L’héroïque « printemps » populaire tunisien avait soulevé d’immenses espérances dans le monde arabo-musulman et ailleurs. On sait hélas comment, en l’absence d’un Mouvement communiste international, voire d’une Internationale communiste permettant au monde du travail de jouer son indispensable rôle dirigeant dans la révolution démocratique et nationale, l’impérialisme occidental aidé par l’islamisme fanatique a dévoyé l’ainsi-dit « printemps arabe » dans le but de déstabiliser la Syrie, le Bahreïn et la Libye tout en aggravant, au final, la situation du mouvement populaire en Egypte.
On sait aussi que les peuples du pourtour sud de la Méditerranée n’ont pas cessé de lutter de manières très diverses. Cependant, la situation de la Tunisie préoccupe, non seulement en raison des menées persistantes du parti réactionnaire Enahda, mais en raison de l’attitude du président en place Kaïs Sayed qui, anticonstitutionnellement, a suspendu l’activité parlementaire et proposé une nouvelle constitution qui réduit à rien l’initiative et le pouvoir de contrôle des députés, qui recule sur la laïcité de l’Etat (gros enjeux pour les droits des femmes, pourtant étendus sous Bourguiba), et qui n’a été récemment « validée » que par une petite minorité de l’électorat tunisien, l’écrasante grande majorité du peuple tunisien, jeunesse en tête, ayant boycotté le scrutin.
En outre, le président Kaïs Sayed vient de consentir aux exigences économiques du FMI afin d’obtenir un prêt de 4 milliards; autrement dit, ce président qui se donne parfois des postures anti-impérialistes, rentre totalement dans le rang de l’ordre néolibéral… si tant est que la Tunisie « révolutionnaire » en soit jamais sortie!
Bref, la révolution populaire, nationale et démocratique, et a fortiori la révolution socialiste, ne semblent pas être derrière, mais devant le peuple tunisien. Et avant tout, devant la classe ouvrière tunisienne qui reste assez fortement organisée syndicalement dans l’UGTT.
C’est dire que les communistes et le peuple travailleur frère de Tunisie ne peuvent compter, pour relancer le processus démocratique, sur la Françafrique néocoloniale, ni sur la « Franceurope » néolibérale de Macron, et encore moins sur le bloc euro-atlantique.
C’est dire aussi que la solidarité de principe des travailleurs français conscients est par avance acquise aux travailleurs, aux syndicalistes et aux révolutionnaires tunisiens.
Pour la Séparation de la religion et de l’État et pour la démocratie en Tunisie
par la Libre Pensée 26/07/22
Exactement un an après le coup d’État par lequel M. Kaïs Saïed, élu à la présidence de la République en 2019, a confisqué tous les pouvoirs à Tunis, le 25 juillet 2021, le peuple tunisien est appelé à se prononcer par un plébiscite sur un projet de constitution qui entend abroger celle du 26 janvier 2014 et concentrer l’ensemble des pouvoirs dans les mains du locataire du palais présidentiel de Carthage édifié par Habib Bourguiba, le père de l’Indépendance.
Adoptée dans le prolongement de la Révolution de Jasmin ayant contraint Zine el-Abidine Ben Ali à quitter le pays sur lequel il avait exercé une dictature féroce pendant près d’un quart de siècle et élaborée par l’Assemblée constituante élue le 23 octobre 2011, la Constitution tunisienne du 26 janvier 2014 apparaît très démocratique. Outre un préambule rappelant les droits fondamentaux des Tunisiens, ses articles 1 et 2 consacrent le caractère civil de l’État : « Article 1 La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’Islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime. Il n’est pas permis d’amender cet article. / Article 2 La Tunisie est un Etat à caractère civil, basé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit. Il n’est pas permis d’amender cet article. »
En résumé, l’Islam est la religion de la Tunisie (article 1), mais la Tunisie est un Etat civil où seule la loi civile s’applique (article 2)
Le législatif est assuré par une assemblée unique dans des conditions démocratiques, fixées notamment aux articles 60 et 62 : « Article 60 L’opposition est une composante essentielle de l’Assemblée des représentants du peuple, elle a des droits lui permettant d’accomplir ses missions dans le cadre du travail parlementaire et lui garantissant la représentativité adéquate dans les structures et activités de l’Assemblée, sur les plans intérieur et extérieur. / Article 62 L’initiative des lois est exercée par des propositions de lois émanant de dix députés au moins ou par des projets de loi émanant du Président de la République ou du Chef du gouvernement. » Enfin, aux termes de son article 102 « Le pouvoir judiciaire est indépendant et garantit l’instauration de la justice, la suprématie de la Constitution, la souveraineté de la loi et la protection des droits et des libertés. Le magistrat est indépendant. Il n’est soumis dans l’exercice de ses fonctions qu’à l’autorité de la loi. » Les pouvoirs sont clairement séparés.
Au cours de la dernière année, M. Kaïs Saïed a foulé aux pieds ces principes. Après avoir suspendu les travaux du Parlement, privé ses membres de leur indemnité et renvoyé le Gouvernement de M. Hichem Mechichi, il gouverne par décret, dissout les instances de contrôle de la constitutionnalité des lois et de lutte contre la corruption, limoge cinquante-sept magistrats et démantèle le Conseil de la magistrature. Enfin, il livre le pays aux exigences du Fonds monétaire international (FMI) en 2022 – privatisations et suppression des aides publiques en faveur de l’accès aux produits de base – contre un prêt de quatre milliards de dollars.
La constitution dite du 25 juillet 20221 a pour objet de donner un fondement juridique à la dictature exercée par M. Kaïs Saïed. Elle substitue la notion de « fonctions » à celle de « pouvoirs ». Elle divise la « fonction législative » entre deux chambres, qui n’auront pas de pouvoir de contrôle de l’action de l’Exécutif. Elle prévoit que la seconde est celle des régions qui auront la possibilité, dans des conditions encore très floues, de soumettre des projets de développement au Chef de l’État détenteur exclusif de l’initiative de la loi et du pouvoir de nommer le Gouvernement et les membres de la Cour constitutionnelle. Elle porte atteinte à l’indépendance de la justice. Enfin, l’article 5 de cette constitution indique que la Tunisie appartient à la « oumma islamique » et que l’État vise à « appliquer les finalités de l’islam » : c’est la fin de l’État civil et de l’État de droit en Tunisie.
La Fédération nationale de la Libre Pensée est membre de l’Association internationale de la Libre Pensée (AILP), constituée notamment pour œuvrer partout dans le monde à la Séparation des États et des religions, constate à nouveau que la démocratie ne peut se concevoir sans liberté absolue de conscience. C’est pourquoi, elle estime que l’adoption de cette nouvelle Constitution soumis au plébiscite du 25 juillet 2022 constituerait un recul en matière démocratique. Elle se prononce pour le retour à la Constitution tunisienne du 26 janvier 2014.
Le 26 juillet 2022
1 Soixante-sixième anniversaire de l’indépendance de la Tunisie.