A propos du mot d’ordre de Sixième République, par Georges Gastaud
La Cinquième « République » est tellement verrouillée et percluse d’affairisme que l’aspiration démocratique à une Sixième République sociale, souveraine et réellement… républicaine, rencontre un certain écho dans la « gauche de gauche »*.
Oui, nous rêvons tous d’une vraie République accomplissant les rêves des Soldats de l’An II, des héros des Trois Glorieuses et de février 1848, de la Commune du Paris, du Front populaire et du Conseil National de la Résistance ; une République où la Nation serait réellement indépendante, où le peuple serait vraiment souverain, où le rôle politique central serait dévolu au « monde du travail », comme le stipulait le programme Les Jours heureux. Et pour nous marxistes, cette aspiration humaniste ne pourra pleinement prendre corps que dans le cadre d’une France socialiste remettant le pouvoir aux travailleurs et socialisant les grands moyens de production et d’échange pour planifier démocratiquement le développement du pays.
Cette critique de la Cinquième « République » est d’autant plus légitime qu’avec le quinquennat (qui fait de la majorité législative la projection mécanique de la majorité présidentielle), le régime né du putsch d’Alger de février 1958 s’est encore plus personnalisé, et cela d’autant plus vite que les successeurs de De Gaulle et de Mitterrand étaient plus médiocres. Qu’un président euro-formaté tourne le dos à ses engagements électoraux et qu’en lieu et place d’une politique de liberté, d’égalité et de fraternité il impulse un projet liberticide, néolibéral et ultra-atlantique. Le peuple français ne peut qu’assister impuissant à cette inversion du Contrat social cher à Rousseau : c’est lui, le peuple, qui est tenu par son vote, et non ses élus qui sont tenus par leurs engagements puisque, selon Chirac, « les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».
Ne parlons pas des incessantes modifications qui ont été apportées à la Constitution de 1958 par Chirac et Sarkozy pour adapter la constitution aux Traités supranationaux, aux diktats bruxellois et à la stratégie patronale de « décentralisation » qui détricote la République une et indivisible issue de la Révolution « jacobine ».
C’est pourquoi les communistes n’ont pas peur du mot d’ordre de « Constituante ici et maintenant ! ». Cette revendication s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de l’opposition du PCF au coup d’Etat de 1958, que les « socialistes » et Guy Mollet et le président d’alors René Coty (mais il est vrai que ce dernier avait voté les pleins pouvoirs à Pétain en 40…), avaient complaisamment maquillé en transition démocratique. Rappelons en tout cas que dans l’étrange régime actuel, ce n’est pas la « loi » européenne que l’on rejette quand elle est anticonstitutionnelle, c’est la constitution française que l’on ravaude comme une vieille chaussette quand il s’agit de l’ajuster aux caprices de l’oligarchie « franceuropéenne ». Les gaullistes sincères auraient donc bien tort de se cramponner au régime issu de 1958 : il n’est plus qu’une fiction d’apparat et l’actuel Conseil constitutionnel n’a plus, de fait, que deux fonctions :
- interpréter ce qui subsiste de la Constitution pour retoquer les miettes de législation sociale qui échappent parfois miraculeusement au tir de barrage patronal ;
- affirmer indignement… le primat juridique des traités internationaux sur la Constitution française. Moins indécents que nos prétendus « Sages », les députés anglais et la Cour constitutionnelle de Karlsruhe (R.F.A.) ont constamment réaffirmé le primat de leurs parlements nationaux respectifs sur les directives européennes : ainsi va la très asymétrique UE supranationale, où certains Etats sont… plus égaux que d’autres ; et cela ne provient pas d’un vice de nos textes constitutionnels mais du fait que l’oligarchie capitaliste du C.A.C. – 40 se comporte de fait en digne continuatrice des traditions antipatriotiques des Émigrés de Koblenz, des Versaillais de Thiers,ce « nabot monstrueux »qui massacra les patriotes communards, et des Kollabos de Vichy, ces valets de Hitler et de Mussolini ;
Mais se limiter au mot d’ordre de 6ème République serait illusoire et inconséquent. Aujourd’hui, 80% des projets de loi débattus à l’Assemblée nationale ont pour objet de transcrire les diktats bruxellois en droit français ; à l’abri de la « règle d’or » européenne, Mme Merkel peut désormais retoquer le budget français sans que cela émeuve le moindre « frondeur » socialiste. Ajoutons à ce démontage de l’Etat-nation français que la « décentralisation » – en fait, le transfert du pouvoir aux féodalités régionales et autres métropoles taillées pour les monopoles capitalistes – achèvera de destituer la République de ses fonctions de pilotage de l’économie nationale, des services publics, de la protection sociale : car lorsque la loi sera modulée à l’échelle régionale par les potentats locaux soumis au MEDEF, l’égalité de tous devant la loi et devant les services publics d’État inhérente à la République une et indivisible aura vécu. Il en va de même du français, « langue de la République » (art. II de la Constitution), menacé d’être pris en étau entre le tout-anglais porté par l’Accord transatlantique et la Charte européenne des langues, qui colore de prétextes linguistiques l’ethno-territorialisation du territoire national.
Bref, si la Sixième République française ne commence pas par remettre courageusement en cause la participation de la France à cette prison des peuples qu’est l’UE atlantique, à l’OTAN et à la ruineuse zone euro (cette zone au service de l’Axe Washington-Berlin), elle ne sera qu’une diversion politicienne destinée à détourner la gauche populaire du nécessaire FRont Antifasciste, Patriotique et Populaire (FR.A.P.P. !) indispensable pour rétablir la souveraineté du peuple et de la nation. En changeant la numérotation de leur République, les Français n’auront gagné qu’un « droit » : celui de changer de prison, de choisir démocratiquement la couleur des murs et d’en redorer les barreaux ; pour finir, ce sera comme aujourd’hui : les députés palabreront, le Sénat ou l’institution qui lui succèdera multipliera les amendements, une « démocratie participative » d’apparat rêvera d’avenir les yeux ouverts… et à la fin, comme au football, c’est Berlin qui gagnera, le M.E.D.E.F. qui dictera sa feuille de route réactionnaire et Bruxelles qui dictera à la France avilie – en anglais bien sûr, comme vient de le faire Lord Moscovici à l’adresse du « ministre français » Michel Sapin – les exigences des transnationales et de la Troïka…
Résumons-nous : si le mot d’ordre de Sixième République sert à mobiliser le peuple contre l’actuel régime antirépublicain, et si ce mot d’ordre se conjugue clairement, non pas avec le mensonge social-maastrichtien de l’« Europe sociale » mais avec l’appel à sortir la France de l’U.E. atlantique, si en outre le lien est clairement fait avec l’idée que la « Sixième » n’est pas un substitut au socialisme mais une transition de phase politique permettant d’engager pratiquement la rupture révolutionnaire avec le capitalisme, alors chiche, nous en serons ! Sinon, nous ramènerons chacun au principe de réalité, comme c’est depuis toujours la tâche ingrate des militants d’avant-garde.
En revanche, si la Sixième n’est qu’une manière pour notre peuple de changer son numéro d’écrou tout demeurant dans l’euro-prison, avec en prime le mouroir O.T.A.N., le G.M.T. et la mondialisation des guerres impérialistes (le F.N. apparaissant mensongèrement et dangereusement comme la seule « alternative » offerte à notre pays…) – alors oui, nous disons aux citoyens qui veulent vraiment changer de cap : construisons ensemble le 30 mai prochain une grande manif unitaire pour sortir la France de l’euro, de l’U.E., de l’O.T.A.N. dans la perspective d’une sortie du capitalisme pour que triomphe la Liberté guidant le peuple, accompagnée cette fois de l’Égalité et de la Fraternité.
* Au fait, on ne dit pas la « droite de droite » : vous avez dit bizarre ?
NDLR : La 6e République dans le programme candidat du PRCF dès 2012 :
2. CONSTITUER une NOUVELLE REPUBLIQUE SOCIALE, DEMOCRATIQUE et INDIVISIBLE, METTRE LE MONDE DU TRAVAIL AU CENTRE de la VIE NATIONALE.
2.1. Abolir la monarchie élective que constitue l’actuel régime présidentiel ; convoquer une Assemblée constituante pour instituer une République indépendante, sociale, démocratique, laïque et populaire; la doter d’institutions telles que rien ne puisse être fait contre les travailleurs, qui constituent l’écrasante majorité de la population française ;
Une tâche ingrate?
Ramener chacun au principe de réalité, contribuer à éclairer les consciences , démonter les pièges sans cesse renouvelés de la propagande des suppôts avoués et déguisés du système d’exploitation, d’oppression mis en place , peaufiné et sophistiqué par l’oligarchie au pouvoir, appeler un chat un chat encore et encore pour mettre en échec l’entreprise de désagrégation du tissu social et de la nation qui est en cours, est-ce vraiment une tâche ingrate?
N’Est-ce pas là, en même temps que l’une des exigences criantes de l’heure, une des tâches les plus nobles, les plus enthousiasmantes à entreprendre ou à rejoindre?
Une tâche difficile, certes, mais ingrate -je suis sûr que non- car c’est ce travail sans cesse renouvelé qui permet de déjouer les embûches et rend possibles les succès des combats qui sont en cours et de tous ceux qui devront être menés .
Le PRCF s’attèle depuis de longues années à ce travail indispensable et doit être salué pour cela. L’une des conditions du succès est la mobilisation d’énergies nouvelles pour élargir et renforcer ce travail nécessaire ,formateur, gratifiant d’un point de vue intellectuel, militant et pratique. c’est ce travail qui permet entre autres de forger les mots d’ordre rassembleurs et percutants derrière lesquels le peuple peut se rassembler et faire trembler les puissants.
Je pense qu’il est préférable de dire aux militants de l’avant-garde que ramener toujours et encore au principe de réalité les gens qui leur font confiance, qui luttent à leurs côtés, ceux avec lesquels ils nouent des alliances pour mener les combats communs, tous ceux qui ont intérêt à se rassembler pour changer réellement les choses, et aussi ceux qu’ils affrontent sur le terrain politique et social, c’est une tâche essentielle, c’est une exigence permanente. C’est aussi un travail passionnant auquel chacun peut contribuer à sa façon. Ce ne peut pas être seulement la tâche d’une minorité de militants « éclairés » . Et ce n’est pas un travail « ingrat ».
G. J.