Marie Debs a occupé des responsabilités internationales au sein du Parti Communiste libanais dont elle est l’une des figures. Alors que les tensions continuent de monter au Moyen Orient avec l’escalade guerrière menée par les USA contre l’Iran, alors que l’ex PDG de Renault s’est évadé du Japon où il est poursuivi pour des affaires de malversation pour s’établir à Beyrouth, Marie Debs a accepté de répondre aux questions d’Initiative Communiste pour livrer, depuis le Liban, un point de vue de communiste sur la situation.
Initiative Communiste : L’ex patron de Renault, de sinistre réputation en France et en Europe, de même qu’au Japon puisqu’il y a fait fermer de nombreuses usines et licencier par milliers des ouvriers, s’est fait prendre par la justice japonaise pour des affaires financières. Il s’est échappé pour se réfugier à Beyrouth. Quelle est l’opinion des Libanais sur cette sombre affaire ?
Marie Debs : Avant de répondre à la question posée, il est nécessaire de dire que Carlos Ghosn est né au Brésil, à Porto Velho, où il a passé son enfance avant de venir au Liban où il resta jusqu’à la fin de ses études secondaires.
Ses liens avec notre pays sont, surtout, des liens financiers et économiques, exprimés par de très gros investissements dans différents secteurs, allant de la viticulture, avec le domaine Ixir qui produit annuellement des centaines de milliers de bouteilles (vendues notamment au Japon), à l’immobilier et au secteur bancaire, dans la banque d’affaires Saradar surtout.
Voilà pourquoi certains hommes politiques libanais, qui n’ont pas levé le petit doigt pour demander la liberté de georges Abdallah, ont montré une solidarité tapageuse avec Ghosn, à la suite de son arrestation en novembre 2018 au Japon… solidarité manifestée, en premier lieu, par le ministre des affaires étrangères libanaises et le ministre de l’intérieur de l’époque qui ont pris sa défense, non parce qu’il est « Libanais », mais parce qu’il est un grand investisseur au Liban.
Les Libanais sont divisés sur l’affaire Carlos Ghosn.
Beaucoup d’entre eux, dont ceux qui ont pris la rue depuis le 17 octobre 2019, pensent qu’il y a anguille sous roche et que les explications données par Ghosn durant sa conférence de presse sont très brumeuses et qu’il a surtout essayé de noyer le poisson à coups de chiffres et de statistiques mais qu’il s’est embourbé quand il s’est agi d’expliquer comment il a pu avoir Versailles pour fêter le cinquantième anniversaire de sa femme ou quand il a voulu « mettre les points sur les i » en ce qui concerne les bonus qu’il s’est offert…
D’ailleurs, les Libanais, qui ont vu ses photos avec Olmert et d’autres responsables de l’entité israélienne, ne comprennent pas comment le gouvernement et les autorités juridiques ne l’ont pas encore arrêté à cause de ses fréquentes visites dans un pays ennemi selon la Constitution, surtout qu’une demande a été présentée par un groupe d’avocats au nom d’anciens résistants détenus dans les prisons de cette entité et que les seules paroles de Ghosn, en réponse à cette accusation furent « je voudrais m’excuser auprès des Libanais, mais j’y suis allé avec mon passeport français » ?!
Initiative Communiste : L’impérialisme américain joue la carte de la tension guerrière contre l’Iran : quelle est l’analyse des communistes du Liban sur la situation ?
Marie Debs : A défaut de l’opinion du PCL, je vais tenter de présenter mon opinion propre concernant la situation actuelle dans la région.
Nous savons que l’année 2020 est celle de la campagne présidentielle aux Etats Unis et que Donald Trump, qui voudrait briguer un second mandat, est très affaibli par les accusations du Parti démocrate ; il a, donc, besoin d’actes pour se renflouer auprès des grands électeurs, d’une part, et des Américains qui avaient voté pour lui parce qu’il leur avait promis monts et merveilles… De plus, sa politique dans la région durant les trois années passées n’a fait que renforcer le régime iranien qui a gagné beaucoup de nouvelles cartes maitresses tant en Irak qu’au Yémen et en Syrie. Il faut dire aussi qu’il devait jeter du lest devant les dirigeants de l’entité israélienne qui réclamaient, depuis les dernières années de la présidence de Barak Obama, des frappes contre le nucléaire iranien, s’il voulait avoir l’aval du lobby sioniste, l’AIPAC notamment. Et, n’oublions pas l’importance du pétrole irakien, d’une part, et celui découvert dans les eaux territoriales syriennes et libanaises, d’autres part, et convoité par l’administration étasunienne tout aussi bien que par les Israéliens. Tous ces éléments sont entrés en jeu dans la politique de l’escalade suivie par Trump, à commencer par les raids de drones contre des permanences du « Hachd Chaabi » (organisation paramilitaire irakienne) ou encore contre le responsable iranien Souleimani et à en finir par les menaces proférées contre 52 positions iraniennes, dont des sites historiques et culturels.
Cependant, au lieu de porter les fruits escomptés, ces attaques ont plutôt aidé le régime iranien dans sa guerre contre le soulèvement populaire intérieur, dû à des politiques économiques et sociales erronées et ruineuses, comme il a aidé le gouvernement irakien, dont le chef avait démissionné parce qu’il se trouvait en très grande difficulté face au soulèvement d’une majeure partie de la population irakienne contre la corruption et les politiques d’appauvrissement.
Je pense que l’escalade ne va pas dépasser les limites tracées actuellement par les deux protagonistes, à savoir des opérations limitées de part et d’autre, sans pour autant supprimer complètement le risque d’agressions israéliennes contre certaines bases en Syrie et au Liban. Ce qui veut dire que nous devrions rester vigilants afin de pouvoir stopper toute possibilité d’agression contre notre pays.