Tous les deux jours, un nouveau sondage sort avec, comme centre d’attention, le fasciste Éric Zemmour. Le dernier en date du mercredi 6 octobre 2021 constitue un petit « événement » : pour la première fois, celui qui ne s’est toujours pas officiellement déclaré candidat à l’élection présidentielle en 2022, est annoncé au second tour de cette dernière avec 17% des intentions de vote, dépassant désormais la fascisante Le Pen et son faux « Rassemblement national » – qui a déjà subi un net revers aux départementales et régionales de juin 2021 – et plaçant la droite réactionnaire incarnée par Bertrand dans une situation inconfortable. Naturellement, à six mois de l’élection présidentielle, tout est encore possible et la question de savoir si Zemmour est une baudruche servant les intérêts de la Macronie – cela ne fait guère de doute – ou un candidat vraiment en mesure d’inquiéter l’actuel Tartuffe de la République se pose. Mais il n’en demeure pas moins que le polémiste, déjà condamné judiciairement à plusieurs reprises pour incitation à la haine raciale, représente un véritable danger au regard du projet qu’il incarne : non seulement le racisme et le racialisme, non seulement les thèses fantasmagoriques du « grand remplacement » ; mais également, et ce dont pratiquement personne ne parle, la dictature du Capital décomplexée, amplifiée et occultée par la chasse aux boucs-émissaires. Et ce (là encore, ce dont personne ne parle vraiment), sans nullement reconquérir l’indispensable souveraineté nationale et populaire pour satisfaire les besoins des travailleurs et des citoyens.
Le « phénomène Zemmour », allègrement véhiculé par nombre de prétendus « journalistes », « experts » et « éditorialistes » (qui devront eux aussi, un jour ou l’autre, rendre des comptes aux citoyens et aux travailleurs en colère), illustre la sinistre affirmation de Bertolt Brecht : « Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution par temps de crise » – « démocratie » bourgeoise ajoutera-t-on. Et la crise, multiforme, frappe la République une et indivisible et la France, touchant les citoyens et les travailleurs depuis quatre décennies. Exaspéré par l’incapacité des partis établis de droite et dits de « gauche » – à commencer par les faux « socialistes » et « écologistes » –, le peuple de France se réfugie de plus en plus dans l’abstention qui atteint des sommets à chaque élection depuis les législatives de juin 2017, comme l’ont démontré spectaculairement les résultats des départementales et régionales de juin 202 1. Et dans ce grand marasme surgit, porté par son expérience et son exposition médiatique complaisante, un candidat présenté comme « hors système » alors qu’il en est la pure émanation et incarnation.
Nous n’insisterons pas sur les caractéristiques profondément racistes – et particulièrement à l’encontre des citoyens et étrangers de confession musulmane (en particulier d’origine nord-africaine) – d’Éric Zemmour, lui qui décline ses idées nauséabondes depuis tant d’années dans le Figaro, sur C-News, etc. Une exposition médiatique exponentielle qui n’empêche pas le « polémiste » de combattre, sans rire, la « censure » qui frapperait les idées qu’il porte et la « dictature de la pensée unique » incarnée par Macron et ses satellites. Si ce dernier point est juste, Zemmour refuse de voir que les idées qu’il porte constituent l’autre face de la même pièce européiste, capitaliste et atlantiste ; car Zemmour, tout en affirmant vouloir sortir de l’OTAN, défend un « occidentalisme » ne le poussant pas à rompre les liens avec ses semblables outre-Atlantique, à commencer par Donald Trump que l’actuelle égérie des sondages défendit après la défaite face à Joe Biden qui lui parut suspecte. Zemmour peut tranquillement éructer contre les « prénoms non français », contre les musulmans, contre les étrangers, contres les écologistes dont la couleur verte serait inspirée du vert de l’islam (plus obsessionnel, on meurt !), etc. Autant d’affirmations sur lesquelles surenchérissent la droite réactionnaire – Bertrand, Pécresse, et même Michel Barnier qui attaque sur l’UE sur le sujet de l’immigration – et la Macronie : comment oublier les saillies de Macron et ses sbires (le sinistre Blanquer en tête) contre « l’islamo-gauchisme » visant à combattre bien davantage la gauche radicale (considérée par Valérie Pécresse comme plus dangereuse que la droite radicale et Zemmour) que l’islamisme, contre la justice « laxiste », contre les étrangers, contre les musulmans sous couvert de « laïcité », etc. C’est d’ailleurs dans Valeurs actuelles que Macron s’épandit longtemps à l’automne 2019 pour parler du « triple I » (islam, insécurité et immigration) : il vaut mieux choisir un média « spécialiste » des sujets…
Mais ce qui distingue davantage Zemmour du reste est sa propension à réécrire l’histoire de France dans un sens fascisant, en particulier à travers sa volonté de réhabiliter le maréchal Pétain. Et voilà que le « polémiste » cherche à justifier l’action du traître à la patrie, qui signa l’armistice le 22 juin 1940 après avoir fait preuve de couardise et de défaitisme face à l’Allemagne nazie, lorsque le « sénile » Pétain envoya à la mort 75.000 Juifs ; Zemmour explique que c’étaient « surtout les Juifs étrangers » et que Pétain a « protégé et sauvé » les Juifs français. Ce « subtil » distinguo se heurte à la réalité des faits, comme le fait que le maréchal Pétain promulgua le premier statut des Juifs le 3 octobre 1940, soit trois semaines avant de serrer la main d’Adolf Hitler à Montoire-sur-Loire – acte symbolique de la Collaboration. Quant à cette dernière, s’appuyant sur des analyses grandement biaisées de Simon Epstein, Zemmour peut tranquillement expliquer que la droite a résisté et que c’est surtout la gauche qui a collaboré ; curieusement, en 1945, le Parti communiste français, alors franchement communiste sous l’impulsion de Jacques Duclos et Maurice Thorez, devint le premier parti de France et obtint même, avec l’apport des socialistes, la majorité aux élections constituantes de l’automne 1945. Mais qu’importe les faits : le révisionnisme anticommuniste et fascisant de l’histoire, porté par la mortifère Union européenne et par les forces réactionnaires et faussement « de gauche » en France, porte ses fruits, parvenant à faire croire que l’URSS était plus criminelle que l’Allemagne nazie, que le communisme équivaut le nazisme et que, s’inspirant des thèses révisionnistes du réactionnaire Ernst Nolte, Auschwitz est une réponse au goulag. Reconnaissons tout de même que la propagande zemmourienne bénéficie de la complaisance de ses soi-disant « adversaires », à commencer par un Macron soulignant la « complexité » présumée de Pétain pour lui rendre un vibrant hommage le 11 novembre 2018. Mais après tout, quoi de plus surprenant pour le Tartuffe de la République qualifié de « plus royaliste que socialiste » par Le Point en août 2016 quand celui qui quittait le ministère de l’Économie regretta expressément la mort du roi lors de la Révolution, ce que n’aurait pas désirer le peuple. L’Ancien Régime et le despotisme obscurantiste, voilà le trait commun des toutes les forces de droite, fasciste, fascisante et réactionnaire – avec leurs complices prétendument « de gauche » – qui détruisent la souveraineté nationale et populaire.
Car le plus remarquable est que Zemmour, comme pour Le Pen, Dupont-Aignant et autres pseudo « souverainistes » comme Onfray – qui ne tarit pas d’éloges au sujet de Zemmour lorsque, en juin 2020, il déclara : « Il travaille, il lit les livres dont il parle, il n’insulte pas, il ne méprise pas, il est cultivé, il connaît l’Histoire, il est courtois, ce qui en fait un personnage unique dans le milieu médiatique : il est un interlocuteur avec lequel ce qui faisait le génie français, je pense aux débats dans les salons littéraires d’avant 1789, est encore possible. » –, ne souhaite nullement sortir de l’UE, ni de l’euro, et encore moins du capitalisme. Autrement dit, derrière un discours dit « souverainiste » et « patriote », Zemmour recycle la haine traditionnelle/traditionaliste à l’encontre des boucs-émissaires (avec le joli sobriquet d’« islamo-gauchiste » comme trait fil brun de sa haine) dans un style anti-Lumières qui ne rendra pas leur souveraineté aux citoyens et aux travailleurs de France. Et pour cause : fortement soutenu par une troupe de « start-uppeurs », de royalistes et de bourgeois s’affirmant « anticonformistes » (comme dans les années 1930…) qui finance généreusement la propagande zemmourienne, Zemmour n’est qu’une énième incarnation d’un prétendu personnage « antisystème » tout en bénéficiant pleinement de l’exposition médiatique et des subsides capitalistes. Il n’est qu’à voir celui qui récolte les fonds pour sa possible campagne, à savoir Julien Madar, dont le pedigree n’a rien à envier à Macron : « Âgé de 32 ans, il est Directeur Général de Checkmyguest. Ancien banquier d’affaire chez Rothschild, où il s’était spécialisé dans la fusion-acquisition pendant son année de césure, il a d’abord étudié à l’université de Columbia, à New York. Après cela, il a créé une association d’investisseurs (club deal) avec un ami, également banquier chez Rothschild, avant de rejoindre Checkmyguest, une jeune pousse qu’il avait aidée il y a quelques années en levant 7 millions d’euros de fonds. » Et inutile de préciser que si Macron est trop grillé et si Zemmour devient trop inquiétant, une solution de rechange en la personne, notamment, de Xavier Bertrand sera disponible. C’est comme cela que l’oligarchie capitaliste euro-atlantique retombe toujours sur ses pattes et assure la pérennité de son ordre et de ses privilèges.
Il n’en demeure pas moins que Zemmour devient le personnage central d’une pitoyable foire d’empoigne. Et si son ascension fulgurante doit beaucoup à son exposition médiatique et la lepéno-zemmourisation du débat public, les responsabilités des forces européistes de « gauche » est également majeure. Car en refusant de proposer un discours véritablement radical afin de reconquérir pleinement et totalement la souveraineté nationale et populaire comme le propose le Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF) en appelant au Frexit progressiste et à l’Alternative Rouge et Tricolore, les forces européistes de « gauche » ont ouvert un boulevard au semeur de haine et écœuré les classes populaires et une partie croissante des couches moyennes, désormais abstentionnistes ou tentées par le (faux) anticonformisme de droite. Pire : en tombant dans le piège du prétendu « débat » qui permettrait de démontrer qui est Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, au discours bien plus modéré sur l’UE qu’en 2017, a accru la couverture médiatique du « polémiste ». Car si Jean-Luc Mélenchon maîtrise beaucoup mieux les dossiers concrets que Zemmour, réclamer un « débat » avec un spécialiste de l’exposition médiatique permanente dans un format qui lui convient parfaitement – celui du pulsionnel, de l’irrationalité et de l’aboiement – était lui faire un fantastique cadeau en termes d’exposition publique. Résultat : plus de ¾ du « débat » tournèrent autour des thèmes de prédilection de Zemmour, tandis que Mélenchon ne parla même pas du cœur de ce que devrait être un projet authentiquement souverainiste et patriotique, à savoir la sortie de l’euro, de l’UE, de l’OTAN et du capitalisme – ce qu’il abordait plus nettement en 2017 à travers son mot d’ordre « l’UE, on la change ou on la quitte ! », qui lui permit d’obtenir 19,5% des suffrages en avril 2017. Quant aux autres candidats dits de « gauche », aussi bien Montebourg et sa pitoyable « Remontada » que Roussel et son « Défi des jours heureux » (qui plagie allègrement le nom du programme du PRCF depuis au moins 2011…), en refusant d’avance toute sortie de l’UE et en jouant les marchands de sable à travers l’annonce d’un « SMIC européen » (Fabien Roussel), ils se condamnent à plafonner à des scores insignifiants par manque de radicalité dans le projet favorable à la souveraineté nationale et populaire.
Eric Zemmour est finalement le produit mortifère de la « tempête sociale et politique » tant crainte par Édouard Philippe et qui prend le mauvais vent de la Réaction contre-révolutionnaire, antipopulaire (les retraites, les salaires et les droits morfleront, comme l’annonce déjà le « polémiste »), anticommuniste et, en réalité, antipatriotique. Seule une Alternative Rouge et Tricolore, appelant à reconstruire la France et la République une et indivisible, sociale et laïque, souveraine et démocratique, fraternelle et pacifique, est en mesure de reprendre les saines préoccupations sociales de la grande majorité des citoyens et des travailleurs de France. Et ainsi,d’empêcher un désastre annoncé depuis des années…