Par Georges Gastaud, directeur politique d’Initiative communiste, 26 novembre 2022
Au cours de la semaine prochaine, le Bundestag adoptera sans doute à une large majorité et toute honte bue, qui plus est sous les applaudissements de toute la « gauche » sociétal-impérialiste européenne, une résolution criminalisant le « régime stalinien » pour avoir « organisé » la famine « génocidaire » de la fin des années trente « en Ukraine ». Peu importe aux Verts et au SPD d’Olaf Scholz, majoritaires au Parlement, que la famine, hélas bien réelle, des années 1930 n’ait nullement été « organisée » par le tout jeune régime soviétique (qui ne s’était véritablement stabilisé qu’au milieu des années vingt à l’issue, excusez du peu, d’une guerre mondiale dévastatrice et d’une guerre « civile » ponctuée de quatorze interventions impérialistes étrangères en soutien aux « Blancs », dont celle que fomenta en vain Clémenceau), qu’elle n’ait pas seulement, de beaucoup s’en faut, affecté le territoire ukrainien ; peu leur importe également que, à l’inverse de ce que prétend la doxa pseudo-historique actuelle, les mesures socialistes de collectivisation de l’agriculture (kolkhozes et sovkhozes) et de planification industrielle (plans quinquennaux) mises en œuvre au début des années trente aient permis à terme, non sans certains dérapages d’une inacceptable brutalité (dérapages reconnus et autocritiqués par les bolcheviks), d’en finir avec les grandes famines périodiques qui caractérisaient la Russie arriérée des tsars. Car ce que cherchent en réalité les parlementaires sociaux-, sociétaux- et écolo-impérialistes allemands et leurs petits suiveurs européens, ce n’est nullement la vérité historique (telle qu’a notamment pu la rétablir l’historienne Annie Lacroix-Riz) : leur but est d’abord de durcir encore l’ignoble « Résolution sur la mémoire de l’Europe » qu’a votée à la quasi-unanimité le « parlement » européen qui, en septembre 2022, a prétendu mettre à égalité le pays organisateur d’Auschwitz et son vainqueur principal, cette Russie soviétique dont de Gaulle affirmait qu’elle a « joué le rôle principal dans notre libération »; car une telle résolution revient à diaboliser l’ensemble des vrais communistes d’Europe (= tous ceux qui, à l’inverse de « die Linke », du PCF, du PGE, etc. n’ont pas renié l’emblème ouvrier et paysan qu’entend prohiber la belle Europe « démocratique »…) tout en banalisant implicitement les nazis, avec ce brillant résultat que l’on voit partout: la marche au pouvoir de l’extrême droite dans toute l’Europe, des amis ukrainiens de Stepan Bandera soutenus par l’UE-OTAN à Kiev aux amis de Benito Mussolini au pouvoir à Rome, en passant par les nostalgiques des Waffen-SS lettons dans les pays baltes. Pendant que, concomitamment, dans la parfaite indifférence de la prétendue « gauche morale » petite-bourgeoise, les persécutions anticommunistes frappent toute l’Europe de l’Est…
Le deuxième but poursuivi par la « gauche » social-impérialiste allemande (qui sera certainement appuyée pour le coup par les députés néonazis de l’AFD) est plus inquiétant encore, s’il est possible. En plein conflit dit russo-ukrainien, et alors que le drapeau de Kiev flotte d’ores et déjà sur le Reichstag de l’Allemagne unifié (en attendant que ce soit l’inverse?), il s’agit de banaliser l’impérialisme allemand fauteur, lui, de plusieurs génocides dûment planifiés, que ce soit ceux des juifs, des tziganes, des malades mentaux et des homosexuels, celui des populations slaves d’URSS (la majeure partie des morts de la Seconde Guerre mondiale est soviétique, notamment biélorusse), des peuples de Yougoslavie, etc. Ce qui ne peut, en banalisant, donc en réhabilitant par la bande l’héritage de l’Allemagne capitaliste, que corroborer l’effort massif de réarmement que Berlin consent présentement à la faveur du conflit russo-ukrainien afin de refaire de l’armée allemande la première force militaire du sous-continent européen: certes dans ce conflit, la population allemande, et notamment la classe ouvrière, ont tout à perdre, sans parler des travailleurs d’Ukraine, notamment de ceux, particulièrement martyrisés, du Donbass minier, mais l’impérialisme allemand y voit surtout la possibilité pour la RFA de redevenir la plus grande puissance militaire d’Europe; d’abord sous l’égide de l’OTAN, et en torpillant le projet pseudo-national de Macron de construire une armée européenne sous hégémonie régionale française (et sous pilotage mondial otanien); après quoi, on verra bien… Bref, qu’est-ce que peut bien signifier le fait que l’Allemagne capitaliste actuelle, leader politique et moteur économique d’une UE de plus en plus confondue avec l’OTAN, s’autorise – avec le passé odieux qu’elle a et qu’elle n’a jamais vraiment soldé*! – à criminaliser pour génocide… la Russie (soviétique ou postsoviétique, peu importe à Anne-Lore Bärbocke et à Scholz), en se présentant comme la libératrice de l’Ukraine (!!!) et en provoquant à la fois Moscou et tous les véritables communistes d’Europe (lesquels furent les fers de lance de la lutte antifasciste de Teruel à Koursk en passant par la Yougoslavie, la Grèce et les maquis de Corrèze), sinon que désormais, l’impérialisme allemand totalement décomplexé redevient une grande puissance impérialiste régionale capable de prendre sans complexe sa revanche sur le pays de Stalingrad ? Ainsi s’opère le « donnant-donnant » (les gens bien diraient « le deal ») entre l’impérialisme allemand provisoirement encore vassal et son suzerain, l’impérialisme américain: certes, la politique américaine de sanctions antirusses (et, très vraisemblablement, de torpillage directe et indirect de Nord Stream) ruine l’économie allemande, cœur de l’industrie européenne, au profit du grand capital US, mais en contrepartie de ce grave désavantage à court terme, l’impérialisme allemand obtient l’avantage structurel de long terme de redevenir une puissance politico-militaire mondiale avec le projet bien arrêté de recommencer son expansion vers l’Est (ce « Drang nach Osten » qu’avait stoppé Stalingrad) et… bénéfice secondaire non négligeable, de rattraper et de dépasser l’impérialisme français de plus en plus décadent du fait de sa désindustrialisation provoquée par le MEDEF. Non seulement relever ces faits gravissimes, et cette nouvelle résolution de la honte qui se fomente à Berlin, ne relève pas de la germanophobie – car les précurseurs et fondateurs du PRCF, plus que tous les autres, ont fait l’impossible pour défendre leurs camarades est-allemands persécutés et pour perpétuer le souvenir des combattants allemands de la Résistance armée française – mais la dénonciation des Verts (de gris) allemands, avant-garde détestable du réarmement allemand et du nouveau Drang nach Osten pétri de « valeurs occidentales », ne fait qu’accuser davantage la honte nationale qu’aura été pour la France le récent et infame vote négatif de notre ambassadeur à l’ONU à l’encontre de la résolution russe (votée par une large majorité de pays!) condamnant les résurgences du nazisme!
Antifascistes, anti-bellicistes allemands et français, veillons car elles vont plus que jamais du même pas, la fascisation de l’UE sous dominance allemande, l’hégémonie mondiale des faucons washingtoniens et les résurgences conscientes ou inconscientes du nazisme auxquelles donnent lieu les tendances exterministes profondes du capitalisme-impérialisme contemporain!
Berlin et « l’Holocauste Ukrainien » – par German Forein Policy
Le Bundestag veut qualifier la famine en Ukraine en 1932/33 de génocide et adopte ainsi des positions politiquement motivées du milieu de la collaboration ukrainienne avec les nazis
28 Nov 2022
BERLIN/Kyiv(propre rapport) – Le Bundestag allemand veut déclarer que la famine en Ukraine pendant les années 1932 et 1933 est un génocide et adopte ainsi une classification politiquement motivée du milieu de la collaboration ukrainienne ex-nazi. C’est ce qui ressort des études des historiens. En conséquence, l’affirmation selon laquelle la famine était un «holocauste ukrainien» délibéré est née dans l’exil ukrainien au Canada, où d’anciens collaborateurs nazis ont donné le ton. À la fin des années 1980, la revendication a été regroupée dans le mot nouvellement créé « Holodomor ». Les historiens les rejettent massivement, notamment parce que la famine a frappé les populations des régions agraires de toute l’Union soviétique. Le Bundestag veut voter ce mercredi sa résolution sur « l’Holodomor ». Cela menace également d’avoir de graves conséquences politiques intérieures : vendredi, le Conseil fédéral a approuvé le dernier renforcement de l’article 130 du Code pénal, selon lequel « l’approbation publique, le déni ou la banalisation grossière » des crimes de guerre et du génocide est punissable.
La famine
Le sujet de l’initiative du Bundestag est la famine dévastatrice qui s’est emparée de l’Union soviétique en 1932 et 1933. Il avait diverses causes. En 1931, d’abord une sécheresse, puis d’autres conditions météorologiques défavorables ont gravement endommagé la récolte. Cela s’est produit lorsque la collectivisation de l’agriculture introduite en 1929 a provoqué des tensions et en même temps tant des céréales ont été retirées de force des zones de culture pour approvisionner les ouvriers industriels et assurer les exportations que de graves pénuries y ont surgi. Ce fut le cas dans toutes les régions céréalières importantes de l’Union soviétique – en plus de la région productrice la plus importante, l’Ukraine, également dans certaines parties de la Russie et du Kazakhstan. La famine a coûté entre six et sept millions de vies dans l’ensemble de l’Union soviétique, dont probablement environ 3,5 millions dans la plus grande région céréalière – l’Ukraine -, un autre 1,5 million au Kazakhstan ; il y eut d’innombrables victimes en Russie et dans d’autres régions de l’Union soviétique. En termes de taille de la population, le Kazakhstan, plutôt que l’Ukraine, a subi le plus grand nombre de morts tout au long de la famine. Les historiens spécialisés jugent différemment la responsabilité du gouvernement soviétique ; cependant, seule une petite minorité, généralement d’extrême droite, suppose un génocide ciblé. C’est plutôt le Kazakhstan qui doit déplorer le plus grand nombre de morts.
Dans le milieu des anciens collaborateurs nazis
La famine en Ukraine au début des années 1980 a été la première à devenir un sujet pour un public plus large et en même temps un moyen de propagande politique, notamment dans la communauté ukrainienne exilée au Canada, dans laquelle les collaborateurs nazis ukrainiens ont clairement donné le ton. En toile de fond, comme l’historien Per Anders Rudling de l’Université de Lund l’a décrit il y a des années [1], le débat sur la Shoah, qui s’est intensifié après la diffusion de la série télévisée Holocauste en 1978. Dans ce contexte, les collaborateurs nazis ukrainiens au Canada craignaient d’être ciblés par le public et les autorités d’enquête, et ont lancé une sorte de contre-offensive en transformant la famine de 1932/33 en un meurtre de masse prétendument ciblé, un génocide, comme le décrit Rudling. Les lignes de démarcation entre l’activisme politique et la science sont floues : dans les années 1980, par exemple, un vétéran de la division Waffen SS Galicie a dirigé son association locale traditionnelle à Edmonton, au Canada, a été membre du conseil d’administration de l’Institut canadien d’études ukrainiennes et a été chancelier de l’université de l’Alberta.[2] Au début, on parlait de «l’holocauste de la famine» ou de «l’holocauste ukrainien»; à la fin des années 1980, le terme « Holodomor » est apparu.
L’histoire de l’exil
Rudling décrit également comment l’historiographie de l’exil ukrainien est devenue dominante en Ukraine après l’effondrement de l’Union soviétique. Il est vrai que l’exil ukrainien – contrairement à celui des États baltes – n’a pas réussi à conquérir les hautes fonctions gouvernementales en Ukraine, note Rudling. Mais les historiens ukrainiens en exil ont pu déplacer l’ancienne historiographie soviétique en très peu de temps. C’est la vision du monde qui dominait en exil et fortement influencée par les collaborateurs nazis, selon laquelle les collaborateurs nazis de l’OUN et de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) devaient être qualifiés d’héroïques « combattants de la liberté » et la famine de 1932/33 comme « génocide » sont passés dans l’historiographie en Ukraine même. Rudling écrit qu’elle a reçu la consécration d’État sous le président Viktor Iouchtchenko.[3] Iouchtchenko, arrivé au pouvoir lors de la « révolution orange » de 2004 avec un soutien massif de l’Occident, a non seulement déclaré à titre posthume le chef de l’OUN, Stepan Bandera, « héros de l’Ukraine » en 2010 ; durant son mandat, le Parlement a également officiellement qualifié la famine de « génocide » (2006). Il contredit ainsi la grande majorité des historiens en dehors de l’Ukraine.
« Reconnaître comme génocide »
Le Bundestag veut désormais suivre la qualification de la famine comme « génocide », ce qui a déjà été fait par plusieurs États et parlements occidentaux – le gouvernement du Canada, par exemple, en 2008, le Sénat américain en 2018. Plus récemment, les politiciens ukrainiens avaient fait pression pour cela ; par exemple, le ministre des Affaires étrangères Dmytro Kuleba avait exigé dans le quotidien Die Welt que le Bundestag « reconnaisse l’Holodomor comme un génocide »[4]. En outre, le président du Parlement ukrainien, Ruslan Stefantschuk, avait déclaré qu’il « souhaiterait vivement » une « résolution Holodomor du Bundestag ».[5] Maintenant, selon un projet de résolution parlementaire qui aurait été initié par le député vert Robin Wagener, qui était soutenu par des factions du SPD, Bündnis 90/Die Grünen, le FDP et la CDU/CSU sont soutenus et le Bundestag est censé faire passer ce mercredi que « dans la perspective d’aujourd’hui » il y a « une classification historico-politique » de la famine « comme génocide proche » : « Le Bundestag allemand partage une telle classification ». [6 ] Ce faisant, le parlement allemand adopte expressément la position de l’exil ukrainien au Canada, façonnée par des collaborateurs nazis, dans les années 1980.
« Historico-politique »
Il est révélateur que le projet de résolution limite explicitement la qualification de la famine comme génocide comme « historico-politique ». À ce jour, Berlin n’est pas prêt à reconnaître ouvertement le génocide des Herero et des Nama car il faudrait alors verser une indemnisation. Pour ne pas avoir à nier crûment le génocide sur le long terme, elle insiste désormais pour le reconnaître « historiquement et politiquement », mais pas juridiquement, puisqu’avant l’entrée en vigueur de la convention de l’ONU sur le génocide le 12 janvier 1951, une infraction pénale de génocide n’existait tout simplement pas (german-foreign-policy.com [7]). Cette position juridique serait difficile à maintenir si le Bundestag qualifiait sans réserve la famine de génocide ; d’où la qualification « historico-politique ».
Priorités berlinoises
De plus, l’adoption des positions de l’ex-exilé ukrainien au Canada met en lumière la position de Berlin sur une résolution de l’ONU régulièrement soumise aux Nations Unies depuis des années et qui traite notamment de la « lutte contre la glorification du national-socialisme » et du « néo -nazisme ». La République fédérale d’Allemagne s’est abstenue de voter à ce sujet pendant des années, au lieu de prendre clairement position contre la glorification du national-socialisme[8]. Le 4 novembre de cette année, l’Allemagne a même explicitement voté non. La raison : le projet de résolution a été présenté, comme d’habitude, par la Russie, qui a aussi à l’esprit la glorification des collaborateurs nazis, qui est toujours à l’ordre du jour dans les États baltes et en Ukraine.[9]
Enfin, le projet de résolution soulève des questions peut-être de grande portée en lien avec le durcissement de l’article 130 du StGB en octobre, selon lequel « l’approbation publique, la négation ou la banalisation grossière du génocide, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre sont désormais punissables ». Le resserrement a été vivement critiqué comme une atteinte à la liberté d’expression. À l’avenir, sur la base de la résolution du Bundestag annoncée pour mercredi, elle pourrait également s’appliquer aux déclarations sur la famine de 1932/33 en Ukraine. Cela s’appliquerait à la majorité des historiens en dehors de l’Ukraine, qui considèrent la famine comme une terrible catastrophe – avec des évaluations assez divergentes de la responsabilité de Moscou – mais pas comme un génocide.
[1], [2], [3] Per Anders Rudling : Mémoires de « l’Holodomor » et du national-socialisme dans la culture politique ukrainienne. In : Yves Bizeul (éd.) : Reconstruction du mythe national ? La France, l’Allemagne et l’Ukraine en comparaison. Göttingen 2013. P. 227-258
[4] Dmytro Kuleba : C’est pourquoi le Bundestag devrait reconnaître l’Holodomor comme un génocide. Welt.du 21.11.2022.
[5] « Ils attendent la victoire et reviendront ». Frankfurter Allgemeine Zeitung 25.11.2022.
[6] Florian Gathmann, Marina Kormbaki, Severin Weiland : Ampel et Union veulent reconnaître la famine en Ukraine comme un génocide. Spiegel.du 25.11.2022.
[7] Voir argent silencieux au lieu de compensation (II) .
[8] S. La commémoration de ceux qui se sont défendus .
[9] Voir À propos des auteurs, victimes et collaborateurs (II) et Auteurs, victimes et collaborateurs (III) .
Le principal article de Wheatcroft et Davies sur la famine de 1932-1933 en URSS : « The Years of Hunger »