Fidel est mort invaincu – par Rafael Correa
Lors de l’hommage posthume à Fidel sur la place de la Révolution, le 29 novembre 2016
Peuples de Notre Amérique et du monde : Fidel est mort.
Il est mort invaincu. Seul le pas inexorable des années a pu le vaincre. Il est mort le même jour où, soixante ans avant, à quatre-vingt-deux patriotes, il est parti du Mexique pour marquer l’Histoire.
Il est mort en faisant honneur à son prénom : Fidel, digne de foi. La foi que son peuple et toute notre grande patrie [l’Amérique latine] a mise en lui ; la foi qu’il n’a jamais déçue, encore moins trahie.
Ceux qui meurent pour la vie, on ne peut jamais les appeler des morts.
Fidel continuera de vivre dans les visages des enfants qui vont à l’école, des malades qui sauvent leur vie, des ouvriers maîtres du fruit de leur travail. Sa lutte continue dans l’effort de chaque jeune idéaliste acharné à changer le monde.
Sur le continent qui connaît les pires inégalités de la planète, tu nous as laissé le seul pays avec zéro dénutrition, avec l’espérance de vie la plus élevée, avec une scolarisation de cent pour cent, sans aucun enfant vivant à la rue (applaudissements).
Évaluer le succès ou l’échec du modèle économique cubain en faisant abstraction d’un blocus criminel de plus de cinquante ans, c’est de l’hypocrisie pure et simple ! (Applaudissements.) N’importe quel pays capitaliste d’Amérique latine en butte à un blocus semblable s’effondrerait en quelques mois.
C’est probablement par ta formation chez les jésuites que tu as très bien compris, comme le disait saint Ignace de Loyola, que dans une forteresse assiégée, toute dissidence est une trahison.
Pour évaluer son système politique, il faut comprendre que Cuba a subi une guerre permanente. Dès le début de la Révolution, il existe une Cuba du Nord, là-bas à Miami, guettant en permanence la Cuba du Sud, celle qui est libre, digne, souveraine, majoritaire sur la terre nourricière, non en des terres étrangères (applaudissements). Ils n’ont pas envahi Cuba parce qu’ils savent qu’ils ne pourront pas vaincre tout un peuple (applaudissements).
Ici, sur cette île merveilleuse, on a érigé des murailles, mais non de celles qu’érigent les empires : des murailles de dignité, de respect, de solidarité ! (Applaudissements.)
Cuba ira de l’avant en raison de ses principes révolutionnaires, de son extraordinaire talent humain, mais aussi parce que la résistance est intégrée à sa culture. Fort de l’exemple de Fidel, le peuple cubain ne permettra jamais que son pays redevienne la colonie d’aucun empire (applaudissements).
Il n’existe ni être humain ni action majeure sans détracteurs, et Fidel et sa Révolution ont transcendé l’espace et transcenderont le temps.
Tu concrétises ce que notre vieux combattant, le général Eloy Alfaro, l’ami de Martí, avait l’habitude de dire : « Si, au lieu d’affronter le péril, j’avais commis la lâcheté de passer à l’ennemi, nous aurions joui de la paix, d’une grande paix : la paix du colonialisme. »
Cuba a été solidaire avec la révolution libérale d’Alfaro à la fin du XIXe siècle et elle a été solidaire avec notre Révolution citoyenne du XXIe siècle.
Merci beaucoup, Fidel ; merci beaucoup, peuple cubain ! (Applaudissements.)
La majorité t’a aimé passionnément ; une minorité t’a haï, et nul n’a pu t’ignorer. Certains combattants sont acceptés dans leur vieillesse jusque par leurs détracteurs le plus récalcitrants, parce qu’ils cessent d’être dangereux, mais toi, tu n’as même pas eu cette trêve, parce que jusqu’à la fin ta parole claire et ton esprit lucide n’ont laissé aucun principe sans défense, aucune vérité dans le silence, aucun crime sans dénonciation ! (Applaudissements.)
Bertolt Brecht disait que seuls les hommes qui luttent toute leur vie sont indispensables. J’ai connu Fidel, et je sais que, même s’il n’a jamais cherché à être indispensable, en revanche il a lutté toute sa vie (applaudissements). Il est né, il a vécu et il est mort avec « la stupidité de ce qui s’avère aujourd’hui stupide : la stupidité de faire face à l’ennemi, la stupidité de vivre sans être monnayable ».
« Nous continuerons de jouer à qui-perd-gagne [1] », et tu continueras de « vibrer dans la montagne, avec un rubis, cinq bandes et une étoile [2] » (applaudissements).
Notre Amérique doit affronter de nouvelles tempêtes, peut-être plus fortes que celles que tu as défiées pendant soixante-dix ans de lutte, d’abord comme étudiant et à la Moncada, ensuite comme guérillero dans la Sierra Maestra et enfin à la tête d’une révolution triomphante.
Aujourd’hui, plus unis que jamais, peuples de Notre Amérique ! (Applaudissements.)
Cher Fidel, ta profonde conviction martinienne t’a conduit à toujours être, « non du côté où l’on vit mieux, mais du côté où se trouve le devoir [3] ».
« Révolution, cela veut dire avoir le sens du moment historique ; cela veut dire changer tout ce qui doit être changé ; cela veut dire l’égalité et la liberté pleines ; cela veut dire être traité soi-même et traiter autrui comme un être humain ; cela veut dire nous libérer par nous-mêmes et par nos propres efforts ; cela veut dire défier de puissantes forces dominantes dans l’arène sociale et nationale et au-dehors ; cela veut dire défendre des valeurs auxquelles on croit au prix de n’importe quel sacrifice ; cela veut dire modestie, désintéressement, altruisme, solidarité et héroïsme ; cela veut dire lutter avec audace, intelligence et réalisme ; cela veut dire ne jamais mentir, ne jamais violer de principes moraux ; cela veut dire conviction profonde qu’il n’existe pas de force au monde capable d’écraser la force de la vérité et des idées [4]. »
C’est avec toi, comandante Fidel Castro Ruz, avec Camilo Cienfuegos, avec le Che, avec Hugo Chávez Frías, que nous avons appris à croire en l’homme nouveau latino-américain, capable de livrer, organisé et conscient, la lutte permanente des idées libératrices pour édifier un monde de justice et de paix (applaudissements).
C’est pour ces idées-là que nous continuerons de nous battre. Nous le jurons ! (La foule reprend l’expression.)
Une étreinte solidaire à Dalia, à Raúl, à tes enfants.
Hasta la victoria siempre, Comandante ! (Applaudissements.)
Rafael Correa
(Traduction de Jacques-François Bonaldi, La Havane)
source : https://www.legrandsoir.info/fidel-est-mort-invaincu.html
[1] Correa cite ici des extraits d’une chanson très fameuse de Silvio Rodríguez : El Necio, écrite au moment de la Période spéciale, après l’effondrement du camp socialiste et la désintégration de l’Union soviétique, quand amis et ennemis conseillaient à la Révolution cubaine, face à une telle débâcle, de renoncer à ses principes et au socialisme. Cette chanson que presque tous les Cubains connaissent par cœur est la personnification de la résistance cubaine. Le necio, c’est donc ce quelqu’un d’assez « stupide » pour ne pas virer casaque et se vendre au plus offrant. (N.d.T.)
[2] Correa cite de nouveau quelques vers d’une autre chanson archiconnue, Cuba, que linda es Cuba : la montagne, c’est bien entendu la Sierra Maestra, tandis que les autres éléments évoquent le drapeau cubain.
[3] Correa cite une des très fameuses maximes de José Martí, que Fidel a constamment reprise et qui apparaît chez lui dès ses premiers écrits d’avant la victoire révolutionnaire.
[4] Correa cite ici textuellement le « concept de révolution » émis le 1er mai 2000 par Fidel et que tous les Cubains ont été invités, durant les neuf jours de deuil national, à ratifier de leur nom et de leur signature dans les milliers de locaux ouverts à ces fins dans toute l’île, en hommage à Fidel et à ses idées.
Fidel a consacré toute sa vie à la solidarité et a pris la tête d’une Révolution socialiste « des humbles, par les humbles et pour les humbles »
Chers chefs d’État et de gouvernement,
Messieurs les chefs de délégations,
Illustres personnalités
Chers amis,
Cher peuple de Cuba (Applaudissements) :
Même s’il me reviendra de prononcer le discours final le 3 décembre prochain, lorsque nous nous réunirons sur la Place de la Révolution Antonio Maceo, à Santiago de Cuba, je tiens à exprimer, en cet instant, au nom de notre peuple, de notre Parti et de notre gouvernement, ainsi qu’en celui de ma famille, ma sincère gratitude pour votre présence à cette cérémonie (Applaudissements), pour les paroles émouvantes prononcées depuis cette tribune, et aussi pour les extraordinaires et innombrables témoignages de solidarité, d’affection et de respect que nous avons reçus du monde entier en cette heure de douleur et d’engagement.
Fidel a consacré toute sa vie à la solidarité et a pris la tête d’une Révolution socialiste « des humbles, par les humbles et pour les humbles », devenue un symbole de la lutte anticolonialiste, anti-apartheid et anti-impérialiste, pour l’émancipation et la dignité des peuples.
Ses paroles vibrantes résonnent encore aujourd’hui sur cette Place, comme lors de la Concentration paysanne du 26 juillet 1959 de soutien à la Réforme agraire, qui fut pour nous comme franchir le Rubicon et entraîna la condamnation à mort de la Révolution. Ici, Fidel réaffirma que « la Réforme agraire sera appliquée pour de bon ». Et nous l’avons faite. Aujourd’hui, 57 ans plus tard, nous rendons hommage à celui qui l’a conçue et l’a dirigée.
Ici même, nous avons voté avec lui la 1ère et la 2ème Déclarations de La Havane, en 1960 et 1962, respectivement (Applaudissements). Face aux agressions appuyées par l’Organisation des États américains (OEA), Fidel a proclamé que « derrière la Patrie, derrière le drapeau libre, derrière la Révolution rédemptrice… il y a un peuple digne », prêt à défendre son indépendance et « le destin commun de l’Amérique latine libérée ».
J’étais avec Fidel dans le bâtiment aujourd’hui occupé par le MINFAR, le ministère des Forces armées révolutionnaires, lorsque nous avons entendu l’explosion du navire français La Coubre, qui apportait les premières et les seules armes que nous étions parvenus à acheter en Europe. Nous nous sommes précipités vers le quai – car nous savions que cette explosion ne pouvait provenir que du bateau qui déchargeait ces armes –, pour secourir les victimes, lorsque, quelques minutes après notre arrivée, une deuxième explosion a suivi, tel un piège mortel. Les deux firent 101 morts et de nombreux blessés.
Ici, avec lui, Cuba fut déclarée « Territoire sans analphabétisme », en décembre 1961 (Applaudissements), au terme de la Campagne d’alphabétisation, réalisée grâce aux efforts de 250 000 instituteurs et étudiants et qui ne fut pas interrompue, alors que cette même année les vétérans de l’Armée rebelle et les Milices nationales révolutionnaires naissantes combattaient les mercenaires à Playa Giron et dans les zones montagneuses, contre les bandes armées infiltrées depuis l’étranger qui, entre autres nombreux méfaits, assassinèrent dix jeunes alphabétiseurs. Nous avons vaincu à Giron, et nous avons aussi mené à bien l’alphabétisation dans tout le pays (Applaudissements), pour pouvoir affirmer, comme le souligna Fidel, que « la jeunesse tient l’avenir entre ses mains » (Applaudissements).
C’est avec une profonde émotion qu’ici même nous avons écouté le Commandant en chef sur cette Place, à la cérémonie solennelle d’octobre 1967 organisée en hommage à l’inoubliable Commandant Che Guevara, et nous y sommes revenus, 30 ans plus tard, durant l’étape la plus dure de la Période spéciale, pour prendre l’engagement devant ses restes à suivre son exemple immortel.
Bouleversés et indignés, nous avons assisté aux obsèques des 73 personnes assassinées par le terrorisme d’État dans l’explosion de l’avion de Cubana de Aviacion à la Barbade, parmi lesquelles figuraient les jeunes qui avaient remporté toutes les médailles d’or au 4e Tournoi d’Amérique centrale et de la Caraïbe d’escrime. À cette occasion, nous avons répété avec lui que « Quand un peuple énergique et viril pleure, l’injustice tremble ! » (Applaudissements).
Cette place a été le témoin d’importantes marches du Premier mai de la capitale : en 1996 contre le blocus et la Loi Helms-Burton, qui persistent encore aujourd’hui ;de l’imposant défilé de 1999 et la Tribune ouverte de la jeunesse, des étudiants et des travailleurs de 2000, où Fidel énonça son concept de Révolution, concept que des millions de Cubains font leurs ces jours-ci avec leur signature, dans un acte de volonté sacrée (Applaudissements).
C’est aussi ici que nous nous sommes rassemblés pour soutenir les accords de nos Congrès du Parti communiste de Cuba.
Et c’est dans ce même esprit que le peuple est venu ces jours-ci, avec une forte participation de jeunes, rendre un hommage ému et à jurer fidélité aux idées et à l’œuvre du Commandant en chef de la Révolution cubaine (Applaudissements).
Cher Fidel :
Au pied du Monument à José Marti, héros national et auteur intellectuel de l’attaque de la Caserne Moncada, où nous nous sommes réunis durant plus d’un demi-siècle, à des moments de profonde douleur, ou pour honorer nos martyrs, proclamer nos idéaux, honorer nos symboles et consulter le peuple au sujet de décisions transcendantes ; précisément ici, où nous avons commémoré nos victoires, nous te disons, aux côtés de notre peuple dévoué, combatif et héroïque : Hasta la victoire siempre (Exclamations et applaudissements).
(La foule scande des vivats à Fidel et Raul)
Je suis d’accord avec l’analyse de Rafael Correa, évaluer l’échec ou le succès d’une politique après plus de 50 ans de blocus par les USA est tout simplement ignoble et irresponsable. Moi je dis tout simplement ce que tu as fait Fidèl restera une référence dans la libération des peuples et de l’humanité.