Initiative Communiste a pu s’entretenir avec OLIVIA ZEMOR, journaliste et fondatrice de CAPJPO-EuroPalestine (Coordination des Appels pour une Paix Juste au Proche-Orient).
Initiative Communiste : près toutes ces années de lutte dure suivie de répressions intenses encouragées par Washington et cautionnées par l’UE, le peuple palestinien et sa jeunesse ont-ils encore la force de résister, voire de se soulever contre l’énorme attentat au droit international que constitue la décision de Trump sur Jérusalem ? Peut-on attendre une résistance unie des différentes branches du mouvement patriotique palestinien face à la provocation de Trump et de Netanyahou ?
Oliva Zemor : Le peuple palestinien n’a jamais cessé de résister et c’est cette résistance héroïque — on sait à quelle vitesse la plupart des Français ont accepté l’occupation nazie pendant la 2ème guerre mondiale…— malgré la disproportion des armes en présence, qui est aussi un moteur pour nous.
Imaginez-vous que les jeunes Palestiniens de Gaza, qui ont subi les terribles bombardements israéliens en 2009, 2012 et 2014, qui ont fait plus de 4000 morts (soit 120.000 si on essaie de rapporter ce chiffre à la population française) et des dizaines de milliers de blessés, dont une grande partie de femmes et d’enfants, amputés d’un ou plusieurs membres, manifestent aujourd’hui, mains nues, contre l’annonce de Trump concernant Jérusalem ?
Et il apparait que ces jeunes n’appartiennent pas à un parti unique, mais sont aussi bien au Hamas, au Fatah, au FPLP qu’au Jihad Islamique.
Et ceux qui avaient misé sur la collaboration avec l’occupant, comme l’Autorité Palestinienne, et auxquels Israël et l’administration américaine montrent bien peu de reconnaissance, sont acculés eux aussi à bouger, ou au moins à laisser la révolte populaire s’exprimer.
Initiative Communiste : le Proche-Orient musulman semble plongé dans une guerre civile larvée ou patente entre chiites et sunnites, le tout sous influence américano-saoudite ciblant l’Iran. Est-ce que ces divisions sont surmontables pour faire face à l’ennemi commun sur des bases anti-impérialistes ?
Olivia Zemor : Nous l’espérons. La politique impérialiste a consisté de tout temps à diviser pour mieux régner. En Inde, l’Empire britannique a essayé de jouer sur les castes. Il a quand même fini par être éjecté. En Afrique du Sud, le pouvoir blanc du temps de l’apartheid avait aussi établi des distinctions, notamment entre les Noirs et les « Coloured » (Indiens pour la plupart) . Même dans les prisons, ils n’avaient pas droit aux mêmes rations caloriques…
« La stratégie du choc » a porté ses fruits. Mais jusqu’à quand ? Personne ne peut savoir à quel moment les opprimés décident de se rassembler pour lutter ensemble. C’est vrai du monde musulman, comme de l’occident, où l’on entretient des divisions entre travailleurs et chômeurs, entre ceux qui ont encore de quoi « consommer » et ceux qui n’y arrivent plus, entre les Français « de souche » et les autres….
Initiative Communiste : Dans ce conflit national pluri-décennal, la classe ouvrière et les forces populaires palestiniennes, notamment laïques, peuvent-elles jouer un rôle propre dans le rassemblement populaire patriotique ?
Olivia Zemor : La plupart des Palestiniens n’ont pas de travail. Une grande partie d’entre eux vivent de l’aide humanitaire, sur le peu de terre qu’il leur reste, ils ne peuvent cultiver leurs champs (oliviers déracinés, puits empoisonnés, eau volée, épandage de produits toxiques par les avions israéliens, destruction des infrastructures (y compris celles financées par l’UE), impossibilité d’écouler leur production en interne (le lait tourne lors des longues files d’attente aux checkpoints, et les fruits pourrissent), ni à l’étranger, car c’est Israël qui contrôle l’ensemble des frontières.
Dans ces conditions, peu de Palestiniens se posent vraiment la question de la laïcité ou de la religion (qui devient souvent le seul réconfort possible dans une situation aussi désespérante).
Mais si persistent des coutumes claniques et machistes ancestrales, les Palestiniens sont néanmoins étonnamment « modernes » et libres dans leur état d’esprit. Ils ont toujours été la hantise des régimes arabes égyptien, saoudien… qui redoutent que cette indépendance d’esprit, cette volonté de résistance, déteignent sur leurs propres populations. C’est pourquoi, même quand ils font semblant de soutenir la cause palestinienne (ce qui n’est même plus cas pour certains d’entre eux qui collaborent ouvertement avec Israël), ils n’ont jamais soutenu réellement cette lutte pour la la liberté et l’auto-détermination.
Initiative Communiste : lors des conflits qui ont résulté de l’ ainsi-dit « Printemps arabe », une grande partie de la gauche établie française a totalement ou partiellement rallié le camp euro-atlantique. Que peuvent faire les progressistes restés fidèles à l’anti-impérialisme et à la cause palestinienne pour mieux soutenir le peuple palestinien, notamment pour faire comprendre au peuple français que l’irresponsabilité de Washington et de Tel-Aviv sur la question palestinienne peut en permanence allumer un conflit géopolitique majeur ? Bref, comment mieux faire comprendre que cette cause, souvent ressentie comme juste mais particulière, comporte une signification universelle engageant l’avenir humain ?
Olivia Zemor : Tous ceux qui ont compris les enjeux que recèle la question palestinienne pour leurs propres droits, qui voient à quel point Israël est devenu non seulement un laboratoire qui teste, sur des êtres humains, les armes et les technologies de surveillance et de répression des populations, mais un baromètre permettant de savoir jusqu’à quel point on peut priver un peuple de ses droits sans que le reste du monde réagisse (très utile pour les classes dominantes de nos pays ), doivent S’EXPRIMER.
Car comprendre ne suffit pas. Il faut faire comprendre, et nous sommes trop peu nombreux à nous exprimer sur ce sujet. Beaucoup partagent ce point de vue. Et cela se voit particulièrement en ce moment avec l’annonce de Trump, avec cette violation du droit international, cette arrogance, qui ont été ressenties par un très grand nombre de gens comme une gifle qui leur était infligée personnellement. La réaction populaire en France, par exemple, nous semble en effet différente de celle éprouvée pendant les bombardements de Gaza, où c’est l’empathie et la solidarité qui ont fait descendre les gens dans la rue. Actuellement, la réaction, c’est plutôt : « Mais où va-t-on à cette allure ? ».
Le chantage à l’antisémitisme a fait taire beaucoup de gens, mais il développe également un antisémitisme rampant et généralisé (de type « Ils sont partout », « ils tiennent tout » ) qui est provoqué par ceux (Israël, le CRIF, nos dirigeants) qui font en permanence l’amalgame entre Juifs et la politique criminelle israélienne. Ceci est voulu par Israël qui a intérêt à miser sur la peur, et également à inciter un maximum de juifs à émigrer en Israël, pour contrebalancer la démographie palestinienne.
La seule manière d’avoir une chance de changer la donne, et de battre en brèche cet antisémitisme qui se développe, c’est de mettre un terme à l’impunité d’Israël. Et nous avons un moyen pour cela : le boycott.
La société palestinienne, qui se bat à armes tellement inégales, a compris qu’elle ne pourrait pas s’émanciper, faire cesser la colonisation les déportations, les emprisonnements et la torture des enfants, par ses seuls moyens. Elle nous a lancé un appel : BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions contre Israël) en se calquant sur l’appel lancé par la résistance des Noirs Sud-africains pendant l’apartheid.
Cette campagne est en marche et elle remporte d’éclatants succès au niveau international, et y compris en France (même si les médias aux ordres se gardent d’en parler)
Ce sujet vaudrait à lui seul un autre article dans votre journal !