Une réflexion de Georges Gastaud, 3 septembre 2020.
Georges Gastaud est l’auteur notamment de Patriotisme et internationalisme (CISC, 2011) et de Marxisme et universalisme (Delga 2015)
UN REJET CROISSANT DE LA FRANÇAFRIQUE NÉOCOLONIALE
Du Mali au Liban en passant par la Côte d’Ivoire (en attendant d’autres insurrections populaires africaines?), l’ex-empire colonial français devenu « Françafrique » néocoloniale subit une crise profonde qu’il fait chèrement payer aux peuples d’Afrique et du Proche-Orient, et aussi, de manière plus indirecte et moins immédiatement sanglante, à notre propre pays.
Parfois conduits par des marxistes (comme ceux du Parti SADI à Bamako), voire par des figures de proue du camp anti-impérialiste mondial (comme ce fut le cas de Thomas Sankara au Burkina Faso), sans parler de l’insurrection pacifique qui mobilise l’avant-garde de la jeunesse algérienne (1), les peuples de l’Afrique francophone (ou partiellement francophone) et du pourtour méditerranéen rejettent la mainmise des monopoles capitalistes français (de Total à Bolloré), et peut-être plus encore la tutelle étouffante de pouvoirs locaux qui ne règnent que par la corruption, le népotisme, la répression et la soumission à l’ordre capitaliste mondial. Parfois même la jeunesse africaine en révolte en vient, dans sa colère légitime mais pas toujours éclairée par des partis marxistes et internationalistes de masse, à confondre l’impérialisme français avec « la France », voire avec la langue française qui est pourtant devenue notre bien international commun: on le voit tristement sur certaines pancartes brandies par des jeunes Africains affichant sans nuance le slogan « Mort à la France! »…
Pourtant, l’impérialisme français, c’est-à-dire les monopoles capitalistes d’origine hexagonale, est aussi l’ennemi du peuple travailleur de France: arrimé à la « construction » européenne et devenu depuis longtemps le vassal volontaire des USA, cet impérialisme d’autant plus agressif qu’il est déclinant économiquement, s’est mué, comme nous l’avons montré dans de nombreux textes antérieurs, le principal destructeur de la nation française elle-même…
Idéaux pseudo-universalistes et pratiques sordides de l’impérialisme français
Non seulement parce qu’il est le digne héritier d’Henri Alleg (2), héros de la lutte contre l’ « ordre » néocolonial mondial, mais parce qu’il est authentiquement patriote et qu’il défend sincèrement l’avenir et l’honneur du peuple français, le PRCF combat les interventions néocoloniales de la France officielle en Afrique, qu’elles se cachent derrière la défense de la « stabilité » (Centrafrique), le « maintien de l’ État de droit » (Côte d’Ivoire, Centrafrique), ou qu’elles invoquent l’ « ingérence humanitaire » (déstabilisation de la Libye par Sarkozy soutenu par Hollande, avec d’énormes effets négatifs sur le Nord et l’Ouest de l’Afrique), la « reconstruction nationale » (Liban), l’ « aide aux démocrates » (Syrie, où les ingérences de Fabius et Cie ont aidé à ouvrir la brèche au monstrueux Daesch), voire, la lutte antiterroriste (Mali), et maintenant, le soutien aux décisions de la CEDEAO (qui appuie l’ex-président corrompu IBK et prétend mettre le Mali en insurrection sous embargo international).
Quelle que soit la bonne foi de nombre de jeunes militaires français qui croient venir en aide aux peuples africains, l’impérialisme reste l’impérialisme et il ne se peut faire qu’à toutes occasions, il ne préfère ses prédations aux finalités hautement morales affichées par ses porte-parole (par ex. « stopper la sécession du Mali et l’expansion des fanatiques d’AQMI »). Car l’État impérialiste n’a rien à refuser aux monopoles pillards, trop souvent bailleurs de fonds de nos « présidentiables » (les riches souscripteurs des Balladur, Sarkozy et autre Macron n’étaient pas tous français…); il est donc impossible qu’au moment décisif, c’est-à-dire quand il y va de la nature de classe du pouvoir dans tel ou tel pays de l’ex-« pré-carré » africain, l’impérialisme français ne prenne pas parti, à l’instar de ses congénères étrangers, pour les cliques contre-révolutionnaires; ainsi a toujours procédé l’impérialisme en Russie (1917), au Vietnam (1945), à Cuba (1959) ou dans les ex-colonies portugaises d’Afrique et d’Asie en 1974. Peu importe à ces méga-prédateurs la misère et l’humiliation desdites populations qui finissent toujours par haïr « la France », voire par rejeter la langue française (comme ce fut le cas au Rwanda, que Kagamé a officiellement basculé vers l’espace anglophone), alors que parfois, ces mêmes populations africaines semblaient initialement s’enthousiasmer pour les interventions « salvatrices » de l’armée française (accueil triomphal de Hollande à Bamako en 2012…).
L’agitation tous azimuts du nouvel « homme malade » de l’Europe : la France macroniste
Cependant, ce qui est le plus flagrant dans la période récente, c’est la manière dont Macron – que rejette toute une partie du peuple français et qui veut redorer son blason en se donnant une image de faiseur de paix – se démène littéralement de Bagdad à l’Afrique occidentale en passant par Beyrouth pour tenter de sauver ce qui reste des zones d’influence africaine et proche-orientale de la France: on sait que cette dernière fut longtemps, avec l’Angleterre, la force dominante de l’espace méditerranéen, notamment sur le plan naval. Descendu de son Olympe élyséenne, notre Jupiter itinérant tente même arrogamment, chantage militaro-financier à l’appui, de dicter sa feuille de « mission » au Liban avec l’appui du FMI; c’est oublier le principe élémentaire selon lequel l’émancipation des peuples ne peut être que leur œuvre propre (« les peuples n’aiment pas les missionnaires armés », disait Robespierre), autant que possible soutenue par la solidarité des autres peuples contre le capitalisme-impérialisme. Est-ce vraiment de la Patrouille de France sillonnant le ciel de Beyrouth qu’a présentement besoin le peuple libanais soulevé contre l’incurie, le clientélisme et le pillage de ses cliques confessionnelles magouilleuses ? Voilà en tout cas Macron qui, compensant par l’activisme la perte d’influence au long cours de « notre » impérialisme, se multiplie de la Méditerranée orientale à l’Afrique occidentale et qui tente de recoudre tant bien que mal une stabilité régionale que Sarkozy, alors conseillé par l’ignoble B.-H. L., a dynamitée par son intervention calamiteuse en Libye. Nous voici même désormais à deux doigts d’une guerre navale franco-turque avec l’autocrate turc Receipt Erdogan, dont la marine n’hésite pas à mettre en joue des navires de guerre français… et à s’en vanter publiquement. Ce même Erdogan entreprend ouvertement de reconstruire l’ancien espace impérial ottoman (les sultans turcs, qui se disaient chefs des musulmans, régnaient jadis sur la Mer noire et la Méditerranée et ils dominèrent même l’espace algérien avant de se replier et d’être remplacés par les troupes françaises du roi Charles X) en patrouillant dans les eaux grecques et libanaises que l’on sait gorgées d’hydrocarbures; ce qui amène ce nostalgique du sultanat à bousculer sur terre et sur mer l’impérialisme français en difficultés structurelles. Or, ce qui est flagrant dans ces conflits où le néocolonialisme français grimé en Sauveur s’engage tous azimuts, c’est d’abord qu’il dispose de moins en moins des moyens économiques et militaires de ses appétits, si ce n’est de ses rodomontades. C’est ensuite que d’autres concurrents impérialistes ou pré-impérialistes ouvertement rivaux ou prétendument « alliés » de la France s’engouffrent sans vains scrupules dans l’espace fissuré de la « Françafrique » délabrée. C’est enfin que les puissants « alliés » de la France bourgeoise, USA, Allemagne et Europe allemande en tête, laissent Macron, sa marine, ses troupes terrestres et sa diplomatie empanachée, bien seuls et isolés face aux risques politiques et militaires encourus. En réalité, « nos braves alliés » de Washington et de Berlin (et leur condominium bruxellois) cachent mal leur plaisir de voir Paris s’embourber militairement au Nord-Mali, se frotter navalement à la Turquie et s’allier à la Grèce sans l’assurance d’un solide appui atlantique (et pour cause: l’OTAN, c’est-à-dire Washington, et l’UE, c’est-à-dire principalement Berlin, ne veulent pas jeter la Turquie dans les bras de Moscou…). Macron prend ainsi le risque de mettre les mains dans un engrenage proche-oriental que le Pentagone lui-même, après avoir subi une déroute en Syrie et en Afghanistan et même en Irak, est désormais contraint de traiter avec plus de prudence, si ce n’est avec plus de respect véritable…
Bref, comme nous le disions dans un récent article consacré à la Turquie néo-ottomane d’Erdogan ( cliquer ici TURQUIE D’ERDOGAN: TRUBLION OU BÉLIER DE LA MONDIALISATION CAPITALISTE? ), c’est bien la France impérialiste qui, malgré ses restes de puissance non négligeable, est à son tour devenue « l’homme malade », ou du moins l’un des hommes malades, de la géopolitique européenne, méditerranéenne et mondiale. En témoignent l’insistance allemande à transformer le siège français au Conseil de sécurité onusien en un « siège européen » (on n’ose pas encore dire « allemand », mais c’est à quoi cela reviendrait rapidement et dans les faits..) et la manière semi-dédaigneuse dont Berlin regarde les flamboyants projets macronistes d’ « armée européenne »: le « marcheur », pour ne pas dire le somnambule de l’Élysée rêvait d’en faire l’outil d’une domination militaire française indirecte sur l’Europe étant donné qu’avec le Brexit, la France reste la seule puissance militaro-nucléaire proprement européenne. Mais, à moyen terme au moins, Berlin se rit de tels projets prétendument « euro-indépendantistes »; et, sans refuser l’idée d’une armée européenne qui donnerait à la Bundeswehr la main sur le nucléaire militaire français, Mme Merkel ne cesse de rappeler qu’aucune armée européenne ne se construira en dehors du commandement intégré de l’OTAN… Le prétendu Axe franco-allemand (qui ressemble de plus en plus à un vecteur orienté Est-Ouest) est d’ailleurs si asymétrique que le Traité germano-français d’Aix-la-Chapelle, récemment signé par la chancelière fédérale et par le « Prix Charlemagne » Emmanuel Macron, a surtout abouti à la transformation du département de Moselle en « euro-département » et à la création d’une collectivité unique d’Alsace (pourtant rejetée par référendum par les Alsaciens…) avidement tournée vers l’ « espace rhénan »… Comme l’a encore montré Mme Yvonne Bollmann dans le dernier numéro d’Étincelles (juin 2020, n°46), il y a longtemps que la courroie de transmission entre Berlin et Paris ne tourne guère que dans un sens du point de vue industriel, économique, et de plus en plus, territorial…
Autophobie nationale des élites bourgeoises
La raison fondamentale de cet affaiblissement généralisé de l’impérialisme français tient à l’énorme contradiction qui caractérise « notre » capitalisme hexagonal, MEDEF et CAC-40 français en tête. Pour des raisons de classe internes (depuis au moins Mai 1968, la grande bourgeoisie française redoute ce peuple français historiquement porté à brandir des bonnets phrygiens, des drapeaux rouges ou, plus récemment, des gilets jaunes), et aussi et surtout parce que « notre » oligarchie a « besoin d’aire » pour déborder l’Hexagone et pour prendre toute sa place dans la course européenne et mondiale aux fusions capitalistes et aux profits maximaux. Dans le manifeste patronal de 2012 intitulé « Besoin d’aire », le MEDEF alors présidé par Laurence Parisot avouait crûment sa détermination à détricoter la nation française sur laquelle il a pris si longtemps appui et qu’il est de plus en plus enclin à vendre à la découpe. Il s’agit désormais clairement et arrogamment, de dé(maas-)tricoter maille après maille cette République bourgeoise, encore officiellement laïque, sociale, démocratique et indivisible, dont l’histoire révolutionnaire mouvementée de notre pays a tissé la physionomie singulière (appelée avec mépris « exception française »), de 1789 aux conquêtes sociales des ministres communistes de 1945 (statuts, code du travail protecteur, conventions collectives, Sécu, retraites par répartition, nationalisations, etc.) en passant par les insurrections ouvrières-républicaines du XIXème siècle (Trois Glorieuses, février et juin 1848, Commune de Paris…), par la victoire des forces laïco-dreyfusistes en 1905 et par les occupations d’usine de 1936. Tout y passe désormais: le « produire en France » industriel et agricole (qui forme ou formait la base matérielle de la classe ouvrière et de la paysannerie petite et moyenne), la « république une et indivisible » reconfigurée en « grandes régions » à l’allemande, les communes aspirées par de vampiriques « métropoles » rongeant la ruralité et marginalisant les banlieues, les services publics d’État asphyxiés ou privatisés, la protection sociale broyée, la souveraineté nationale – que la constitution déclare inaliénable – transférée à Bruxelles et à Francfort (le MEDEF revendique même officiellement les « États-Unis d’Europe » et l’ « Union transatlantique »); jusqu’à la langue française qui se voit sacrifiée au tout-anglais illégalement imposé de l’entreprise à l’Université avec la pleine complicité de l’UE et des gouvernements successifs, de Sarkozy à Macron en passant par Hollande et par sa ministre des Université, Geneviève Fioraso. Longtemps, l’impérialisme français, héritier partiellement illégitime de la Révolution française (bourgeoise mais démocratique, démocratique mais bourgeoise, basculant de Robespierre à Napoléon…) s’était appuyé sur la construction de l’État-nation français (entreprise à tâtons depuis Philippe-Auguste par les Capétiens alliés aux « jurées-communes ») pour légitimer son pouvoir, lui donner une assise de masse, notamment urbaine, puis pour dévoyer les Lumières pré-révolutionnaires et fournir une apparence universaliste à ses prédations européennes (Bonaparte) et/ou africaines et asiatiques (Ferry, etc.). C’est encore cette idéologie passablement contradictoire, le nationalisme assorti à l’idée d’une « mission universelle de la France », qui avait permis à la nouvelle classe dominante bourgeoise de contenir peu ou prou le bouillant prolétariat français (cf l’ « union sacrée » de 1914-1918 soutenue par le parti socialiste) tout en pillant des peuples étrangers invariablement traités en mineurs (en contradiction avec le respectable discours universaliste républicain, il y avait des citoyens français et des « sujets » français dans l' »Empire » colonial dirigé par la « République » française!). Mais d’une part, l’Empire a été irrévocablement perdu après deux défaites politiques majeures, l’une subie en Indochine, l’autre en Algérie. D’autre part, comme l’ont démontré de nombreux écrits de l’historienne Annie Lacroix-Riz, l’oligarchie française s’est de plus en plus soumise, alternativement ou simultanément, à l’impérialisme allemand (vite reconstruit après-guerre avec l’aide de Washington) et à l’impérialisme américain (qui n’hésitait pas à tirer dans le dos de Paris pour pousser ses propres tentacules en Indochine ou en Afrique…). Mais enfin, la période gaulliste est révolue: il s’agit du moment politico-économique où, d’une part, les monopoles capitalistes français prenaient appui sur l’État-nation bourgeois pour fusionner principalement à l’échelle hexagonale (Péchiney(Ugine-Kuhlmann, Schneider-Creusot-Loire, BNP/PAribas, BSN…), et où, d’autre part, Charles de Gaulle tentait de rendre à la France bourgeoise sa liberté de mouvement et son prestige d’antan en naviguant à l’international entre les deux superpuissances militaires de l’époque, Washington et Moscou. C’est alors que Paris reconnaissait la Chine populaire, contestait la « construction européenne » et en refusait l’entrée à Londres, flanqué de son Commonwealth. À l’époque, un général au dos raide osait braver la politique américaine en Extrême-Orient (Discours de Phnom Penh), prenait parti pour les Arabes lors de la Guerre des Six Jours et appuyait les revendications souverainistes du Québec au grand dam du monde anglo-saxon. Depuis le départ forcé du Général en 1969, les « gaullistes » qui lui ont succédé, de Pompidou à Sarkozy en passant par Chirac, ont de plus en plus affiché leur allégeance à l’égard de l’UE et de l’OTAN, dont Sarkozy, approuvé par Hollande, a fini par rallier le commandement intégré. Quant à l’épisode irakien (refus de Chirac de suivre la désastreuse équipée de Bush Junior en Irak en 2003), il a été rapidement effacé par Sarkozy et par Hollande (dont Macron était ministre). Entre temps, le puissant PCF patriote et internationaliste de Maurice Thorez et de Waldeck Rochet, qui ne craignait pas de soutenir publiquement les « aspects positifs de la politique étrangère gaulliste », s’est mué en un PCF-PGE mutant et « euro-constructif »; enchaîné électoralement au PS maastrichtien depuis les années Mitterrand, ce parti s’est désormais inféodé au Parti de la Gauche Européenne, une officine transnationale financée et politiquement cadrée par Bruxelles. Malgré ses critiques sur les modalités de la construction européenne, le PCF-PGE défend désormais mordicus l’appartenance de principe de la France à l’euro et à l’UE. Ce tableau de la décomposition française et de ses semi-opposants serait incomplet si l’on omettait d’évoquer la nouvelle échelle à laquelle s’effectuent les fusions monopolistes: l’échelle continentale, voire transcontinentale – « transatlantique » dirait Laurence Parisot – comme on le voit avec Renault-Nissan, Siemens-Alstom, Alcatel-Lucent, PSA-Chrysler-FIAT, etc.; bref, l’obsession du grand capital « français » de plus en plus transnationalisé (une enquête du Monde a montré que presque tous les PDG du CAC résident à New York; inutile de se demander quelle langue ils parlent en famille…) est de trouver son « couloir » dans la course euro-mondialisée au profit maximal : quitte pour cela à brader nos usines, notre agriculture et notre langue elle-même, c’est-à-dire à abandonner, après les avoir exploités jusqu’au bout, les ouvriers, paysans, artisans, intellectuels et autres ingénieurs de ce que Jean-Marie Messier, de Vivendi, appelait son « petit pays exotique ». N’en déplaise à Emmanuel Macron, qui ne cible que le « séparatisme » musulman, cela s’appelle une sécession de classe, voire de caste. C’est cette tendance à la dénationalisation générale que traduit le jeu de mot « besoin d’aire », qui formait le titre du manifeste patronal de 2012, un intitulé qui, transcrit en allemand dans les années 1930, aurait pu se traduire par Lebensraum, « espace vital »…Mais comment peut-on brader la grande industrie française, liquider la paysannerie laborieuse, stranguler les services publics et l’Éducation nationale à coups de contre-réformes, fermer tous les casernements proches de la frontière Est de l’Hexagone (ce qu’a fait Sarkozy), ériger l’anglais en « langue de travail » de l’armée française, démolir les acquis sociaux qui, malgré leurs limites, tendaient à faire de la nation bourgeoise une nation bourgeoise… et espérer « en même temps » maintenir sur la durée le « rang » de l’impérialisme français sur les théâtres africain, méditerranéen, européen et mondial? Il est clair par ex. qu’un pays qui, sur le plan industriel, ne produit presque plus rien à domicile ne peut que s’endetter furieusement: c’est fatal quand on importe durablement plus que l’on n’exporte… À quoi se sont ajoutées les règles européennes qui interdisent à la France et aux autres pays (mais cette prescription est douce pour la RFA, commercialement excédentaire, alors qu’elle est dévastatrice pour ceux qui sont déficitaires!) d’emprunter à leurs banques nationales respectives: il faut alors s’endetter auprès des marchés financiers internationaux, qui ne sont pas bénévoles… Enfin, la monnaie unique calée sur le Deutsche Mark a prohibé les dévaluations compétitives périodiquement pratiquées par les pays du « Sud » européen… tout en dopant le « made in Germany » adossé aux néo-colonies d’Europe de l’Est (les USA et la RFA ont été les principaux bénéficiaires de la contre-révolution des années 1988/91 qui a détruit l’Europe socialiste en général, et la Yougoslavie fédérale en particulier). L’euro fort imposé à tous a également enchéri les produits de l’Europe latine en les rendant inexportables. Au terme de ces contradictions ubuesques, dont la France bourgeoise est l’esclave volontaire, on en arrive à une défense de moins en moins nationale qui ne maîtrise même plus la fabrication de ses fusils, et dont tel chef d’état-major français (le très « patriotique » De Villiers) a tout loisir de prendre une retraite dorée en devenant le conseiller nanti d’une firme nord-américaine…
Fébrilité macroniste et isolement international croissant
En résumé, la tentative désespérée (macroniste en particulier) de dilater tous azimuts l’impérialisme français tout en bradant son socle national traditionnel (privatisations, délocalisations, américanisation culturelle, etc.) arrive au bout de sa logique: elle alimente le « séparatisme » des élites bourgeoises « françaises » planquant leur fortune dans les paradis fiscaux… et déclassant ainsi directement ou indirectement des dizaines de millions d’ouvriers, de paysans, d’agents publics, mais aussi d’enfants issus des « couches moyennes » et promis à la précarité travestie en « mobilité ».
Politiquement, cette euro-évaporation planifiée de la nation se traduit par une crise aiguë du politique qui place notre pays en situation pré-insurrectionnelle latente (voir la crise explosive et seulement suspendue des Gilets jaunes), avec pour seule « alternative » médiatiquement visible la victoire d’un bloc xénophobe et ultraréactionnaire (que symbolise de plus en plus Marion Maréchal-Le Pen). Car malgré l’apparence, rien n’est plus logique que la conjonction d’une oligarchie euro-mondialiste autophobe et d’un magma droitier confondant le patriotisme, ce sentiment légitime compatible avec le commandement « aime ton prochain comme toi-même », avec la xénophobie d’État et notamment, avec la haine du travailleur musulman et du jeune Beur ghettoïsé : comme l’avait montré Sartre, mépris de soi et haine d’autrui se sont toujours nourris l’un l’autre. Géopolitiquement, ce grand écart de l’impérialisme « français » entre euro-dissolution de la France républicaine et fébrilité diplomatico-militaire à l’extérieur se traduit par une aventureuse fuite en avant de l’impérialisme français vers l’activisme géopolitique alors même que ses puissants « alliés »… et concurrents américains et nord-européens ne manquent pas une occasion de lui maintenir la tête sous l’eau et de lui rappeler ironiquement son rang de puissance moyenne en déclin rapide.
Le monde du travail seul avenir possible pour la Nation
Depuis longtemps, le pouvoir oligarchique bourgeois « français » ne peut plus rien apporter, malgré ses sursauts impérialistes et néo-coloniaux sarko-hollando-macronistes, au rayonnement international de notre pays dont il est devenu l’ennemi principal. Devant ce constat, tous ceux qui soutiennent le droit égal de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes, du Liban au Mali en passant par la Centrafrique, doivent dénoncer plus que jamais l’impérialisme français, de plus en plus impérialiste et de moins en moins « français ». Et ils ne doivent pas seulement le faire au nom de l’anti-impérialisme et de l’internationalisme, même si c’est évidemment indispensable, ils doivent le faire aussi au nom de l’avenir du peuple de France, de son honneur, voire de son existence nationale de plus remise en cause. N’en déplaise à Macron, qui voudrait réaliser l’union sacrée derrière sa politique internationale, il y a toujours deux nations dans la nation, celle, prolétarienne et populaire, qui construit la France et qui veut la paix, et celle, oligarchique, qui détruit son pays, qui rampe devant les impérialismes plus puissants et qui joue dérisoirement les gros bras avec les peuples jugés plus faibles. Cela signifie que désormais, seul le monde du travail pourra porter la renaissance nationale et le rayonnement international de notre pays et que, symétriquement, les véritables patriotes progressistes doivent travailler à mettre la classe travailleuse au centre de la vie nationale. C’est pourquoi l’internationalisme prolétarien est l’allié légitime du patriotisme républicain avec lequel il peut et doit affronter à la fois l’euro-mondialisation capitaliste et, son complément réactionnaire, le chauvinisme et la xénophobie.Pour cela, il faudra renverser le mode de production capitaliste en commençant par briser le pacte suicidaire qui unit la nation à la zone euromark, à la prison capitaliste européenne, à l’OTAN et à l’impérialisme français: telle serait la signification d’un Frexit progressiste, antifasciste, antiraciste, anti-impérialiste et tourné vers le socialisme que devraient porter ensemble les avant-gardes politique, associatives, culturelles et syndicales du mouvement populaire. Tant il est vrai, comme le disait Friedrich Engels à propos de l’oppression anglaise sur l’Irlande, qu’ « un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être libre« . Bref, si l’on aime la France, si l’on refuse le linguicide programmé du français, socle de la nation et ciment d’une Francophonie internationale rénovée, égalitaire et fraternelle, il faut combattre toutes ces laides expressions à « cédilles » qui défigurent jusqu’au nom de notre pays: Françafrique, Françamérique, Françarabie, Françallemagne, Franceurope…
Y compris pour défendre la paix mondiale et la souveraineté des peuples frères d’Afrique, il urge donc de sortir, sous les plis mêlés du drapeau tricolore de la nation souveraine et du drapeau rouge internationaliste des exploités, de l’euro, de l’OTAN, de la Françafrique néocoloniale et de ce turbo-capitalisme obsolescent qui tue la France à petit feu sans cesser d’incendier les peuples frères du Sud.
Georges Gastaud – 3 septembre 2020
1) Laquelle, sans regretter la colonisation, vomit les mafieux arrogants qui usurpent le drapeau de l’indépendance depuis des décennies) ou du « printemps » tunisien éjectant l’ubuesque Benali et ses protecteurs français (parmi lesquels Alliot-Marie).
2) Dirigeant de la Coordination communiste du PCF, puis de la FNARC, Henri Alleg, alors très âgé, était un membre éminent du comité de parrainage du PRCF quand il est décédé.
3) Dans le donnant-donnant inter-impérialiste qui a suivi la grève de masse de Mai 1968 et qui a provoqué la grande frousse de la bourgeoisie française, la RFA chrétienne, social-démocrate, constitutionnellement anticommuniste et superficiellement dénazifiée, a hérité du lot principal: la grande industrie et la machine-outil, mère de l’industrie: la France bourgeoise de Giscard s’est rabattue sur la banque, le tourisme international, le transport… et l’armement.