Interviewé par le journal de France Musique, le professeur a mis les pieds dans le plat au lendemain du discours du 12 mars d’un président Macron larmoyant un soutien aux « blouses blanches » de l’Hôpital Public, « quoi qu’il en coûte »… Oubliant un peu vite que depuis près de 7 ans, il est un des zélés exécuteurs de la politique d’euro-austérité découlant directement des ordres du grand capital et des traités européens. Faire les poches des travailleurs en diminuant les budgets des hôpitaux pour remplir les coffres des actionnaires à coup de CICE et autre CIR. Le tout sous la contrainte des 3% de déficit public imposé par l’euro. Cette arme d’exploitation massive des travailleurs. Rien qu’en 2019 ce sont 900 millions d’euros qui ont été pris à l’hôpital public.
Insultant, Macron ricanait à la figure des soignants « il n’y a pas d’argent magique ». Alors que le pays est frappé par l’épidémie, chacun doit se souvenir de la responsabilité criminelle de cette politique sacrifiant nos vies sur l’autel des profits capitalistes.
Alors évidemment, les soignants, en grève depuis plus d’un an sans être écoutés ne peuvent pas ne pas voir toute l’hypocrisie du régime Macron. C’est bien ce que dit l’un deux interrogé sur le service public le 13 mars dernier.
« C’est un grand salut, c’est un hommage aux soignants, mais enfin, ce ne sont pas des décisions. Tout ce qu’il a annoncé est en route et il n’y a pas un mot, hélas, sur le fait qu’il faudrait arrêter une initiative budgétaire. Parce qu’il y a seulement 6 mois, on mettait les hôpitaux, encore et toujours sous austérité. Alors la crise… Il dit : « oui, oui… ». Il nous fait comprendre qu’ un certain nombre de choses essentielles à la vie d’une nation ne doivent pas être soumises aux lois du marché. Il serait temps de s’en apercevoir, que la santé doit échapper aux lois du marché. Donc il y aurait une décision, qui d’ailleurs serait concrète, qui dirait évidemment: le paiement à l’activité ou aux prestations des hôpitaux, comme on le fait pour une entreprise commerciale, serait suspendu. Si on veut mobiliser les soignants, si on dit qu’il y a des valeurs suprêmes, ce n’est pas le premier de cordée, ce ne sont pas les milliardaires, ce sont les gens qui se dévouent à la cause commune.
Alors il faut dire qu’on va faire un rectificatif budgétaire pour l’hôpital. On prendra les mesures nécessaires pour que les soignants soient correctement payés, que des infirmières soient embauchées. Et évidemment, les hôpitaux seront payés pour le bien qu’ils rendent à la nation et pas dans un calcul comptable, comme s’ils étaient une entreprise commerciale, ce qui est le cas actuellement, ce qui est toujours le cas.
Les soignants en ont un peu assez qu’on leur dise qu’ils sont des gens admirables et qu’en conséquence, ils peuvent débuter à 1 600 € brut par mois. »
Professeur André GRIMALDI – professeur émérite de La Pitié Salpétrière
L’entretien complet du professeur Grimaldi sur France Culture :
Comment accueillez-vous les mesures sanitaires annoncées par Emmanuel Macron ?
Il n’y a vraiment qu’une seule mesure annoncée hier soir : la fermeture des écoles, des lycées, des universités et des crèches à partir de lundi. Cela va poser problème au moins pour la garde des petits. C’est une mesure forte qui montre la gravité de la crise. Mais elle était annoncée.
Pour les hôpitaux, c’est un grand salut, un hommage aux soignants, mais ce ne sont pas des décisions ! Parce que tout ce qu’il a annoncé est déjà en route. Et il n’y a pas un mot, hélas, sur le fait qu’il faudrait un rectificatif budgétaire. Parce qu’il y a seulement six mois, on mettait les hôpitaux encore et toujours sous austérité.
Cette crise lui fait comprendre un certain nombre de choses essentielles à la vie d’une nation ne doivent pas être soumises aux lois du marché. Il serait temps de s’en apercevoir que la santé doit échapper aux lois du marché !
Une décision concrète serait d’ailleurs par exemple de suspendre le paiement à l’activité ou aux prestations des hôpitaux, comme cela se passe dans une entreprise commerciale. On va donner un budget aux hôpitaux pour travailler et pas les mettre dans cette situation. Un moratoire immédiat sur la tarification des activités serait le bienvenu pour les soignants.
On va ne pas payer les services de chirurgie qui libèrent des lits pour recevoir le coronavirus ? Cela n’aura aucun sens.
Donc, c’est un discours très bien. Nous avons tous, depuis le début, soutenu les mesures gouvernementales, en se mobilisant au maximum. Mais, à part des mots pour les soignants, il n’y a rien.
Pour vous, les moyens ne correspondent absolument pas aux ambitions ?
Si on veut mobiliser les soignants, si on dit que les valeurs suprêmes ce n’est pas le premier de cordée, ce ne sont pas les milliardaires, ce sont les gens qui se dévouent à la cause commune, alors, il faut faire un rectificatif budgétaire pour l’hôpital. On prendra les mesures nécessaires pour que les soignants soient correctement payés, que les infirmières soient embauchées et évidemment les hôpitaux seront payés pour le bien qu’ils rendent à la nation et non dans un calcul comptable, comme s’ils étaient une entreprise commerciale. Ce qui est actuellement toujours le cas.
Cela manque de concret pour les hôpitaux. Les soignants en ont un peu assez qu’on leur dise qu’ils sont des gens admirables et qu’en conséquence, ils peuvent débuter à 1 600 euros brut par mois.
De combien serait ce rectificatif budgétaire, selon vous ?
C’est simple à calculer. Il ne s’agit pas d’inventer des chiffres, il faut prendre ceux du gouvernement. Lorsqu’il a fait voter le budget de l’hôpital, avant l’épidémie, il demandait 800 millions d’euros d’économies.
Le plan d’urgence présenté par le Premier ministre avec l’ancienne ministre de la Santé, madame Buzyn, donnait 200 millions d’euros.
Déjà, par rapport à avant l’épidémie, il manquait 600 millions d’euros. Il y a 400 postes d’infirmières que l’on n’arrive pas à recruter en Île-de-France.
Il s’agit donc de mettre des milliards sur la table. Il dit « il faudra ce qu’il faut » (« coûte que coûte », NDLR) : oui, des milliards nécessaires pour que l’hôpital puisse tenir. Il n’est pas question de pénaliser les hôpitaux qui vont arrêter des interventions chirurgicales programmées.
Ensuite, on a dit, au fond, la clinique commerciale est le modèle du système de santé. L’épidémie de coronavirus montre que ce n’est pas le cas. Ces cliniques sont très utiles comme une complémentarité, mais ce n’est pas un service public de santé.
Du coup, si l’hôpital n’a pas les moyens de gérer cette crise, que va-t-il se passer, quelles sont vos inquiétudes ?
D’abord, si on reporte des opérations qui peuvent être reportées, il n’y a pas d’inquiétude à avoir. On peut être opéré deux, trois mois plus tard. Mais on risque surtout de reporter des soins utiles à des gens non infectés mais qui seront les premières victimes. Parce que l’on va dire priorité aux détresses respiratoires, la première victime sera justement le diabétique qui n’est pas infecté, mais qui a des complications du pied, etc.
Les soins reportés, quand ils sont nécessaires, représentent une perte de chance.
La deuxième chose, si l’épidémie est très importante, et j’appuie les décisions du gouvernement et j’appelle à les suivre. Arrêtez le chacun sait tout sur tout et fait à sa guise. Pour une fois, on peut être discipliné. Notre pays est un pays où le taux de vaccination est des plus faibles. C’est invraisemblable !
Et 5% des patients infectés vont en réanimation. Alors si nous avons 1 million de personnes infectées, cela fait 50 000 personnes en réanimation : notre système de santé sera débordé. Et si cela se produit, le Président n’en a pas parlé, mais il faudra faire comme l’Italie. On sera amené à faire des choix et à les assumer. Pas des choix médicaux mais des choix de l’ordre : il a 45 ans ou 50 ans, je le prends. S’il a 60 ans ou 70 ans, je ne le prends pas. Ce n’est jamais arrivé encore. Donc, la priorité absolue est d’ouvrir des lits de réanimation.
Mais il faudra des infirmières, des infirmières formées présentes 24h/24 heures. Donc, on va payer aussi dix ans d’une politique, et qui a continué encore ces trois dernières années malgré nos alertes ! Rappelez-vous que le plan d’urgence présenté par le Premier ministre pour l’hôpital l’a été après même que l’Assemblée nationale avait voté un budget d’austérité ! C’est à cause de la mobilisation des soignants qu’en urgence on a dit qu’il fallait un rectificatif.
Cette épidémie montre l’absurdité du système hospitalier actuel. Il n’est pas adapté aux urgences, à la réanimation, aux maladies chroniques. On le dit depuis dix ans. On l’a dit à madame Buzyn qui en avait convenu, mais qui n’en a rien fait. Du point de vue de l’hôpital, les mots ne suffiront pas.