Au moment où les médias occidentaux hurlent à l’hallali contre la Russie qui aurait empoisonné l’opposant Alexeï Navalny, ils font silence – comme il se doit dans la propagande médiatique éhontée à laquelle nous sommes soumis – sur la mort suspecte du philosophe, romancier, réalisateur et journaliste d’investigation pro-soviétique, André Vltchek décédé brutalement en Turquie ce 22 septembre. Il revenait en auto des bords de la Mer Noire vers Istanbul. En arrivant, son épouse n’a pas pu le réveiller. La police turque a déclaré sa mort « suspecte ». Son corps a été transporté à l’hôpital pour des analyses médico-légales.
André Vltchek avait couvert de nombreuses zones de conflits dans le monde et dénoncé les épouvantables atrocités commises par les « démocraties occidentales », au Vietnam, en Afghanistan et ailleurs. Il a toujours été au plus près des opprimés, des miséreux, de tous ceux que l’Occident écrasent sous son talon de fer, qu’ils soient à Bornéo où les grandes entreprises capitalistes détruisent à la fois la Terre et les hommes, à Cuba, au Venezuela, en Syrie, ces pays qui refusent de céder à la force brutale d’un monde occidental imbu de lui-même, et tellement désireux de contrôler le reste de la planète, qu’il mène partout une véritable politique exterminatrice ! André a dénoncé sans relâche « les mensonges de l’Empire »[i], les « révolutions de couleur », les « printemps » qui ici et là, sous prétexte de « droits de l’homme », sont en réalité téléguidés par les États-Unis et leurs acolytes occidentaux, désireux d’étendre partout leur emprise, quittes à fomenter partout de nouvelles guerres – civiles ou pas – tant ils méprisent la valeur de la vie humaine. Il écrivait à ce sujet en juin 2018 : « La paix, c’est quand les intérêts commerciaux de l’Occident ne sont pas menacés, même si des dizaines de millions d’êtres humains non blancs disparaissent au cours du processus. La paix, c’est lorsque l’Occident peut contrôler le monde politiquement, économiquement, idéologiquement et « culturellement » sans rencontrer d’opposition. »
Dans le texte qui suit, l’un des derniers, qui date de juin 2020, André Vltchek, qui s’intéressait de près à l’évolution de la politique chinoise, met en garde les jeunes de Hong Kong qui n’ont peut-être pas conscience de tout ce que la Chine – comme l’ex Union soviétique de sa jeunesse – a à leur offrir. Il a raison, « la patrie n’est pas à vendre », comme le disaient les Cubains. La justice et la dignité valent beaucoup plus que le profit. Ces idées sont depuis longtemps présentées en Occident comme obsolètes. Il est temps de les remettre au goût du jour. André n’est plus, mais en plagiant Aragon, on pourrait dire : « Il meurt mais l’URSS demeure ».
Gilda Landini-Guibert pour www.initiative-Communiste.fr
Comment nous avons vendu l’Union soviétique et la Tchécoslovaquie pour des sacs de courses en plastique
traduit du site https://orinocotribune.com/how-we-sold-soviet-union-and-czechoslovakia-for-plastic-shopping-bags-message-to-honk-kong-readers/20 juin 2020.
André VLTCHEK
Ça fait des mois que j’ai envie de partager une histoire avec les jeunes lecteurs de Hong Kong. Aujourd’hui, il semble que ce soit le moment le plus approprié alors que la bataille idéologique entre l’Occident et la Chine fait rage et que, par conséquent, Hong Kong et le monde entier en souffrent.
Je tiens à dire que rien de tout cela n’est nouveau, que l’Occident a déjà déstabilisé tant de pays et de territoires, a fait subir un lavage de cerveau à des dizaines de millions de jeunes.
Je le sais, parce que dans le passé, j’étais l’un d’entre eux. Si je ne l’étais pas, il serait impossible de comprendre ce qui se passe actuellement à Hong Kong.
Je suis né à Leningrad, une belle ville de l’Union soviétique. Aujourd’hui, elle s’appelle Saint-Pétersbourg, et le pays est la Russie. Maman est moitié russe, moitié chinoise, artiste et architecte. Mon enfance a été partagée entre Leningrad et Pilsen, une ville industrielle connue pour sa bière, à l’extrémité occidentale de ce qui était autrefois la Tchécoslovaquie. Mon père était un scientifique nucléaire.
Les deux villes étaient différentes. Toutes deux représentaient quelque chose d’essentiel dans la planification communiste, un système que les propagandistes occidentaux vous ont appris à haïr.
Leningrad est l’une des villes les plus étonnantes du monde, avec certains des plus grands musées, des théâtres d’opéra et de ballet, des espaces publics. Autrefois, c’était la capitale de la Russie.
Plzen est minuscule, avec seulement 180 000 habitants. Mais quand j’étais enfant, elle comptait plusieurs excellentes bibliothèques, des cinémas d’art et d’essai, un opéra, des théâtres d’avant-garde, des galeries d’art, un zoo de recherche, avec des choses qui ne pouvaient pas être, comme je l’ai réalisé plus tard ( lorsqu’il était trop tard), trouvées même dans les villes américaines d’un million d’habitants.
Les deux villes, une grande et une petite, disposaient d’excellents transports publics, de vastes parcs et de forêts à sa périphérie, ainsi que d’élégants cafés. Pilsen disposait d’innombrables installations de tennis, de stades de football, et même de terrains de badminton, gratuits.
La vie était belle, elle avait un sens. Elle était riche. Pas riche en termes d’argent, mais riche sur le plan culturel, intellectuel et de la santé. Être jeune était amusant, avec des connaissances gratuites et facilement accessibles, avec la culture à tous les coins de rue, et des sports pour tous. Le rythme était lent : il y avait beaucoup de temps pour réfléchir, apprendre, analyser.
Mais c’était aussi l’apogée de la guerre froide.
Nous étions jeunes, rebelles et faciles à manipuler. Nous n’étions jamais satisfaits de ce qu’on nous donnait. Nous prenions tout pour acquis. La nuit, nous étions collés à nos récepteurs radio, écoutant la BBC, Voice of America, Radio Free Europe et d’autres services de diffusion visant à discréditer le socialisme et tous les pays qui luttaient contre l’impérialisme occidental.
Les conglomérats industriels socialistes tchèques construisaient, en solidarité, des usines entières, de l’acier aux sucreries, en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. Mais nous n’y voyions aucune gloire, car les organes de propagande occidentaux ridiculisaient tout simplement de telles entreprises.
Affiche soviétique, 1928. « Plutôt que de gronder et de battre les enfants, il vaut mieux leur acheter des livres. » https://t.co/nCilqdNLat
— 🇫🇷🏳️🌈🚩🦺 Militant au PRCF 35 (@nainssoumis) September 25, 2020
Nos cinémas montraient des chefs-d’œuvre du cinéma italien, français, soviétique, japonais. Mais on nous a dit d’exiger de la camelote en provenance des États-Unis.
L’offre musicale était excellente, du direct à l’enregistrement. En fait, presque toute la musique était disponible, bien qu’avec un certain retard, dans les magasins locaux ou même sur scène. Ce qui n’était pas vendu dans nos magasins était de la camelote nihiliste. Mais c’était précisément ce qu’on nous disait de désirer. Et nous l’avons désiré, et nous l’avons copié avec un respect religieux, sur nos magnétophones. Si quelque chose n’était pas disponible, les médias occidentaux criaient que c’était une violation flagrante de la liberté d’expression.
Ils savaient, et ils savent encore aujourd’hui, comment manipuler les jeunes cerveaux.
À un moment donné, nous nous sommes transformés en jeunes pessimistes, critiquant tout dans nos pays, sans comparaison, sans même un tout petit peu d’objectivité.
Cela vous semble familier ?
On nous disait, et nous le répétions : tout était mauvais en Union soviétique ou en Tchécoslovaquie. Tout à l’Ouest était génial. Oui, c’était comme une religion fondamentaliste ou une folie de masse. Presque personne n’était à l’abri. En fait, nous étions infectés, nous étions malades, transformés en idiots.
Nous utilisions les installations publiques, socialistes, des bibliothèques aux théâtres, en passant par les cafés subventionnés, pour glorifier l’Occident et salir nos propres nations. C’est ainsi que nous avons été endoctrinés, par les stations de radio et de télévision occidentales, et par des publications introduites clandestinement dans les pays.
À cette époque, les sacs à provisions en plastique de l’Occident sont devenus les symboles du statut social ! Vous savez, ces sacs que l’on trouve dans certains supermarchés ou grands magasins bon marché. [ndlr lire également ce témoignage ici]
Quand j’y pense, quelques décennies plus tard, j’ai du mal à y croire : de jeunes garçons et filles éduqués, marchant fièrement dans les rues, exhibant des sacs à provisions en plastique bon marché, pour lesquels ils ont payé une somme d’argent importante. Parce qu’ils venaient de l’Ouest. Parce qu’ils symbolisaient le consumérisme ! Parce qu’on nous disait que le consumérisme est bon.
On nous disait que nous devions désirer la liberté. Une liberté à l’occidentale.
On nous disait qu’il fallait « lutter pour la liberté ».
À bien des égards, nous étions beaucoup plus libres que l’Occident. Je m’en suis rendu compte quand je suis arrivé à New York et que j’ai vu à quel point les enfants de mon âge étaient mal éduqués, à quel point leur connaissance du monde était superficielle. Comme il y avait peu de culture dans les villes nord-américaines de taille moyenne.
Nous voulions, nous exigions des jeans de marque. Au centre de nos disques, nous désirions des labels de musique occidentale. Il ne s’agissait pas de l’essence ou du message. C’était la forme qui primait sur le fond.
Notre nourriture était plus savoureuse, produite de manière écologique. Mais nous voulions des emballages occidentaux colorés. Nous exigions des produits chimiques.
Nous étions constamment en colère, agités, conflictuels. Nous mettions nos familles en colère.
Nous étions jeunes, mais nous nous sentions vieux.
J’ai publié mon premier recueil de poésie, puis je suis parti, j’ai claqué la porte derrière moi, je suis allé à New York.
Et peu après, je me suis rendu compte que j’avais été dupé !
Voici une version très simplifiée de mon histoire. L’espace est limité.
Mais je suis heureux de pouvoir la partager avec mes lecteurs de Hong Kong, et bien sûr, avec mes jeunes lecteurs de toute la Chine.
Deux merveilleux pays qui étaient ma maison ont été trahis, littéralement vendus pour rien, pour des paires de jeans de marque et des sacs de courses en plastique.
L’Occident a fait la fête ! Des mois après l’effondrement du système socialiste, les deux pays ont littéralement été dépouillés de tout par les entreprises occidentales. Les gens ont perdu leur maison et leur emploi, et l’internationalisme a été découragé. De fières entreprises socialistes ont été privatisées et, dans de nombreux cas, liquidées. Les théâtres et les cinémas d’art et d’essai ont été transformés en marchés de vêtements d’occasion bon marché.
En Russie, l’espérance de vie est tombée au niveau de celle des pays africains subsahariens.
La Tchécoslovaquie a été divisée en deux parties.
Aujourd’hui, des décennies plus tard, la Russie et la Tchécoslovaquie sont à nouveau riches. La Russie possède de nombreux éléments d’un système socialiste à planification centrale.
Mais mes deux pays me manquent, tels qu’ils étaient autrefois, et tous les sondages montrent qu’ils manquent aussi à la majorité des gens qui y vivent. Je me sens également coupable, jour et nuit, de m’être laissé endoctriner, manipuler et, d’une certaine manière, d’avoir trahi.
Après avoir vu le monde, je comprends que ce qui est arrivé à l’Union soviétique et à la Tchécoslovaquie est également arrivé à de nombreuses autres régions du monde.
Et en ce moment, l’Occident vise la Chine, en utilisant Hong Kong.
Chaque fois que je me rends en Chine, chaque fois que je me rends à Hong Kong, je ne cesse de répéter : s’il vous plaît, ne suivez pas notre terrible exemple. Défendez votre nation ! Ne la vendez pas, métaphoriquement, pour quelques sales sacs à provisions en plastique. Ne faites pas quelque chose que vous regretteriez pour le reste de votre vie !
[i] « Sur tous les continents, des médias et des universitaires serviles usent de tout leur pouvoir pour garantir qu’une seule version des faits soit autorisée à pénétrer le cerveau de milliards d’individus ». André VLTCHEK. « Les mensonges de l’Empire : Comment lutter contre la propagande occidentale », 16 mai 2015.
illustration par www.initiative-communiste.fr