Ce 26 Juillet, le pouvoir a changé de mains au Niger, le Président récemment élu Mohamed Bazoum a été déposé par les membres de sa propre Garde Présidentielle. Assez délicatement d’ailleurs, car il semble bien qu’aucun coup de feu n’a été tiré, et le reste des forces armées s’est vite rallié aux nouvelles autorités. En somme on pourrait parler, avec une affection pour les formules désuètes, d’une révolution de palais. N’étaient les impressionnantes manifestations populaires, en soutien aux putschistes, qui ont déferlé dans nombre de villes du pays. Et n’étaient les réactions furieuses de la France (Le Niger étant la principale composante du déploiement du corps expéditionnaire français dans la région, chassé du Mali et du Burkina Faso ndlr) et de la CEDEAO…
La goutte qui fait déborder le vase ?
Le nouvel « homme fort » du pays, selon l’expression consacrée, le Général de Brigade Abdourahamane Tchiani, ne s’est pourtant pas montré très menaçant jusqu’ici. Lors de sa déclaration télévisée1, il a justifié son initiative comme motivée par « la seule volonté de préserver notre chère patrie face : d’une part, à la dégradation continue de la situation sécuritaire dans notre pays et cela sans que les autorités déchues ne nous laissent entrevoir une véritable solution de sortie de crise, d’autre part, la mauvaise gouvernance économique et sociale ». Et s’il commence par fustiger « le discours politicien sur la situation sécuritaire relayé par certains milieux politiques au niveau national et international et qui voudrait que tout se passe bien et est sous contrôle », il mentionne, à propos de la lutte contre le terrorisme, « le soutien appréciable et apprécié de nos partenaires extérieurs » ! On pense évidemment aux évènements similaires qui ont eu lieu dernièrement dans la région, au Mali il y a deux ans et au Burkina-Faso il y a quelques mois, mais dans ces deux cas les déclarations s’étaient rapidement montrées au moins critiques vis-à-vis des « partenaires extérieurs » (entendez : l’armée française, pour majorité), quand elles ne demandaient pas leur simple départ.
Le problème est cependant que tout cela commence à ressembler à des dominos : trois putschs bénéficiant d’un appréciable soutien populaire (sur le coup en tout cas) en à peine deux ans, voilà qui peut donner quelques sueurs froides à certains dirigeants de la région à la popularité plus que vacillante…. Sinon, comment expliquer la réaction furieuse de la CEDEAO, qui a immédiatement posé un ultimatum aux militaires nigériens leur imposant de réinstaller Bazoum à la présidence sous une semaine, en menaçant le pays d’une intervention militaire !2 Mali et Burkina-Faso ont immédiatement réagi par un communiqué commun, stipulant en substance qu’en cas d’agression contre leur voisin, ils quitteraient l’organisation mais surtout considéreraient cela comme une déclaration de guerre à leur encontre également.3
La macronie pyromane
Bien évidemment, l’explication n’est pas suffisante pour comprendre la position de la CEDEAO. C’est que le patron a parlé ! Et attention, c’est martial : « Quiconque s’attaquerait aux ressortissants, à l’armée, aux diplomates et aux emprises (vous avez bien lu!) françaises verrait la France répliquer de manière immédiate et intraitable. Le Président de la République ne tolérera aucune attaque contre la France et ses intérêts. » Ceci après que l’ambassade de France a été superficiellement vandalisée à la fin d’une manifestation. En digne émule du Duc de Brunswick, Emmanuel Macron s’attelle à protéger nos « expats » en menaçant les nigériens de coups de bâton ; avec des amis comme ça, on n’a pas besoin d’ennemis ! Ou bien il serait assez utile que les choses dégénèrent ?
La punition (collective évidemment) a d’ailleurs commencé : une dizaine de sanctions ont déjà été prises dont une suspension de l’aide française (au développement, si vous y tenez) et la mise sous embargo du pays. Effet garanti sur l’un des 10 pays les plus pauvres du monde ; que ne ferait-on pas pour défendre la démocratie ?
On ne sait pourtant rien encore des intentions des nouvelles autorités. Mais à l’évidence, le Président déposé était un appui sûr de l’impérialisme français dans la région. Et malgré le ton pour l’instant modéré des autorités de transition nigériennes, certains pourraient redouter par exemple qu’elles lèvent un peu plus le voile sur certains agissements. A propos de la lutte contre le djihadisme au Sahel par exemple, au cours de laquelle des armées européennes ultra-modernes ne parviennent pas à neutraliser quelques milliers d’hommes dans un environnement désertique.
Ou bien à propos des agissements de la filiale nigérienne d’Orano (ex-Areva), la Cominak.4
Impérialisme sous-traitant
C’est en effet le sujet qui vient à l’esprit quand on parle du Niger : l’Uranium, matière première pour toute activité nucléaire. Le pays en recèle d’importants gisements, passablement pillés depuis leur découverte dans les années 50. Signalons en passant que seuls 10 à 15 % de la population ont accès à l’électricité… importée à 75 %! Et que les 25 % restants sont issus de centrales à charbon ou à fuel…. Mais le sentiment anti-français qui s’exprime en ce moment dans les masses nigériennes est indubitablement la faute à Poutine, c’est évident !
Néanmoins, la France ne se fournit plus qu’à 15 % en Uranium nigérien, ses sources s’étant diversifiées ces dernières années (Kazakhstan, Australie…). Argument abondamment utilisé sur les plateaux ces derniers jours pour nous assurer que la réaction « ferme » de l’exécutif français n’avait que des motivations sécuritaires et démocratiques. Un examen un peu plus approfondi révèle en revanche que l’importation d’uranium nigérien représente 30 % de la consommation de l’Union Européenne, part s’élevant à plus de 50 % pour certains pays ! De là à dire que pour l’instant, l’armée européenne c’est l’armée française qui fait le sale boulot pour les capitalistes de l’UE au frais des travailleurs de France, il n’y a qu’un pas…
Aspects politiques
– L’intense activité médiatique que l’on peut observer depuis les évènements à Niamey témoigne de la fragilité de ce qui reste de l’impérialisme français et de la fébrilité du pouvoir politico-économique français. On peut craindre, en voyant brandir à tour de bras la « menace contre les intérêts français » (c’est-à-dire contre des entreprises privées subventionnées par l’État au service du Capital), que de potentiels changements dans la politique au Niger soient utilisés par nos capitalistes pour justifier encore plus de violences sociales (augmentation du prix de l’électricité…).
– Une fois de plus, preuve est faite que la Françafrique est l’ennemi de la Francophonie, que le pouvoir macroniste sabote en permanence par son attitude et ses déclarations d’un autre temps à l’égard des pays africains. Rappelons à ce sujet l’adoubement comme Présidente de la Francophonie de l’ancienne ministre rwandaise de l’Education, dont la première décision en tant que ministre avait été de remplacer l’enseignement du français par celui de l’anglais !
– Un pas de plus a été franchi dans la voie de la fascisation, puisque Macron a menacé, à mots à peine couverts, d’intervenir militairement au Niger (signe des temps ? On a pu voir Julien Odoul, édile du Rassemblement « National », invité à s’exprimer sur les évènements nigériens sur Europe 1…).
Une telle éventualité ne doit pas être prise à la légère, et la mobilisation la plus large devra s’y opposer le cas échéant.
Hubbard
1– https://www.nigerdiaspora.com/32-politique-niger/19234-declaration-du-conseil-national-pour-la-sauvegarde-de-la-patrie-cnsp-le-general-de-brigade-tiani-abdourahamane
2– http://www.la-flamme.org/index.php/bibliotheque-du-pcb/1234-mise-en-garde-solennelle-a-patrice-talon-contre-la-participation-de-notre-pays-a-toute-intervention-militaire-contre-le-niger
3– https://malijet.com/communiques-de-presse/280688-situation-au-niger-le-mali-et-le-burkina-faso-n%E2%80%99appliqueront-pas.html
4– https://www.radiofrance.fr/franceinter/au-niger-les-centrales-francaises-ont-laisse-20-millions-de-tonnes-de-dechets-radioactifs-a-l-air-libre-2593286