Ce mercredi en Indonésie est jour d’élection. Dans l’archipel d’Asie du Sud-Est, 4e pays le plus peuplé avec près de 270 millions d’habitants, les électeurs sont appelés à voter pour leurs députés et pour leur président. Face au président actuel Joko Widodo, surnomé Jokowi, se présente le général Prabowo. Gendre du dictateur Soeharto dont il a dirigé les sinistres forces spéciales (Kostrad), fils de banquier et frère d’un des hommes les plus riches d’Indonésie, le militaire s’appuie sur les conservateurs et extrémistes nationalistes, et notamment les forces politiques se réclamant toujours de la dictature.
Les sondages annoncent une large victoire de Jokowi, porté par un certain dynamisme économique, la mise en place d’une couverture sociale pour plus de 200 millions d’Indonésiens ou les réalisations dans le domaine des infrastructures publiques (assainissement, transports, bus…) qui ont connu une amélioration significative sous sa présidence.
Le fascisme toujours présent !
Toutefois, la campagne s’inscrit dans un contexte de poussée des islamistes, ce qui n’a rien de surprenant les forces islamistes ayant été avec l’armée les deux piliers servant à éradiquer les forces progressistes de ce pays : en 1965, le parti communiste y est très puissant et le pays est leader des Non Alignés. Les USA, le bloc capitaliste, enlisé au Vietnam attaquent..
Un coup d’État, suivi du génocide de près de 3 millions de communistes et sympathisants, plonge le pays dans 40 ans de dictature. Toute opposition progressiste est liquidée. Des centaines de milliers de militants sont emprisonnés. Une histoire totalement censurée en Occident qui n’est dans aucun livre d’histoire. Le régime récidive dans les violences génocidaires au Timor.
Si l’Indonésie est officiellement sortie de la dictature fasciste à la fin de l’année 1998, les forces fascistes et fascisantes demeurent très puissantes, tenant nombre des clés du pouvoir, en témoigne la candidature de Prabowo. Est-il utile de rappeler qu’aucun jugement n’est jamais intervenu contre les criminels coupables du génocide anticommuniste ?
Quand le gouvernement Jokowi, au début de son mandat, a fait mine de laisser la Commission des Droits de l’homme travailler sur le sujet, il a immédiatement dû stopper. En 2015, un tribunal international populaire a condamné ces crimes contre l’humanité, reconnaissant le génocide anticommuniste.
Jokowi accusé de… communisme !
De fait, Jokowi dont la politique est essentiellement libérale, tout en comprenant quelques timides mesures sociales, est régulièrement taxé de « communisme ». Une accusation grave dans un pays où le communisme est toujours interdit et mène directement en prison et où la propagande faisant l’apologie du génocide anti-communiste est toujours systématique.
Dans le débat télévisé l’opposant à Prabowo, Jokowi a d’ailleurs dénoncé ces accusations, sans y répondre d’ailleurs
Ce débat, tout en politesse javanaise, laisse d’ailleurs entrevoir les menaces qui pèsent sur Jokowi.
Un pays riche, un peuple pauvre !
Dans un pays miné par la corruption résultant de la mise en coupe réglée des richesses de l’archipel au profit des puissances impérialistes et notamment des USA qui ont poussé et soutenu le coup d’État puis la dictature, les institutions sont encore largement tenues par les hommes de la dictature. La décentralisation ayant suivi la période de reformasi n’est pas non plus pour réduire cette corruption et le népotisme. La croissance économique ne profite que très peu à une population qui demeure extrêmement pauvre. Selon l’ONG OXFAM, les 4 milliardaires les plus riches d’Indonésie accapare 50% de la richesse du pays et l’Indonésie demeure l’eldorado des multinationales
Les mécanismes démocratiques, faibles et partiels, sont toujours extrêmement fragiles. En témoigne ainsi l’emprisonnement pour blasphème du pourtant puissant gouverneur de Jakarta, un chrétien de la communauté chinoise, capitale et poumon industriel du pays, suite à une campagne menée par les organisations conservatrices musulmanes. C’est ce ressort de l’islamisme qui est d’ailleurs joué par les forces les plus réactionnaires, de la même manière qu’il avait été actionné pour. Il est vrai que les luttes sociales, pour les salaires notamment, se multiplient, à l’image de la mobilisation qui a eu lieu à Bali lors du dernier sommet du FMI (lire ici) malgré la forte répression.
« Rétablir l’ordre », le mot d’ordre de Prabowo, gendre de Soeharto et général ayant fait ses classes dans la sanglante occupation du Timor, font directement écho à « l’ordre nouveau » de la dictature Soeharto.
Le programme de Prabowo est très clair, rétablir un État autoritaire, appuyé sur l’armée, sa priorité étant d’en augmenter le budget, et soutenir l’escalade réactionnaire des fondamentalistes religieux. Une politique explosive dans un pays certes très majoritairement musulman mais extrêmement multiculturel et régulièrement secoué par des affrontements inter communautaires et religieux. Sous pression, Jokowi s’est choisi un vice-président conservateur, le prédicateur Maruf, président du conseil des ulemas indonésiens, la NU plus grande organisation musulmane du monde, aux propos controversés.
Un spectre hante l’Indonésie, le spectre du communisme
C’est donc dans ce contexte que la campagne est marquée par le retour d’une violente propagande anticommuniste. Un spectre hante l’Indonésie, celui du communisme. C’est d’ailleurs ce que relève une dépêche AFP, non reprise par la plupart des rédactions en France mais publiée par l’édition en ligne de l’hebdomadaire Le Point.
Cette dépêche témoigne de la violente descente de police dans une librairie de Padang, à Sumatra où les fondamentalistes musulmans et nationalistes sont très puissants, pour y détruire des livres d’histoire traitant du parti communiste.
Une propagande et une répression qui visent plus qu’à contrer un parti communiste interdit de développement public, à empêcher l’émergence de la question sociale, des revendications des travailleurs et paysans dans la campagne électorale.
JBC pour https://www.initiative-communiste.fr
La « peur des rouges » relancée en Indonésie avant les élections
Yanto Tjahaja était affairé dans sa petite librairie de Padang quand des soldats se sont engouffrés dans son magasin et ont confisqué une dizaine de livres dédiés au Parti communiste. Car en Indonésie, tout ce qui a trait au communisme reste tabou.
En 1965, en pleine Guerre froide, les forces du général Suharto ont mené une vaste purge visant à éliminer les sympathisants communistes, qui s’est traduite par au moins 500.000 morts dans tout l’archipel d’Asie du Sud-Est.
Le Parti communiste indonésien (PKI), considéré alors comme le troisième au monde, après ses homologues chinois et soviétique, a été éradiqué, à la grande satisfaction des États-Unis qui luttaient contre la propagation du communisme en Asie.
Un demi-siècle plus tard, toute influence communiste dans le pays reste un chiffon rouge. Afficher des images de Che Guevara ou des symboles comme la faucille et le marteau peut conduire en prison.
Le raid dans la librairie de Padang, en janvier, fait partie d’opérations coup de poing menées par les autorités avant l’élection présidentielle d’avril, qui semblent destinées à raviver « la peur des rouges » pour en tirer des bénéfices politiques, selon des observateurs.
« On nous a dit que les livres confisqués traitaient du Parti communiste (PKI). Mais nous ne le savions pas. On ne faisait que les vendre », a déclaré à l’AFP Yanto Tjahaja, dans sa librairie de Padang, au centre de l’île de Sumatra.
« Mon épouse et moi-même sommes toujours traumatisés. On nous a traités comme des criminels ».
Des dizaines de librairies ciblées
Les raids anticommunistes sont menés de façon épisodique en application d’une législation drastique qui interdit toute propagation de l’idéologie communiste ou sa représentation politique.
Ces derniers mois, des dizaines de librairies ont été ciblées, poussant les associations de défense des droits de l’Homme à en appeler au président Joko Widodo pour qu’il mette fin à ces opérations de police.
« Ces descentes ont été menées dans le seul but de donner l’impression que le gouvernement reste en alerte face au risque d’un retour du communisme », note Asvi Warwan Adam, professeur d’histoire politique à l’Institut des sciences indonésien. « C’est évidemment lié aux élections ».
Pour Ronny Augustinus, dirigeant de la librairie en ligne Marjin Kiri, le gouvernement joue sur la peur du communisme en période électorale car « tout ce qu’il cherche à faire est de se maintenir au pouvoir ».
Sur les réseaux sociaux indonésiens, l’AFP a constaté de nombreuses infox ciblant le président Joko Widodo, tout comme son adversaire à la présidentielle Prabowo Subianto, l’un comme l’autre accusés à tort de sympathies communistes.
« Musée de la traîtrise »
Difficile pourtant de voir le moindre signe d’une résurgence du communisme dans la troisième démocratie de la planète. L’Indonésie, qui compte la plus importante population musulmane au monde, maintient officiellement que les massacres des années 1960 étaient nécessaires pour préserver le pays d’une idéologie athée.
Le Parti revendiquait trois millions de membres à son apogée, et jouissait d’un poids politique important dans le pays devenu indépendant des Pays-Bas en 1945. Il a vu son influence grossir dans les années 60, quand des millions d’Indonésiens sont tombés dans la pauvreté.
En 1965, invoquant une tentative de coup d’État, le régime de Suharto élimine des millions de militants et sympathisants du PKI, ainsi que des membres de leurs familles.
Des documents diplomatiques américains déclassifiés en 2017 ont révélé que le gouvernement américain était au courant d’une purge anticommuniste sanglante décrite comme « un vaste massacre ».
Uchikowati Fauzia, la fille d’un membre du PKI qui a été emprisonné, ne peut pas oublier cette période. « Mes amis et moi étions désignés comme les filles du PKI pendant des années (…) Et jusqu’à maintenant les discriminations continuent », dit-elle.
« Confusion et méfiance »
Au Musée de la traîtrise du Parti communiste, fondé à Jakarta par Suharto, il n’y a pas de place pour la mémoire des victimes.
Ce musée, que des classes entières visitent toujours avec leurs enseignants, montre en diorama des scènes de torture et de violence attribuées aux communistes, et destinées à marquer les esprits.
« Les rumeurs de retour du Parti communiste me font peur », souligne un visiteur, Muhammad Hafiz, 26 ans. « Le communisme n’a pas de place dans notre pays (…) Ils étaient sans pitié et ont tué brutalement nos héros, nous devons être vigilants ».
Quand le gouvernement de l’actuel président Joko Widodo a favorisé pour la première fois un débat public sur les massacres, l’initiative a déclenché des protestations de la part de l’armée et de la police.
À Padang, Tjahaja réfléchit à fermer sa librairie alors que les clients se font rares et que son commerce est attaqué sur les médias sociaux.
« Ce sont des livres d’Histoire » qui ont été confisqués. « Si on ne les vend plus, on peut aussi bien cesser d’étudier complètement l’Histoire », se lamente-t-il.