Un discours d’Ibrahim Traoré
Les actualités les plus brûlantes et inquiétantes des conflits au Proche-Orient et en Ukraine ne doivent pas nous faire perdre de vue l’enjeu géant que constitue le continent africain où l’agitation anti-impérialiste, ou au moins souverainiste, se développe de tous les côtés. L’avant-garde de ce processus général d’émancipation réelle des peuples africains se trouve actuellement dans les pays alliés de l’AES (Alliance des États du Sahel : Mali, Niger, Burkina Faso) qui, après avoir chassé de leurs territoires les contingents français et étasunien, cherchent leur voie vers la souveraineté pleine et entière, non sans contradictions ni hésitations.
Nous relayons donc ce discours du capitaine Ibrahim Traoré, président du Burkina Faso, au cours duquel sont abordés, dans un style direct qui n’est pas sans rappeler les discours tendant vers le rapport d’activité d’un Fidel Castro ou d’un Thomas Sankara. On arguera peut-être qu’il ne s’agit justement que d’un discours, certes. Mais les points qui y sont abordés sont loin de relever de l’anecdote et leur traitement de la langue de bois !
On citera :
– L’impérialisme, qui est abordé d’emblée, avec un accent particulier sur la dénonciation de l’impérialisme US, même si son avatar français n’est pas oublié ; Ibrahim Traoré montre ainsi que, au-delà de l’ennemi impérialiste français, avec qui l’Afrique de l’Ouest est directement au contact pour des raisons historiques, il comprend qui mène la danse.
– L’annonce de la fin de la diplomatie secrète ; rappelons que ce fut l’un des tout premiers décrets de la Révolution d’Octobre !
– Une évocation très précise des travaux d’infrastructure en cours et à venir, sans cacher les difficultés.
– La suggestion d’une éducation militaire dès l’école et d’une formation militaire pour les travailleurs, autrement dit un possible armement du peuple ! Ce qui, si cela se concrétisait, indiquerait que le gouvernement burkinabé ne craint pas sa propre population. Par ailleurs, la recherche de solutions alternatives à l’emprisonnement est revendiquée.
– Un nouveau Code minier en discussion à l’Assemblée nationale, dans le but explicite de retirer des permis d’exploitation aux entreprises étrangères rétives à l’impôt et au transfert de compétences.
– Les problèmes d’énergie, « sérieux », ne sont pas occultés. Ibrahim Traoré confirme que le partenariat avec d’autres pays pour la construction d’une centrale nucléaire avance bien, et affirme sa volonté que ce projet inclue la formation de personnel local et le transfert de compétences.
– En matière économique, annonce est faite du début de paiement de la dette intérieure. Ceci afin de « soulager le secteur privé », c’est-à-dire régler les impayés de l’État burkinabé envers les entreprises privées locales, et de favoriser la création de petites entreprises. Il faut rappeler que dans les pays du Sahel le travail informel est le plus répandu (jusqu’à 90%), situation dont la résolution est une priorité fondamentale pour structurer des États affaiblis, établir une fiscalité moderne et ainsi amorcer un développement plus endogène.
– Ibrahim Traoré se déclare non satisfait des échanges qu’il a pu avoir avec les différents banquiers du pays, et les presse de revenir à de meilleures et plus patriotiques dispositions, brandissant quasi explicitement la menace d’une nationalisation…
Ces points positifs sont quelque peu assombris par des revendications fréquentes de pouvoir contourner ou passer outre la légalité si la sécurité nationale est en jeu. Il est bien évident que dans un processus de rupture politique radicale, l’ancienne légalité s’avère inadéquate et peut constituer un obstacle permanent aux nouvelles orientations. En ce cas, le plus pertinent reste d’en changer, à travers un plus profond et solide processus révolutionnaire, comme l’Union soviétique qui revendiquait une « légalité socialiste » différente des standards de la légalité bourgeoise, reposant en premier lieu sur le pouvoir des travailleurs, par les travailleurs (ce que la théorie politique a nommé dictature du prolétariat par opposition à la dictature de la classe capitaliste – ndlr)…