Devant séjourner en Pologne, j’ai acheté Le guide du Routard de ce pays. À sa lecture, très rapidement, je me suis demandé si j’avais dans les mains un guide touristique ou un livre de propagande politique. Et pas n’importe laquelle, de celle de la forme la plus violente, la plus ringarde et la plus gratuite de l’anticommunisme.
Cela commence dès l’introduction avec l’immonde parallèle nazisme/communisme : « Avec 6 ans de barbarie nazie (1939-1945) et 45 ans de totalitarisme communiste (1945-1989), la Pologne compte parmi les nations qui ont le plus souffert en Europe ».
Et dès la page suivante, dans les « coups de cœur » du guide : « Visiter le musée de la vie sous le communisme et rentrer à son hôtel en se disant que c’est heureusement une époque révolue ».
On se dit qu’un guide touristique ne peut pas continuer comme ça, eh bien non, pas du tout, cela continue de plus belle :
Page 30 : « Pour finir, visiter Gdansk, les chantiers navals acteurs de la fin de la dictature communiste ».
Page 68 : « 45 ans de dictature communiste »
Page 104 : « Au musée de l’insurrection de Varsovie, pour bien se rendre compte de celle-ci, le visionnage du film « City of Ruin » est hautement conseillé, les tourments de l’après-guerre, liés à l’instauration du régime communiste, ne sont pas oubliés, preuve étant faite, si nécessaire, que le calvaire n’était pas fini… ».
Page 111 : « Au musée de la vie sous le communisme de Varsovie vous verrez également, et le sourire s’efface, un mannequin de la milice qui veille sur la reconstitution d’un bureau de quelque huile du parti : portrait de Lénine, Brejnev et tout le saint-frusquin. Brrr »
Page 141 : « Dans le musée et château Koztowka, visitez la galerie du réalisme socialiste. Imposée en 1950 par le voisin soviétique, cette forme de propagande pseudo-artistique fut abandonnée en Pologne cinq ans plus tard. Le château se vit alors dépositaire de tout ce que le pays avait pu produire en œuvres destinées à « éduquer » les masses sans jamais révéler les talents de leurs créateurs laissés dans l’anonymat. On ne rigolait pas sous la dictature ».
Page 235 : « Cracovie était considérée par la dictature communiste comme une ville rebelle. En construisant la cité industrielle de Nowa-Huta aux portes de la ville, les communistes voulaient changer la structure sociale de la population et détruire les nids de la contre-révolution. Cette ville ouvrière s’est faite cité-modèle qui pouvait garantir « le bonheur des ouvriers ». On était très fier de vivre et travailler ici. Le quartier n’a pas tellement changé depuis le communisme… ensemble de cages à lapins sinistres. Dans ce paradis des travailleurs, la disposition des rues permettaient de briser toute grève éventuelle, non mais ! »
Page 255 : « Dictature communiste ».
Page 310 : « Après-guerre suit la sombre période du stalinisme et les affres d’une nouvelle dictature, fut-elle du «peuple » ; « Au printemps 1989, avec la fin du régime communiste, Gdansk a offert à la Pologne sa liberté ».
Page 334 : « Le Centre européen des solidarités de Gdansk est un hymne au combat mené par Solidarnosc pour les droits des travailleurs sous le joug communiste, il raconte cette tranche d’histoire jusqu’à la chute finale du gouvernement Jaruzelski et du bloc de l’Est. Ouf, une happy end ! ».
Allez, on continue, on suit le Duce ou le Führer, pardon le Guide du Routard :
Page 374 : « Les 50 sombres années du communisme ».Page 381 : « Joug du stalinisme ». Page 382 : « Période sombre du stalinisme ». Toujours page 382 : « En 1989, le Parti communiste rend son tablier. Ouf ! ». Et encore « dictature communiste » à la page 394, si jamais le lecteur n’avait pas compris !
Et j’ai gardé le « meilleur » pour la fin :
Page 384, le Guide du Routard souhaite ouvertement la mort d’un homme : « Dans la catastrophe aérienne de Smolensk, en avril 2010, la Pologne a perdu son président et les principaux dirigeants de son armée. Un général a cependant échappé au crash : l’ex-général Jaruzelski qui désirait être du voyage mais avait été éconduit. Qui a dit : « Il n’y a de la veine que pour la canaille » ? »
Et le bouquet final : dans la rubrique « Livres de route », parmi 10 livres conseillers, que trouve-t-on ? « Le livre noir du communisme » ! Accompagné du commentaire suivant : « Même si l’ouvrage a soulevé des polémiques à sa sortie (toute dictature compte malheureusement ses nostalgiques !), il décrit comment une idéologie égalitaire au XIXè siècle a pu au siècle suivant engendrer l’une des plus effroyables organisations totalitaires, une machine à broyer les individus et les consciences. De Lénine à Staline, de Mao à Ho Chi Minh, de Pol Pot à Castro, cette somme de plus de 1100 pages dresse l’inventaire des massacres, des persécutions, des famines et déportations organisés au nom d’une raison d’État préconisant la suprématie d’une classe sociale sur les autres ».
Çà je ne l’avais encore jamais lu ! Mettre sur le même plan Castro, Lénine, Ho Chi Minh (le libérateur du Vietnam, pays qui chassa les Khmers rouges du Cambodge) et Pol Pot il faut le faire !
Le Guide du Routard devrait savoir que le contenu de ce livre rédigé pour la plupart par des gens d’extrême-droite, est vivement contesté, dans sa recherche historique et sa « comptabilité » macabre, par des personnalités politiques ou historiens de tous bords.
Le plus étonnant c’est que malgré cet enfer sur terre le guide nous dit page 383 que « Les communistes gagnent les élections de 1993 ». Non mais, ils sont vraiment fous ces polonais !
Étonnant aussi que le guide dise que ce sont ces ignobles soviétiques qui ont chassé les nazis et libéré la Pologne :
Page 387 : « Les rares survivants juifs de Pologne (180000 à 240000) doivent leur salut à leur engagement dans la Résistance ou leur fuite vers l’URSS ».
Page 125 : « Les Russes libèrent le ghetto de Lodz dans lequel il ne reste plus que 10000 survivants sur ses 203000 habitants ».
Page 141 : « Majdanek, dans les environs de Lublin, est un des plus grands camps d’extermination nazie, 235000 personnes y périrent, il fut libéré par les soviétiques à l’été 1944 ».
Page 278 : « En 1945, Poznan est le théâtre de combats acharnés entre la Wehrmacht et l’Armée Rouge, l’après-guerre est synonyme de reconstruction».
Page 343 :« À son arrivée à Auschwitz en 1945, l’Armée Rouge a tourné des images terrifiantes».
Évidemment le guide se réjouit du rétablissement du libéralisme, cette société progressiste, émancipatrice, juste etc… Par exemple à la page 65 : « À Varsovie, autour du Palais de la Culture, emblème grandiloquent du réalisme socialiste, les tours de verre et d’acier jaillissent comme les nouveaux porte-drapeaux du libéralisme. De grands panneaux publicitaires colorent les façades de jadis. Le siège de l’ancien Parti Communiste Polonais abrite aujourd’hui la Bourse de Varsovie ».
Page 97 : « Le palais de la culture et des sciences de Varsovie a réussi sa reconversion en devenant le siège de sociétés occidentales » ; page 334 : « Les chantiers navals de Gdansk devraient s’effacer dans les années à venir devant un immense projet de rénovation urbaine ».
Il va de soi que remplacer un palais de la culture par des sociétés occidentales, un siège de parti politique par une bourse de la spéculation, couvrir des murs par des panneaux publicitaires et remplacer des chantiers navals par des immeubles, c’est un grand progrès de civilisation !
Un grand progrès que les rédacteurs décrivent ainsi :
Page 115 : « À Lodz, les traces de pauvreté urbaine et sociale sont flagrantes dès qu’on s’écarte du centre », « Le secteur textile s’effondre à la fin des années 1990. Sans autre ressource la cité perd en deux décennies 100000 habitants, découragés par le chômage qui frappe 30% de la population ».
« On pénètre dans le chantier naval de Gdansk par une grille d’entrée symbole du combat pour la liberté, de l’espoir et de la souffrance. Déclaré en faillite en 1986, il a été privatisé et emploie aujourd’hui à peine 2000 ouvriers contre 15000 en 1980.».
Page 375 : « La Pologne a eu le mérite de pratiquer une certaine rigueur budgétaire qui a porté ses fruits. Cela n’empêche pas 2 à 2,5 millions de Polonais, la plupart âgés de moins de 35 ans de partir ailleurs en Europe. Les dernières statistiques affirment que 15,5% des Polonais vivent sous le seuil de pauvreté. Ce sont pour l’essentiel les laissés-pour-compte de la transition économique, habitants de communes où l’emploi se fait rare depuis la fermeture des entreprises d’État. Ceux vivant dans l’extrême pauvreté ont même vu leur nombre progressé de 5,8% de la population en 2010 à 6,5% en 2015. Le quart des Polonais déclare avoir des difficultés à boucler leur fin de mois… Une réalité portée par la faiblesse des salaires, qui ne parvient pas à dissimuler la multiplication des voitures de luxe ».
Page 383 : « En 1995, Lech Walesa qui incarna le triomphe de la démocratie, n’est pas réélu. Il n’a pas compris le désarroi des plus faibles livrés au nouveau système libéral ».
Page 383 : dans l’histoire de la Pologne (période des années 2000) : « Capitalisme, un mot magique en 1989, il rimait alors avec liberté, espoir, mais personne ne savait vraiment ce dont il s’agissait. Mais l’Eldorado serait-il une illusion ? Tout le monde n’a pas son ticket d’entrée dans l’Eden du capitalisme. En 2003, plus des deux tiers de la population gagnent moins de 375 euros par mois, tandis que les prix commencent à s’aligner sur ceux pratiqués à l’Ouest. La grogne des oubliés des réformes s’exprime souvent dans la rue ».
Mais tout cela c’est sûrement la faute des communistes !
On pourrait certes dire que chacun a le droit d’avoir ses analyses, ses opinions et que les rédacteurs du guide ont le droit d’avoir les leurs, mais c’est une autre chose que d’utiliser un guide touristique à des fins idéologiques. Le Guide du Routard devrait savoir que ses lecteurs sont de toutes opinions et que la déontologie basique voudrait qu’il fasse preuve de neutralité ou au moins de retenue idéologique.
Il va sans dire que tout communiste et tout progressiste soucieux de refuser la propagande haineuse n’achètera plus jamais de guides du Routard et se fera fort d’en faire une « bonne « publicité.
Laurent NARDI
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