Face à la propagande de guerre qui soutient la junte fasciste mise au pouvoir par l’UE et les USA à la faveur du coup d’État de Maidan, peu de voix osent dire en France ce qui se passe réellement en Ukraine. Après avoir interdit le parti communiste et massacré des syndicalistes et des antifascistes dans la maison des syndicats d’Odessa, l’oligarchie pro-UE en s’appuyant sur des forces ouvertement nazies dévastent le pays et mènent une guerre sanglante contre le Donbass, où, depuis maintenant trois ans, les forces républicaines résistent aux bombardements continuent financés par l’Union Européenne. En France, pour défendre la paix et contrer le fascisme, il n’y a guère que les communistes – comme le prouve Initiative Communiste et le PRCF – à oser prendre la parole et agir pour dénoncer ce qui est à l’œuvre en Europe, en Ukraine. Nos confrères de l’Humanité ont publié un article percutant d’un universitaire spécialiste de la région que l’on se devait de reproduire ci- après.
Ukraine Les dérives brunes de Maïdan
Comment en est-on arrivé à l’émergence en Ukraine d’un conflit gelé ?
Par Jean Geronimo Enseignant-chercheur à Grenoble-III
Issue d’un mouvement ultranationaliste d’apparence démocratique mais intrinsèquement fasciste, la « révolution » de Maïdan a fondé sa légitimité sur une Ukraine eurolibérale, libérée de la tutelle russe et focalisée contre le « complot communiste », dont Moscou serait la matrice historique. Pour Washington, ce contexte a justifié une atmosphère de guerre froide surfant sur les forces radicales et réactivant, via une stratégie de désinformation, le mythe de l’ennemi russe en Ukraine.
Un putsch nationaliste fascisant, aiguillé par Washington
Le coup d’État du samedi 22 février 2014 contre Ianoukovitch a été permis par la violation de l’accord du 21 février, consécutive à l’insurrection organisée par des forces obscures sous bienveillance occidentale. À ce jour, l’ONU – à la suite du Conseil de l’Europe – dénonce le retard de la justice sur les dérives meurtrières à Kiev et Odessa de ce putsch nationaliste nourri de l’idéologie antirusse et fascisante de Bandera. Après une courte transition politique, ce putsch sera le socle du couronnement présidentiel de Petro Porochenko le 25 mai 2014, défenseur des intérêts américains, du grand capital et des oligarques contre le « bolchevisme ». Son objectif est l’intégration à l’UE néolibérale – le rêve européen, sous verrou américain.
À terme, cette inflexion européenne de Kiev sera le catalyseur de son rapprochement avec l’Otan, relais de la diplomatie américaine. Dans ce but, Porochenko construira sa stratégie contre la « menace russe ». Structurellement imprégné depuis la guerre froide par la doctrine Brzezinski du refoulement de la puissance russe, Washington peut avancer ses pions – et ses bases – sur l’échiquier eurasien. Au moyen de stratégies déstabilisatrices s’appuyant sur des forces extrémistes, son but est d’empêcher le retour russe en Europe, qui, de facto, remettrait en cause son leadership hérité de la lutte anticommuniste. Aujourd’hui, décorés de croix gammées et opérant un blocus des régions séparatistes, les radicaux de Maïdan apparaissent comme des « libérateurs » de l’Ukraine bandériste. Une façon, d’abord, de justifier une guerre nationaliste. Une façon, ensuite, de justifier l’aide américaine aux groupes paramilitaires antirusses et à la formation de la garde nationale ukrainienne, issue d’éléments radicaux. Une façon, enfin, pour Washington de justifier le formatage idéologique des élites ukrainiennes – au nom du devoir d’ingérence, déjà acté en Serbie (1999), en Irak (2003), en Libye (2011) et en Syrie.
Une « révolution » anticommuniste, détournée contre Moscou
Catalysé par des opposants nationalistes néonazis, le mouvement révolutionnaire a été guidé de l’étranger. À la suite du référendum criméen du 16 mars 2014, il s’est radicalisé avec une chasse aux « ennemis » – russes et communistes – débouchant, à partir du 15 avril 2014, sur une terrible répression gouvernementale dans l’Est – avec, le 2 mai 2014, le honteux massacre des « rouges » d’Odessa (plus de 40 morts). Ressuscitée de la guerre froide, cette fièvre maccarthyste est à l’origine de lois de « décommunisation » conduisant à l’interdiction du Parti communiste ukrainien le 24 juillet 2015 et, par ricochet, à la sacralisation des vieux héros nationalistes collaborationnistes liés à la Waffen-SS. Troublante révision de l’histoire niant le rôle clé de l’Armée rouge dans la libération de l’Europe et portée par les idéologies nazies de groupes paramilitaires comme Azov, Donbass et Pravy Sektor – contre le fantôme (et les statues) de Lénine. Avec un silence médiatique assourdissant.
La « révolution » kiévienne s’inscrit dans le prolongement des révolutions colorées néolibérales, ciblant l’espace postsoviétique dans les années 2000 et visant à installer des dirigeants proaméricains, via le soutien de rébellions nationalistes, fascistes ou religieuses initié par la stratégie afghane de Brzezinski en 1979 – voire par le putsch anticommuniste de 1973 contre Allende au Chili. À l’instar du modèle yougoslave de 2000 – appliqué en Géorgie (2003), en Ukraine (2004) et au Kirghizstan (2005) –, le scénario ukrainien est une mécanique parfaitement huilée, sous l’œil de l’ambassade américaine comme superviseur de la « révolution ». Le rôle des organisations gouvernementales et non gouvernementales étrangères, ainsi que l’ingérence « droit-de-l’hommiste » des dirigeants occidentaux (John Kerry, Victoria Nuland, Catherine Ashton) ont été décisifs – avec les obscurs snipers de Maïdan – dans la construction du point critique provoquant le putsch. Sans oublier le vernis moral de la contestation étudiante.
Le 14 juillet 2016, l’ONU a regretté l’absence de « volonté réelle » de Kiev pour trouver les responsables du massacre de Maïdan (plus de 50 morts le 20 février 2014). Or aujourd’hui, il est clair que ces snipers sont liés à l’opposition radicale anti-Ianoukovitch et ont été intégrés – avec les milices brunes – dans la stratégie de déstabilisation du régime prorusse. Une pression « démocratique » a été impulsée par des fondations privées, les élites oligarchiques et le duo Neid-Usaid – moteur des révolutions postsoviétiques – via un soutien dollarisé à l’opposition ukrainienne et à la propagande anticommuniste pour « ouvrir » la société civile. En forte hausse –dépenses quadruplées en 2017 –, ce soutien est désormais intégré dans le budget américain en vue de financer sa stratégie antirusse sur l’espace eurasien, dans le cadre d’une guerre hybride centrée sur l’information. Par le soft power, il s’agit d’éradiquer l’idéologie soviéto-communiste symbolisée par le « dictateur » Poutine resté, dans la croyance libérale, l’homo-soviéticus aspirant à restaurer l’Empire et à satelliser l’Europe. Délirant.
Kiev, pivot du néomaccarthysme
Au final, au cœur de l’Eurasie, on assiste au réveil d’un anticommunisme primaire réactivant, contre Moscou, la nostalgie brune ancrée dans un nationalisme identitaire visant, désormais, la pensée et les journalistes « déviants ». Avec, au nom d’un intégrisme libéral, l’émergence en Ukraine d’un conflit gelé, nourri par une hystérie néomaccarthyste renforçant l’extrême droite et, depuis le 29 janvier 2017, relancée par l’offensive gouvernementale dans le Donbass. Une « révolution », 10 000 morts – et après ?
Par Jean Geronimo Enseignant-chercheur à Grenoble-III