Il y a 51 ans en Indonésie, poussés et soutenus par les États-Unis, les forces fascistes autour du Général Soeharto appuyées par les intégristes renversaient le président Sukarno, et génocidaient les communistes Indonésien.
51 ans plus tard, le 30 septembre 2016, à Jakarata, Sukamawati Soekarnoputri fille du premier président de la République d’Indonésie Sukarno a livré dans une conférence de presse à l’occasion d’une rencontre avec le syndicat Para son témoignage sur le renversement de son père, dénonçant le génocide de millions de communistes en 1965-1966, prélude à plus de 40 ans de dictature soutenue par le bloc capitaliste occidental.
Voici la traduction depuis l’indonésien de la transcription de son témoignage par Kompass l’un des journaux de référence Indonésien
« mon père pleurait parce que des millions de personnes accusées d’être communistes étaient assassinées en masse »
Samedi 1er octobre 2016
JAKARTA, KOMPAS.com – Jakarta, Vendredi, 30 Septembre 1965. Il y a exactement 51 ans, j’avais 14 ans.
Ce soir-là ne diffère pas des nuits précédentes. A cette époque, mon père n’était pas à la maison.
Il assistait à un événement, la faute à la Journée nationale du génie. En tant que Président de la République d’Indonésie, il se devait de prononcer un discours.
Après cet événement mon père n’est pas retourné au palais. Mon père avait l’habitude de rejoindre sa troisième épouse du vendredi au dimanche, Mme Hartini à Bogor.
Ça n’avait rien de surprenant. Tout était comme d’habitude. Jusqu’au lendemain matin, vendredi 1er octobre 1965, alors que je m’apprêtais à partir à l’école.
Tout à coup ma nourrice m’appelle.
« Princesse, aujourd’hui vous ne pouvez pas aller à l’école car nous avons appris que des généraux détachés dans votre garde personnelle ont été enlevés, » a-t-elle dit.
Depuis mon enfance, je suis appelée Princesse par les domestiques et non par mon nom, Sukmawati.
L’atmosphère de ce matin était calme mais tendue. Je jetais un œil par la fenêtre, pas un seul homme de mon père n’était au palais.Soudain je vois que dans l’enceinte du palais il y a des hommes en uniforme de cérémonie.
« Comme c’est étrange, » ai-je pensé, parce qu’aujourd’hui il n’y a pas de cérémonie d’État.
« Ah peut-être est-ce à cause des généraux qui ont été enlevés. »
Puis je vois un soldat armé dans la cour, ainsi qu’un camion militaire.
Étrange, car il ne devrait y avoir ni camion ni arme dans l’enceinte du palais. Seule la garde personnelle de Père est autorisée à être armée dans le palais.
L’atmosphère devient tendue. Au palais, il y a ma grande sœur Rahmawati et mon petit frère Guruh.
Peu de temps après un garde vient nous chercher pour quitter le palais. Nous sommes conduits à la maison de ma mère rue Sriwijaya.A la sortie du palais, beaucoup de soldats que je ne connais pas montent la garde devant les grilles. A la maison, on nous demande de rejoindre mon père dans le quartier de Halim.
Nous le retrouvons enfin. Je vois dans son regard l’expression qu’il s’est passé quelque chose. Une expression que je n’ai pas vue depuis la tentative d’assassinat de mon père le 30 novembre 1957 à Perguruan Cikini.
Cet après-midi, le visage de mon père est soucieux. Il y a de la tristesse et de l’égarement. J’ai le sentiment que quelque chose se passe.
A Halim, je vois mon père accompagné du commandant de l’armée mais le général Ahmad Yani n’est pas là.Mon père me dit alors de rejoindre ma mère à Bandung. A partir de ce jour, ma vie reprit son cours normal.
En 1967, notre famille a dû quitter le palais. MPRS a publié la résolution No. XXXIII/MPRS/1967 qui révoque tous les pouvoirs du Président Soekarno sur le gouvernement et nomme Supersemar* Président, c’est-à-dire Soeharto.[ * surnom faisant allusion à Semar, personnage du wayang kulit (théâtre d’ombres) javanais, à la fois serviteur et conseiller des princes, incarnation de la divinité suprême. ]
Après cela, père est arrêté en ville et détenu à Wisma Yaso (désormais le Musée Satria Mandala, Jakarta) jusqu’à fin 1967.
Début 1968, Soekarno est détenu en résidence surveillée et ses activités sont restreintes, ainsi que les visites de sa famille.
Père m’a dit qu’il se sentait très seul. De nombreux ministres lui étant restés loyaux ont été arrêtés par le gouvernement.
Seule Mme Hartini est autorisée à rester. Je peux seulement le voir n’ai le droit de venir que lorsque l’unité d’investigation de l’armée de terre ne vient plus dans la maison d’arrêt pour mener une perquisition.Le cœur de Bung Karno s’est brisé en mille morceaux, après ce qu’il a donné à son peuple, il devient prisonnier politique.
Un jour je rends visite à mon père. Il est réticent à aller se promener en ville, c’est la première fois. Ce jour-là il ne fait que somnoler sur le canapé.
Tout d’un coup, il se met à pleurer en me serrant dans ses bras. A cette époque je ne comprenais pas pourquoi il pleurait.
Plus tard j’ai compris que mon père pleurait parce qu’il venait d’apprendre les mauvaises nouvelles du 1er octobre 1965. Il y avait eu des assassinats en masse de personnes accusées d’être communistes.
Il pleurait également parce qu’il a été évincé du pouvoir par son propre peuple et des millions de personnes qu’il aimait ont été tuées à la seule fin de maintenir en place un pouvoir. C’est vraiment tragique que la vie d’un des fondateurs de la nation se termine ainsi.
Traduction depuis l’indonésien SG pour www.initiative-communiste.fr