Deux poids deux mesures. Pendant que les principaux médias français n’en finissent pas de faire leur gros titre sur la crise économique au Venezuela – provoquée principalement par l’effondrement des cours du pétrole – force est de constater leur silence totale sur la famine qui frappe en Colombie. C’est que la Colombie est l’un des principaux pays alliés des USA dans la région. Un pays chantre de l’ultra libéralisme et de la répression armée du peuple. Bref un pays qui répond aux normes d’une « démocratie » acceptable pour l’oligarchie, bien sûr selon les normes de la classe capitaliste.
Un enfant qui meurt de faim aujourd’hui est un enfant assassiné – Jean Ziegler
Colombie : On ne peut pas cacher le soleil avec un doigt
La crise humanitaire dans La Guajira n’est pas due à la fatalité, mais à l’incurie de l’État
Les Wayúu sont le principal peuple aborigène de Colombie, où ils sont environ 300 000, et du Venezuela, où ils sont environ 500 000. Ils sont les principaux survivants du génocide des Arawaks commis par les « conquérants » dans toute la Caraïbe et dans le nord de l’Amérique du sud. Ils vivent dans La Guajira, à l’extrême-nord de la Colombie, une région livrée à l’exploitation des ressources (charbon, pétrole, gaz, eau) par les multinationales prédatrices. Depuis plusieurs années, les Wayúu souffrent d’une famine et d’un manque d’eau potable qui ont provoqué la mort d’au moins 15 000 personnes, en grande partie des enfants. L’auteure de cet article est leur représentante juridique auprès de la Commission interaméricaine des droits humains.-FG, Tlaxcala
Qu’on ne nous raconte pas d’histoires : l’intérêt pour la Guajira et la population Wayúu s’est réveillé quand le gouvernement colombien a su qu’une demande de mesures de protection avait été déposée devant la Commission Interaméricaine de Droits de l’Homme.
Une crise humanitaire comme celle que traverse actuellement la population Wayúu n’est pas quelque chose qui arrive du jour au lendemain, il faut pour cela des années d’oubli et d’abandon de la part de l’État. Où était l’État quant sont apparus les premiers signes de dénutrition dans la population infantile ? Où était l’État quand les enfants ont commencé à mourir à cause de la dénutrition ou de causes qui lui sont associées ? Où était l’État quand les enfants ont commencé à passer leur journée avec un verre de chicha* pour seule nourriture ? Où était l’État tandis que les ressources destinées aux enfants et adolescents Wayúu étaient utilisées ailleurs ? Où était l’État quand que cette population se voyait dépossédée de son fleuve Ranchería, le plus grand fournisseur d’eau de la région ?
Au jour d’aujourd’hui, les dégâts provoqués par cet abandon sont irréversibles pour les survivants à cette crise et sont irréparables pour ceux qui ont vu mourir leurs êtres chers pour des causes qui auraient pu parfaitement être évitées. Devoir enterrer pendant des années des bébés, des enfants et des adolescents qui meurent de dénutrition, cela ressemble plus à un film d’horreur qu’au réalisme tragique d’un département où les investissements publics et les redevances se chiffrent par millions. Mais l’explication officielle répétitive à cette situation ne cesse d’être attribuée à la sécheresse, pour ne pas mentionner la responsabilité que le gouvernement prétend imputer a ces communautés, sans tenir compte que face à l’incurie de l’État, ce sont celles-ci qui ont dû faire appel à la CIDH pour la protection de leurs droits.
Il est plus que déplorable qu’une instance internationale doive demander à un État comme celui de Colombie, qui s’autodésigne comme « État social de droit », qu’il préserve la vie et l’intégrité personnelle de ses mineurs et, pourtant, même ainsi, des enfants et adolescents continuent de mourir pour la même cause évitable : la dénutrition.
La crise des Wayúu a eu un tel impact qu’elle s’est transformée en objet de focalisation de l’aide humanitaire pour lequel on effectue des collectes, es voyages pour acheminer de l’eau, des brigades volontaires de santé, on réceptionne de dons dans les centres commerciaux et les supermarchés, c’est-à-dire, une infinité d’actions concrètes destinées à atténuer les difficultés, mais, on oublie qu’il s’agit d’une population à laquelle l’État, de par la Constitution, doit garantir le droit à la vie, à la dignité humaine, à la santé, au bon nom… tout ce qui leur est nié aujourd’hui et produit tant de malheur. On avait toutes les infrastructures et ressources nécessaires pour s’occuper de cette population ; la crise qu’elle souffre n’est pas le produit d’une catastrophe naturelle qui a laissé un peuple plongé dans la misère, elle est la conséquence d’un abandon dont le seul responsable est l’État, c’est de lui que nous devons aujourd’hui exiger l’accomplissement de l’obligation de garantie et de protection des droits qu’il a vis-à-vis de cette population.
La décision historique de la CIDH qui a protégé les droits de la communauté Wayúu, est une bonne occasion pour que l’État agisse, garantisse et protège leurs droits comme cela lui incombe. Justifier la crise humanitaire n’occulte pas une responsabilité évidente : on ne peut pas cacher le soleil avec un doigt et encore moins dans La Guajira. Nous avons besoin d’actions, d’une intervention ferme au-delà des rapports, des chiffres, des photos et des nouvelles hypothétiquement encourageantes qui sont loin de la réalité qu’on vit dans les fermes, où il n’y a toujours pas une goutte d’eau, il n’y a pas d’aliments, il n’y a pas d’accès au système de santé, il n’y a pas de dignité humaine et dans ces conditions, la violation des droits continue de manière systématique et permanente, comme si la constitution était devenue trop grande pour la Colombie.
Ainsi, le peuple Wayúu est toujours dans une grave situation d’urgence, puisque la vie et l’intégrité personnelle de ses membres continuent à courir un risque permanent qui, semaine après semaine, est confirmé par les décès de mineurs. Il n’est donc pas opportun que le gouvernement sollicite une révocation des mesures de protection ordonnées par l’instance internationale ; au contraire, il est nécessaire non seulement que celles-ci soient maintenues, mais qu’elles se concrétisent pour la totalité de la population qui doit en bénéficier.
Maintenant, la protection de l’enfance et de l’adolescence au niveau local et international devient pour l’État une obligation inéluctable qui fait partie des minimums requis à un moment historique où on parle tant de paix, une paix qui ne doit pas être une pure formalité, mais une réalité. Et cela paraît tellement contradictoire et ironique d’affirmer que nous nous rapprochons de la paix tant désirée dans un pays où des parents enterrent leurs enfants dénutris par manque d’eau, de nourriture et d’accès au système de santé ; Et cela dans une région où se trouve une des plus grandes mines de charbon à ciel ouvert du monde ((El Cerrejón). Quel paradoxe !
Nous avons besoin de preuves réelles et définitives de la volonté d’assistance et non de solutions transitoires, qu’il existe une correspondance entre les chiffres des investissements, les rapports, les photos, les jolis slogans du gouvernement et la réelle situation de la population Wayúu. Nous attendons le moment où les communautés indigènes pourront jouir de leurs droits et qu’elles puissent passer de l’assistanat dans lequel elles ont été plongées à l’autonomie qu’elles revendiquent. Mais pour l’obtenir il faut un engagement authentique, pas simplement en répondant aux injonctions d’une instance internationale, mais pour montrer un intérêt à la garantie de droits conformément aux obligations découlant des normes locales et internationales auxquelles l’État colombien est partie.
Foin du politiquement correct, place aux exigences constitutionnelles.
Carolina Sáchica Moreno
NdE
La chicha, ak’a en quechua, est une boisson andine que l’on trouve notamment en Équateur, Pérou, Bolivie, Venezuela, et en Colombie. Elle est préparée à base de maïs, d’arachide (mani) ou de manioc (yuca) auxquels on ajoute des fruits. La fermentation peut durer de quelques jours à deux mois . La chicha peut alors être très suave (peu d’alcool) ou très forte. Le terme « chicha » définit également des boissons réalisées à partir des mêmes végétaux, mais non fermentés.
Traduit par Jupiter Ossaba