Alors que vient de se tenir une réunion dites du Plan B en Espagne, nos camarades espagnol de Red Roja dans une tribune dénoncent les illusions et l’impasse du Plan B pour appeler au contraire à impulser la dynamique révolutionnaire, de classe et de masse, d’un vrai plan A posant avec clarté la rupture avec l’UE et l’euro et le refus au payement de la dette.
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« Le seul Plan valide, c’est pousser la mobilisation vers la mise en question du système »
Conscients du débat aujourd’hui en cours dans des secteurs proches, et dans la mesure où il affecte les mobilisations prévues, nous devançons nos premières évaluations à propos du dénommé « Plan B pour l’Europe », représenté par des acteurs comme l’ex-ministre grec de finances de Syriza, Yanis Varoufakis, et ici chez nous, dans l’État espagnol, par de vieux connus d’Espacio Alternativo/IA [Espace Alternatif/ La Gauche Anticapitaliste] et, par la suite, du secteur « non-iglesista » de Podemos [secteur contraire à Pablo Iglesias], comme c’est le cas de Miguel Urbán.
En tout premier lieu, nous ne partons pas de zéro ; il y a longtemps que nous voyions venir l’actuelle situation. Dans notre Rapport Politique « Nous devons organiser l’intervention révolutionnaire » [1], Red Roja affirmait :
« Le principal problème ne réside pas chez ceux qui font leur « autocritique » par les faits (par exemple la direction de Podemos), c’est-à-dire ceux qui, après avoir écarté la caste du système, écartent le PSOE [Parti socialiste ouvrier espagnol] de la caste et au même temps ils avouent qu’on ne peut pas accomplir ce que les mobilisations réclament depuis des années. C’est- à- dire, ceux qui continuent de proclamer que oui, qu’on peut arriver à ne pas payer la dette tout en réclamant un audit de celle-ci, ou en changeant l’UE dès l’intérieur, etc., etc., ce sont eux qui maintenant mettent le plus grand obstacle au développement et au raffermissement d’une stratégie révolutionnaire pour la conquête du pouvoir. Le principal problème, somme toute, nous l’avons avec ceux qui continuent de parier sur le changement du système du dedans, sans le renverser, par la voie électorale. Bien qu’ils essaient de l’assaisonner en admettant qu’oui, qu’il faut du « muscle social » en plus de l’électoral, en réalité ils subordonnent le tout à la concurrence pour bien « se placer » dans les listes de candidats. Nous devons être très conscients de que cette « aile gauche » , complice elle aussi du leurre d’avoir parié sur la canalisation électorale des protestations – et se trouvant maintenant au milieu de luttes intestines, en grande mesure à cause de répartition de quotas de pouvoir organisationnel -, cette « aile gauche » n’a même pas d’inconvénient en flirter avec des consignes comme le « Non au payement de la dette » ou même prôner « la sortie du euro », ce qui ne fait qu’allonger le mensonge tout en cachant sa responsabilité ».
Ainsi donc, nous allons commenter ce « Plan B » tout en suivant la méthode que nous avons déjà employée dans d’autres analyses, c’est-à-dire sans limiter notre attention à la « littérarité » de ce qu’on dit, mais en essayant de comprendre son insertion historique réelle (autrement dit, sa traduction réelle dans la pratique et le rôle qu’il joue, ou qu’il est appelé à jouer, dans la lutte de classes) pour, finalement, mettre en évidence à quoi répond tout ce bruit médiatique d’un point de vue organisationnel (y compris les querelles internes qui vont avec).
un Plan B avec majuscule, ou bien le plan bis d’Alexis Tsipras et Syriza ?
Nous sommes conscients de que l’éventuel appui que cette proposition puisse recueillir ne répondrait pas à « ce qu’ils (ses auteurs) disent », mais plutôt à la prédisposition à l’appuyer par une partie de la mobilisation contre l’austérité en raison, dans une large mesure, de l’inexistence d’une alternative solide à partir d’engagements clairement révolutionnaires (ce qui nous interpelle directement et met aussi sur la table notre responsabilité devant une situation de crise sociale aiguë qui n’a pas précisément commencé hier)
Néanmoins, par rapport à ce que cette proposition de Plan B dit – et sans que cela nous empêche, dans d’autres déclarations ultérieures, à faire une analyse plus détaillée –, la première chose qui revient au premier plan c’est la difficulté pour réaliser ledit analyse, en commençant par les nombreuses contradictions qui gitent dans « l’appel » même. Effectivement, à qui appelle « l’appel », quand Varoufakis propose dans un vidéo l’unité des « progressistes et conservateurs, marxistes et libéraux pour sauver l’Europe »? C’est comme si les diverses classes antagoniques pourraient-elles partager d’avance, ou arriver à le faire, la même vision sur l’ « Europe » ou sur ce que celle-ci doit être. Une chose c’est que la ligne révolutionnaire est obligée – surtout dans des situations d’aggravation des crises systématiques- à utiliser les contradictions réelles qui surgissent entre différents groupes de pouvoir et y ouvrir une brèche entre les différentes classes et secteurs avec leurs respectives expressions politiques, et toute une autre c’est que, au nom du slogan selon lequel « il faut être plus [nombreux]», l’on laisse simplement d’en être [révolutionnaire].
D’autre part, le document publié propose “démocratiser radicalement les institutions Européennes et les mettre au service des citoyens ». Ne suppose-t-on pas que Varoufakis avait rompu avec Tsipras justement parce qu’il était décidé à rompre avec l’UE et l’euro, tandis que Tsipras, qui avait pris le même engagement, se retira à la dernière minute? Comment donc expliquer ce pas en arrière de l’économiste grec?
En fait, cela n’a absolument rien de « plan B » ; en fin de compte, c’est la même chose que le PGE (Parti de la Gauche Européenne) propose depuis longtemps dans le Parlement Européen. Et c’est une proposition qui rejoint tout ce qui a échoué en Grèce : supplier à Bruxelles, sans être prêt à rompre avec. Est ce donc un Plan B avec majuscule, ou bien le plan bis d’Alexis Tsipras et Syriza ?
C’est pour cela que Red Roja déclare que ceci n’est point le Plan B dont nous avons besoin. Le Plan B dont nous avons besoin est plutôt un plan pour la lutte de classes – en partant de sa reconnaissance- et non pas un plan qui sème des illusions électoralistes. Face aux spéculations en cours, il faut dire haut et fort que sans projection révolutionnaire, la Plan A continuera aux commandes de l’Europe et du monde.
Il faut néanmoins insister sur le fait qu’en réalité ce ne sont pas les discours, mais plutôt la crudité de la lutte de classes (même si celle-ci est niée) qui a fait surgir ce « Plan B ». Et comme nous l’avons dit, la situation réelle est de grave crise systématique et de guerre sociale de la part de la bourgeoisie, avec la menace d’une prolongation des découpages de services sociaux, faisant tomber tout le poids de la crise sur le dos de la classe ouvrière.
À tout ça, il faut souligner que nous ne nous trouvons pas face à une « guerre de mots » ou programmatique, mais bien face à quelque chose de plus élémentaire : la question du pouvoir. C’est ainsi que ce projet déborde de confusion, puis qu’il soulève, c’est vrai, la question du pouvoir, mais d’une façon trompeuse et, encore une fois, électoraliste.
Dans un certain sens, ce “Plan B” nous donne raison: les responsables des agressions que nous souffrons sont à Bruxelles et Berlin. Mais seulement pour nous l’enlever ( la raison) stratégiquement, puis que, à la fin, tout son développement n’aboutit qu’à nous proposer nous installer éternellement dans l’erreur centrale sur la question du pouvoir.
Ceci met en difficulté la tâche de la ligne révolutionnaire d’intervention en prolongeant les illusions et en générant de la passivité : car il s’agirait maintenant, paraît-il, d’attendre à ce que les « forces du changement » gagnent les élections dans tous les pays de l’Union Européenne pour modifier, pacifiquement, les traités européens par la voie ordinaire.
poser avec clarté la rupture avec l’UE et l’euro et le refus au payement de la dette
Dans la pratique cela veut dire, reporter « ad kalendas graecas » (et c’est le cas de le dire) un changement urgent face auquel nous sommes déjà en retard depuis longtemps. Un changement qui exige, en tout premier lieu, poser avec clarté la rupture avec l’UE et l’euro et le refus au payement de la dette. À partir de là, il faut travailler dur pour arriver à faire possible ce qui est nécessaire. Et ne pas utiliser les difficultés pour défendre des soldes « trop faciles » qui, paradoxalement, sont davantage impossibles d’en metre en place, tout en générant des illusions qui anticipent le désespoir et la défaite des mobilisations. C’est là où tombe le calcul électoraliste quand il soutient qu’il y a des vérités que l’on ne peut pas défendre parce qu’elles « ôtent des votes ».
Nous avons besoin d’un projet de changement, non limité par le tacticisme et le calcul électoraliste, qui entreprenne dès maintenant la pédagogie nécessaire pour démasquer le caractère de classe oligarchique du projet européen, dont il faut dire qu’il n’a pas souffert une « perversion ultérieure » mais qu’il en était ainsi dès son origine. Nous avons besoin d’un projet qui dès maintenant esquisse un format de mobilisation non subordonné au fait électoral, et qui fasse germer des embryons de pouvoir populaire dans chaque quartier, dans chaque poste de travail, dans chaque poste d’étude, en tant qu’éléments qui accompagnent la dispute centrale du pouvoir à part entière.
Ceci est justement en rapport avec le troisième des aspects que nous devons analyser, puisque la version particulière du « Plan B » dans l’État espagnol ne se comprend pas si l’on n’est pas conscient des disputes internes au sein de Podemos et tous ses différents contours. C’est le cas des secteurs qui se sont mal tirés dans les primaires préalables aux dernières élections générales et qui maintenant, face à l’éventualité de nouvelles élections, tâchent de mieux se positionner.
Dans ce sens, ils ont besoin d’avoir quelque chose à mettre sur la table des négociations au dedans des partis et des regroupements électoraux faits pour l’occasion. De là que des gens comme Miguel Urbán se soit postulé pour être en première ligne dans cette nouvelle théâtralisation politique, c’est vrai, sans besoin de trop visualiser une confrontation avec l’actuelle direction de Podemos ; d’autant plus que défendre une corrélation de gouvernements progressistes au niveau européen convient aussi au « récit » (comme on aime dire aujourd’hui) des dirigents du programme TV « La Tuerka » [dont Pablo Iglesias]. En effet, et sans besoin d’aller très loin (ou plutôt, en allant plus loin), Iñigo Errejón (qui ne compte précisément pas avec beaucoup de sympathie parmi les Urbán et ses coreligionnaires de l’ancien Gauche Anticapitaliste devenue aujourd’hui Anticapitalistes), dans une interview télévisée, est allé même jusqu’à compter sur les actuels gouvernements de France et l’Italie (¡¡) pour faire fléchir Mme Merkel. Cela veut dire qu’ils ont tous fort intérêt en ce que la « voie du changement » ne finit pas non plus à Madrid ; comme ça ils s’assurent les arrières. D’ailleurs, étant donné qu’il n’est pas très clair que le « Plan B » puisse créer sa propre mobilisation (voir comme exemple l’échec précédent de leurs Euro-Marchas), il a besoin d’instrumentaliser celles qui existent déjà. Ce qui explique l’appel à descendre à la rue fait pour le 28 mai, le même jour que les « Marchas por la Dignidad 22-M » avaient convoqué une journée de mobilisation.
Dès Red Roja, qui certes a participé aux « Marchas » dès son début, nous faisons une mise en garde pour que ces mobilisations ne se mêlent pas avec des tactiques électoralistes qui lui sont étrangères. Nous avons toujours préconisé la plus haute unité dans la mobilisation. De toute façon, nous prendrons part à ces mobilisations. Mais nous le ferons avec des présupposés propres et clairs, tant à propos de la « ligne de démarcation » (le NON au paiement de la dette) comme à la nécessité d’établir une stratégie de dispute pour le pouvoir… réel, et cela pas uniquement dans le cadre des élections.
L’expérience historique montre que la voie électorale ne serait pas possible même si l’on la remplissait de « contenu programmatique révolutionnaire ». C’est pour cela que « les Marchas » furent si importantes et historiques. Le 22 M ne fut pas une option électorale, mais plutôt, la « patte non électorale » de la contestation sociale. Ainsi donc, nous ne nions pas que ceci soit un « Plan B », mais il ne l’est pas par rapport à l’ennemi, mais plutôt par rapport à notre mobilisation du 22 M en tant que cadre non électoraliste de lutte dans la rue. Et comme nous l’avons dit ci-dessus, ce « Plan B » est en même temps le « Plan bis » de Tsipras et de Syriza ; un « plan bis » qui, bien qu’il n’a pas d’autre choix que se démarquer du Syriza particulier grec, nous condamne à la syrizisation universelle.
Finalement ce « Plan B », c’est de la persistance à trébucher de nouveau sur la même pierre sur laquelle Tsipras a trébuché ; c’est donc un projet qui est même plus trompeur que celui de Syriza. La seule chose qu’il propose ce ne sont que des amourettes glamoureux qui allongent l’erreur de ne pas affronter ce dont nous avons besoin réellement. Toute cette histoire ne semblerait que comique, si elle n’avait pas survenue aux dépens du drame social que nous vivons et qui nous menace avec plus de découpages, plus de réformes de travail, plus d’expulsions de domicile, plus d’attaques contre la classe ouvrière.
Lenine disait: À part le pouvoir, tout est illusion. La lutte des classes est entamée et elle ne peut pas attendre pendant des années pour voir si un jour en Europe, plusieurs « gouvernements du changement » se rencontrent en nombre suffisant pour changer l’Union de l’intérieur. Et moins encore quand, au milieu de cette attente vaine et éternelle, beaucoup font du « changement » son milieu de vie, s’installant dans des conseils municipaux, des députations, des conseils, etc… On le sait : ce sont les « bénéfices collatéraux » qui terminent par s’imposer quand on s’installe dans le pragmatisme et la politicaillerie et, en plus, avec l’excuse : « nous ne pouvons pas aller plus loin parce que les gens sont très en arrière ».
En somme, le « Plan B » signifie une autre variante au sein du pari pour une « canalisation électoraliste » de la contestation sociale. Red Roja, par contre, continue à proposer la nécessité d’un référent politique de masses qui unifie, organise et donne une projection aux contestations des politiques austéritaires, à partir du refus de l’institutionnalisme européen, du payement de la dette et les plans de sauvetage impérialistes. Et cela sans tomber dans la tentation de mettre en « solde électoraliste » ces objectifs ; surtout quand, au sein du système, par ces temps-ci de crise capitaliste réelle, ce n’est même pas possible un programme à prix réduit.
En Europe, ainsi que dans l’État espagnol, on ne peut pas séparer la caste du système. Le point faible de ce « Plan B » (comme celui de Podemos) c’est qu’il fuit la réalité, rêvant d’un plan pour changer l’Eurogroupe… de l’intérieur. Le point fort de la révolution sera faire que la confrontation avec la politique brutale d’austerité imposée par Bruxelles et Berlin pousse inévitablement la mobilisation vers une mise en question du système oligarchique capitaliste en son ensemble.
[1] http://redroja.net/index.php/noticias-red-roja/noticias-cercanas/3674-fr-rapport-politique-nous-devons-organiser-lintervention-revolutionaire
Traduction NM pour RedRoja et www.initiative-communiste.fr