean-Luc Mélenchon explique défendre l’indépendantisme français et, à ce titre, reconnaît avec lucidité que nous sommes aujourd’hui plus proches « du modèle du Saint-Empire romain germanique que de la République universelle ». En effet, à l’UE reconstituant le Reich ottonien s’oppose le projet d’un véritable projet universaliste, l’Internationale, qui ne peut se réaliser que par l’entière souveraineté des peuples, ce que Jean Jaurès exprimait déjà à sa manière : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène ».
Cependant, Jean-Luc Mélenchon affirme ne pas partir battu et espère qu’interviendra « la fin de trois verrous : l’harmonisation sociale, l’harmonisation fiscale et le changement de statut de la BCE pour que celle-ci puisse prêter aux États. » Pour cela, il escompte sur la stratégie du plan A/plan B pour « briser les chaînes » (comme il l’avait affirmé dans son discours du 25 novembre dernier à Clermont-Ferrand, reprenant ainsi le message ô combien affiché et proclamé par les militants du PRCF) afin de convaincre les partenaires européens de sortir des traités européens qui détruisent les services publics, favorisent l’euro-balkanisation de la République (le résultat des élections récentes en Corse devrait inciter à réfléchir…), vassalisent la France au sein de l’OTAN, etc.
Ce qui est certain, c’est que la sortie de ces verrous est indispensable pour que la France insoumise espère appliquer son programme qui, sans être communiste, ouvre des perspectives pour appliquer une politique dans ce sens d’une part et, surtout, propose à l’heure actuelle un programme bien plus ambitieux que ne le fait le PCF rallié au Parti de la gauche européenne (PGE) d’autre part. Mais c’est précisément à ce sujet que la France insoumise se heurte à deux contradictions fondamentales transformant de fait le plan B en plan A :
- Prenons le verrou de la BCE, indépendante et qui applique la politique monétaire allemande en vertu des critères de Maastricht. Pour faire sauter ce verrou, il est indispensable d’obtenir l’accord de l’unanimité des gouvernements puis des ratifications (parlementaire ou par référendum). Peut-on imaginer un seul instant qu’un tel cas de figure existe, surtout lorsque l’on sait que l’euro est de fait une monnaie spéculative dont le niveau excessif vise à satisfaire les intérêts des investissements capitalistes européens et américains essentiellement – et ce bien entendu au détriment des intérêts des travailleurs toujours plus écrasés chaque jour ? Peut-on imagine un seul instant la modification du statut de la BCE alors que celle-ci est garantie par la cour constitutionnelle de Karlsruhe depuis 1993 – montrant au passage qu’il s’agit bien d’un euromark, voire d’un Deutschemark européanisé, plutôt que d’un « euro » ? Et comment espérer que les Allemands abandonneront ce qui constitue leur politique monétaire depuis près de 60 ans, à savoir un ordo-libéralisme apte à satisfaire une société vieillissante et comptant sur la rente monétaire et sur une main d’œuvre bon marché venue d’Europe afin de dynamiser son économie – et au passage écraser ses propres salaires : la « liberté » de circulation des capitaux est une joie totale pour les exploiteurs capitalistes pour mettre en concurrence les travailleurs d’Europe et disposer d’une importante « armée de réserve industrielle » ?
- Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon appelle de ces vœux à une harmonisation sociale et fiscale, tant rêvée par le « Parti socialiste » qui n’a cessé de renoncer (nous n’osons même pas dire trahir car nous n’avons jamais eu d’illusions sur l’attitude des sociaux-démocrates, en témoignent leurs choix politiques, géopolitiques et économiques depuis au moins 1914…) à l’idée de transformer l’Europe libérale au nom de la « paix ». Ce vieux projet d’harmonisation était déjà proclamé par François Mitterrand (qui affirmait en 1978 que « l’Europe sera socialiste ou ne sera pas » : et bien cette dernière est, mais totalement, capitaliste !) ou lors de la campagne pour le traité de Maastricht en 1992 dans un slogan de campagne qui laisse songeur : « Et maintenant, l’Europe sociale ! ». Mais là encore, comment harmoniser sans que tous les gouvernements européens ne mènent une politique tirant dans le même sens, ne serait-ce que keynésien ? Et comment harmoniser fiscalement et socialement lorsque les paradis fiscaux pullulent, lorsque l’Estonie n’impose pas les sociétés, lorsque l’Irlande rechigne à taxer les bénéfices de Google, lorsque les grandes multinationales sont de fait les véritables pilotes d’une UE dont le seul objectif DÈS SES ORIGINES est d’assurer la domination du capitalisme sur les forces socialistes et syndicalistes ? Comment harmoniser lorsque les écarts de niveau de vie et de revenus sont tels que l’on peine à imaginer un « SMIC européen » qui équivaudrait à celui aujourd’hui en vigueur en France ? Et comment espérer harmoniser alors que l’UE est en passe de faire passer en force le CETA (accords de libre-échange avec le Canada) et le TAFTA (même processus avec les Etats-Unis, permettant aux FTN de saisir des tribunaux privés afin de dénoncer les « obstacles et barrières pénalisant le libre-échange » (autrement dit, les normes sociales et environnementales) ? En réalité toutes ces chimères euro-réformistes sont réduites à néant par l’article-pilote des Traités européens qui clame, de la manière la plus totalitaire qui soit, que l’UE est « une économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée », ce qui prescrit le néolibéralisme en proscrivant de fait, non seulement le socialisme (souvenons-nous de la phrase lucide d’Alain Madelin appelant à voter Maastricht parce que c’était là, à ses yeux, une « assurance tous risques contre le socialisme »), mais même la moindre politique keynésienne car cette dernière suppose un minimum de souveraineté nationale.
Reconnaissons à Jean-Luc Mélenchon un certain réalisme, à savoir celui de la totale incompatibilité de son programme avec l’Union européenne et de la souveraineté de la France avec des institutions SUPRA (et non INTER) nationales, de la forte dangerosité de la situation actuelle en Europe où défilent – sans que cela n’émeuve particulièrement une UE plus encline à humilier des gouvernements ayant une politique un tant soit peu de gauche (souvenons-nous de la manière avec laquelle Alexis Tsipras, avant son virage à 180 degrés et sa capitulation, fut traité par la « démocratie » européenne de janvier à juillet 2015) – d’anciens Waffen SS en Lettonie, des partis néo-nazis comme Pravyi Sektor en Ukraine et des forces antisémites et fascistes comme à Varsovie le 11 novembre dernier (et pendant ce temps, le Parti communiste polonais est interdit !). De même, le leader de la France insoumise relève le « rapport de force », autrement dit la lutte des classes, qui guide la construction européenne. Mais Jean-Luc Mélenchon sous-estime le poids de l’UE et des rentiers capitalistes de toute l’Europe (et pas seulement de l’Allemagne, car nous avons aussi en France des rapaces jouissant de la rente du Deutschemark européanisé) et surtout leur détermination à faire échouer toute politique remettant en cause les intérêts de classe des dirigeants – quitte à appliquer le fameux adage annoncé avec un rare élan de sincérité par le président de la Commission européenne (et grand spécialiste en matière de défiscalisation des FTN…) Jean-Claude Juncker en janvier 2015 : « Il n’y a pas de choix démocratique contre les traités européens ».
Jean-Luc Mélenchon est ambigu sur la question européenne nous explique-t-on. La belle affaire ! Ancien député européen, il connaît les mécanismes de l’UE et est conscient des rapports de force au sein des institutions. Certainement surestime-t-il la capacité de négociation qui lui reviendrait face à des puissances ne jurant que par la poursuite de la destruction des peuples d’Europe et de tous les acquis sociaux arrachés dans la lutte par les forces politiques et syndicales progressistes, lorsqu’elles menaient encore la lutte des classes et refusaient les diktats supranationaux. Gageons que, comme avec Tsipras et les autres dirigeants ayant voulu « changer l’Europe » pour avoir une « autre Europe », les dirigeants de l’UE et de l’Allemagne (mais aussi des Pays-Bas, de l’Autriche, des pays scandinaves, etc.) chercheraient à neutraliser les efforts de la France insoumise pour réorienter l’UE dans un sens favorable à l’application du programme l’Avenir en commun.
Cela signifie-t-il dès lors que tout soutien critique à la FI doit être abandonné ? Assurément non, ne serait-ce que parce qu’au sein de ce mouvement très hétérogène ne cesse de progresser parmi les insoumis l’idée que LE FREXIT PROGRESSISTE EST LA SEULE SOLUTION. Autrement dit, la position adoptée par le PRCF le 13 novembre 2016, à savoir celui d’un soutien sincère et engagé MAIS critique (car nous conservons notre clair positionnement en faveur des quatre sorties et notre indépendance, en témoigne notre proposition de boycotter les élections européennes de juin 2019), marque des points, nourrit un indispensable débat au sein d’une force représentant un socle électoral de plus de 7 millions d’électeurs – et qui est susceptible de s’élargir si la pleine affirmation d’un Frexit progressiste inévitable (car comme l’indique Jean-Luc Mélenchon, l’UE est menacée d’explosion : dès lors, autant la quitter dès maintenant et d’une manière méthodique et planifiée, plutôt que d’avoir à subir les terribles dommages d’une sortie non préparée !) est assumée : faut-il rappeler que 79% des ouvriers ont refusé le Traité établissant une constitution pour l’Europe (TECE) le 29 mai 2005 et que l’absence d’une discours franchement offensif sur ce sujet dans les derniers jours de la campagne électorale ont probablement coûté une grande quantité de voix populaires que n’ont certainement pas compensé le gain en voix « hamonistes » que visait à rallier in extremis l’émoussement du propos euro-critique (que tous les observateurs ont constaté à mesure qu’approchait le premier tour) ?
Jean-Luc Mélenchon se retrouve face à la contradiction majeure de son discours : la question de la sortie de l’UE et de l’euro (la sortie de l’OTAN étant, elle, clairement annoncée dans son programme). Celle-ci est en réalité indispensable afin d’appliquer son programme qui ouvre des perspectives pour envisager la dernière et décisive sortie, celle du capitalisme. Il est d’autant plus urgent de le faire que ce projet ne peut être porté que par des forces franchement communistes et progressistes, le Front national ayant définitivement révélé son véritable visage ces derniers mois en affirmant que le FN était « européen et non antieuropéen ». Les vrais communistes – qui se distinguent en ce sens radicalement du prétendu « eurocommunisme » du Parti de la gauche européenne – sont internationalistes, et par conséquent anti-européistes car anti-supranationalistes : « jamais un peuple comme le nôtre ne sera un peuple d’esclaves », cette devise valable pour tous les peuples d’Europe et affirmée par Maurice Thorez et Jacques Duclos dans l’appel du 10 juillet 1940, nous nous en faisons les héritiers dans le combat que nous menons pour la sortie de l’UE, de l’euro, de l’OTAN et du capitalisme, et ce tout en constituant avec l’ensemble des forces patriotes et progressistes franchement de gauche un Front antifasciste, patriote, progressiste et écologiste, un FRAPPE apte à créer un rapport de force contre l’axe Bruxelles-Berlin-Washington et l’Europe du destructif turbo-capitalisme actuel. Aux militantes et militants franchement communistes, qu’ils soient organisés hors du PCF, comme l’est le PRCF, ou qu’ils continuent de caresser l’espoir (vain à nos yeux) d’un redressement interne de ce parti, d’agir ensemble avec tous les patriotes progressistes, en portant dans la classe laborieuse et la jeunesse la bataille idéologique du FREXIT PROGRESSISTE, seule voie possible pour défendre les intérêts des travailleurs et construire à terme le socialisme !
Jean-Luc Mélenchon : « Je suis un indépendantiste français »
Le 11/12 à 18:56
INTERVIEW – A l’approche du Conseil européen de Bruxelles, jeudi, Jean-Luc Mélenchon tire la sonnette d’alarme et appelle à faire sauter les « verrous » sur l’harmonisation sociale, l’harmonisation fiscale et le changement de statut de la Banque centrale européenne. « Ma ligne, ce n’est pas le Frexit », plaide-t-il, comparant son « plan B » à la « dissuasion nucléaire ».
Vous avez accru vos attaques contre l’Union européenne depuis quelques semaines. Comment qualifieriez-vous votre positionnement désormais sur l’Europe : souverainiste, eurosceptique voire europhobe ?
Le mot « souverainisme » nous aurait convenu s’il n’avait pas été utilisé dans un sens nationaliste qui ne convient pas à notre façon de voir. Si je suis souverainiste, c’est au sens de la souveraineté du peuple. Je suis plutôt un indépendantiste français.
La France ne serait donc pas indépendante ?
Non en effet. Proposer de le redevenir c’est dire qui commande. Si les transferts de souveraineté que nous avons opérés vers les instances européennes avaient été confiés à un Parlement européen ayant un réel pouvoir de décision, mon point de vue serait peut-être différent. Mais celui-ci n’est pas un vrai Parlement : 70 % de ses délibérations n’ont aucun effet concret. Dans les années 1990, je militais pour un vrai fédéralisme. J’appelais à une constituante européenne. Mais j’ai réalisé, en 2005 [lors du référendum sur la constitution européenne, NDLR], que cette voie était impossible.
A présent nous voici plus proche du modèle du Saint Empire Romain Germanique que de la marche vers la République universelle à laquelle je rêvais. De plus, la France roule à contresens. En quoi serions-nous plus proches des pays baltes que nous ne le sommes des pays francophones de la Méditerranée comme l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie ?
Vous avez rejeté l’idée que la France puisse être contributeur net au budget européen en citant Margaret Thatcher (« I want my money back »). Les conservateurs britanniques deviendraient-ils un modèle pour vous ?
Dans l’art de faire payer les autres, ils ont à nous apprendre ! Nous sommes l’un des derniers pays en procédure de déficit excessif, et dans le même temps nous versons 20 milliards au budget européen pour n’en récupérer que 14 milliards. 6 milliards de dons ! Cela s’appelle une dépense somptuaire. Payer des routes aux Roumains et des aéroports aux pays baltes, c’est utile, mais ce n’est pas dans nos moyens actuels. Dans les années où nous sommes en déficit excessif, nous devrions avoir le droit de garder nos 6 milliards.
Votre position est contradictoire : vous voulez une Europe plus solidaire et vous critiquez le budget européen, l’un des principaux outils de l’Europe en matière de solidarité…
Vous confondez solidarité et annexion. La vraie solidarité, c’est celle qui prendrait des mesures pour rompre le dumping social et fiscal dont l’Europe est en train de mourir. Car voila par où sont montés les nationalismes les plus obscurs en Hongrie, Slovaquie, en Autriche ou en Pologne. Mais qu’on ne caricature pas ma position : ma ligne, ce n’est pas le « Frexit ». Je crois à la puissance française. En Europe ses intérêts fondamentaux doivent être protégés. Faire l’Europe ? Oui si c’est sans défaire la France !
Mais le budget européen a aussi servi à lutter contre le dumping social, en accélérant le développement et le niveau de vie de pays comme l’Espagne après son entrée dans l’UE en 1986…
Vous trouvez que l’Espagne va mieux qu’il y a 30 ans ? 500.000 personnes l’ont quittée en quatre ans. Bruxelles trouve son niveau de vie excessif et lui a imposé des plans d’austérité liquidant des pans entiers de l’État jusqu’au point où, aujourd’hui, la Nation même finit par ne plus avoir de sens pour une partie de la population qui veut l’indépendance. L’Espagne va très mal. Pourtant elle était réputée naguère être le bon élève avec son modèle de développement par la dette et la bulle immobilière.
Votre « Plan A » de réforme de l’Europe comporte une longue liste de revendications. Là-dedans, quelles sont vos priorités ?
Il faut sortir des Traités, notamment des deux derniers budgétaires qui sont les pires, et passer à autre chose. Cette autre chose n’a rien de mystérieux : en économie, c’est une politique keynésienne. Si ce que je disais était aussi extravagant, comment comprenez-vous que les banquiers centraux aient fait tourner la planche à billets comme nous le préconisions ? Mario Draghi, qui n’est pas un mélenchoniste, a offert 80 milliards tous les mois aux banques sans contrepartie. A la fin, un maigre ruissellement s’est opéré et on a vu la courbe déflationniste s’inverser. Mais ça ne suffit pas. Et pendant ce temps le système financier mondial est voué à l’explosion de nouvelles bulles. Le danger est partout. La vraie réponse passe par la fin de trois verrous : l’harmonisation sociale, l’harmonisation fiscale et le changement de statut de la BCE pour que celle-ci puisse prêter aux États.
Emmanuel Macron dit travailler à l’harmonisation sociale et met en avant la réforme des travailleurs détachés…
C’est de la blague : il n’y a eu aucune amélioration. On a réduit le temps d’utilisation du recours aux travailleurs détachés, mais on n’a rien touché au principe scandaleux du paiement de la cotisation dans le pays d’origine. On doit payer ses cotisations dans le pays d’accueil.
Pour faire bouger l’Europe, il faut des partenaires. Où les trouvez-vous ?
Nous les trouverons si nous savons ce que nous voulons. Et si nous décidons, déjà, de parler des problèmes essentiels. Il faut une conférence pour sécuriser les frontières. Et une autre sur la dette, qui doit devenir un sujet politique en Europe. Personne ne la payera, tout le monde le sait. Et on connaît les moyens qu’on peut utiliser. Cela passera par le rachat de la dette publique par la BCE. Au maximum, cela produira 5 à 6 points d’inflation ! Et alors ? Le vrai problème c’est la dette privée, elle aussi insolvable. Il faut sécuriser cette dette, empêcher les défaillances par la relance de l’activité des débiteurs.
Mais durant votre campagne, vous préconisiez aussi pour la dette française une solution plus radicale de « restructuration » de la dette illégitime…
Mon but, c’est de geler la dette. Si la banque centrale rachète les dettes des États, le problème est réglé. Elle peut en faire ce qu’elle veut ; il y a mille solutions techniques. Sinon, ce sera la pagaille et l’effondrement.
Comment changer les traités si les autres ne veulent pas ?
C’est comme pour la dissuasion nucléaire : le principe même fait que vous n’avez pas besoin d’alliés. Moi j’ai un bouton qui s’appelle « plan B ». Si – comme Emmanuel Macron – vous n’avez pas de dissuasion, vous n’avez pas de plan A qui tienne. La menace ne vaut que si elle existe. Avec moi, elle existe.
La sortie de l’Union est donc bien une option…
Je ne pars pas battu. Bon sang ! Tout ne dépend pas de la volonté des autres ! Voyez : Emmanuel Macron annonce l’interdiction du glyphosate dans trois ans malgré la décision européenne, il me donne raison. Mais il est sur le tapis roulant qui mène au plan B sans savoir comment le gérer. La France doit redevenir acteur et pas simplement être un « bon élève » de la volonté des autres. On ne peut pas faire l’Europe sans la France. J’adjure qu’on le comprenne : notre nation, sous toutes ses formes, est en danger. Si on ne réagit pas, l’Europe explosera ! La France, comme l’Allemagne, n’ont aucun intérêt à ce chaos.
Pourquoi Angela Merkel céderait-elle à votre menace ? Même l’ex-ministre des Finances grec Yanis Varoufakis, qui ne vous soutient plus, pense le contraire.
Monsieur Varoufakis vient d’un pays qui pèse 2 % de l’économie européenne. Sa vision de l’Union européenne est faussée par un rapport de forces qu’il a été incapable de construire. L’Europe ne pourrait donc qu’être allemande ? Moi je fais le pari qu’elle bougera. Parce que nous sommes à l’endroit qui met en péril sa priorité absolue. La rationalité du comportement du gouvernement allemand CDU-CSU, c’est la politique de la rente. Et dans une politique de rente, on ne se paye pas un conflit avec son principal voisin et client. Que d’illusions !
Le scepticisme ne vient pas simplement de l’Allemagne, mais du fait qu’on ne voit pas qui pourrait soutenir votre projet…
Il y a beaucoup de travail, en effet. Mais la politique est un art de réalisation et nous convaincrons. Ce que n’a pas su faire [le Premier ministre grec] Tsipras. Ce ne serait pas la première fois qu’en France, on réussit de grands tournants. Ce qu’a accompli le général de Gaulle après 1958 n’a pas été une mince affaire. La volonté ouvre des chemins à jamais inconnus des résignés.
Vos emportements, vos attaques contre les journalistes, votre style qui vous vaut d’être taxé de populisme n’entame-t-il pas aussi votre crédibilité ?
Il me rend crédible auprès de ceux dont j’ai besoin pour construire un rapport de forces . Si l’histoire n’était qu’un choc de raisonnements contradictoires, on vivrait dans un colloque savant. Non, c’est un choc d’intérêts. Marxisme. Ce que je propose heurte des intérêts très puissants. Après, il y a sans doute dans cette « théâtralité » un côté qui tient au Méditerranéen que je suis. Si j’étais président, je m’exprimerais sans doute différemment ; là, je suis le tribun du peuple – j’en suis fier. Car les barrières sont dans les têtes : on répète du matin au soir aux Français, notamment à ceux qui souffrent, qu’on ne peut pas faire autrement. Il y a un énorme effort à faire pour rompre le cercle de l’évidence médiatique.
Cela pourrait-il vous conduire à travailler, sur les questions européennes, avec des gens de l’autre rive ?
La ligne politique et mes objectifs n’ont rien à voir avec ceux du FN ou des nationalistes. Mais tous ces gens rament pour moi d’une certaine manière, en contribuant à la construction d’un champ culturel où nos mots d’ordre – l’Europe ne protège pas les Français mais les menace – sont en train de devenir dominants. Il faut capitaliser positivement cette colère qui peut être dangereuse.
Ne redoutez-vous pas que Laurent Wauquiez endosse, désormais, le costume de premier opposant ?
Au contraire, je m’en réjouirais car cela diviserait le socle électoral actuel de Macron.
Pierre-Alain Furbury et Renaud Honoré