L’association québécoise des amis de Cuba n’a pas pu utiliser le service de paiement en ligne Paypal pour acquérir un livre sur Fidel Castro. une preuve s’il en fallait encore que le blocus contre Cuba malgré la campagne de communication médiatique autour de la visite en 2016 d’Obama à Cuba est toujours aussi féroce, frappant l’ensemble de la planète
L’ouvrage Fidel Castro, héros des déshérités est paru en août 2016 en France aux éditions Estrella à l’occasion du 90ème anniversaire du leader de la Révolution cubaine. Préfacé par Ignacio Ramonet, il dresse un portrait de la personnalité latino-américaine la plus importante du XXe siècle en insistant sur les trois facettes qui caractérisent le fils spirituel de José Martí, héros national cubain. Ainsi, Fidel Castro est tout d’abord l’architecte de la souveraineté nationale qui a réalisé le rêve de tous les Cubains d’une patrie indépendante et qui a redonné sa dignité au peuple de l’île. Il est ensuite le réformateur social qui a pris fait et cause pour les humbles et les humiliés en créant une des sociétés les moins injustes du Tiers-Monde. Il est enfin l’internationaliste qui a tendu une main généreuse aux peuples nécessiteux et qui a placé la solidarité et l’intégration au centre de la politique étrangère de Cuba[1].
L’Association québécoise des amis de Cuba (AQAC) a souhaité commander une dizaine d’exemplaires du livre afin de le diffuser au Canada. Pour ce faire, elle a eu recours à Paypal, un service de paiement en ligne dont le siège social se trouve en Californie. A sa surprise, l’ONG canadienne s’est vue refuser l’utilisation de la plateforme pour régler son achat. Dans un courrier du 10 septembre 2016, Paypal a annoncé le rejet de l’opération : « Cette transaction a été refusée car nous avons détecté un risque associé au paiement[2] ».
Deux éléments ont entraîné l’annulation de la transaction, selon les informations fournies par l’entreprise étasunienne : la nature du produit, à savoir dix exemplaires du livre Fidel Castro, héros des déshérités, dont Paypal a exigé une « explication détaillée et complète », ainsi que le mot « Cuba ». En bref, l’AQAC a été victime de l’application extraterritoriale des sanctions économiques étasuniennes contre Cuba[3].
Denis Rémillard, membre de l’AQAC, a fait part de sa surprise : « C’est incroyable. Je leur ai pourtant fourni une explication détaillée mais malgré cela Paypal a annulé la transaction. Les sanctions économiques contre Cuba affectent vraiment tout le monde[4] ».
Cette énième affaire illustre le caractère absurde et illégal des sanctions économiques contre Cuba. Ainsi, une entreprise étasunienne a appliqué de manière extraterritoriale des mesures de rétorsion économiques imposées par Washington à La Havane depuis plus d’un demi-siècle à une association canadienne qui souhaitait acquérir un ouvrage sur Fidel Castro publié en France.
Malgré le rapprochement historique opéré par Barack Obama en décembre 2014, malgré sa visite officielle à Cuba en mars 2016, malgré ses multiples déclarations en faveur de la levée des sanctions économiques qui constituent le principal obstacle au développement de l’île, celles-ci s’appliquent toujours de manière aussi implacable sur la population cubaine et notamment sur ses catégories les plus vulnérables. Elles affectent également le commerce international de Cuba avec le reste du monde en raison de leur caractère extraterritorial. Ainsi, entre avril 2015 et mars 2016, l’imposition de cet état de siège économique a coûté 4,65 milliards de dollars à Cuba. Au total, depuis 1962, les sanctions ont coûté la bagatelle de 125,8 milliards de dollars aux Cubains. Parfois, leur portée s’étend à d’autres nations pour empêcher les citoyens canadiens d’avoir accès… à un livre sur Fidel Castro[5].
[1] Salim Lamrani, Fidel Castro, héros des déshérités, Paris, Editions Estrella, 2016.
[2] Courriel de Paypal du 10 septembre 2016.
[3] Courrier de Paypal à Denis Rémillard, 8 septembre 2016.
[4] Courriel de Denis Rémillard à Salim Lamrani, 10 septembre 2016.
[5] Bruno Rodríguez, « En un año, el bloqueo restó cuatro mil 680 millones de dólares a la economía cubana », Cubadebate, 9 septembre 2016.
Salim Lamrani publie un nouvel ouvrage sur Fidel Castro à l’occasion du 90ème anniversaire du leader historique de la Révolution cubaine. Voici l’interview de l’auteur par Roger Grévoul Président-Fondateur de Cuba Coopération
Roger Grévoul : Pourriez-vous nous raconter la genèse de cet ouvrage ?
Salim Lamrani : Je suis parti d’un constat clair et surprenant. Fidel Castro est un personnage controversé en Occident où il est fortement critiqué. En revanche, il est plébiscité par les peuples d’Amérique latine et du Tiers-monde. Pourquoi ? J’ai essayé de répondre à cette interrogation. En fait, le leader cubain est considéré comme un symbole de la résistance à l’oppression et un défenseur de l’aspiration des pays du Sud à l’indépendance, à la souveraineté et à l’autodétermination. C’est un rebelle mythique qui est entré de son vivant dans le Panthéon des grands libérateurs du continent américain. L’ancien guérillero de la Sierra Maestra a vu son prestige dépasser les frontières continentales pour devenir l’archétype de l’anti-impérialisme du XXe siècle et le vecteur d’un message universel d’émancipation.
RG : Pourquoi l’image de Fidel Castro est-elle si négative en Occident ?
SL : Les médias occidentaux, en raison de certaines crispations idéologiques et d’une condescendance avérée vis-à-vis des peuples du Sud, n’ont pas su saisir l’importance de la figure de Fidel Castro à Cuba, en Amérique latine et dans le Tiers-Monde. Ils en présentent donc une image malheureusement caricaturale. En réalité, depuis José Martí, le héros national cubain, aucun autre personnage n’a symbolisé avec autant de force les aspirations du peuple cubain à la souveraineté nationale, à l’indépendance économique et à la justice sociale.
RG : Que représente Fidel Castro pour les peuples du Sud ?
SL : Fidel Castro est un symbole de fierté, de dignité, de résistance et de loyauté aux principes et son prestige dépasse les frontières de sa terre natale pour rayonner à travers le monde. Le leader historique de la Révolution cubaine a pris les armes en faveur des opprimés et a revendiqué leurs droits à une vie décente. Il convient de rappeler qu’il est issu d’une des familles les plus riches du pays. Néanmoins, il a renoncé à tous ses privilèges de classe pour défendre les sans-voix, abandonnés à leur sort et ignorés par les possédants.
RG : D’où Fidel Castro tient-il sa légitimité ?
SL : Fidel Castro dispose d’une légitimité historique. Il a lutté, armes à la main, contre la sanglante dictature de Fulgencio Batista lors de l’attaque de la caserne Moncada en 1953 et lors de l’insurrection dans la Sierra Maestra de décembre 1956 à décembre 1958. Il a triomphé d’un régime militaire brutal doté d’une puissance de feu impressionnante et soutenu par les Etats-Unis. Dans un contexte d’une hostilité extrême, il a réalisé le rêve de José Martí d’une Cuba indépendante et souveraine et a guidé son peuple sur le chemin de l’émancipation pleine et définitive en opposant une résistance à toute épreuve face aux prétentions hégémoniques de Washington.
RG : Les critiques portent souvent sur la question de la démocratie et des élections à Cuba.
SL : Il convient de rappeler que Fidel Castro dispose également d’une légitimité constitutionnelle. Quoi qu’on puisse penser du système électoral cubain, Fidel Castro a été élu, tous les cinq ans, de 1976 à 2006. Avant cette date, il n’était que simple Premier Ministre et non pas Président de la République. En effet, contrairement à une idée reçue, Cuba a connu pas moins de quatre Présidents de la République depuis 1959 : Manuel Urrutia de janvier 1959 à juillet 1959, Osvaldo Dorticós de juillet 1959 à 1975, Fidel Castro de 1976 à 2006 et Raúl Castro depuis 2006, dont la présidence s’achèvera en 2018 suite à la réforme constitutionnelle limitant le nombre de mandats à deux.
RG : Fidel Castro a-t-il gouverné avec le soutien du peuple ?
SL : Aucun dirigeant ne peut rester à la tête d’un pays pendant trente ans, dans un contexte de guerre larvée avec les Etats-Unis, sans un soutien majoritaire du peuple. Certes, comme dans toute société, il existe des secteurs insatisfaits, critiques et déçus. La Révolution cubaine, étant l’œuvre de femmes et d’hommes, est par définition imparfaite et n’a jamais eu la prétention de s’ériger en exemple. Mais l’immense majorité des Cubains ont un grand respect pour Fidel Castro dont ils n’ont jamais remis en cause les nobles intentions. Les Etats-Unis ont toujours été très lucides à ce sujet. Ainsi, le 6 avril 1960, Lester D. Mallory, sous-secrétaire d’Etat assistant pour les Affaires interaméricaines, rappelait dans un mémorandum à Roy R. Rubottom Jr., alors sous-secrétaire d’Etat pour les Affaires interaméricaines, le prestige du leader cubain : « La majorité des Cubains soutiennent Castro. Il n’y a pas d’opposition politique efficace […]. Le seul moyen possible pour annihiler le soutien interne [au gouvernement] est de provoquer le désenchantement et le découragement par l’insatisfaction économique et la pénurie ». Washington a suivi ce conseil et a fait preuve d’une hostilité acharnée contre les Cubains en imposant des sanctions économiques extrêmement sévères qui durent jusqu’à aujourd’hui. Mais l’entreprise n’a pas été couronnée de succès. En effet, près d’un demi-siècle plus tard, la popularité de Fidel Castro est toujours aussi vive. C’est ce qu’a pu constater Jonathan D. Farrar, alors chef de la diplomatie étasunienne à La Havane qui n’a pas manqué de souligner « l’admiration personnelle significative pour Fidel » de la part des Cubains, rappelant que « ce serait une erreur de sous-estimer […] le soutien dont dispose le gouvernement particulièrement auprès des communautés populaires et des étudiants ».
RG : Quelles sont les principales caractéristiques de Fidel Castro ?
SL : Trois facettes caractérisent le personnage de Fidel Castro. Il est tout d’abord l’architecte de la souveraineté nationale qui a réalisé le rêve de l’Apôtre et héros national José Martí d’une Cuba indépendante et a redonné sa dignité au peuple de l’île. Il est ensuite le réformateur social qui a pris fait et cause pour les humbles et les humiliés en créant une des sociétés les moins injustes du Tiers-Monde. Il est enfin l’internationaliste qui a tendu une main généreuse aux peuples nécessiteux et qui a placé la solidarité et l’intégration au centre de la politique étrangère de Cuba.
Salim Lamrani Fidel Castro, héros des déshérités Paris, Editions Estrella, 2016