L’Union Européenne (UE) est entrée dans une phase de turbulence. Toutes ces années de crise et d’austérité brutale ont eu des conséquences sociales catastrophiques, en particulier dans les pays de la périphérie. Au Portugal, un changement de gouvernement après les élections législatives de 2015 a mis fin à l’austérité imposée par la troïka ce qui a permis un revirement de certaines politiques. Mais des problèmes structurels persistent en raison de la nature de l’UE et de ses mécanismes, en particulier la monnaie unique. Pour discuter de la situation politique au Portugal, des conséquences de l’entrée sur le marché unique et de l’Euro, et des solutions à ces problèmes, ainsi que d’autres questions telles que la montée de l’extrême droite en Europe, nous avons interviewé João Ferreira du Parti Communiste Portugais (PCP) ; il est membre du Comité Central du PCP, conseiller municipal à Lisbonne et deux fois élu au Parlement européen.
traduction depuis l’anglais par nos amis d’Investigaction d’une interivew de Joao Ferreira.
Chacun pourra converger les très nombreuses convergences de vue et d’analyse entre le PCP au Portugal, et le PRCF en France. Soulignant de fait l’isolement de plus en plus total du PCF en France, en rupture sur la question européenne avec la totalité des partis communistes européens.
1ere Partie
Comment décririez-vous l’actuel gouvernement portugais ? Est-ce un gouvernement de gauche ?
C’est un gouvernement du Parti Socialiste (PS). Ce n’est ni un gouvernement de gauche ni une coalition de forces de gauche, comme nous l’entendons parfois. C’est un gouvernement du Parti Socialiste qui met en pratique les positions du Parti Socialiste vis-à-vis des questions fondamentales de la politique de droite et de sa vision pour le pays, position aussi fondamentalement différentes de celles du PCP. Mais c’est un gouvernement minoritaire ; ce qui signifie, avec l’équilibre actuel des pouvoirs au Parlement, que le PCP joue un rôle important dans le processus de restauration des droits et l’augmentation des revenus des personnes que le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre avant sa prise de fonction.
En fait, les progrès accomplis depuis le début de ce gouvernement l’ont souligné. Il y a eu un processus de restauration des droits et d’augmentation des revenus dans lequel le PCP et les luttes populaires de ces dernières années ont joué un rôle décisif. Cependant, des problèmes structurels fondamentaux persistent encore, dont la solution nécessite des politiques globales pour aller au-delà du recouvrement des droits et des revenus et finalement développer le pays. Tout cela est proprement lié au fait qu’il s’agit d’un gouvernement du Parti Socialiste qui a hérité de toutes les contradictions historiques que le Parti Socialiste n’a pas réussi à résoudre et qui sont à leur tour liées aux politiques de droite des 40 dernières années. Et cela explique pourquoi ce gouvernement n’est pas un gouvernement de gauche.
Analysons ces problèmes séparément. Quelles mesures positives ont été décidées et mises en œuvre, et pourquoi y a t’il eu une réponse si fébrile ou plutôt une opposition déterminée de Bruxelles ?
Les actions du gouvernement précédent, une coalition de droite du Parti Social-Démocrate (PSD) et des Démocrates-Chrétiens (CDS) ont eu comme point de départ le programme d’intervention de la troïka, composé du Fonds Monétaire International (FMI) La Banque Centrale Européenne (BCE) et l’Union européenne (UE). Ce programme a été approuvé par le PSD, le PS et le CDS, alors que le PCP l’a qualifié comme étant un «pacte d’agression» à l’encontre du pays et du peuple.
De sorte que ce gouvernement PSD-CDS a mis en œuvre des politiques qui sont essentiellement conformes aux récentes directives du FMI et de l’UE : une attaque contre les droits du travail et les droits sociaux, la privatisation des entreprises publiques et des secteurs stratégiques de l’économie, la destruction et le démantèlement des services publics, en divergence permanente avec la Constitution portugaise. C’est un gouvernement qui a mis en place avec diligence toutes les orientations et les injonctions de l’Union Européenne. Lorsque ce gouvernement a été battu lors des élections législatives de 2015 et que les conditions ont été réunies pour qu’un nouveau gouvernement prenne ses fonctions – un gouvernement minoritaire PS qui avait accepté de revenir sur certaines des mesures mises en œuvre au cours des quatre années précédentes – la Commission Européenne a alors immédiatement réagi. Les autorités européennes, les grandes puissances européennes, le grand capital européen et leurs représentants politiques, comme par exemple la Commission Européenne, tous ont tout de suite réagi dès lors qu’ils virent en danger le plan qu’ils avaient préconisé et imposé.
Qu’est-ce qui a été fait en particulier ? Même si elles ont une portée limitée, certaines mesures que nous considérons comme importantes ont été mises en œuvre. Par exemple :
- un arrêt définitif des processus de privatisation en cours dans le secteur des transports
- la restauration de quatre jours fériés qui avaient été supprimés par le gouvernement précédent
- la restauration de la semaine de 35 heures dans le secteur public
- l’élimination des réductions de salaire dans le secteur public et de la surtaxe de l’impôt sur le revenu, ce qui signifie une augmentation des revenus de la classe ouvrière
- une augmentation des revenus des régimes de retraite, alors que la troïka recommandait d’autres réductions, cette fois avec un caractère permanent, en plus des coupes mises en place par le gouvernement précédent
- une augmentation du salaire minimum, même si elle est encore bien inférieure au montant que nous jugeons juste
- la restauration de la négociation collective dans les entreprises publiques
- une augmentation des prestations familiales et infantiles, tant dans son montant que dans le nombre de personnes couvertes
- la mise en place de la gratuité des livres scolaires dans les écoles primaires
Ce sont toutes des mesures qui vont à l’encontre des diktats de la troïka. La troïka, l’UE et le grand capital portugais ont vu cela comme une menace pour les politiques générales qu’ils avaient imposées et ont réagi de manière violente, avec des menaces et des pressions. Cela souligne la tournure prise par l’Union Européenne. Même les mesures limitées ayant un caractère social, l’augmentation des revenus, l’amélioration du niveau de vie, suffisent à nous mettre en porte-à-faux vis-à-vis de l’UE, de sa structure de pouvoir et des politiques qui ont été imposées aux peuples. Nous ne parlons pas de mesures fondamentales, structurelles, mais celles d’une portée très limitée ; mais même celles-ci suffisent à déclencher la réaction brutale que nous avons observée.
Vous avez également mentionné les lacunes du Parti Socialiste qui empêchent une réponse plus complète aux problèmes du pays. Pouvez-vous développer sur ce sujet ?
D’un côté, le Parti Socialiste est soumis à toutes les politiques et injonctions de l’Union Européenne. S’il est vrai que des mesures concrètes recommandées par l’UE ont été remises en question, les principales impositions résultant du Pacte de Stabilité, des séries de mesures de Gouvernance Économique, du Semestre Européen (1), du Pacte Budgétaire Européen, ont toutes été adoptées et acceptées par le Parti Socialiste. Et nous parlons de politiques qui ont un caractère inhérent à la Droite et au néolibéralisme. De même, le PS accepte également la soumission à la monnaie unique, dont nous parlerons plus en détail plus tard, avec tout ce que cela a signifié pour le pays en termes de destruction des secteurs productifs et d’une augmentation globale des inégalités.
Mais sur la sphère nationale, le Parti Socialiste reste aux abonnés absents quand il s’agit de confrontations avec les classes dominantes. Par exemple, on ne peut pas compter sur lui pour la réforme du système fiscal afin d’exiger une plus grande contribution du grand capital. Au fil des ans, le système mis en place est extrêmement favorable au grand capital, lui faisant bénéficier d’un fardeau fiscal extrêmement faible aux dépens des travailleurs et des petites et moyennes entreprises. Maintenant que nous avons besoin de changements majeurs pour inverser cette situation, on ne peut pas compter sur le Parti Socialiste. Un autre exemple concerne la législation du travail et le fait que le Parti Socialiste n’a rien fait concernant les mesures les plus pénalisantes pour les travailleurs. Cela montre qu’il existe des aspects structurels de la politique de droite qui subsistent dans le Parti Socialiste.
Pour en revenir au grand capital, il semble que le secteur bancaire reste au centre de l’actualité, avec des craintes et une instabilité constantes. Quelles mesures, selon le PCP, devraient être mises en œuvre en ce qui concerne le secteur bancaire ?
Le PCP a identifié trois contraintes majeures auxquelles le pays est confronté :
1 – la soumission à l’euro
2 – la dette colossale et le service de la dette
3 – la domination des banques privées sur le secteur financier
Les deux premiers points seront abordés dans un instant. En ce qui concerne le troisième, il convient de rappeler que le secteur bancaire a été nationalisé après la Révolution de 1974 ; puis il y a eu un processus de privatisation et de reconstitution des banques privées. Avec le résultat de ce processus que nous avons pu observer ces derniers temps. Nous avons un secteur bancaire qui n’est pas au service du pays mais qui ne sert que quelques groupes économiques et financiers, certains portugais, d’autres étrangers. Ces groupes ont accumulé au fil des ans des bénéfices fabuleux au détriment des familles, des petites et moyennes entreprises et du pays en général. Tout cela en recourant à des opérations frauduleuses et de corruption, à des spéculations sans entraves, à des prêts aux amis et à la famille, etc. Du point de vue du PCP, cela démontre la nécessité de ramener le secteur bancaire sous le contrôle public, en le réorientant vers ce qui devrait être sa fonction sociale : protéger les épargnes et les mettre au service des investissements productifs, revigorer l’économie et le développement du pays, plutôt que de mettre ces ressources au service de pratiques énumérées précédemment.
Au Portugal, nous avons beaucoup entendu parler de la CGD et de la Novo Banco (2) …
La Novo Banco est un exemple frappant d’une banque qui ne sert que les intérêts d’une poignée de capitalistes, mais ce n’est pas un cas unique. C’est un exemple que l’on retrouve chez d’autres banques qui ont été à l’origine de problèmes considérables. En fait, les travailleurs ont été mis plus d’une fois à contribution pour couvrir les pertes des banques privées. Ce que nous soutenons, compte tenu du point de déliquescence que nous avons atteint, c’est que l’État retienne le contrôle publique sur la Novo Banco comme point de départ d’un contrôle plus généralisé du secteur bancaire.
En ce qui concerne la Caixa Geral de Depósitos, il a un problème fondamental. Même si c’est une banque publique, en raison de choix des gouvernements récents, elle a été gérée comme si elle était une banque privée. Donc, les mêmes opérations spéculatives, réalisations de prêts douteux, etc., ont été exécutées, sans oublier qu’elle a également été appelée à combler des trous dans les banques privées. Par conséquent, la demande n’est pas seulement de garder Caixa Geral de Depósitos dans la sphère publique, mais d’avoir une direction qui fonctionne efficacement pour soutenir le développement du pays.
Passons maintenant à la dette, ce qui était bien sûr la raison de l’intervention de la troïka. Comment la dette du Portugal s’est-elle gonflée pour en arriver aux niveaux actuels ?
Il existe deux types de causes : des causes structurelles, fondamentales et d’autres que nous pouvons appeler plus circonstancielles. Les premières concernent le processus de destruction et le démantèlement progressif de l’appareil productif, des secteurs productifs tels que l’agriculture, la pêche, l’industrie, et ce que cela implique en termes de dépendance accrue envers les biens et les services étrangers. En plus de cela, il y a eu aussi un processus de privatisations dans les secteurs stratégiques de l’économie, ce qui a permis aux capitaux, à la fois nationaux et étrangers, d’acheter des participations dans ces secteurs. Cela signifiait nécessairement une perte de fonds, puisque les bénéfices et les dividendes, au lieu de rester dans les caisses de l’État, allaient dans les poches des actionnaires.
Ces deux aspects sont inséparables avec l’entrée du Portugal dans la CEE, le marché unique, pour se retrouver en concurrence sans protection contre des économies beaucoup plus fortes avec des niveaux de productivité beaucoup plus élevés. Et les fonds structurels européens, destinés à atténuer les répercussions de cette compétition inégale, n’ont jamais réussi à le faire, même si certains en rejettent la responsabilité sur les gouvernements au pouvoir à l’époque. Mais une grande partie des fonds structurels est venue et est repartie sous la forme d’acquisition de biens et de services, revenant dans certains cas vers leur lieu d’origine. En fait, les montants transférés par l’UE au Portugal sont maintenant dépassés par les montants qui quittent le pays en tant que bénéfices, dividendes et intérêts vers d’autres pays de l’UE. Autrement dit, le Portugal est un contributeur net dans l’Union européenne.
Évolution de la dette publique portugaise en pourcentage du PIB (données de l’Institut National des Statistiques Portugais)
Les causes plus circonstancielles ont trait à l’attaque spéculative que les dettes souveraines des pays dits périphériques ont subie entre 2009 et 2011. Une attaque qui est intimement liée aux règles mêmes qui guident les institutions européennes et la Banque Centrale Européenne en particulier. Il est important de garder à l’esprit que la BCE ne prête pas d’argent aux États, mais le fait aux banques privées ; et pendant une longue période, nous avons assisté à une situation durant laquelle la BCE a accordé des prêts aux banques privées, les marchés dits financiers, avec des taux d’intérêt de 1%, et ces banques se sont retournées pour facturer des taux d’intérêt aux États qui, dans le cas du Portugal, atteignaient 7%. Jusqu’au début du processus d’achat de dette par la BCE, processus qui a été retardé le plus longtemps possible, le Portugal et d’autres pays ont fait face à cette attaque spéculative, avec des écarts très importants dans les taux d’intérêt qui ont été responsables d’une forte augmentation de la dette publique. Et bien sûr, le programme de la troïka a empiré les choses.
En remontant un peu, dans les années 1980, le PCP s’opposait à ce que le Portugal adhère au marché unique. Quelles étaient les raisons de cette position et qu’est-ce qui est finalement arrivé ?
Le Parti communiste était essentiellement le seul parti au Portugal à mener une étude approfondie des conséquences d’une adhésion éventuelle au marché unique. Nous avons même démarré avant la Révolution, lorsque cette possibilité d’entrer sur le marché unique a commencé à être discutée ; nous l’avons encore fait dans les années 1980 quand la décision est passée et que le pays est entré dans la CEE, et nous l’avons fait de nouveau 20, 30 ans après cette adhésion. Et en général, les avertissements que nous avons émis se sont révélés justifiés. Le PCP avait raison. A l’époque, notre voix était isolée ; aujourd’hui, de nombreux mouvements politiques et d’opinion constatent la véracité de ce que nous avons dit tout au long.
La CEE, aujourd’hui l’UE, est un processus d’intégration capitaliste. Les processus d’intégration ne sont pas neutres. En fonction de leur nature, ils peuvent aider les peuples ou se mettre au service des capitaux et des multinationales. L’UE/CEE, en tant que processus d’intégration capitaliste, est conçue pour favoriser l’accumulation de capital. Au lieu de promouvoir la convergence, nous avons une divergence sociale et économique, et cela est évident dans la situation rencontrée aujourd’hui par les pays périphériques, encore une fois dans la lignée de ce que prévoyait le PCP.
Manifestation en faveur de la nationalisation du secteur bancaire en 1975
Il y a un autre point important à souligner dans le cas concret du Portugal. Les grands groupes monopolistes ont subi des revers majeurs après la Révolution d’avril (1974) et les progrès réalisés qui ont suivi. Juste pour rappeler certains d’entre eux : la nationalisation des secteurs stratégiques de l’économie, la réforme agraire, une Constitution qui garantit des droits économiques, sociaux et culturels de grande envergure, entre autres. L’adhésion à la CEE a été perçue par ces groupes comme une occasion de récupérer le pouvoir perdu. Parce que le critère même de l’adhésion à la CEE impliquait que l’Etat soit soumis à la soi-disant économie de marché ; et donc au Portugal, cela a fini par stimuler le processus de reprise capitaliste et la reconstitution des monopoles qui existaient durant la dictature fasciste et qui avaient été démantelés après la Révolution. La prise en compte du caractère instrumental de l’entrée sur le marché unique en termes de retour au pouvoir des classes anciennement dominantes faisait également partie de notre analyse et motivait notre opposition. Et là aussi, il s’est avéré que nous avions raison.
Notes :
(1) Le semestre européen fournit un cadre pour la coordination des politiques économiques entre les pays de l’Union européenne. Il leur permet de débattre de leurs programmes économiques et budgétaires et de suivre les progrès accomplis à des moments précis de l’année.
(2) Le Banco Espírito Santo (BES) était le joyau de la couronne de l’empire commercial de la puissante famille Espírito Santo. En 2014, il a fallu un plan de sauvetage de plusieurs milliards d’euros après sa faillite suite à des années de pratiques douteuses avec la complicité des régulateurs. Une nouvelle banque, appelée «Novo Banco», a été créée sans les actifs toxiques du BES. Le PCP a soutenu que, compte tenu du coût énorme de l’aide financière, la banque ne devrait pas être simplement reprivatisée.
La Caixa Geral de Depósitos (CGD) est la plus grande et l’unique banque publique portugaise. La droite, depuis longtemps, rêve de la privatiser.
Traduit de l’anglais par Stéphane Rouilly
2e Partie :
En ce qui concerne l’Euro, le PCP n’est plus seul aujourd’hui ; il est largement reconnu que la monnaie unique ne fonctionne pas. Pourquoi l’euro était-il destiné à échouer et quelles en sont les conséquences ?
À notre avis, l’Euro n’a pas échoué. Il y avait des objectifs qui ont été communiqués aux peuples, mais la question est de savoir si c’étaient les objectifs véritables du projet. De notre point de vue, ils ne l’étaient pas. L’Euro était dès le départ un projet politique du grand capital européen. Un projet qui a eu deux objectifs principaux : réduire les coûts unitaires de la main-d’œuvre, ce qui revient à transférer la richesse du travail au capital, et d’autre part, sous l’égide de satisfaire aux exigences de la monnaie unique, attaquer les services publics et privatiser les secteurs économiques stratégiques. C’est avec le prétexte de l’Euro et en accommodant ses exigences que les salaires réels ont été réduits (la soi-disant «modération salariale»), d’innombrables entreprises publiques ont été privatisées, dans certains cas même dans des secteurs stratégiques entiers, les fonctions sociales de l’État étaient ciblées, ce qui a entraîné une réduction des dépenses en soins de santé, éducation, sécurité sociale, etc. L’Euro a donc permis d’atteindre ces objectifs.
Par exemple, une décennie après la création de la monnaie unique, les bénéfices dans la zone euro ont augmenté de 30%, tandis que les coûts unitaires de main-d’œuvre ont diminué de 1%. Cela s’est produit à un degré plus ou moins élevé dans de nombreux pays. C’est arrivé au Portugal et c’est arrivé en Allemagne. En Allemagne, par exemple, les bénéfices ont augmenté 80 fois plus rapidement que les salaires. Par conséquent, l’Euro a atteint ses objectifs politiques ; c’est pourquoi nous réaffirmons que l’Euro est un projet politique du grand capital européen. Bien sûr, on a promis aux gens que l’Euro réduirait le chômage, produirait des taux de croissance autour de 3% par an, augmenterait les salaires, et entraînerait une convergence des salaires sur l’ensemble des pays de la zone euro. Avec du recul, voilà ce qui s’est passé au Portugal :
- le chômage n’a pas reculé, il a plus que doublé et il est constamment supérieur à 10%
- la croissance accumulée après une décennie et demie dans la zone euro est nulle, ce qui signifie que ces quinze dernières années ont été perdues
- non seulement les salaires n’ont pas convergé vers ceux d’autres pays, mais ils ont en fait continué à diverger
- le déficit de notre balance commerciale a empiré et la dette a explosé
- la production agricole et industrielle a reculé pendant plusieurs années, et cela s’est également vérifié dans d’autres pays de la périphérie.
Tout cela a été le résultat de l’Euro. Le contraire de ce qui a été promis est ce qui s’est réellement passé. Maintenant, nous ne pouvons pas dire que les objectifs publiquement définis étaient les objectifs véritables du projet. Ce ne sont que des promesses faites pour faire participer les gens au projet. Tandis que les objectifs réels de l’euro, ils ont été certainement accomplis.
Au-delà de ces objectifs, l’Euro s’est efforcé d’approfondir l’intégration capitaliste européenne par une politique de faits accomplis. Aujourd’hui, on nous dit que l’Euro a mal tourné parce qu’il était boiteux. Et c’est le prétexte d’aller encore plus loin dans le processus d’intégration. À l’époque, on savait déjà très bien que la structure de l’Euro n’était pas complète, qu’il ne s’agissait pas d’une union monétaire bien conçue, mais personne ne semblait s’en préoccuper pour autant.
Dans le dernier communiqué du Comité central du PCP, une campagne pour la libération du pays de la soumission à l’euro a été annoncée. Qu’espérez vous accomplir ?
Avec cette campagne, nous visons à faire connaître et à partager avec toute la société portugaise un constat qui est tout à fait évident aujourd’hui : l’euro a entraîné l’appauvrissement, le recul, la dette et la dépendance étrangère. Et il n’y a aucune perspective d’inverser le cours sans rompre avec la soumission à l’euro pour toutes les raisons dont nous avons déjà discuté. En fait, cela est très clair lorsque l’on considère toutes les politiques qui ont été imposées au pays sous prétexte de rester dans la monnaie unique. Par conséquent, le pays doit se libérer ; il doit retrouver un instrument important qui est sa souveraineté monétaire. Et avec cela vient aussi une souveraineté renforcée sur les questions budgétaires et de changes et également de certaines façons sur les questions fiscales.
En effet, la souveraineté monétaire est un instrument essentiel, car en son absence, les seuls facteurs d’ajustement en période de crise économique sont les salaires et les emplois. C’est ce que nous avons vu ces derniers temps, baisses des salaires et augmentations du chômage. Nous avons besoin d’une souveraineté accrue afin que, dans le domaine monétaire, mais aussi dans la sphère économique en général, nous disposions d’une monnaie adaptée à la structure productive du pays, qui est significativement différente de la structure productive d’un pays comme l’Allemagne. La soumission à la même devise entraînera nécessairement des divergences économiques comme nous l’avons vu, c’est pourquoi le pays doit être libéré de cette emprise. Et cette libération n’est pas seulement nécessaire, elle est possible et viable.
Si je peux me faire l’avocat du diable, sortir de l’euro comporte également ses propres risques, spécialement à court terme. Est-ce que le PCP les prend en compte ?
La sortie de la zone Euro n’est pas un processus politiquement neutre. Nous préconisons de quitter l’Euro dans le contexte d’une politique patriotique et de gauche ( » política patriótica e de esquerda « ). C’est-à-dire le processus de sortie de l’Euro qui défendra les revenus, les conditions de vie et les économies des gens. Celui qui veillera à ce que ceux qui ont bénéficié le plus de leur présence dans l’Euro soient ceux qui supportent le plus grand fardeau de cette sortie. Une sortie de l’Euro menée par un gouvernement de droite peut avoir des conséquences très négatives. C’est pourquoi nous disons que ce ne peut pas être un projet politiquement neutre.
Et lorsque nous argumentons pour une sortie de l’Euro de gauche, cela nécessite de la coordonner avec d’autres mesures, dont deux sont d’une importance majeure. La première est la renégociation de la dette dans ses montants, termes et taux d’intérêt, afin de réduire considérablement le service de la dette et même de l’effacer d’une composante que nous jugeons illégitime. La seconde est le renforcement du contrôle public sur le secteur bancaire. Il s’agit donc de trois mesures qui, du point de vue du Parti Communiste, sont profondément liées. Nous avons déposé une proposition au Parlement, qui visait précisément à libérer le pays de ces trois contraintes, à l’euro, à la dette et au secteur bancaire privé, et en échange d’offrir des solutions intégrées pour chacune d’entre elles.
Ce sont des problèmes inséparables …
Oui, sans aucun doute, et donc toute réponse doit également être construite de manière intégrée. Certains des principaux vecteurs de la politique alternative, patriotique et de gauche que nous défendons et qui devraient être articulés avec la sortie de l’euro incluent : la défense et la promotion de la production nationale, la reprise des secteurs stratégiques de l’économie, l’augmentation des revenus des travailleurs, le renforcement des services publics, etc. Nous défendons cette nécessité de nous libérer de l’Euro, non de manière stérile, mais dans le contexte de cette politique patriotique et de gauche. Ce que la réalité a démontré, et l’expérience grecque nous offre une leçon qui ne peut pas être ignorée, c’est qu’il n’est pas possible de mettre en œuvre une politique de gauche dans le cadre de l’Euro et des contraintes associées à l’union économique et monétaire.
Beaucoup de gens disent, même dans le centre-gauche, qu’un seul pays ne peut pas le faire seul et qu’il faut un effort coordonné avec d’autres pays dans des circonstances similaires …
Nous trouvons qu’il est très important de coordonner des efforts avec d’autres pays et avec d’autres partis communistes et progressistes. Mais nous ne croyons pas qu’un pays devrait rester immobile jusqu’à ce qu’il y ait un changement dans les structures supranationales. D’autant plus que ces structures supranationales ont démontré à maintes reprises à qui elles servaient. Par conséquent, changer la situation en Europe nécessite de revenir sur la corrélation des forces dans chaque pays, il faut des changements dans chaque pays. Et des changements dans un pays peuvent à leur tour soutenir les changements similaires dans d’autres pays. Même sur cette question de l’abandon de la monnaie unique, nous avons défendu la nécessité d’unir nos forces au niveau européen, en commençant bien sûr par des pays qui présentent des scénarios similaires. Pourtant, nous ne dépendons pas de ce que nous estimons nécessaire au niveau national de changements préalables au niveau européen. Tout changement que nous pourrions pousser au niveau national peut entraîner des changements au niveau européen. Encore une fois, l’histoire grecque est instructive à cet égard. Il faut beaucoup de courage, beaucoup de détermination et une volonté de rompre avec le chantage et les pressions de l’Union européenne. La solution n’est pas de se soumettre à ceux-ci.
En prenant toutes ces considérations en compte, le PCP préconise-t-il une sortie unilatérale de l’UE ?
Nous n’ignorons pas la nature du processus d’intégration capitaliste, et nous n’avons donc aucune illusion sur ce qu’il pourrait apporter. Il a été démontré que l’UE n’est pas réformable. Cela ne signifie pas que nous ne préconisons pas un processus de coopération / intégration différent entre les États libres, souverains et égaux en Europe, mais c’est un processus qui, dans ses principales caractéristiques, sera diamétralement opposé à ce que l’UE défend. Et je ne parle pas de « ce que l’UE défend aujourd’hui », je parle de ce qu’il a toujours défendu. La primauté de la libre circulation du capital dans le marché unique par rapport aux droits sociaux et ouvriers, par exemple, est gravée dans les traités dès le début. C’est pourquoi ce processus n’est pas réformable de notre point de vue. Ce que nous devons faire, c’est construire sur les ruines de ce processus manifestement à bout de souffle, un nouveau projet de coopération entre les États européens. Et nous soutenons cette lutte, ce qui implique nécessairement de confronter les impositions de l’Union européenne, en préservant les intérêts nationaux face à ces impositions, et ce qui entraînera bien sûr des ruptures. À court terme, une rupture avec la monnaie unique, mais d’autres ruptures à plus long terme avec d’autres instruments et mécanismes de l’Union européenne. Quant aux caractéristiques concrètes de ces ruptures, la lutte elle-même les déterminera. Il nous serait très facile de proclamer que « nous quittons l’UE aujourd’hui, et demain tous nos problèmes seront résolus », mais ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent.
Est-ce que cela permettrait ainsi d’apporter une réponse à ceux qui tentent de confondre «l’Europe» et l’Union européenne ?
Tout à fait, c’est un point très important. L’UE n’est pas «l’Europe», et cette confusion est délibérée, elle n’est pas innocente. Ce n’est pas l’Europe et ce ne serait même pas le cas si elle incluait tous les pays d’Europe. D’autant plus que l’UE fait face aujourd’hui à des aspects fondamentaux d’un héritage entier, à des valeurs et à des réalisations des peuples européens. L’UE est un processus d’intégration des États européens, ce n’est pas le premier et ce ne sera certainement pas le dernier.
Passons à un autre sujet ; nous assistons à une montée de l’extrême droite. D’où en vient la cause ?
Cette émergence de l’extrême droite est intimement liée aux politiques de l’Union européenne tout au long de son histoire. Il s’agit de politiques qui aggravent les inégalités sociales à l’intérieur de chaque pays, qui exacerbent les divergences entre les pays, des politiques qui ont évolué vers ce que nous considérons aujourd’hui comme des relations de nature néocoloniale. Nous avons assisté à des processus d’oppression pure et simple dirigés par l’Union européenne à l’encontre des États individuels. Ces politiques antisociales qui génèrent des inégalités, de la pauvreté et de l’exclusion sociale, en plus de ces processus d’oppression nationaux et qui ont toujours une dimension très claire d’oppression de classe, créent les conditions pour l’émergence de forces d’extrême droite. Cela est tout particulièrement vrai dans les pays où les forces révolutionnaires et patriotiques de gauche ont été affaiblies.
Les forces d’extrême droite sont très opportunistes et tentent toujours de mettre ces contextes à profit. En fin de compte, elles ne veulent pas remettre en cause le système capitaliste, mais mettre en avant une nouvelle alternative pour sa survie. Le système fait face à une crise fondamentale et il doit y avoir différentes options pour préserver sa survie. L’extrême droite et le fascisme sont une ressource qui peut être utilisée telle qu’elle a été utilisée dans le passé pour assurer la survie d’un système qui est profondément malhonnête et injuste. Maintenant, dans le contexte européen, l’UE a clairement ouvert la voie à ce type de politiques. Un exemple emblématique a été la réponse de l’UE face à la soi-disant crise des réfugiés ; et les politiques à caractère clairement xénophobe que l’UE elle-même a adoptées finissent par alimenter ces forces de droite extrême.
Et est-ce que la social-démocratie mérite également une part de responsabilité ?
La social-démocratie est l’une des deux têtes du système. Par essence, il y a ces deux têtes, la droite et la social-démocratie, qui partagent les responsabilités de la façon dont les choses se sont développées en Europe au cours du temps et jusqu’à aujourd’hui. La «trahison» de la social-démocratie vis-à-vis des intérêts des classes ouvrières et des peuples lorsqu’elle défendait et mettait pleinement en œuvre les politiques néolibérales, spécialement depuis les années 1980, a joué un rôle majeur dans l’évolution de la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui.
Le Parti Communiste se définit toujours comme un parti Marxiste-Léniniste. Est-ce que le Marxisme-Léninisme reste d’actualité aujourd’hui ?
À notre avis, il l’est. Le Marxisme-Léninisme est un outil, un instrument très précieux pour analyser la réalité, un instrument qui a lui-même en aversion les positions dogmatiques et les vues schématiques et statiques de la réalité. C’est un instrument qui nous guide dans l’analyse et la compréhension du monde, mais qui montre aussi la façon de le transformer. Il a un héritage incontestable, dans lequel Marx, Engels et Lénine ont eu des contributions décisives, mais il est également enrichi par toutes les expériences qui ont eu lieu à travers le monde. Par conséquent, c’est un instrument d’analyse et de transformation de la vie des vrais gens, s’enrichissant de toutes les luttes à travers le monde.
Cette année marque le centenaire de la Révolution d’Octobre. Quelle importance doit-on attacher à cet événement ?
La Révolution d’Octobre a été un événement majeur dans l’Histoire de l’humanité. Pour la première fois dans l’Histoire, ceux qui étaient au fond, qui depuis des siècles, des millénaires, étaient visés par l’exploitation et l’oppression, ont montré qu’ils pouvaient prendre le pouvoir et prendre leur destinée en main et construire un État ouvrier. Il y avait eu des tentatives antérieures, mais c’était la première fois dans l’histoire où, «à l’assaut du ciel» (1), ceux qui avaient vécu éternellement exploités et oppressés, décidèrent de prendre le pouvoir et de construire leur propre État.
Des réalisations majeures faisant partie de nos vies, même dans les pays capitalistes de l’Ouest, sont inséparables de cette expérience et de la Révolution d’Octobre. Les questions allant de l’égalité des sexes, des droits sociaux et du travail, du congé de maternité, des droits pour les familles, des congés maladie, du droit à des congés payés, tout ce qui est largement regroupé dans le soi-disant «État providence», qui est généralement associé à l’Europe d’après-guerre, est en fait le résultat de la Révolution d’Octobre et des réalisations qui ont suivi. Dans de nombreux pays, les capitalistes ont eu besoin de faire des concessions pour contenir les progrès du mouvement ouvrier, dont les avancées majeures se sont inspirées des réalisations de la Révolution d’Octobre.
Ce n’est pas un hasard si la fin de l’URSS a coïncidé avec une offensive contre toutes ces réalisations en Europe.
Qu’est-ce que les communistes devraient retirer de la Révolution d’Octobre et de l’expérience de l’Union soviétique qui a suivi ?
La Révolution d’Octobre est un événement essentiel et une source majeure d’inspiration dans notre lutte pour une vie meilleure et un monde meilleur. Il ne s’agit pas de copier une recette ou un modèle donné ; le PCP a toujours été très clair à ce sujet. Il s’agit d’amorcer l’inspiration et des leçons pour un processus que chaque peuple entreprendra avec ses propres moyens, de par sa volonté propre et les conditions matérielles spécifiques au déroulement de la lutte. Nous disons habituellement que tous les peuples atteindront le socialisme, mais chacun y parviendra en suivant son propre chemin.
Cette expérience – qui a marqué le début d’une nouvelle ère historique – doit être analysée et prise en compte dans son intégralité par les communistes : avec ses énormes réalisations, ses nombreux succès, mais aussi ses faiblesses, ses échecs et ses erreurs, dont certaines profondes, qui se sont également produites. Mais la vérité est que nous ne pouvons pas dire que le monde va mieux depuis la disparition de l’Union Soviétique. Bien au contraire, il est beaucoup plus dangereux et, dans de nombreux pays, il y a eu des revers importants en termes de droits et de conditions de vie pour la majorité de la population.
En résumé, je dirai qu’en célébrant ce centenaire, nous devrions souligner la portée universelle de la Révolution d’Octobre, apprécier les conquêtes et les réalisations de l’Union Soviétique et son rôle décisif dans les avancées révolutionnaires du XXe siècle, tout en soulignant la disparition d’un modèle qui s’est éloigné de l’idéal et du projet communiste qui ne remet pas en cause le cours de l’Histoire et la nécessité du Socialisme. En fait, cela donne plus de force à notre lutte pour construire une société sans exploiteurs ni exploitée, sans oppression, en lutte pour le socialisme et le communisme.
Notes :
(1) Cette expression a été utilisée par Marx en référence à la Commune de Paris.
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excellente analyse. Qu’en pense P LAURENT et la direction du PCF? A quand le débat? Que les bouches s’ouvrent!