Dilma Rousseff : «ma destitution est un coup d’Etat»
Brasilia, le 19 mai – Dilma Rousseff, évincée du pouvoir par le Parlement brésilien il y a une semaine, a déclaré lors d’une interview exclusive à RT que sa destitution était un coup d’Etat puisqu’elle n’a pas enfreint la Constitution de son pays.
RT : Vous êtes désormais au palais Alvorada, et d’une certaine façon bannie dans votre propre pays. Comment vous sentez-vous moralement ?
Dilma Rousseff (D.R.) : Je suis assez positive. Je continue de me battre non pas juste pour conserver mon poste de présidente, mais surtout pour la démocratie dans mon pays. Honnêtement, je n’ai pas l’intention de rester cloîtrée dans ma résidence officielle – le palais Alvorada. Je veux me rendre dans beaucoup de villes au Brésil, discuter avec le peuple, rencontrer beaucoup de gens. Cela va me permettre de dire aux Brésiliens, et peut-être même au monde entier, ce qu’il se passe réellement dans ce pays, et que nous allons nous battre contre ce que nous considérons être une tentative de coup d’Etat.
RT : Cela n’est-il pas, dans le fond, un coup d’Etat fantôme, «froid», puisque sans armes ? Selon vous, dans quelle mesure cet acte vous cible personnellement, et dans quelle mesure cible-t-il non seulement le pays, mais aussi ses alliés, notamment les BRICS ?
Il s’agit là d’un coup d’Etat puisque la Constitution n’a pas été enfreinte
D.R.: D’après moi, c’est le processus de destitution, de ma mise à l’écart. La destitution est prévue par la constitution de notre pays uniquement si le Président enfreint la Constitution et ne respecte pas les droits de l’Homme. D’après moi et mes soutiens, il s’agit là d’un coup d’Etat puisque la Constitution n’a pas été enfreinte. Ils me poursuivent en justice pour mes actions, pour des «crédits» supplémentaires accordés au budget, mais tous les présidents avant moi l’ont fait. Ça n’a jamais été un crime et ça n’en devient pas un maintenant. Il n’y a rien qui permette de dire que c’est un crime. Pour parler de crime, il faut que ce terme soit défini par la loi. C’est pourquoi mes soutiens et moi-même considérons que cette destitution est un coup d’Etat dans la mesure où la Constitution précise très clairement les conditions pour destituer le Président : un abus de pouvoir, une violation à la constitution ou aux droits de l’Homme. Les actions prises en compte dans ce procès n’ont strictement rien à voir avec de tels crimes. En outre, le Brésil est une république présidentielle. […] C’est pourquoi le Président ne peut être destitué pour des motivations politiques, en raison du fait que l’on ne fait pas confiance au Président de la République […].
Le gouvernement par intérim actuel ne partage ni notre vision des BRICS ni l’importance que nous accordons à l’Amérique latine
Une initiative a été lancée pour changer de programme politique – qui comprend notamment la sphère sociale et le développement économique – afin de faire face à la crise que le Brésil a connu ces dernières années et adopter un nouveau programme, à l’évidence néo-libéral. Ce programme prévoit, entre autres, la réduction de nos programmes sociaux à leur minimum, selon la doctrine d’«intervention minimale de l’Etat». Une doctrine qui va à l’encontre de toutes les lois brésiliennes sur les services publics, notamment la santé, le droit au logement, l’accès gratuit à une éducation de qualité, le salaire minimum, tout ce qui est garanti aux plus démunis au Brésil. Ils veulent en finir avec ces droits et en même temps ils mènent une politique antinationale – notamment en ce qui concerne les ressources en pétrole du pays. D’importantes réserves de pétrole ont été découvertes au Brésil à 7 000 mètres de profondeur sous des couches antésalifères. Les ministres disaient que l’accès à ces réserves était impossible. Mais aujourd’hui on extrait des millions de barils de pétrole par jour de réserves se trouvant sous des couches antésalifères. Ils ont évidemment dit ça dans le but de changer la législation pour garantir l’accès à ces puits de pétrole à diverses compagnies pétrolières internationales. De plus, en ce qui concerne la politique étrangère, nous – l’ancien président Lula da Silva et moi-même – avons œuvré pour le renforcement des relations avec les autres pays d’Amérique latine, d’Afrique, les BRICS, mais également avec d’autres pays en développement – en plus bien sûr des relations avec les Etats-Unis et l’Europe. Je pense que le groupe des BRICS est l’une des alliances multilatérales les plus importantes du monde de ces 10 dernières années. Mais le gouvernement par intérim actuel ne partage ni notre vision des BRICS ni l’importance que nous accordons à l’Amérique latine. Ils parlent même de fermer nos ambassades dans les pays d’Afrique.
RT : Le nouveau gouvernement du président par intérim, que seuls 2% des Brésiliens soutiennent et qui pourrait être destitué lui-même au vu de certaines informations, est constitué exclusivement d’hommes de race blanche, dans un pays multiculturel, avec des ministres qui font l’objet d’enquêtes pour corruption… Jusqu’à quel point ce gouvernement est-il légal ?
Je ne l’ai pas nommé vice-président ou chef provisoire du gouvernement pour qu’il forme un nouveau gouvernement composé uniquement d’hommes blancs, sans aucune femme ni de personne d’origine africaine
D.R. : Il n’y a aucune légitimité tout d’abord à cause du péché originel qui est le processus de chantage. Le représentant de la Chambre des députés [Eduardo Kuhnia, désormais destitué de ses fonctions], qui a initié ce processus, est accusé de posséder des comptes à l’étranger, de corruption, de blanchiment d’argent. Evidemment, ce processus répand la peste sur la démocratie brésilienne et détruit tout le dispositif gouvernemental que nous avions. Je ne l’ai pas nommé vice-président ou chef provisoire du gouvernement pour qu’il forme un nouveau gouvernement composé uniquement d’hommes blancs, sans aucune femme ni de personne d’origine africaine. […] Une autre caractéristique de ce gouvernement est qu’il adopte une mesure mais la changer le lendemain : étant donné que ce n’est pas un gouvernement qui a été élu par le peuple, il n’a pas de programme législatif. Il n’a pas présenté son programme lors des élections, n’a pas participé aux débats. Ce programme n’a pas été approuvé par la population. C’est pourquoi le gouvernement raconte n’importe quoi. Il dit par exemple qu’il faut détruire toute une partie du système unique de santé publique brésilien. Ce système garantit, selon la constitution de 1988, la gratuité et l’universalité des soins à la population. Le gouvernement provisoire veut réduire l’importance de ce système, en transmettant une partie des services apportés à la population au secteur privé. Le gouvernement crée de tels conflits pour observer la réaction de la société et 24h plus tard change de position. Mais il pourra difficilement cacher que leur tendance, et en général leur but, consiste à adopter un programme aussi néo-libéral que possible face à la situation actuelle au Brésil.
Je suis convaincue qu’une énorme partie de la population brésilienne me soutient
RT : Y a-t-il une chance que vous retrouviez votre poste de présidente du Brésil ?
D.R. : Je vais vous dire la chose suivante : je vais me battre chaque jour, chaque minute, chaque moment de ma vie pour que cela arrive. Et je suis convaincue qu’une énorme partie de la population brésilienne me soutient.
Discours de la présidente Dilma Roussef le 14 mai 2016
Transcription
Bonjour Mesdames et Messieurs les journalistes.
Bonjour Mesdames et Messieurs les députés et ministres.
Bonjour à tous.
Ceci est une déclaration à la presse, donc pas une interview : une déclaration.
Je voulais vous dire, et dire aussi à tous les Brésiliens, que la procédure de déposition à mon encontre a été entamée par le Sénat et qu’elle a ordonné ma suspension pour une durée maximum de 180 jours.
J’ai été élue à la présidence par 54 millions de citoyens brésiliens, et c’est en cette qualité, en qualité de Présidente élue par 54 millions de personnes que je m’adresse à vous en ce moment décisif pour la démocratie brésilienne et pour notre avenir en tant que nation.
Ce qui est en jeu dans cette procédure de destitution n’est pas seulement mon mandat, ce qui est en jeu, c’est le respect des urnes, de la volonté souveraine des Brésiliens et de leur Constitution.
Ce qui est en jeu, ce sont les réalisations de ces treize dernières années, les gains qu’en ont retiré les plus pauvres, mais aussi la classe moyenne. C’est la protection des enfants, l’accès des jeunes aux universités et aux écoles techniques.
C’est la valeur du salaire minimum, ce sont les médecins qui s’occupent de la population. C’est la réalisation du rêve de posséder sa maison avec « Minha Casa, Minha Vida ».
Ce qui est en jeu, c’est aussi la grande découverte antésalifère du Brésil [Gisement Libra, NdT].
Ce qui est en jeu, c’est l’avenir de notre pays, ses possibilités de progresser toujours plus.
Devant la décision du Sénat, je veux une fois encore clarifier les faits et rappeler les risques, pour le pays, d’une destitution frauduleuse, d’un véritable coup d’État.
Depuis le moment où j’ai été élue, l’opposition, mécontente, a réclamé un recomptage des voix, a tenté de faire déclarer l’élection nulle et, n’y ayant pas réussi, a continué à conspirer ouvertement pour obtenir ma destitution.
Ces gens ont plongé le pays dans un état permanent d’instabilité politique, ont tout fait pour empêcher son redressement économique, dans le seul but de s’emparer de force de ce qu’ils n’avaient pu obtenir par les urnes.
Mon gouvernement a été la cible d’un sabotage intense et permanent.
L’objectif évident a été de m’empêcher à tout prix de gouverner et d’ainsi fabriquer la mise en scène propice à un coup d’État.
Quand un président élu est révoqué sur l’imputation de crimes qu’il n’a pas commis, le nom que l’on donne à cela dans le monde démocratique n’est pas « destitution » mais « coup d’État ».
Je n’ai pas commis le crime de responsabilité, il n’y a aucune raison de procéder à une destitution, je n’ai pas de comptes bancaires à l’étranger, je n’ai jamais reçu de pots-de-vin, je n’ai jamais fermé les yeux sur des faits de corruption.
Cette procédure est une procédure caduque, légalement inconsistante, une procédure déloyale entreprise contre une personne honnête et innocente.
La plus grande brutalité qui puisse être commise contre un être humain est de le punir pour un crime qu’il n’a pas commis.
Il n’y a pas de pire injustice que de punir un innocent.
L’injustice est un mal irréparable.
Cette farce légale à laquelle je suis confrontée est la conséquence du fait qu’en qualité de présidente, je n’ai jamais cédé à aucune forme de chantage.
J’ai pu faire des erreurs mais je n’ai jamais commis de délit. Je suis jugée déloyalement pour avoir fait tout ce que la loi m’autorisait à faire.
Mes actions ont été des actions légales, correctes, des actions nécessaires, des actes de gouvernement.
Des actions semblables ont été exécutées avant moi par les autres présidents du Brésil.
Ce n’étaient pas des crimes en leur temps et ce ne sont pas des crimes à présent.
Ils m’accusent d’avoir publié six décrets supplémentaires, six décrets de crédit, et ce faisant d’avoir commis un crime contre la loi budgétaire (LOA).
C’est faux, parce que ces décrets étaient autorisés par la loi.
Ils traitent de crime un acte de gestion quotidien.
Ils m’accusent de retarder les paiements du « Plano Safra » [Emprunt pour le Plan Safra d’agriculture familiale. NdT], c’est faux.
Mes accusateurs ne peuvent même pas dire quel acte contraire aux lois j’ai commis.
Lequel ? Lequel ?
Non, il ne reste rien à payer, il ne reste aucune dette.
Jamais, dans une démocratie, il n’est permis de mettre fin au mandat d’un président élu pour des actes légitimes de gestion d’un budget.
Le Brésil ne peut pas être le premier pays à le faire.
Je voudrais aussi m’adresser à la population entière de mon pays pour lui dire que le coup d’État n’a pas seulement pour but de me révoquer, de destituer un président élu par le vote de 54 millions de Brésiliens, un vote direct, dans une élection non truquée.
En renversant mon gouvernement, ce qu’ils veulent faire en réalité, c’est empêcher l’exécution du programme qu’ont choisi, en votant majoritairement, ces 54 millions de Brésiliens.
Le coup d’État menace de ravager non seulement la démocratie, mais aussi tout ce qu’a accompli cette population au cours des récentes décennies.
Depuis mon accession à la fonction présidentielle, j’ai été la garante zélée de l’État de droit démocratique.
Mon gouvernement n’a pas commis d’actes de répression contre des mouvements sociaux, contre des protestations collectives, contre les manifestants d’aucune appartenance politique.
Le plus grand risque que court ce pays aujourd’hui est d’être dirigé par un gouvernement sans élections.
Un gouvernement qui n’aura pas été directement élu par la population, qui n’aura pas la légitimité qu’il faut pour proposer et mettre en œuvre des solutions aux défis qui se posent au Brésil.
Un gouvernement susceptible de réprimer violemment les manifestations à son encontre.
Un gouvernement né d’un coup d’État.
D’une destitution frauduleuse.
Issue d’une sorte d’élection indirecte.
Un gouvernement qui sera, lui-même, grandement cause de la poursuite de la crise dans notre pays.
C’est pourquoi je vous dis, à vous tous, que je suis fière d’être la première femme élue à la présidence du Brésil.
Oui, je suis fière d’être la première femme élue à la présidence du Brésil.
Pendant ces années, j’ai exercé mon mandat honnêtement, avec dignité, pour honorer les votes que j’ai reçus.
Au nom de ces votes et au nom de tous mes compatriotes, je me battrai avec tous les instruments légaux dont je dispose pour exercer mon mandat jusqu’à son terme du 31 décembre 2018.
Le destin m’a toujours imposé des défis, beaucoup de grands défis, certains m’ont semblé insurmontables, mais j’ai réussi à en venir à bout.
J’ai souffert la douleur indicible de la torture.
La douleur insoutenable de la maladie.
Et maintenant, je souffre à nouveau, la douleur indicible de l’injustice.
Ce qui fait le plus mal en ce moment, c’est l’injustice.
Ce qui fait le plus mal, c’est de me rendre compte que je suis la victime d’une farce légale bassement politicienne.
Mais je ne perds pas courage, je regarde derrière moi et je vois tout ce que nous avons fait.
Je regarde devant moi et je vois tout ce qu’il nous faut encore et que nous pouvons faire.
Le plus important de tout est que je peux me regarder et voir le visage de quelqu’un qui, si le temps l’a marqué, a encore la force de défendre des idées et des droits.
Je me suis battue toute ma vie pour la démocratie.
J’ai appris à faire confiance aux capacités de combativité de notre peuple. J’ai vécu beaucoup de défaites, et j’ai vécu de grandes victoires.
J’avoue que je n’ai jamais imaginé qu’il me faudrait faire face à un coup d’État dans mon pays.
Notre jeune démocratie, faite de luttes, faite de sacrifices et même de morts ne mérite pas cela.
Ces derniers mois, notre peuple est descendu dans les rues. Il est descendu dans les rues parce qu’il voulait davantage de droits, davantage de progrès. C’est pourquoi je suis sûre qu’il saura comment dire non au coup d’État.
Notre peuple est sage et possède une expérience historique.
J’en appelle à tous les Brésiliens opposés à ce coup de force, quelle que soit leur appartenance politique : restez mobilisés, unis et en paix.
La lutte pour la démocratie n’est pas limitée dans le temps.
C’est une lutte sans fin, qui exige une abnégation constante.
La lutte pour la démocratie, je le répète, n’est pas limitée dans le temps.
La bataille contre le coup d’État sera longue, c’est une bataille que nous pouvons et que nous allons gagner.
La victoire dépend de nous tous.
Montrons au monde qu’il y a des millions de gens prêts à soutenir la démocratie dans notre pays.
Je sais, et beaucoup des nôtres savent, notre peuple sait que l’histoire se fait par la lutte.
Et qu’il vaut toujours la peine de se battre pour la démocratie.
La démocratie est du bon côté de l’histoire.
Je n’abandonnerai jamais, je ne renoncerai jamais à la lutte.
Merci beaucoup à tous.
Traduction c.l. pour Les Grosses Orchades
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