En Amérique Latine, il existe un pays où les élections sont bafouées. Où l’opposition est réprimée. Où une dictature se maintient en place par la force avec le soutien d’une puissance étrangère. Un pays dont vous n’entendrez pas parler sur France 2 par Léa Salamé, ni par aucun des principaux titres de la presse détenue par les milliardaires, ni leurs radios et télé. Ce pays, c’est le Honduras. Et non pas le Venezuela qui organise régulièrement des élections, trois en 2017, et en 2018 la prochaine élection présidentielle.
Au Honduras, vendredi dernier, des milliers de manifestants se sont rassemblés devant le siège des Nation Unies, demandant que l’ONU reconnaisse le vainqueur des élections, Salvador Nsasralla, comme président. Son rival, Juan Orlando Hernandez s’est autoproclamé président – lui qui s’était déjà emparé du pouvoir par un coup d’état soutenu par les USA – à la suite des élections de novembre dernier marqué par des témoignages massifs de fraudes. Mais le soutien des USA à leurs dictateurs aura été plus fort que les élections. Un rapport de l’ONG COFADEH souligne que plus de 30 manifestants ont été tués et plus de 1000 arretés par la police et l’armée depuis l’élection en novembre dernier.
Le journal américain d’investigation Consortium News revient sur la situation au Honduras.
Source : Dennis J. Bernstein, Consortium News, 26-01-2018
Les élections contestées de l’an dernier au Honduras ont constitué un terreau toujours fertile à la mobilisation d’activistes populaires dans le pays, dont les manifestations se voient confrontées à une répression sévère de la part de la police et de l’armée, rapporte Dennis J Bernstein dans l’interview qui suit.
C’est la dernière tragédie issue de la politique étrangère malavisée des USA en Amérique Centrale, en l’occurrence le support tacite à une nouvelle élection présidentielle truquée au Honduras. Le nouveau gouvernement de droite hors-la-loi y fait subir une violence terrible aux gens qui refusent les résultats des élections de novembre dernier, entre le dictateur d’extrême droite parlementaire, Juan Orlanda Hernandez, le président en exercice, et le réformateur progressiste, Salvador Nasralla.
Pour dresser le portrait de ce qui se passe sur le terrain au Honduras – y compris des dizaines de meurtres d’activistes de rue – j’ai parlé à Sandra Cuffe. Établie à Tegucigalpa, Honduras, Cuffe a vécu de nombreuses années en Amérique Centrale et écrit pour plusieurs publications en ligne.
Cuffe a aussi exprimé une vive inquiétude quant à la sécurité d’Edwin Espinal, un activiste réputé et allié de nombreux mouvements au Honduras, parmi lesquels le COPINH. Ce dernier est le groupe fondé dernièrement par Berta Caceres, dont on pense qu’elle a été assassinée par les forces de droite affiliées au gouvernement du Honduras. Espinal a été arrêté dernièrement et est actuellement détenu dans des conditions difficiles sur une base militaire du Honduras.
« Le gouvernement en place a arrêté et battu Espinal à de nombreuses reprises », a déclaré un ami et collègue d’Espinal. « Son corps a été battu et brisé de manière répétée. C’est à présent un prisonnier politique, portant des chaînes aux pieds, pour avoir exercé ses droits à la liberté d’expression et au rassemblement libre. »
J’ai parlé à Cuffe le 24 janvier à Tegucigalpa, Honduras.
Dennis Bernstein : Pouvez-vous rappeler aux lecteurs les événements récents des élections au Honduras, et nous donner une idée de l’ambiance qui règne en ce moment ?
Sandra Cuffe : Des élections générales se sont tenues le 26 novembre dernier au Honduras. Ces élections, âprement contestées, se tenaient entre Juan Orlando Hernandez, le président en exercice, et Salvador Nasralla, qui était le candidat de l’alliance d’opposition contre la dictature.
Selon la constitution du Honduras, la réélection d’un président en exercice n’est pas permise, mais la droite a tellement concentré les pouvoirs qu’on a atteint un stade où la branche exécutive a pris le contrôle d’à peu près toutes les branches du gouvernement, et un jugement de la cour suprême a autorisé la réélection du président.
En face de cela, le Parti Libre a commencé à croître à partir de la résistance au coup d’état de 2009 qui fut soutenu par les États-Unis. Pour ces dernières élections, il a formé une alliance avec un parti plus petit, et avec Salvador Nasralla.
Après comptage de plus de la moitié des votes, les résultats préliminaires donnaient à Nasralla une avance de 5 points, ce qui est considéré comme un signe irréversible de victoire. Puis, le système informatique a mystérieusement planté, et quand il est revenu en ligne, l’avance de Nasralla a commencé à diminuer rapidement.
C’était le premier signe de fraude. Les résultats officiels ont ensuite mis quelques semaines à sortir. L’Organisation des États Américains [NdT pour la suite du document : « OEA »] a décelé de graves irrégularités dans l’élection et de nombreuses indications de fraude.
Pendant ce temps, il y a eu des manifestations massives et toutes sortes d’actions à travers le pays. Au moins 35 personnes sont mortes, et probablement beaucoup plus que cela. La plupart des morts sont survenues quand les forces de l’ordre ont ouvert le feu sur des manifestations à travers le pays. Des centaines de personnes ont été blessées et plus de mille personnes ont été placées en détention. Beaucoup de gens ont été relâchés mais certains sont encore détenus comme prisonniers politiques. L’investiture est prévue le 27 janvier, si bien que nous sommes à présent encore au cœur de ces événements.
DB : Dites-en un peu plus sur ce qui est en jeu ici et pourquoi les gens sont prêts à risquer leur vie.
SC : L’enjeu, c’est la démocratie. Depuis le coup d’état de 2009, les gens se sont organisés, ont formé des partis politiques et des alliances. Beaucoup de gens qui n’étaient pas actifs politiquement auparavant ont commencé à agir pour essayer de changer ce qui se passe.
Le Parti National au pouvoir est en place depuis 2010. Ils ont concentré le pouvoir a un niveau extrême. Nous avons vu une hausse énorme de la militarisation du pays, y compris la création d’une police militaire, qui s’est montrée responsable de la majorité des morts de manifestants.
Même si on oublie la crise en cours depuis l’élection, le Honduras a longtemps été l’un des pays les plus violents du monde, l’un des plus dangereux pour les défenseurs de l’environnement et pour les journalistes. Les systèmes de santé et d’éducation sont totalement désorganisés. La corruption est omniprésente. Donc, vraiment l’avenir du pays est en jeu.
Mais, malgré la répression, les gens ne se résignent pas. Nous avons eu des manifestations massives, surtout depuis décembre dernier, dans la capitale, avec des dizaines de milliers de personnes dans les rues. L’alliance d’opposition a sa base la plus forte dans le nord ouest du pays, où la résistance a toujours été la plus forte. Des barricades ont été mises en place à de nombreux endroits. Il y a eu au départ un dialogue assez limité avec la police, mais récemment ce sont surtout les forces militaires qui se montrent, qui ouvrent le feu, ou envoient des gaz lacrymogènes.
DB : Qu’a dit le gouvernement des USA sur la mort de manifestants ? Est-ce qu’ils continuent de soutenir le coup d’état ?
SC : Cela fait des dizaines d’années que le Honduras est un allié clé des USA en Amérique Centrale. Il y a une énorme base militaire là bas. C’est la base résidente de la Force Opérationnelles Conjointe du sud Bravo [NdT: U.S. Southern Command Joint Task Force Bravo]. Dans les années 80, cette base a constitué le support d’entraînement et de lancement pour les opérations de contre-insurrection pour l’Amérique Centrale. Les États-Unis sont derrière tout ce qui arrive politiquement au Honduras.
Les USA et l’OEA ne sont pas tombés d’accord sur la reconnaissance des résultats des élections. Deux jours après l’élection, et juste avant que des soldats ne commencent à ouvrir le feu sur des manifestants, le département d’État des USA a reconnu l’élection, ce qui a ouvert la voie à une aide militaire [des USA] au gouvernement du Honduras.
DB : L’activiste important Edwin Espinal est à présent en détention. Qu’est ce qui est en train de se passer pour lui ?
SC : Edwin est un activiste de la première heure au Honduras. Il a été extrêmement actif dans les mouvements de rue après le coup d’état. Sa femme a de fait été tuée pendant ces manifestations. Il y a eu un millier de détentions. La plupart des détenus ont été libérés peu après, mais il reste encore au moins deux douzaines de personnes en prison. Les charges retenues contre eux sont surtout liées à la destruction de biens.
Dans le cas d’Edwin, en réponse aux attaques au gaz lacrymogènes, les manifestants ont brisé les fenêtres d’un hôtel Marriot à proximité du palais présidentiel. Plusieurs postes de police ont été incendiés après que la police a ouvert le feu sur les manifestants. Edwin a été arrêté vendredi dernier [NdT : le 19 janvier 2018] et il doit répondre de trois chefs d’accusation liés à des destructions de biens. Il fait l’objet d’une enquête pour terrorisme et association criminelle. Le cas d’Edwin est soumis à une cour spéciale, ses auditions sont réalisées sur une base militaire. Il n’y a pratiquement aucun accès public. C’est ce lundi [NdT : le 22 janvier 2018] qu’il a eu sa première audition.
DB : Est-ce que quelqu’un a pu lui parler directement ? Et comment pensez-vous qu’il va être traité en détention ?
SC : Des gens ont pu lui rendre visite après son arrestation, quand il était détenu dans une cellule de la police. Ils ont pu le voir très brièvement alors qu’il entrait et sortait d’auditions. Toutefois, ses avocats proviennent d’organisations éminentes de défense des droits de l’homme, si bien qu’il y a eu des communications avec l’extérieur. Il est très difficile d’établir des visites. Les supports de lecture sont interdits. En termes de sûreté, à cause de tellement d’incidents passés, d’intimidations et de menaces contre Edwin, remontant à la période qui a commencé avec le coup d’état, le gouvernement a mis en place des « mesures de protection » dans son cas selon les ordres de la Commission inter-américaine des droits de l’homme.
DB : Le cas d’Edwin a-t-il reçu des soutiens de la part de membres du Congrès des États Unis ?
SC : Je n’ai pas encore de réponse à cette question. Il existe un réseau de solidarité hondurien très actif aux USA et au Canada qui a été très impliqué depuis le coup d’état.
DB : Pour ce qui concerne la politique des US envers le Honduras, c’est vraiment ce que nous aimons constater, n’est-ce pas ? C’est comme une grande zone de libre échange avec quelques bases militaires éparses. Nous pouvons aussi nous attendre à une augmentation des flux migratoires de honduriens et d’autres habitants de l’Amérique centrale vers les USA.
SC : Je sais que quand vous parlez à la plupart des jeunes ici, ils ne se projettent pas dans le futur au pays. Ils se sont organisés, ils sont allés voter, et les signes flagrants de victoire ont été purement et simplement balayés au bout de deux jours. Les gens sont scandalisés et beaucoup vont quitter le pays.
Dennis J. bernstein est un invité de Flashpoints sur le réseau radio Pacifica et l’auteur de Special Ed : Voices from a Hidden Classroom [Éducation spécialisée : voix en provenance d’une salle de classe cachée, NdT]. Les archives audio sont disponibles à l’adresse www.flashpoints.net.
Source : Dennis J. Bernstein, Consortium News, 26-01-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.