L’histoire et le bilan de la privatisation des usines sidérurgique d’El Hadjar en Algérie – décrit ici par les journalistes d’Alger Républicain – montre qu’en Algérie, comme en France et partout ailleurs dans les pays capitalistes, la libéralisation et les privatisations n’ont qu’un seul but : gaver de profits la classe capitaliste. En renforçant l’exploitation des travailleurs et en liquidant l’appareil productif.
L’Algérie importe près de 10 millions de tonnes de produits sidérurgiques chaque années et fait face à une demande croissante, mais la privatisation auprès de ArcelorMittal a conduit à diviser par trois la production d’El Hadjar, de 1,5 millions de tonnes à moins de 600 000 tonnes ces dernières années.
Une situation évidemment à rapprocher de la privatisation sous les ordres de l’Union Européennes de la sidérurgie française (Usinor, alors 3e producteur mondial). La production d’acier en France a chuté de 25 millions de tonnes dans les années 1980 à moins de 15 millions en 2015 ( – 40%), représentant désormais moins du tier de la production allemande tandis que la production et la demande mondiale d’acier continuent elles de progresser.
Reprise par l’Etat du contrôle total du complexe sidérurgique d’El Hadjar : le culot de Bouchouareb
15 ans après avoir cédé pour une somme symbolique 70% du capital de l’entreprise publique sidérurgique SIDER et des mines de fer de l’Ouenza à la multinationale Ispat devenue par la suite ArcelorMittal, l’Etat récupère ses biens en reprenant le contrôle sur la totalité de leur capital.
La multinationale s’est désengagée. Elle a fait perdre 15 précieuses années à l’Algérie avec la complicité de ceux qui ont présenté la privatisation comme la solution magique aux problèmes du développement industriel. Le fleuron de l’industrie nationale revient à la nation. Mais dans quel état de délabrement !
Ispat-ArcelorMittal s’était engagée à investir et à moderniser le complexe. Dans la réalité elle s’est comportée en vampire. Elle a pompé son potentiel sans rien apporter au pays. Mais à qui la faute ? A des capitalistes venus se remplir les poches sans rien débourser ? Ou aux néophytes du libéralisme qui avaient décrétéque par ses vertus naturelles le capitalisme étranger allait faire des miracles ? Redémarrage de l’usine, augmentation de la production, amélioration magique et stabilisation de la situation du personnel une fois « dégraissé », etc., des promesses qui ne seront jamais tenues. La doctrine du désengagement de l’Etat implicitement formulée dans les réformes de 1987, édictée dans l’accord passé avec le FMI en 1994 et consacrée en 2001 par une décision du gouvernement de se retirer complètement de l’acte d’investissement industriel est à l’origine du sinistre actuel.
La privatisation devait soi-disant apporter un remède à la situation financière déstructurée du complexe. Or, les véritables causes des difficultés du complexe, une conquête majeure d’une Algérie indépendante rompant avec le « pacte colonial » qui lui fermait toute perspective d’industrialisation, ne sont pas celles qu’incriminent les partisans de la libéralisation et aspirants à l’enrichissement personnel. La situation financière du complexe ne résultait pas d’une incapacité congénitale du secteur public à générer des surplus en exploitant pleinement son potentiel productif. La preuve est que le complexe était parvenu en 1984 à produire 1,4 millions de tonnes d’acier liquide. Un niveau de production que la multinationale n’atteindra jamais malgré son soi-disant savoir-faire et toutes les facilités que l’Etat lui a accordées. Le complexe avait commencé à atteindre sa vitesse de croisière en 1984 grâce à l’expérience accumulée par les travailleurs et les cadres algériens, à la maîtrise d’un métier stratégique, fermé aux colonisés avant 1962. Son élan fut brisé à peine un an après. Le complexe sera étranglé, comme toutes les entreprises obligées d’importer leurs fournitures ou équipements, par les difficultés financières consécutives à la baisse du prix du pétrole en 1985 et au poids énorme du service de la dette extérieure du pays, une dette soigneusement cachée aux citoyens par le régime*. Les gourous qui échafaudent dans l’ombre les plans de l’offensive vers la libéralisation sautent sur l’occasion pour lui fermer le robinet d’accès aux devises indispensables à l’achat des pièces et fournitures importées, sans lesquelles l’usine ne pouvait exploiter au maximum ses capacités de production. Les performances de la production plongeront en conséquence.
Au fond ce n’est pas la baisse des ressources en devises de l’Etat qui explique le marasme mais le refus des autorités d’élaborer une politique de préservation des secteurs productifs stratégiques face à une conjoncture défavorable. Un refus calculé. Le pouvoir était dès le début des années 1980 entièrement contrôlé par les partisans de la libéralisation. N’osant pas dévoiler prématurément leur choix de classe, ils avaient opté pour la tactique de la désorganisation du secteur public, de son asphyxie par une règlementation qui paralysait le travail des cadres. La pénurie de devises fournit le motif en or pour mettre en exécution le plan de casse du secteur public. Les « réformes » de 1987 furent leur réponse. Les entreprises publiques sont brutalement lâchées. Les conséquences de cette politique savamment préméditée sont ensuite exploitées pour discréditer toute stratégie de développement, pour interdire toute réflexion sur une relance industrielle axée sur le rôle primordial du secteur public.
Sans chercher à justifier la stratégie de la multinationale indienne, il faut admettre que celle-ci semble avoir très vite compris, dans le contexte du cap mis sur les importations sous la pression des nouveaux barons de l’import, étroitement liés aux hommes forts du régime, que la sidérurgie locale n’avait que peu de chances de s’imposer. Pouvait-elle rivaliser avec les importateurs de rond à béton à bon marché mais de moindre qualité qu’ils déversent massivement sur le marché interne ? L’ampleur de la catastrophe du séisme de 2003 était liée à l’utilisation de ce fer d’importation défectueux, constatèrent les experts.
Ispat-Mittal a donc opté pour l’écrémage de l’usine en commençant par exporter à des prix fictivement bas tout le stock de pièces de rechange, trouvé sur place, vers ses usines de l’est européen. Elle amassa beaucoup d’argent en exportant la ferraille vers ses autres filiales à l’étranger et à prix sous-estimé, à un moment où son cours flambait sur le marché mondial. On dit qu’elle réalisa en deux ou trois ans plus de 500 millions de dollars de profits à l’aide de ces procédés frauduleux sur lesquels les responsables étatiques fermaient les yeux malgré l’alarme sonnée par de nombreux cadre honnêtes. Il ne fallait surtout pas faire douter le capital étranger de la volonté du régime de tourner définitivement la page de l’ « économie administrée » ou jeter le trouble dans les esprits en cours de reformage idéologique par une presse toute acquise au libéralisme. Le correspondant d’El Watan à Annaba s’employait systématiquement à enjoliver les faits à la gloire de Mittal. Le faux syndicaliste Menadi abreuvait de son côté les journalistes de mensonges éhontés. Qualifié un jour de « lion » par Ouyahia, il avait revêtu le costume de porte-parole officieux de la multinationale dont les responsables s’abstenaient de dire quoi que ce soit au public sur la réalité des très faibles performances de leur gestion et surtout des énormes coûts qu’ils faisaient supporter par l’Etat.
Malgré les exonérations fiscales, les bas tarifs de l’eau et de l’électricité, les diverses aides, telle que la prise en charge de plus de 1000 jeunes ingénieurs et techniciens, par le budget de l’Etat dans le cadre du pré-emploi, Mittal se désintéressa complètement de la maintenance de l’appareil de production. La crise des « supprimes » de 2008-2009, la baisse de la demande sur le marché mondial, furent le prétexte faux mais providentiel pour justifier l’inertie. Une propagande inlassable est diffusée par l’intermédiaire de journalistes avalant n’importe quelle couleuvre sous la baguette des chefs d’orchestre de cette campagne de contre-vérités, au mépris des réalités. ArcelorMittal avait à sa disposition un marché interne immense et en expansion ininterrompue. Les besoins en produits sidérurgiques étaient à leur sommet, stimulés par les dépenses d’investissements en infrastructures publiques. La mauvaise foi d’une multinationale qui s’abritait derrière de faux fuyants n’avait plus besoin d’être prouvée.
Le complexe était donc en train de courir le risque de destruction pure et simple du fait de cette stratégie d’absence d’investissements de maintenance et de renouvellement. Craignant d’être accusé par l’opinion nationale de complicité dans l’opération de sabotage menée par la multinationale, le gouvernement décide très tardivement d’intervenir. D’une manière très contestable et aux dépens de l’argent du pays, il se porte au secours de la multinationale. Près d’un milliard de dollars sont débloqués il y a un an et demi à travers des crédits de la banque publiqueBEA pour assurer le redémarrage du complexe.
Les dégâts sont énormes. Les entreprises étrangères appelées à remettre en état de marche le haut fourneau rendent le tablier devant l’ampleur de la tâche à accomplir, provoquant de nouveaux retards dans la redémarrage prévu pour le mois d’août de cette année.
Le bureau technique britannique qui vient de prendre la suite a pris la mesure de la gravité de la situation après 15 ans de laisser-aller.
Le ministre de l’Industrie , Bouchouareb, est obligé de faire un constat alarmant : « des dégâts cachés, telles que les fissures dans les hauts-fourneaux , (ont été) décelées lors des travaux de rénovation » (L’Expression du 8 août 2016). Le ministre reconnaît donc que les fissures ont été cachées. Un crime commis contre l’économie nationale !
Mais que fait-il ? Au lieu de demander des comptes à la multinationale, il se félicite qu’elle ait eu l’amabilité de céder ses 49% d’actions au dinar symbolique ! Et qui blâme-t-il ? Les travailleurs et l’encadrement qu’il « met en garde ». « « Il faut qu’ils prennent leurs responsabilités sinon le complexe sera laminé » ! Et pour bien les culpabiliser il a le culot de leur adresser cet avertissement : « C’est votre dernière chance ».
Voilà un pouvoir qui avait qualifié par la bouche de Temmar l’industrie nationale de « quincaillerie ». Il s’était abstenu d’éjecter en 2011 la multinationale pour non respect des engagements pris en 2001 lors de l’accord de cession des parts de l’Etat. Toute honte bue, il ose aujourd’hui s’en prendre à ceux qu’il a abandonnés à leur sort. Il pousse l’aplomb jusqu’à faire oublier qu’il n’a pas assumé son devoir de contrôler la gestion de la multinationale tel que sa position d’actionnaire le lui permettait.
Au fond le régime a atteint ses objectifs. Il a réussi à épuiser l’opinion et les travailleurs en laissant croire qu’il a tout fait pour sauver le complexe mais, hélas ! avec des résultats décevants. Il a entrepris d’affaiblir la part du secteur public dans la production sidérurgique en favorisant l’entrée d’affairistes étrangers et locaux, à l’image de Haddad, surgi du néant par la grâce de la « mamelle » de l’Etat. D’ici 2020, ils seront, selon la liste lue par le ministre, 3 grands magnats à contrôler ensemble 11 des 13 millions de tonnes prévus, soit 75% de l’acier qui sera produit. Une position monopoliste qui leur permettra de dicter leurs prix et de s’octroyer d’énormes profits. Le régime démontre une fois de plus qu’il est réfractaires aux leçons de la privatisation. Reste à savoir si ces objectifs seront réalisés et à quel coût ? Au lieu de privilégier le secteur public comme axe stratégique d’une politique véritable d’industrialisation et d »indépendance économique il continue à miser sur les affairistes du secteur privé. Lesquels recherchent n’importe quelle aubaine pour surfacturer les fournitures et équipements importés, à se constituer d’une façon aussi frauduleuse un gros butin dans les banques étrangères, à l’image de Rebrab dont Le Monde vient de dévoiler les comptes qu’il détenait au Panama. Décidément le régime est un mauvais élève !
En attendant, MittalArcelor aura laissé une grosse ardoise par suite de déficits cumulés colossaux. Un total de 30 milliards de DA pour les seules années 2009 à 2011, révèle le Quotidien d’Oran du 8 août. Les chiffres des années qui suivent ne sont pas connus. C’est l’équivalent de 300 millions de dollars, soit dix fois le montant de l’achat du complexe par la multinationale, achat réglé par tranche annuelle de 3 millions de dollars ! Et ce n’est pas tout. MittalArcelor doit aussi la somme faramineuse de 80 milliards de centimes à Sonelgaz. Qui payera la facture ?
Les travailleurs ont été « mis en garde ». Ils devront se serrer la ceinture pour payer les créanciers qui frapperont à la porte de « leur » entreprise. C’est le prix à payer pour qu’ils conservent leur gagne-pain.
R.E. jeudi 11 août 2016 par Alger republicain
* La dette extérieure était un tabou jusqu’en 1989. Le régime qui avait dilapidé les faramineuses rentrées de recettes pétrolières enregistrées de 1980 à 1985, avait endetté le payer au lieu de diminuer celle léguée par la politique d’industrialisation des années 1970. LePAGS était seul à la dénoncer dans ses publications clandestines et à appeler à mettre fin à la gabegie. La veille de l’explosion populaire du 5 octobre 1988 des militants du PAGS furent arrêtés et torturés. « Qui vous a donné les chiffres sur la dette extérieure ? » était une des principales questions que leur posaient entre deux décharges électriques les officiers chargés de superviser l’interrogatoire.