En l’espace de quelques semaines, le président turc Erdogan a multiplié les coups de force confirmant tous les qualificatifs l’affublant à raison : impérialiste-belliciste, puisque depuis le 21 juillet, dix-huit navires de guerre stationnent dans les eaux territoriales de la Grèce, notamment autour de l’île de Kastellorizo, afin de protéger l’arrivée d’un sous-marin de recherche d’hydrocarbures devant procéder à des forages dans l’espace maritime grec, faisant monter d’un cran la tension en Méditerranée orientale ; islamiste, avec cette décision éminemment provocatrice de pratiquer la prière au sein de la mosquée Sainte-Sophie, là même où Mustapha Kemal avait décidé de renoncer à une telle pratique en 1934 pour apaiser les tensions avec la Grèce ; dictatorial, avec la récente répression qui s’est abattue sur les députés Enis Berberoglu, du Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche, laïque) ainsi que Leyla Güven et Musa Farisogullari, du Parti démocratique des peuples (HDP, gauche, prokurde), qui ont été déchu de leur mandat avant d’être arrêtés – signalons à ce sujet que Güven est un fort soutien d’Abdullah Öcalan, fondateur-chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ; antikurde, à l’image de la nouvelle offensive menée dans le nord de l’Irak contre les membres du PKK ; expansionniste, en étendant son influence en Syrie tout en combattant davantage les forces kurdes de Syrie anti-Daech et le régime d’Assad que l’État islamique – au point d’employer des vétérans de Daesh et des forces du Front al-Nosra…
La fascisation accélérée de la Turquie sous le régime d’Erdogan est terriblement dangereuse non seulement pour le fragile équilibre géopolitique de la Méditerranée orientale et du Moyen-Orient, mais également pour les forces populaires, patriotiques et laïques de Turquie, parmi lesquelles le Parti communiste de Turquie (TKP) et le PKK. Des forces que celui qui rêve de reconstituer un sultanat néo-ottoman combat par tous les moyens : fin juin à Vienne, les Loups gris, ultranationalistes turcs, ont provoqué des incidents avec des manifestants pro-kurdes et antifascistes, tandis qu’Erdogan condamnait les manifestations de solidarité avec le peuple kurde… Le tout en poursuivant son offensive islamiste et anti-laïque aussi bien en Turquie que dans l’ensemble du « grand Moyen-Orient » : allié des Frères musulmans égyptiens et à la pétromonarchie qatarie, combattant Assad, Erdogan soutient également Fayez el-Sarraj, le chef du gouvernement qui souffre d’une faible légitimité aux yeux du peuple libyen (mais qui peut compter sur le soutien des États-Unis et de l’UE…), afin de mieux s’implanter en Libye – « ces terres où nos ancêtres ont marqué l’histoire » – tout en combattant le général Haftar, qui conteste la légitimité de Sarraj. Une histoire qui, pour Erdogan, ne comprend pas le génocide des Arméniens…
Erdogan peut également compter sur la relative bienveillance de Trump et le silence complice des pays de l’UE pour réprimer tout opposition populaire et démocratique en Turquie même : ainsi s’est-il vanté d’avoir réalisé plus de 234.000 opérations contre le PKK, qualifié de « terroriste » (qualificatif repris par les États-Unis et l’UE) lors de ces deux dernières années. En outre, prenant prétexte de la tentative de coup d’État (ayant échoué) le 15 juillet 2016, Erdogan a lancé une vaste répression frappant des militants communistes, à l’image du secrétaire général du TKP, Kemal Okuyan, condamné en janvier 2018 par une « justice » turque de plus en plus soumise au régime fascisant et réactionnaire d’Erdogan, à 11 mois et 20 jours de prison « pour diffamation ».
Certes, Erdogan apporte son soutien au peuple palestinien contre le colonialisme sioniste ; certes, Erdogan est capable de coups de menton contre son l’allié états-unien, comme à l’automne 2019 à la suite d’une offensive lancée par Ankara en Syrie contre une milice kurde soutenue par Washington ; certes, Erdogan est capable de se rapprocher de la Russie par une coopération énergétique et militaire. Mais ces quelques gestes ne doivent faire illusion pour un régime profondément capitaliste, islamiste – la laïcité turque est de plus en plus menacée, à commencer au sein d’institutions majeures comme la justice et l’armée –, réactionnaire et fascisant : première destination des touristes israéliens, la Turquie peut compter sur le silence de Netanyahou dans l’entreprise turque au sein des eaux territoriales grecques, tandis que le régime d’Erdogan a proposé à Israël de faire passer un gazoduc d’exportation israélien vers l’Europe à travers le territoire turc ; Erdogan entretient toujours de bonnes relations avec Trump et n’a nullement l’intention de faire sortir la Turquie de l’OTAN, à laquelle le pays appartient depuis 1952 ; parallèlement, la Turquie s’oppose très fréquemment à la Russie, l’antagonisme historique étant ravivé comme lorsque l’armée turque a abattu un Soukhoï Su-24 de l’armée de l’air russe en novembre 2015.
Le soutien aux forces populaires et démocratiques de Turquie, à commencer par le TKP et le PKK, est indispensable pour combattre le régime islamiste réactionnaire et fascisant d’Erdogan, suppôt des forces du Capital en Turquie et bénéficiant de l’appui des États-Unis, du soutien tacite d’Israël et de la passivité de l’UE. Le succès du camarade Fatih Mehmet Maçoglu, élu maire communiste de Dersim, municipalité de 82.000 habitants, à population mélangée kurde et turque (avec une tradition religieuse et culturelle alévie), le 31 mars 2019, tout comme la candidature d’une camarade à Istanbul même, constituent des signes d’espoir pour l’ensemble des travailleurs, les forces kurdes progressistes et les citoyens antifascistes et anti-islamistes de Turquie.
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