Le durcissement autoritaire du régime sud-coréen se poursuit. L’association d’amitié franco-coréenne AAFC alerte ainsi sur l’interdiction d’un livre de l’Américaine Shin Eun-mi et son expulsion de Corée du Sud, ainsi que le retour progressif aux lois autoritaires du régime d’avant 1987. Dans le même temps, le principal parti d’opposition est interdit.
Personne ne s’étonnera que ces informations inquiétantes ne soient ni diffusées ni commentés par les principaux médias occidentaux « libres ». Une fois de plus apparait de façon éclatante que liberté et des « droits de l’homme » ne sont pas du tout la priorité des impérialismes capitalistes.
Le 10 janvier 2015, l’Américaine Shin Eun-mi a été expulsée de la République de Corée (Corée du Sud) et interdite de séjour dans le pays pendant cinq ans, suite à une décision prise par le service sud-coréen de l’immigration, sur une requête du ministère de la Justice. Mme Shin, qui a voyagé trois fois en République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) en 2011 et 2012, est accusée d’avoir tenu, lors d’une conférence, des propos violant la loi de sécurité nationale (LSN). Le 7 janvier 2015, le ministère sud-coréen de la Culture, des Sports et du Tourisme a exigé le retrait des librairies et autres lieux publics, d’ici la fin du mois, du livre de Shin Eun-mi faisant le récit de ses voyages en RPD de Corée. Cette mesure d’urgence a été prise dans le cadre d’une enquête en cours quant à la conformité à la LSN d’Une Coréenne Américaine d’âge moyen va en Corée du Nord. En 2013, ce livre avait pourtant bénéficié d’une large diffusion en République de Corée, avec l’appui des pouvoirs publics, après avoir été qualifié d’ « excellent ouvrage de littérature » par la Fondation culturelle du livre. L’Association d’amitié franco-coréenne (AAFC) condamne cette nouvelle violation de la liberté d’expression qui a touché, cette fois, une citoyenne américaine, et soulevé des critiques publiques du département d’Etat américain, en dépit de l’alliance politico-militaire entre Washington et Séoul. L’AAFC exhorte les opinions publiques et l’ensemble des gouvernements occidentaux à ne plus se taire face aux atteintes de plus en plus graves aux libertés publiques qui sont commises en Corée du Sud depuis l’élection à la présidence de la République, en décembre 2012, de Mme Park Geun-hye.
Couverture de l’ouvrage de Shin Eun-mi, « Une Coréenne Américaine d’âge moyen va en Corée du Nord », naguère un ouvrage de référence en Corée du Sud, aujourd’hui mis à l’index par la censure
L’expulsion et l’interdiction de séjour de Mme Shin Eun-mi signe une nouvelle page tragique dans l’histoire des libertés publiques en Corée du Sud.
Mme Shin est accusée par le ministère sud-coréen de la Justice d’avoir fait « l’éloge » de la RPD de Corée lors d’une récente conférence-débat, dont l’une des co-organisatrices, Mme Hwang Seon, a par ailleurs été placée sous mandat d’arrêt, pour avoir loué, encouragé et aidé l’ennemi en contradiction avec la loi de sécurité nationale, au regard des propos qu’elle aurait tenus pendant la conférence. Le Parquet entend également interroger, dès son retour de l’étranger, Mme Lim Soo-kyung, députée du Parti progressiste unifié (PPU) récemment déchue de son mandat, suite à l’interdiction du PPU qui a soulevé une vague d’indignation parmi les organisations de défense des droits de l’homme. Mme Hwang Seon était porte-parole du PPU, ce qui inscrit cette nouvelle vague de répression dans le cadre en cours contre le PPU et ses dirigeants.Le retrait de l’ouvrage de Mme Shin sur ses voyages au Nord de la Corée, qui a perdu son label d’ouvrage recommandé par les autorités sud-coréennes, a soulevé la stupeur dans les milieux professionnels. Après avoir reçu l’ordre gouvernemental le 14 janvier 2015, l’employé d’une bibliothèque de Séoul, cité par le quotidien Hankyoreh, a déclaré : « Nous avons été gênés quand le ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme nous a soudain demandé de leur renvoyer le livre. » Un représentant du ministère a déclaré : « Nous avons décidé de rappeler le livre dès lors que sa désignation comme un excellent ouvrage de littérature avait été révoquée. Si les bibliothèques avaient continué de proposer cet ouvrage, cela aurait créé une confusion ou une incompréhension inutiles. » Au-delà de la douteuse pratique d’interdire l’expression de certaines opinions, il semble donc ne plus avoir de demi-mesure entre un ouvrage recommandé et un ouvrage interdit : en d’autres termes, si les autorités sud-coréennes vont au bout de leur logique, elles s’arrogent le droit d’interdire tout livre qui n’a pas ou plus leur imprimatur, sans autre forme de procès. La liberté d’expression est tombée à son plus bas niveau en Corée du Sud depuis l’époque révolue du régime miltaire, il y a une génération.
Dans un article publié le 12 janvier 2015 sur le site Sino NK, Steven Denney a cité un entretien donné par Shin Eun-mi au site de jounalisme participatif Ohmynews, très populaire en Corée du Sud : il en ressort une vision optimiste de la Corée du Nord, considérant que les Coréens forment un seul peuple, engagée en faveur de la réunification. Cette appréciation peut être qualifiée de « naïve » selon Steven Denney mais, toujours d’après ce dernier, elle ne constitue en aucun cas une quelconque menace à la sécurité nationale sud-coréenne, alors que Shin Eun-mi peut estimer à juste titre avoir été trahie par les autorités sud-coréennes qui, jusqu’à présent, recommandaient le récit de ses voyages en Corée du Nord :
« [Cet entretien] suggère également qu’elle a le sentiment justifié que, d’une certaine manière, le gouvernement sud-coréen l’a trahie ; en d’autres termes, elle apparaît difficilement comme une vraie menace à la sécurité nationale. »
Mais de quel crime Shin Eun-mi s’est-elle rendue coupable ? Alors que les médias publics et conservateurs sud-coréens se gardent de détailler le contenu des propos reprochés à Mme Shin durant une conférence publique à Séoul en novembre 2014, en se contentant ainsi de souligner les motifs infâmants de l’administration sud-coréenne selon laquelle elle aurait enfreint la loi de sécurité nationale en louant la RPD de Corée, l’agence américaine AP observe que Shin Eun-mi a fait état de la volonté de défecteurs nord-coréens de retourner au Nord (ce que, du reste, au moins des centaines d’entre eux ont déjà fait) et de leurs espoirs de changements après l’accession au pouvoir du Maréchal Kim Jong-un. Mme Shin a aussi loué le goût de la bière nord-coréenne et la propreté des fleuves en Corée du Nord.
Une expulsion assortie d’une interdiction du territoire sud-coréen suivant de tels motifs a soulevé, une fois n’est pas coutume, des critiques ouvertes du département d’Etat américain, malgré l’étroite relation alliance politico-militaire entre Washington et Séoul. Mme Jen Psaki, porte-parole du département d’Etat, a ainsi déclaré à la presse :
« Nous sommes préoccupés que la loi de sécurité nationale, telle qu’elle est interprétée et appliquée dans certains cas, limite la liberté d’expression et restreigne l’accès à Internet. »
Signe de l’intolérance croissante en Corée du Sud, en décembre 2014 un jeune sud-coréen de 18 ans avait jeté une bombe artisanale lors d’une conférence de Mme Shin Eun-mi, blessant deux personnes.
Sumit Galhotra, du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), a souligné dans une étude approfondie que la mesure d’exception prise à l’encontre de Mme Shin s’inscrit dans un contexte de menaces croissantes vis-à-vis des journalistes de la part du pouvoir présidentiel, qui apparaît ainsi comme étant directement à l’origine des atteintes de plus en plus fortes à la liberté d’expression – ce qui soulève, de fait, des interrogations sur l’indépendance de la justice sud-coréenne. Après un article publié le 28 novembre 2014 dans le quotidien sud-coréen Segye Ilbo, des conseillers de la présidence mis en cause ont intenté une action en diffamation. En octobre 2014, des poursuites ont aussi été engagées à l’encontre de Tatsuya Kato, chef du bureau à Séoul du quotidien japonais Sankei Shimbun, au motif qu’il aurait propagé des rumeurs sur l’absence de la Présidente Park Geun-hye pendant sept heures après le dramatique naufrage du Sewol, en avril 2014, dont la gestion de crise a par ailleurs donné lieu à des mouvements de protestation diffamés par les autorités sud-coréennes. Le procès de M. Kato a commencé fin novembre, et son interdiction de voyager, prise en août 2014, a été prolongée depuis cette date.
La Corée du Sud veut « rétablir » une « identité nationale » fondée sur l’ordre, l’autorité et le respect du leader
La République de Corée (du Sud) poursuit sa dérive autoritaire : prétextant l’interdiction du Parti progressiste unifié, selon une procédure contraire aux standards démocratiques internationaux qu’elles ont elles-mêmes initiée, les autorités du pays préparent l’adoption d’un nouvel arsenal sécuritaire pour réprimer l’opposition de gauche – y compris par un élargissement des dispositions de la loi de sécurité nationale (LSN). La LSN est un legs des régimes autoritaires, maintenue après le rétablissement d’un régime parlementaire suite au mouvement démocratique de 1987. Le renforcement de la LSN est un symbole puissant, puisqu’avant même le retour récent, à Séoul, aux méthodes du passé, la LSN avait toujours été considérée par les organisations de défense des droits de l’homme, comme par le Département d’Etat américain, comme un des obstacles majeurs à un régime pleinement démocratique. Revue de détail de ce qui se prépare à présent au Sud du 38e parallèle, dans des références apparemment explicites pour de nombreux observateurs occidentaux mais qui s’inscrivent plus sûrement dans une tradition politique sud-coréenne dont Mme Park Geun-hye se place comme l’héritière.
Manifestation aux chandelles à Séoul, le 19 décembre 2014, à l’appel d’organisations sociales et syndicales, pour protester contre la Présidente Mme Park Geun-hye et l’interdiction du Parti progressiste unifié
Les nouvelles mesures politiques envisagées, et leur contenu idéologique, ont été présentés dans un rapport du ministère de la Justice le 21 janvier 2015 au siège de la présidence sud-coréenne, et devant huit agences publiques, suite à la demande de la Présidente Mme Park Geun-hye d’assurer le respect des « valeurs constitutionnelles » et « l’application stricte de la loi« .
Dans la poursuite de leur acharnement judiciaire contre les membres du Parti progressiste unifié, les autorités sud-coréennes prévoient désormais la « possibilité préventive » (sic) de bloquer les activités ou d’empêcher la formation de groupes reconnus par les tribunaux comme « aidant l’ennemi » ou « anti-Etat« . Après les mesures répressives a posteriori, il s’agit maintenant d’empêcher en amont l’expression d’opinions d’opposition. Plus précisément, il s’agirait manifestement d’empêcher les anciens membres du PPU de se réorganiser sous une forme ou une autre, en violation manifeste des règles de base inhérentes à la liberté d’association et à la liberté d’expression. Rappelons en outre que, quand des pays démocratiques occidentaux interdisent une formation politique, c’est au regard de son recours à des procédés extra-légaux (qui restent à démontrer dans le cas du PPU), et que ces mesures exceptionnelles ne privent jamais les anciens membres de ces partis de tout moyen d’action politique dans un cadre légal. La loi de sécurité nationale pourrait ainsi être amendée pour prévoir le cas où des organisations interdites ne respecteraient pas l’ordre de dissolution.
Le contrôle accru des activités dites « pro-Corée du Nord » passerait par une surveillance plus étroite d’Internet et des pouvoirs renforcés de contrôle des forces de sécurité, parallèlement à une augmentation du nombre de fonctionnaires.
Dans un glissement sémantique significatif de la « sécurité nationale » à « l’établissement » d’une « identité nationale« , selon les termes mêmes du ministère de la Justice, l’arsenal sécuritaire serait complété par une formation des fonctionnaires aux valeurs qu’ils doivent servir.
Après avoir entendu ce rapport, la Présidente Park Geun-hye a vu ses paroles reprises par les médias officiels, s’affirmant ainsi comme le guide traçant la voie à suivre pour le peuple sud-coréen :
« Le soutien institutionnel est important pour que l’opinion comprenne l’importance de la loi et de l’ordre et que les valeurs constitutionnelles sont fermement établies (…) Il doit y a avoir une stricte application de la loi et ses principes quand les gens défient la loi. »
Ordre, autorité, nation : tel pourrait être le triptyque qui résume les valeurs de l’Etat nouveau sud-coréen qu’entend bâtir Mme Park Geun-hye, dans des références idéologiques à peine voilées aux valeurs du régime Yushin (littéralement : « régénération ») établi par feu son père le général Park Chung-hee. Le régime le plus autoritaire qu’ait jamais connu la République de Corée.