INTRODUCTION : Les analystes politiques brésiliens estiment que la campagne électorale de 2022 a commencé lundi, avec la décision d’un juge de la Cour suprême, qui rend à l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva ses droits politiques.
L’annulation des condamnations de Lula rebat totalement les cartes de la présidentielle de 2022 au Brésil, avec la possibilité d’un duel au sommet entre l’icône de la gauche et le président d’extrême droite Jair Bolsonaro, dans un pays extrêmement polarisé.
Les analystes politiques ne s’y trompent pas : la campagne électorale de 2022 a commencé le 9 mars 2021 avec la décision du juge de la Cour suprême Edson Fachin qui a fait l’effet d’une bombe.
Luiz Inácio Lula da Silva, 75 ans, n’a pas été blanchi des accusations de corruption qui pèsent contre lui, mais cette annulation pour vice de forme lui permet de recouvrer ses droits politiques, même s’il n’est pas à l’abri d’un énième rebondissement judiciaire.
Le président Bolsonaro a admis lui-même avoir été « surpris » par la décision judiciaire, tout en tentant d’afficher une certaine sérénité. « Le Brésil ne voudra pas d’un candidat comme lui en 2022 », a-t-il lancé.
Bolsonaro renforcé
Pourtant, en coulisses, en se gardant bien de le dire tout haut, de nombreux alliés du chef de l’État se frottent les mains.
Ce n’est un secret pour personne qu’au palais présidentiel on espérait que Lula redeviendrait éligible. Cela augmente les chances de victoire (de Bolsonaro) au second tour s’il affronte un candidat de gauche, plutôt qu’un centriste.
Jair Bolsonaro, 65 ans, a été élu en grande partie grâce au fort rejet vis-à-vis de Lula et de son Parti des Travailleurs, qui a gouverné le Brésil pendant 13 ans (2003-2016) et dont l’image a été entachée par des scandales de corruption.
Avec le retour de Lula sur le devant de la scène, le dirigeant d’extrême droite pourrait récupérer une partie de l’électorat qui semblait se détourner de lui à cause de ses nombreux dérapages et de sa gestion chaotique de la pandémie du coronavirus, qui a fait plus de 266 000 morts au Brésil.
Polarisation et radicalisation du discours
Pour Murillo de Aragao, analyste politique du cabinet de consultants Arko Advice, le fait que Lula soit à nouveau éligible va « radicaliser encore plus les discours ».
Bolsonaro peut durcir encore plus le ton et Lula dire qu’il est persécuté, ça ne va que renforcer la polarisation.
Murillo de Aragao, analyste politique du cabinet de consultants Arko Advice
Comme le souligne Eurasia Group, la participation de Lula au scrutin « diminuerait fortement les chances d’un candidat centriste ».
Même si cette polarisation pourrait favoriser Bolsonaro, il aurait tout de même un adversaire de taille, l’ex-président de gauche étant encore un tribun charismatique capable de galvaniser les foules.
Un sondage publié dimanche par l’institut Ipec a révélé que Lula serait le seul capable de battre le président sortant en 2022, 50 % des personnes interrogées se disant prêtes à voter pour lui, contre 38 % pour Bolsonaro.
Macabre prouesse », mais gauche désunie
Dans son éditorial publié mardi, le quotidien Estado de Sao Paulo estime que Jair Bolsonaro a réussi la « macabre prouesse » de remettre Lula en selle en « fuyant ses responsabilités et en se moquant de la santé des Brésiliens ».
Mais la partie est loin d’être gagnée pour Lula, un ancien machiniste, qui doit avant tout « unir la gauche » pour espérer faire front contre Bolsonaro, explique Murillo de Aragao.
« Pour le moment, cette union n’est pas claire », estime cet analyste politique.
Peu après l’annonce de la décision judiciaire qui a favorisé Lula, Ciro Gomes, bouillant candidat du Parti Démocratique Travailliste (centre gauche) arrivé troisième du premier tour de la présidentielle de 2018 avec 12 % des suffrages, a écarté toute possibilité d’une alliance en 2022.
Mais Guilherme Boulos, leader du Parti Socialisme et Liberté (PSOL), qui a créé la surprise avec son très bon score à la municipale de Sao Paulo (même s’il a échoué au second tour), a affirmé lundi qu’un front uni était primordial pour avoir des chances de l’emporter en 2022.
« Si on a quatre ou cinq candidats différents, on risque de ne pas arriver au second tour. Je vais œuvrer pour cette union », a-t-il assuré.
I. Contexte politique, militaire et judiciaire de Bolsonaro
En 2021, plus de 125 millions de brésiliens, soit 58% de la population, se trouvent en situation d’insécurité alimentaire et 20 millions connaissent la faim.
Et SilvioCaccia Bava, dans son article du Monde diplomatique d’octobre : Stratégie de la tension au Brésils’interroge : « Comment la plus grande démocratie d’Amérique latine en est-elle arrivée là ?
C’est que le Président Jair Bolsonaro, élu en 2018, s’en prend au Parlement et au système judicaire. Et le colonel Marcelo Pimentel de pointer le rôle de ce qu’il nomme le « parti militaire » : « un groupe soudé, hiérarchique, discipliné, avec des caractéristiques autoritaires et des prétentions claires au pouvoir politique, dirigé par une poignée de généraux formés dans les années 1970 à l’Académie militaire d’Agulhas Negras- dixit Aiguilles noires.
La manipulation de l’opinion publique par l’équipe de Bolsonaro lors de la campagne électorale de 2018, à grand renfort de fausses nouvelles, est désormais Tribunal électoral supérieur (TSE) a ouvert une enquête qui pourrait conduire à la révocation du chef de l’Etat et de son vice-président, M. Hamilton Mouráo.
Le rapport du TSE sur la diffusion de fausses informations et l’existence de milices numériques d’extrême droite a été transmis à la Cour Suprême, où l’enquête est pilotée par le juge Alexandre de Moraes, devenu l’une des principales cibles des partisans du président.
L’idée que le système de vote électronique, utilisé sans anicroche depuis 1996, va permettre aux adversaires du président de la priver d’une victoire qu’il juge assurée lors de la présidentielle de 2022, alors même que tous les sondages le prédisent perdant. Raison pour laquelle Bolsonaro a exigé un retour au bulletin de vote en papier. Naturellement, il a interprété le refus du Congrès comme la preuve qu’une fraude électorale était en marche. Cette théorie lui vaut une deuxième poursuite pénale.
Le contexte politique et judiciaire pousse l’actuel président à la radicalisation : seul le pouvoir lui permettrait d’éviter la prison où il risque de se retrouver avec une probabilité croissante à mesure que s’accumulent les accusations et poursuites. S’il décidait de décréter l’état de siège pour renverser la table, il pourrait compter sur le soutien des forces de police, de certains secteurs militaires, mais aussi de milices lourdement armées.
Autant rappeler que si les forces armées ne sont pas seules responsables de l’accession au pouvoir de Bolsonaro, elles ont néanmoins joué un rôle clé-Lire Renaud Lambert, « Le Brésil est-il fasciste ? », Le Monde diplomatique, novembre 2018-Leur prise de position la plus significative et efficace a contribué à évincer Luiz Inácio Lula da Silva de la campagne présidentielle de 2018, alors que les sondages le présentaient comme le grand favori.
Selon une étude portant sur les militaires abonnés au compte Twitter du général Villas Bôas, au moins 115 militaires d’active, suivis dans leur ensemble par près de 670000 personnes, ont publié 3427 tweets à caractère politique entre avril 2018 et avril 2020.
Normalement interdits par la discipline militaire, cet activisme de même que la campagne en faveur de Bolsonaro dans les casernes n’ont guère donné lieu à des sanctions.
Et comme le rappelle João Roberto Martins Filho, professeur en sciences sociales à l’Université fédérale de São Carlos, qui vient de coordonner un ouvrage sur l’armée et la crise que traverse le pays, In, Os militares e a crise brasileira, « les militaires poursuivent, depuis au moins une décennie, une stratégie de professionnalisation ».
Il va sans que dire qu’au sein du gouvernement Bolsonaro, la relation des militaires avec le ministre de l’Économie ultralibéral Paulo Guedes est excellente : « en témoignent les privatisations de l’entreprise énergétique Electrobras et des infrastructures de transports.
Et ils sont très favorables à la mise en vente des raffineries de Petrobras et des ressources pétrolières »,rappelle Eduardo Costa Pinto, professeur d’économie à l’Université fédérale de Rio de Janeiro.
Ainsi donc, émerge la possibilité d’un « bolsonarisme sans Bolsonaro », avec lequel devra compter le prochain président, quel qu’il soit.
II.Mesures économiques, dépenses publiques
Un document stratégique publié en 2015 par la formation du nouveau président Michel Temer, qui détaille l’ensemble des mesures à prendre pour « moderniser » le Brésil et doper la rentabilité des entreprises : réforme du code du travail, refonte du système des retraites, privatisations, suppressions des droits sociaux.
Dès le mois de décembre, le néolibéral Temer fait passer l’amendement constitutionnel 95, qui limite l’accroissement des dépenses publiques au niveau de l’inflation de l’année précédente : la mesure condamne le pays à un recul programmé de la protection sociale, à mesure que la population grandit.
III. L’allié Washington
Washington apporte également son concours, à travers l’Agence nationale de sécurité (NSA), dont on sait désormais qu’elle a inspiré la grande opération « anticorruption » surnommée « Lava Jato », destinée à discréditer le PT puis à empêcher la candidature de Luiz Inácio « Lula » da Silva à la présidentielle de 2018, qu’il était sur le point de remporter.
Lire perry Anderson, « Au Brésil, les arcanes d’un coup d’Etat militaire », Le Monde diplomatique, septembre 2019.
IV. L’armée et le rôle des militaires
Le 31 mars, date anniversaire du coup d’Etat militaire de 1964 et de l’instauration d’une dictature qui dura vingt ans, offre traditionnellement l’occasion de le proclamer, à travers le communiqué du ministère de la défense lu dans toutes les casernes du pays.
Cette année, le tout nouveau ministre- son prédécesseur avait été limogé deux jours auparavant par le président d’un remaniement-a ainsi déclaré : « il y a cinquante-sept ans, les forces armés ont assumé la responsabilité de pacifier le pays pour garantir les libertés démocratiques dont nous jouissons aujourd’hui. »
A l’époque, la menace était communiste. Aujourd’hui, c’est au nom de la « lutte contre la corruption » et contre le « délitement des valeurs » que l’armée s’est engagée auxcôtés de Bolsonaro, estime le général de réserve Paulo Chagas, partisan du président.
L’ascension des militaires a été une constante sous les mandats du Parti des travailleurs, le PT, L’ancien président « Lula » (2003-2010) avait choisi de se séparer de son premier ministre de la défense plutôt que de leur tenir tête, et aucun général n’avait été puni pour les critiques-pourtant nourries- sur sa politique, notamment concernant la démarcation des terres indigènes.
Mme Roussef, au pouvoir de 2011 à 2016, a entériné leur participation à des missions de « pacification » des favelas de Rio de janeiro, en particulier lors des opérations de « sécurité » liées à laCoupe du monde de football de 2014 et aux Jeux olympiques de 2016.
La lutte contre la déforestation, dirigée par le général de réserve Mouráo, ne produit aucun résultat et inquiète la communauté internationale.
La gestion de la pandémie assurée pendant près de dix lois par le général d’active Eduardo Pazuello a été un désastre qui a coûté la vie à des centaines de milliers de Brésiliens.
En 2021, la confiance de la population dans l’uniforme a plongé de dix-huit points, alors que l’institution était jusque-là l’une des rares, avec l’Eglise, à bénéficier d’un crédit sans faille.
V. Lula entre l’étau et l’enclume : sondages et une meilleure option pour pacifier le pays
Pour l’heure, les sondages accordent 56% des suffrages au premier tour à Lula, contre 31% pour Bolsonaro. Une partie des classes supérieures semble considérer que la solution d’hier s’est transformée en problème, les conditions n’étant pas réunies pour dégager une troisième voie entre l’ancien militaire et l’ancien syndicaliste.
Lula représente à leurs yeux la meilleure option pour pacifier le pays, à condition qu’il accepte de gouverner sans chercher à reconstruire ce qui a été détruit depuis le coup d’Etat de 2016…D’autres estiment qu’il est urgent de destituer Bolsonaro afin de créer l’espace pour une candidature de droite « respectable ». De fait, aucun nom ne s’impose avec évidence et la clameur du « tout sauf Bolsonaro » monte.
Sources : Le Monde diplomatique, Juin et Octobre2021.
CONCLUSION :
Tantôtmilitaire, tantôt évangéliste, ce triste personnage de Bolsonaro qui a tout fait pour que Lula ne puisse être candidat aux dernières élections est, à mes yeux le personnage prototypique du roman de Mario Vargas Llosa,- Prix Nobel de Littérature, Stockholm, 2010- La guerre de la fin du monde, éditions Folio ou Gallimard,1981, inspiré du roman du romancier brésilien d’Euclides da Cunha : Os sertoes, roman qui dénonce un Brésilen proieà trois fanatismes : le fanatisme religieux, avec « los canudos », mouvement messianique et millénariste,-le fanatisme journalistique avec le personnage du journaliste aveugle,- et enfin le fanatisme politico-militaire. Puisse Bolsonaro s’y reconnaitre.
Mario Vargas Llosa, incarna lors du Boom des années 1960, un espoir révolutionnaire en écrivant des articles progressistes dans une revue brésilienne, hélas aujourd’hui, à l’instar de la bourgeoisie, il n’élève la voix que pour encourager les politiques néolibérales et pour chercher à discréditer le nouveau président élu du Pérou Pedro Castillo.
Mais l’Histoire a un lien indicible, ineffable et imprescriptible avec la Mémoire avec qui elle a pris un rendez-vous à ne pas manquer en octobre 2022. Le Brésil, un pays traversé par le fleuve de l’orinoque, situé dans la forêt amazonienne qui nous fait remonter le temps dans le roman intitulé le partage des eaux du romancier cubain du Boom, Alejo Carpentier. Mais c’est aussi, un pays qui a une frontière avec la Colombie et le Vénézuela et dont se servent les contre-révolutionnaires au processus Chaviste antiimpérialiste. Au fait, comment dit-on : l’Amérique ou les Amériques ? Là est peut-être aussi la question.
Antoine Luci, pôle hispanique, Commission Relations Internationales pour
Manifestation le 3 octobre pour la démission de Bolsonnaro