Par Jean Levy
Depuis quelques jours, la classe politique et tous les médias ont l’œil rivé sur la Côte d’Ivoire. Le « méchant », c’est Laurent Gbagbo, l’actuel président. Celui-ci refuse de s’incliner devant le résultat des urnes, tel que l’ont proclamé les « observateurs » des Nations Unies.
La France, l’Union européenne et les Etats-Unis considèrent que leur candidat, Alassane Ouattara, ancien secrétaire –général adjoint du FMI, a remporté les élections. Les dirigeants occidentaux fulminent contre ce qu’ils appellent « un déni de démocratie » commis par Gbagbo, qui conteste le verdict.
Ils menacent celui-ci de sanctions.
Certes, nous ne sommes pas en mesure de vérifier si des irrégularités ont entaché les résultats du scrutin, d’un côté comme de l’autre. Car rien n’authentifie les votes massivement recueillis par Alassane Ouattara dans le nord du pays, dominé par les ex- « Françafrique »rebelles, région d’où le pouvoir central, celui de Laurent Gbagbo, est absent.
Rappelons que celui-ci avait, jusqu’à présent, les meilleures relations avec les dirigeants des grandes sociétés françaises, avec Vincent Bolloré, en particulier, qui s’était vu adjugé les activités portuaires d’Abidjan.
Mais en affaires, le vent tourne avec la concurrence sauvage, que se livrent aujourd’hui les grands pays du monde, et parmi eux, la Chine, de plus en plus présente en Afrique.
La France, l’Union européenne et les Etats-Unis ne l’entendent pas de cette oreille. Ils veulent conserver leur pré carré
La cohorte des Occidentaux exige donc le départ immédiat de Gbagbo.
Parmi les plus acharnés, Nicolas Sarkozy s’en fait le plus virulent promoteur. Au nom de la démocratie, bien entendu. Notre président ne transige pas avec les grands principes : Il se fait le gardien scrupuleux du « libre choix »des électeurs.
Certes, ce qui pour lui est intangible en Côte d’Ivoire, n’est pas forcément valable en d’autres lieux.
Exemple : chacun s’accorde à considérer comme truquées les élections en Tunisie, où Ben Ali, le président obtient près de 100% des suffrages, les opposants étant dispensés de campagne, du fait de leur séjour en prison.
Mais qui a entendu Nicolas Sarkozy menacer Ben Ali de sanctions ?
Les exemples en ce sens sont nombreux. Récemment, le président égyptien a éliminé d’avance toutes les oppositions au Parlement. Qui s’en offusque ? Au mieux, ces pratiques sont du folklore qu’on déplore en souriant. Et ne parlons pas des Etats du Golfe, de l’Arabie saoudite, des Emirats, pour qui le mot « élection » n’a aucun sens.
Va-t-on montrer leurs dirigeants du doigt, et se priver ainsi de leur pétrole ?
Il n’en est pas question.
C’est sans parler, non plus, du code électoral en France même : Le charcutage des circonscriptions, découpées sur mesure par le pouvoir, est destiné à assurer au parti arrivé en tête, une représentation surdimensionnée au détriment des autres courants de l’opinion, exclus de toute représentation.
C’est cela la « démocratie » ?
Mais il y a mieux, ou pire.
Les propos martiaux de Nicolas Sarkozy résonnent alors que la télé, France 2 précisément, vient de diffuser un reportage en deux épisodes sur « La Françafrique *», les réseaux de l’Etat français, qui de de Gaulle à Sarkozy, en passant par Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac, ont mis en coupe réglée l’ancien « empire français », « indépendant » depuis les années 60.
Le documentaire, authentifié par les acteurs des multiples subversions, montre comment l’impérialisme français a tout mis en oeuvre, depuis un demi-siècle, pour garder intactes les richesses naturelles des anciennes colonies, leur pétrole, d’abord, mais aussi l’uranium et autres matières premières stratégiques.
On y voit les « chefs d’Etat » de l’Afrique noire, pratiquement désignés par les autorités de la métropole, adoubés par tous les présidents de notre république, de droite comme de gauche. Le film fait mention des multiples interventions militaires des forces françaises, contre leurs peuples récalcitrants dans ces pays dits « libres ». Il nous rappelle les massacres de masse des élites africaines, en lutte pour une réelle indépendance, les assassinats d’Etat perpétrés contre leurs leaders, par l’ancienne puissance colonisatrice. Le gouvernement français va jusqu’à commanditer une sécession dans une province du Nigeria, riche en pétrole, le Biafra, armant et formant ses combattants. On connaît le prix de cette sanglante aventure : un million de morts dans cette guerre civile déclenchée par la France. Et le documentaire ajoute que les agresseurs, pour justifier leur forfait et le « vendre » à l’opinion publique, qualifièrent le conflit ainsi provoqué de l’extérieur, de « génocide du peuple biafrais » auquel, bien sûr, « il fallait humainement répliquer» !
La formule a, depuis, été largement reprise.
Aujourd’hui, l’Afrique noire et ses richesses sont devenues un enjeu mondial. La concurrence entre Etats, conduit les potentats locaux, les Bongo père et fils, les N’Guesso, les dirigeants du Niger et, peut-être, en Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo lui-même, à être « plus exigeants » vis-à-vis de la métropole. La concurrence est dure. Aussi, chaque Etat, alléché par ces pays de Cocagne, place ses pions et protège ses agents aux plus hautes places du pouvoir « africain ». Il s’ensuit des conflits, souvent sanglants, qualifiés « d’ethniques », entre les factions concurrentes.
Faut-il y voir autre chose, aujourd’hui, à Abidjan ?
Notes:
* « Françafrique », un documentaire de Patrick Benquet, projeté les 9 et 16 décembre 2010, par France 2, et ainsi résumé par Télérama :
* « Tonitruante enquête sur la Françafrique, bâtie autour du témoignage de l’ex-ambassadeur de France au Gabon.
* Le premier volet décrypte les mécaniques occultes, les assassinats d’opposants, les raisons des coups d’Etat et les barbouzeries.
* Le second volet poursuit cette expertise explosive des rapports de force entre chefs d’Etats français et africains, il suffit de pister le trajet du pétrole, principal carburant, des coups tordus et des financements occultes de campagnes politiques. Attention ça tache. »
* Avec, en toile de fond, toujours présente durant ces dernières décennies, la Compagnie Elf, machine de guerre du pouvoir en place, quel que soit ce pouvoir, dispensatrice des moyens finançant la grande filouterie politique en Afrique, mais aussi en France