Yvonne Bollmann est une spécialiste des questions européennes et de l’Allemagne. Germaniste, elle est maître de conférence à l’Université Paris XII. Auteur de La Tentation allemande, ou encore Ce que veut l’Allemagne ou La bataille des langues, Yvonne Bollmann a montré et démontré l’entreprise de démontage de la France républicaine par l’Union Européenne au profit de la domination de l’impérialisme allemand. Yvonne Bollmann a accordé un entretien exclusif à Aymeric Monville, pour www.initiative-communiste.fr et Étincelles, les médias du PRCF.
1 – Chère Yvonne Bollmann, vous êtes une observatrice attentive de l’expansionnisme de l’Allemagne fédérale en Europe, phénomène que vous avez analysé dès « Ce que veut l’Allemagne? » (Bartillat, 2003), ou encore « La Tentation allemande » (Michalon, 1997). Plus récemment vous avez dénoncé le secret qui a entouré, en pleine crise des gilets jaunes, la marche à la signature du traité d’Aix-la-Chapelle (le 22 janvier 2019), lequel constitue un abandon manifeste de notre souveraineté française et un renforcement du militarisme allemand. Pourriez-vous résumer les enjeux qui tournent autour de ce traité?
Alors encore ministre chargée des affaires européennes, Nathalie Loiseau avait dit que le traité d’Aix-la-Chapelle « permet des avancées substantielles de notre coopération bilatérale, au service de la construction européenne, qu’il s’agisse de défense, d’économie, d’audiovisuel ou encore d’échanges entre les sociétés civiles », mais que « l’aspect le plus novateur de ce traité, c’est la coopération transfrontalière »[1]. C’en est aussi l’aspect le plus destructeur pour la France. Pour l’Allemagne, le transfrontalier est une extension.
Dans l’exposé des motifs du projet de loi autorisant la ratification du traité (Sénat, 7 juin 2019), celui-ci est présenté comme « un accord bilatéral complétant le traité de l’Elysée, conformément au paragraphe 4 des dispositions finales de ce dernier »[2]. Ce paragraphe 4 du traité de 1963 stipule que les deux Gouvernements « pourront apporter les aménagements qui se révéleraient désirables pour la mise en application du présent Traité »[3].
Mais la « coopération régionale et transfrontalière » dont traite le chapitre 4 du traité d’Aix-la-Chapelle[4] est bien autre chose qu’un aménagement. Sous le manteau du traité de l’Elysée, elle est un double coup de force sans recours à la force armée, qui met à la disposition de l’Allemagne les territoires frontaliers (articles 13 à 16), et, partant de là, de ce front multiséculaire d’Alsace et de Moselle, le territoire national en son entier (article 17 : « Les deux États encouragent la coopération décentralisée entre les collectivités des territoires non frontaliers. Ils s’engagent à soutenir les initiatives lancées par ces collectivités qui sont mises en œuvre dans ces territoires. »).
Le droit à la différenciation aidant, les ambitions locales pourront être orientées en fonction d’intérêts autres que ceux de la France. De tous côtés, on anticipe l’application de ce droit. Jacqueline Gourault elle-même, ministre de la Cohésion des territoires, en a parlé en ces termes lors de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi relatif aux compétences de la collectivité européenne d’Alsace (11 juin 2019). Elle a déclaré que ce texte « répond à une attente des départements alsaciens », qu’il « vise à trouver des réponses institutionnelles adaptées aux besoins spécifiques des territoires », et que « nous anticipons ainsi le droit à la différenciation qui est au cœur du projet de réforme constitutionnelle mais à droit constant, comme l’a confirmé le Conseil d’État »[5]. Ce décalage surréaliste entre le virtuel et le réel crée un espace-temps de non-droit qui est des plus dangereux.
2 – Dans quelle stratégie générale de long terme ces manœuvres récentes s’inscrivent-elles? Ou plus simplement : comment en est-on arrivé là, côté français comme côté allemand?
La coopération transfrontalière est souvent présentée comme une conquête d’espace et d’ouverture, comme le passage du regard et de la pensée à une dimension supérieure, de 180° à 360°. Dans la région qui deviendra le 1er janvier 2021 « collectivité européenne d’Alsace », la plupart des acteurs politiques ne jurent plus que par le panoramique 360°. On entend parler sans cesse de « nouvelle dynamique de croissance en fonctionnant à 360° par une coopération renforcée entre les zones ou les grandes agglomérations économiques de part et d’autre du Rhin », de la construction d’une « offre de service à 360° dans le cadre du Schéma départemental d’amélioration de l’accessibilité des services publics (santé, culture, éducation) », voire, à Strasbourg, d’une « réflexion à 360° sur l’aménagement du territoire transfrontalier, en collaboration avec la ville de Kehl », en une « vision transfrontalière partagée pour la construction d’une agglomération à 360° ». Les différences de législations sont considérées comme « une source inépuisable de difficultés pour ces territoires à pouvoir s’épanouir véritablement à 360° »[6], ce que l’article 13-2 du traité d’Aix-la-Chapelle devrait permettre de corriger par « des dispositions juridiques et administratives adaptées, notamment des dérogations ».
Ce mouvement exprimé en degrés est comme fait pour conférer un caractère géométrique irréfutable à la question toujours vivace de la frontière. De nombreux documents d’apparence anodine, largement diffusés parmi les habitants, en renforcent le message. Par exemple, en juin 2013, la brochure bilingue « Begegnungen und Mobilität am Rhein/Rencontres et mobilité aux bords du Rhin », avec un aperçu du programme des « Rencontres transfrontalières » dans le cadre du Parc rhénan PAMINA, du nom de l’espace franco-allemand à trois composantes – PA (Palatinat du Sud), MI (Mittlerer Oberrhein), NA (Nord de l’Alsace) – inauguré en 1991, devenu en 2016 « Groupement Européen de Coopération Territoriale (GECT) Eurodistrict PAMINA »[7]. On y lit que les espaces constituant le Parc rhénan de part et d’autre du Rhin sont « deux espaces partiels »[8]. Mais le Nord de l’Alsace n’est pas un « espace partiel » errant à la recherche de son complément. Il est en France, il est la France. Les citoyens de cette région ne vivent pas dans un espace tronqué privé de sa moitié allemande, comme la propagande veut le leur faire croire.
L’un des drames de la France est la perméabilité de nombreux acteurs politiques à l’impératif d’obéir au « réflexe franco-allemand » tel que l’a encore prôné Richard Ferrand[9], jusqu’à vouloir penser allemand. Elle s’est manifestée par exemple dans l’exposé des motifs du projet de loi autorisant la ratification du traité d’Aix-la-Chapelle (Sénat, 7 juin 2019). Le passage consacré au chapitre 4 du traité est à cet égard un condensé d’anthologie : « Au lendemain du 100e anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale, le chapitre IV relatif à la coopération régionale et transfrontalière apparaît comme l’expression d’un « passé surmonté » : les territoires longtemps disputés entre les deux États ne doivent plus être des « cicatrices », mais des zones où les projets communs exprimeront concrètement le rapprochement franco-allemand au service de la vie quotidienne de leurs habitants. »[10]
Les deux expressions entre guillemets sont des emprunts au vocabulaire allemand. La conception des frontières comme « cicatrices de l’Histoire » est courante en Allemagne. Elle sert en particulier, dans la perspective de l’histoire allemande, à dire par euphémisme que les frontières des États issus des défaites du Reich à l’issue de deux guerres mondiales ne coïncident pas avec les frontières « ethnolinguistiques » du Volk, et qu’il y a là matière à révision. Quant à « passé surmonté », c’est la traduction de « Vergangenheitsbewältigung », le terme désignant « l’attitude que beaucoup d’Allemands ayant vécu sous le IIIe Reich n’ont pas adoptée : au lieu de refouler la barbarie nazie, ils auraient dû ou devraient traiter ce passé de façon critique et en tirer des leçons pour l’avenir »[11]. Ce terme est également utilisé en Allemagne lorsqu’il s’agit du passé communiste de la RDA[12]. La France se retrouve donc à porter le fardeau de l’histoire nationale allemande, concentré dans celui de la Première Guerre mondiale en l’occurrence, comme s’il n’y en avait pas eu une Seconde, dont la « barbarie nazie » est ainsi passée sous silence, et où les mêmes territoires étaient pourtant aussi l’un des enjeux.
3 – Profitant d’une future révision constitutionnelle, le département de Moselle vient de voter sa transformation en « eurorégion » (pourquoi pas carrément en « Land »?), et ce au mépris de tout ce qui préside aux principes de notre République une et indivisible. Est-ce là une victoire (on l’espère provisoire) du principe fédératif à l’allemande?
Lors d’une réunion de la commission des lois (11 juin), la députée Catherine Kamowski a dit à propos du droit à la différenciation qu’ « il ne s’agit pas de déséquilibrer ou de démembrer l’architecture institutionnelle de notre pays, encore moins de créer les conditions d’une concurrence entre les territoires ». L’initiative du département de Moselle semble pourtant bien relever de ce dernier registre : c’est à qui, de lui ou de l’Alsace, se montrera le plus germano-européen. Le président du conseil départemental de Moselle a plaidé depuis Berlin, dans les locaux de la représentation de la Sarre, pour une « eurorégion » avec ce land et le Luxembourg[13]. Difficile d’y voir la preuve par l’absurde d’une revendication d’égalité républicaine !
Le Bundesrat, qui représente les länder, a mis le doigt sur un aspect crucial du traité d’Aix-la-Chapelle. Reprenant l’avant-dernier des treize considérants qui introduisent celui-ci, il a noté dans un texte du 17 mai 2019 que le traité « souligne l’importance particulière des länder pour l’approfondissement de la coopération franco-allemande », leur participation étant « déterminante » quant à la mise en œuvre des nombreux projets qu’il contient, dont le « renforcement de la coopération transfrontalière ». Mais l’essentiel pour lui semble être que le traité « reconnaît expressément, ce qui ne s’était jamais produit jusqu’ici, le rôle important de la coopération décentralisée des communes, des départements français, des régions françaises, des länder, du Bundesrat et du Sénat français ». On voit ici comment le Bundesrat prend appui sur le transfrontalier pour s’ingérer dans la politique intérieure de la France, et se féliciter en quelque sorte du passage à une décentralisation qui continue de suivre son cours, tant dans l’organisation interne du pays que dans le cadre de la coopération franco-allemande.
L’Allemagne attendait depuis longtemps cette reddition de la France. Rudolf von Thadden, alors coordinateur de la coopération franco-allemande au ministère fédéral des Affaires étrangères, avait déclaré en 2001 qu’il fallait « défaire un peu la France si l’on veut faire l’Europe »[14], ce qui revient à la défaire en entier. Chaque territoire va se considérer comme souverain à l’intérieur de ses « frontières », et agira donc en mode transfrontalier au sein de ce qui est le territoire national commun, la France une et indivisible. Cela ressemble en effet à une « victoire du principe fédératif à l’allemande ». Une photo de l’ambassadeur d’Allemagne en France[15] a montré celui-ci, en mars 2019, rendant visite aux élèves d’une classe primaire bilingue français-allemand, le 28 février à Strasbourg, l’air radieux, comme s’il faisait le tour du propriétaire.
Il s’agit à présent d’aller vite pour enlever le morceau. Sur le site d’Allemagne Diplomatie, le service des relations publiques et des médias de l’ambassade d’Allemagne, un article du 20 juin – « L’Allemagne et la France : une relation de confiance privilégiée » – rappelle que le ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas a pris part la veille au conseil des ministres français, Jean-Yves Le Drian, étant venu à Berlin en mars pour un conseil des ministres : « Le traité d’Aix-la-Chapelle a été signé pas plus tard qu’au mois de janvier, et déjà la mise en œuvre des projets fixés alors dans le but de renforcer la coopération entre les deux pays tourne à plein régime. (…) Les deux ministres le montrent bien : l’Allemagne et la France souhaitent vraiment donner vie rapidement au traité d’Aix-la-Chapelle. »[16] Déjà, la Région Grand Est vient d’approuver « l’achat de 30 rames de trains qui renforceront les liaisons transfrontalières avec l’Allemagne d’ici 2025. Coût de l’opération : 376 millions, à mettre en rapport avec la hausse de 3 % des tarifs TER-Fluo à compter du 1er juillet »[17].
4 – On parle beaucoup d’une montée de l’extrême droite actuellement en Allemagne. Dans quelle mesure cette nouvelle extrême droite se juxtapose-t-elle à la précédente, celle qui a présidé à la fondation de la RFA à partir d’anciens cadres du régime nazi comme Hans Globke ou Reinhard Gehlen pour ne citer que les plus connus?
Il y a une extrême-droite qui tue (meurtre de Walter Lübcke, président du district de Cassel, le 2 juin 2019). D’autres courants, venus de l’entre-deux-guerres, qui ont traversé sans encombre la période nazie, se concentrent sur des questions de droit, ce qui était déjà une spécialité de Globke. L’un d’eux, qu’a étudié le politologue Samuel Salzborn[18], a été développé par Hermann Raschhofer (1905-1979), un proche du régime nazi : participation à la déstabilisation de la Tchécoslovaquie par la propagande nazie (1937), missions en Slovaquie (1941-1944), conseiller auprès de l’unité spéciale de la Wehrmacht Sonderverband Bergmann formée de volontaires du Caucase (1942-1943). Il a repris sa carrière universitaire en 1952, avec l’objectif d’établir un droit ethnique européen.
Raschhofer, dont les travaux des années 1930 continuent encore aujourd’hui d’exercer leur influence, a donc été le « précurseur d’un droit des minorités völkisch (à caractère ethnique). Un thème essentiel en est « l’émergence obligée d’une nationalité partout où la non-coïncidence des frontières de Volk et d’État provoque l’éveil de portions de territoires (Teilgebiete) dites « ethniques » (…) ». Ce droit est en cours d’élaboration à l’échelle européenne. Combiné, par exemple, avec le « règlement spécifique dédié à la coopération territoriale » qui figurera dans la programmation européenne pour 2021-2027[19], ce pourrait être un engin explosif.
Le vocabulaire actuel, à propos du Nord de l’Alsace présenté comme « espace partiel », est au fond le même que celui de ce texte de 1937. Un autre point de rencontre, et des plus étonnants, est cette notion, toujours vivante, que Raschhofer appelait la « différenciation ethnique » (« völkische Differenzierung »), fondée, comme le note Samuel Salzborn, sur « la conception nazie que le caractère racialo-biologique de ce qui est völkisch devrait être au centre de la politique ». Rien n’autorise à affirmer que le droit à la différenciation tel qu’envisagé en France ne mènera pas dans ces parages.
En août 2014, la présidente du parti autonomiste alsacien Unser Land avait adressé, sous forme de lettre ouverte en allemand, une véritable supplique au président de la République fédérale d’Allemagne : « Monsieur Gauck, nous vous prions de ne pas nous laisser mourir. En tant que représentant du “grand frère” d’outre-Rhin, vous n’avez pas le droit de consentir à la disparition de l’Alsace. Nous attendons de vous que vous vous engagiez pour la protection de l’Alsace. »[20] Le chapitre 4 du traité d’Aix-la-Chapelle peut être lu sous cet angle.
Le bilinguisme en Alsace, avec assignation à l’apprentissage de l’allemand, a été présenté par la ministre de la Cohésion des territoires comme un enjeu linguistique qui n’est « pas seulement identitaire, comme c’est parfois le cas dans d’autres régions », mais où « il y va également de l’insertion de l’Alsace dans le monde rhénan et dans le contexte européen »[21]. Pourtant, comme l’a écrit dans son Rapport au Premier ministre Mission Alsace Grand Est de juin 2018 le préfet du Grand Est, « la langue allemande « ne prend pas » en France, et de moins en moins, en Alsace comme ailleurs »[22]. L’acharnement à l’imposer sert en fin de compte le projet d’une Europe des régions à caractère ethnique, pour lequel la langue est marqueur d’ethnie. En Allemagne, aujourd’hui, on continue d’affirmer et de soutenir l’existence d’une « minorité allemande de France ».
La question de la ratification de la charte des langues est d’ailleurs revenue sur le devant de la scène, dans le récent avis du Conseil économique, social et environnemental « Valorisons les langues des Outre-mer pour une meilleure cohésion sociale » : « Le CESE préconise aux assemblées parlementaires d’adopter une loi constitutionnelle permettant de ratifier au nom de la France, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires » (préconisation 4)[23]. Mais les dix autres préconisations ne nécessitent nullement ce passage par la ratification d’un texte contraire, et opposé, à la conception française non ethnique de la nation.
Une page du site du Conseil de l’Europe consacrée à la charte européenne des langues régionales ou minoritaires[24] permet de voir que ce texte est bien à visée ethniciste : « La Charte est la convention de référence pour la protection et la promotion des langues utilisées par les membres de minorités traditionnelles. Elle est entrée en vigueur en 1998 et confirme, en conjonction avec la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, la volonté du Conseil de l’Europe de protéger les minorités nationales. »
5 – Question à la germaniste avertie que vous êtes : la pratique militante nous confronte parfois au fait qu’une certaine bonne conscience européiste, voire eurobéate, fait souvent des gens de gauche outre-Rhin les idiots utiles des ambitions hégémoniques du capitalisme allemand. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui bénéficient, via certaines fondations comme la Fondation Rosa Luxemburg, la Confédération européenne des syndicats ou le Parti de la gauche européenne, de fonds européens ou de ceux de l’Allemagne fédérale. Malgré cette situation dramatique pour la gauche allemande et qui explique en partie pourquoi la classe ouvrière allemande a pu subir une telle déflation salariale ces dernières années, sur quelles forces progressistes pouvons-nous encore compter en Allemagne pour lutter fraternellement avec nous contre ce que l’historienne Annie Lacroix-Riz appelle à juste titre le « carcan » européen?
Début juin, la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale a désigné à l’unanimité la députée de LREM Laetitia Saint-Paul « rapporteure sur le projet de loi autorisant ratification du traité (…) d’Aix-la-Chapelle »[25]. Officier de l’armée de Terre, l’élue avait déclaré en mars 2019, lors de la discussion de la proposition de résolution relative à la coopération parlementaire franco-allemande, qu’elle a « bénéficié de la volonté politique d’ouverture des collèges et lycées sur l’Europe et le monde, concrétisée par la création des classes européennes », soulignant « l’ambition de la coopération franco-allemande en matière d’apprentissage de la langue allemande ».
C’est précisément, a-t-elle ajouté, « grâce à ma maîtrise de l’allemand que j’ai eu l’honneur de commander l’une des compagnies binationales de la brigade franco-allemande. Au cours de quatre années passées outre-Rhin, j’ai pu mesurer tout ce qui nous rassemble. « Einigkeit, Recht und Freiheit » s’unissent admirablement à notre devise républicaine : « liberté, égalité, fraternité ». C’est parce que nous avons les mêmes valeurs à défendre qu’une défense européenne a du sens. »[26] Mais est-ce bien le cas ?
« Unité, droit et liberté », ainsi réunis en une devise, constituent le début de la troisième strophe du Deutschlandlied (« Chant des Allemands » écrit en 1841 par Hoffmann von Fallersleben), qui tient lieu d’hymne national allemand depuis mai 1952, les juges de la Cour constitutionnelle fédérale ayant par ailleurs statué en mars 1990 que seule celle-ci est « protégée par le droit pénal »[27]. Le second vers de cette strophe dit pour qui, pour quoi ces trois choses « gages de bonheur » : « für das Deutsche Vaterland », « pour la patrie allemande ». Aux vers 3-4, la « fraternité » est mentionnée elle aussi, mais comme lien entre ceux qui aspirent à cet avènement d’une nation allemande unie. On ne saurait donc, en tant que citoyen français, faire sien cet idéal exclusivement allemand, encore moins vouloir édifier là-dessus une défense européenne.
L’accord, « déclarant que la troisième strophe du Chant des Allemands constitue l’hymne de la République réunifiée », se trouve dans l’échange de lettres qui a eu lieu en novembre 1991 entre l’ancien président fédéral Richard von Weizsäcker et le chancelier Kohl[28]. Ce dernier rappelle que la triade « Einigkeit und Recht und Freiheit » a permis de maintenir en éveil après 1949 « le désir d’unité nationale », d’exprimer « l’aspiration de tous les Allemands à parachever l’unité de leur patrie dans la liberté ». C’était chose faite quand il a écrit ces mots. Il a néanmoins ajouté pour finir que « la volonté d’unité des Allemands par libre autodétermination est le message principal de la troisième strophe du Deutschlandlied ». Était-ce un appel discret à plus d’unité encore, chez celui qui avait, dans sa jeunesse, quelques années à peine après la Seconde guerre mondiale, participé à la destruction de poteaux-frontière entre la France et l’Allemagne, au Nord de l’Alsace ?
Pour lutter
contre le « carcan » européen, nous ne devons compter que sur
nous-mêmes. Des travaux venus d’Allemagne peuvent nous apporter de ce point de
vue des analyses précieuses.
[1] http://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-1570QG.htm
[2] https://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/pjl18-558-expose.html
[3] http://www.france-allemagne.fr/Traite-de-l-Elysee-22-janvier-1963,0029.html
[4] https://de.ambafrance.org/Texte-du-Traite-d-Aix-La-Chapelle
[5] http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cloi/18-19/c1819083.asp
[6] https://www.haut-rhin.fr/sites/haut_rhin/files/4%20pages_0.pdf et https://www.strasbourg.eu/documents/976405/1086315/Contribution-Bienetre-2.pdf/29cfc354-ea78-453f-27b2-7aab0f85339a, ainsi que http://www.espaces-transfrontaliers.org/ressources/territoires/frontieres/frontieres-en-europe/frontiere-france-allemagne/frontiere-france-allemagne-2/ et https://www.agencescalen.fr/files/Aduan/Autres%20publications/20180920_SRADDET_rapport_transfrontalier_finale_avec_contacts_Web.pdf
[7] https://www.eurodistrict-pamina.eu/fr/territoire.html et https://www.eurodistrict-pamina.eu/fr/chronologie.html
[8] https://docplayer.org/74764278-Begegnungen-und-mobilaet-am-rhein-rencontres-et-mobilite-aux-bords-du-rhin.html
[9] http://presidence.assemblee-nationale.fr/le-president/discours/presentation-du-projet-d-accord-parlementaire-franco-allemand.
[10] http://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/pjl18-558-expose.html
[11] Hervé Dupas, Uwe Bennert, Lexique de civilisation germanique, PUF, 1998 (p.487) ainsi que https://www.bpb.de/nachschlagen/lexika/handwoerterbuch-politisches-system/202200/vergangenheitsbewaeltigung (« bpb », Bundeszentrale für politische Bildung, désigne l’Agence fédérale allemande pour l’éducation civique).
[12] https://www.bpb.de/nachschlagen/lexika/handwoerterbuch-politisches-system/202200/vergangenheitsbewaeltigung (« bpb », Bundeszentrale für politische Bildung, désigne l’Agence fédérale allemande pour l’éducation civique).
[13] http://www.lequotidien.lu/grande-region/weiten-plaide-pour-une-euroregion-avec-le-luxembourg-et-la-sarre/
[14] Le Figaro, 1-6-2001
[15] Le Figaro, 4-3-2019
[16] https://allemagneenfrance.diplo.de/fr-fr/aktuelles/actualit%C3%A9s-des-relations-franco-allemandes-seite/-/2228252
[17] https://cdn-s-www.dna.fr/images/7733F6B0-F901-447C-896F-7D1EE433B6CC/DNA_03/c-est-une-rame-de-ce-type-qui-circulera-entre-la-france-et-l-allemagne-des-2025-photo-archives-dna-franck-kobi-1562360262.jpg
[18] Samuel Salzborn, Zwischen Volksgruppentheorie, Völkerrechtslehre und Volkstumskampf. Hermann Raschhofer als Vordenker eines völkischen Minderheitenrechts, 2006. En ligne sur
[19] https://www.banquedesterritoires.fr/aurelien-biscaut-secretaire-general-de-la-mot-nous-avons-le-sentiment-dun-moment-transfrontalier?pk_campaign=newsletter_quotidienne&pk_kwd=2019-07-11&pk_source=Actualit%C3%A9s_Localtis&pk_medium=newsletter_quotidienne
[20] http://www.unserland.org/offener-brief-an-herrn-bundesprasident-gauck/
[21] http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cloi/18-19/c1819083.asp
[22] http://www.prefectures-regions.gouv.fr/grand-est/content/download/49149/325602/file/Rapport%20au%20Premier%20Ministre%20-%20Mission%20Alsace%20Grand%20Est%20-%20VF.pdf, p.126.
[23] https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Fiches/2019/FI16_langues_regionales_outremer.pdf
[24] http://web.archive.org/web/20140307003118/http://hub.coe.int/fr/web/coe-portal/what-we-do/culture-and-%20nature/minority-languages?dynLink=true&layoutId=63&dlgroupId=10226&fromArticleId
[25] https://laetitia-saint-paul.fr/traite-aix-la-chapelle-un-honneur-de-conduire-a-sa-ratification/
[26] https://www.nosdeputes.fr/15/seance/2881#inter_38aee2d8125cf9672f765536e2741d3f
[27] http://educationmusicale.ac-besancon.fr/wp-content/uploads/sites/42/2015/10/hymne_allemand.pdf
[28]https://www.1000dokumente.de/index.html?c=dokument_de&dokument=0255_hym&object=translation&st=&l=de