“La tragédie de 1965 reconnue comme un génocide”
Le quotidien Koran Tempo brave toutes les menaces et les tabous de l’histoire officielle indonésienne en titrant à la une : “La tragédie de 1965 reconnue comme un génocide”. Tel est le jugement prononcé mercredi 20 juillet, dans la ville du Cap, en Afrique du Sud, par le président du Tribunal international populaire (IPT), Zakaria Yacoub. Jugement qui aura donc reçu un écho jusqu’en Indonésie. Rappelons que le communisme, le marxisme sont toujours interdit et sévèrement réprimés en Indonésie. La réforme du code pénal conduite par le nouveau président réformateur Jokowi n’a d’ailleurs par supprimé ces dispositions violemment anti démocratique.
Ce tribunal, constitué de militants des droits de l’homme et des familles des victimes des massacres anticommunistes de 1965 en Indonésie, s’était réuni à La Hague en novembre 2015 (lire ici)
Dix crimes contre l’humanité ont été reconnus, dont le massacre de 400 000 à 500 000 personnes, des violences sexuelles, des tortures, des disparitions forcées et de génocide. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie ont été désignés comme complices de ce génocide pour avoir fourni de l’aide à l’armée indonésienne, avoir transmis la liste des membres du Parti communiste indonésien et s’être livrés à des campagnes de propagande mensongères.
Le tribunal a reconnu le gouvernement indonésien responsable et coupable de crimes contre l’humanité, notamment le meurtre d’un nombre inconnu de personnes (généralement estimé à plus de 500 000), l’emprisonnement dans des conditions inhumaine d’un nombre inconnu de personne (généralement estimé à environ 600 000 personnes), la réduction en esclavage dans des camps de travail tel que celui de l’ile de Buru, les disparitions ainsi que des violences sexuelles. Le tribunal a également jugé coupable le gouvernement indonésien pour les milliers de personnes privés de leur citoyenneté.
En conséquence, le panel de juges a recommandé que le gouvernement indonésien s’excuse auprès des victimes, des survivants et de leurs famille et lance les enquêtes sur les crimes contre l’humanité et exécute les recommandations des rapports de la Commission National sur les violences faites contre les femmes (Komnas Perempuan) et la Commission Nationale des droits de l’homme (Komnas HAM) pour que « la vérité soit établie et qu’il soit mis fin à l’impunité de ces crimes contre l’humanité ».
La Commission indonésienne des droits de l’homme va transmettre ce verdict aux Nations unies, dans l’espoir que cette institution puisse demander l’application des recommandations émises par l’IPT, à savoir que “le gouvernement indonésien lance des enquêtes et des poursuites à l’encontre de tous les auteurs de ces crimes”.
Le gouvernement indonésien refuse de reconnaitre le jugement du tribunal international
Comme le rapporte le Jakarta Post dans son édition du 20 juillet dernier, le gouvernement indonésien a réaffirmé sa position de ne pas s’excuser auprès des victimes et survivants du massacre anticommuniste de 1965 et de leur famille, comme vient de le recommander le Tribunal International des peuples pour les crimes contre l’Humanité de 1965 -IPT 1965). Pourtant, lors de la dernière campagne présidentielle, Jokowi avait fait la promesse de reconnaitre et réhabilité les victimes des massacres de 1965.
Le ministre de la justice Luhut Pandjaitan a déclaré le 20 juillet derner que l’Indonésie avait son propre système légal et qu’aucune partie extérieure ne pouvait dicté la façon pour cette nation de résoudre ses problèmes. « Nous reconnaissons et nous allons résoudre ce problème à notre façon et selon les valeurs universelles » a indiqué Luhut à des journaliste depuis le palais présidentiel. Toutefois, il a ensuite dit que le gouvernement ne suivrait par les recommandations de l’IPT 1965. Le panel de juges du tribunal ont jugé que les autorités indonésienne ont commis des crimes contre l’humanité à la suite de la tentative de coup d’état qui a servi à incriminer le parti communiste indonésien en 1965
Contre le silence et la censure en France et en Occident, solidarité de classe et mobilisation populaire
Au delà du silence du gouvernement indonésien, il est particulierement notable de constater le silence coupable des États Unis, de la Grande Bretagne et de l’Australie, qui ont refusé de répondre aux invitations du tribunal.
Alors qu’en France, les médias ont encore récemment fait leurs gros titre sur la condamnation à mort d’un français convaincu de trafic de drogue en Indonésie, la censure la plus totale règne sur le génocide de 1965. En dehors d’un entrefilet dans le magasine Courriers International, la nouvelle du prononcé du jugement du Tribunal International a été totalement passée sous silence, à la suite de la censure qui frappe totalement ce génocide en France, largement inconnu des Français, effacés des livres d’histoires.
Depuis plusieurs années, le PRCF – et son journal Initiative Communiste – se bat pour briser le mur du silence, publiant de nombreux articles, informant sur le déroulé des audiences de l’IPT 1965 à la Haye.
Une exposition retraçant l’histoire de ce génocide a été élaborée et peut être largement partagée. Elle a été présentée pour le 50e anniversaire du début du massacre sur le stand du PRCF à la fête de l’Humanité qui a également donnée la parole à la fille de N. D. Aidit, dirigeant du PKI assassiné.
A l’initiative notamment de l’association Réseaux Indonésie, deux colloques universitaires de haut niveaux se sont tenus en France. Petit à petit et avec la mobilisation citoyenne et en comptant sur la solidarité de classe, et désormais en pouvant s’appuyer sur le solide jugement rendu par l’IPT 1965, la vérité sur le terrible génocide des communistes indonésien est de plus en plus difficile à cacher par les commanditaires, criminels multirécidivistes contre l’Humanité, les capitalistes.
JBC pour www.initiative-communiste.fr
Jugement du Tribunal International des peuples 1965
traduction Initiative-Communiste.fr
Ceci est le rapport final des juges qui ont participé aux audiences tenues à Nieuwe Kerk, La Haye, Pays-Bas du 10 au 13 Novembre 2015. Avant les audiences, les juges ont reçu l’acte d’accusation et l’acte d’Accusation, ainsi que de nombreux documents de fond documentaire sous la forme d’un rapport de recherche de plus de six cents pages.
Pendant les quatre jours d’audiences, les juges ont entendu les réquisitions orales des procureurs, ainsi que les témoignages et les réponses aux questions de plus de 20 témoins (dont certains ont témoigné avec leurs identités protégées sous des pseudonymes et / ou derrière ds écrans). Les juges ont également reçu plusieurs centaines de pages de documents, déposées en preuve. L’accusation a requis selon neuf chefs d’accusation, alléguant la perpétration des crimes contre l’humanité selon les point suivants: (1) Assassiner, (2) Asservissement, (3) Emprisonnement, (4) la torture, (5) la violence sexuelle, (6) la persécution, (7) les disparitions forcées, (8) la propagande haineuse et (9) la Complicité d’autres États.
Après les audiences, les juges ont examiné les preuves et les pièces justificatives en outre, dans leur préparation de ce rapport. Helen Jarvis et John Gittings ont préparés et édités le rapport, aidé par Shadi Sadr, Mireille Fanon-Mendès France et Zak Yacoob. Le juge Yacoob a donné un aperçu juridique du texte. Le rapport soutient et fournit une justification motivée de la déclaration finale des juges, prononcé lors de la session finale des audiences le 13 Novembre 2015 (voir A3 ci-dessous). il commence par aborder la question fondamentale de la responsabilité pour les meurtres de masse et d’autres crimes; il se concentre ensuite sur les chiffres présentés par l’Accusation et dans un mémoire d’amicus curiae soumis au Tribunal; et se termine par une série de conclusions et recommandations.
Il est à regretter que l’État de l’Indonésie n’a pas accepté l’invitation à participer aux audiences ou présenter des observations au Tribunal. Les gouvernements des États-Unis, le Royaume-Uni et de l’Australie, n’ont pas non plus accepter l’invitation faite par le Tribunal. Les juges ont salué la volonté des membres individuels de la Commission nationale indonésienne des droits de la Komnas HAM, et la Commission nationale sur la violence à l’égard des femmes, Komnas Perempuan, pour informer le Tribunal.
Il convient de noter que certaines étapes importantes mais partielles pour résoudre ces questions ont été prises en Indonésie depuis la tenu du Tribunal, comme indiqué à l’annexe D2.
REMERCIEMENTS
Nous tenons à souligner en premier lieu la contribution fondamentale de ces témoins qui ont eu le courage de venir témoigner sur des faits qui ont touché leur vie profondément et pour toujours. Ils sont les représentants les plus qualifiés des victimes, dont le nombre ne sera jamais connue et dont la souffrance ne pourrait jamais être décrit dans son intégralité. Nous reconnaissons également la contribution de nombreux autres, les victimes et les témoins, qui en témoignant au cours des dernières années, parfois à leurs propres risques, celles des indonésiens des institutions nationales des droits de l’homme Komnas HAM et Komnas Perempuan, les contributions imprimées ou via des forums publics, ont également contribué à jeter la lumière sur l’obscurité du passé.
Nous remercions tous ceux qui ont organisé et participé aux audiences à La Haye en Novembre 2015, et le Greffier, Mme Szilvia Csevár et son équipe.
Nous exprimons nos remerciements à Nursyahbani Katjasungkana SH et le Dr Saskia E. Wieringa et la Fondation IPT pour nous avoir inviter à agir en tant que membres du Groupe des juges et pour la publication de ce rapport.
Dans la préparation de ce rapport, nous avons été aidés par le travail fourni sous forme orale ou écrite à nous, ou déjà publié, par un certain nombre de chercheurs, indonésiens et non-indonésienns, qui ont mené des recherches importantes dans ce domaine. Leur contribution à notre connaissance est enregistrée dans les notes et dans la bibliographie choisie. Cependant, nous rendons un hommage particulier aux professeurs Ben Anderson et Ruth McVey de l’Université Cornell pour leur travail de pionnier, et nous remercions Cornell Programme Asie du Sud Publications pour leur aimable autorisation de reproduire un extrait substantiel de l’essai de Anderson sur «Comment les généraux sont morts ? »(Annexe D1.a).
Nous tenons à remercier le Dr Bradley Simpson, Université du Connecticut, pour son aide à localiser les documents diplomatiques clés, et l’autorisation de publier l’extrait d’un article par lui (Annexe D1.b). Nous remercions le Dr Jess Melvin, Université de Yale, pour l’autorisation de citer un de ses articles inédit(dans la section B2, « chaîne de commandement »). Nous remercions Mathias Marteau pour la permission de citer son article cité également dans la section B2. Nous reconnaissons également la politique Creative Commons d’Amnesty International en vertu de laquelle nous reproduisons le matériau à l’annexe D1.c).
Enfin, nous exprimons notre gratitude à Helene van Klinken, l’éditeur du texte, et les équipes qui ont préparé la traduction indonésienne, ainsi que les versions imprimées et électroniques de ce rapport.
Indonésie 1965, la plus terrible des répressions anticommunistes
N. D. Aidit Ibarruri Sudharsono Ancienne exilée, fille du président du Parti communiste indonésien
Le massacre des militants communistes et de nombreux progressistes a débuté le 30 septembre 1965 et s’est poursuivi pendant de longs mois sous le commandement du général Suharto qui, avec l’appui des USA, voulait renverser Sukarno, père de l’indépendance indonésienne.
En 1965, le Parti communiste indonésien (PKI) était le quatrième parti dans le pays, le premier à Java, et, en importance, le troisième Parti communiste au monde avec ses 3 millions d’adhérents, après le Parti communiste d’Union soviétique et le Parti communiste chinois. Il était fort du soutien d’au moins 20 millions de sympathisants, réunis dans des organisations proches du PKI. Le parti soutenait le régime Sukarno, père de l’indépendance du pays et premier président de la République, et un des dirigeants du mouvement anti-impérialiste des non-alignés. La victoire de la Chine populaire et les échecs français de la guerre du Vietnam menaçaient la position des pays des anciens colonisateurs et des États-Unis, le nouveau venu. Ce dernier craignait une expansion continue du mouvement communiste.
En 1963, les États-Unis ont donc décidé d’éliminer Sukarno qui échappait de plus en plus à leur contrôle et se rapprochait du camp dit « socialiste ». Pour cela, il fallait absolument éliminer le Parti communiste qui était un des piliers les plus importants du régime de Sukarno, ainsi que toute la gauche indonésienne. La suite est connue, avec le pillage total de la richesse du pays : gaz, pétrole, bauxite, nickel, cuivre, or, bois, etc. L’assassinat de sept généraux de l’armée de terre, dont on ne connaît toujours pas les véritables commanditaires, a permis au général Suharto, alors commandant du Kostrad (Réserve stratégique de l’armée de terre – NDLR), d’en faire porter la responsabilité au PKI, et avec la bénédiction et l’appui désormais dévoilé des États-Unis, de lancer une campagne de diffamation pour enflammer la « colère » des populations et les pousser aux massacres les plus atroces.
Les massacres ont commencé par Java Ouest, et progressivement se sont étendus vers Java Central, puis Java Est. Les listes des personnes à exécuter ont été établies par les agents de la CIA et transmises à l’armée ; elles étaient vérifiées par les responsables locaux ; et les exécutions étaient assurées par les groupes paramilitaires composés principalement de jeunes islamistes (Ansor et Banser) entraînés et armés par l’armée de terre. Et les massacres ont continué régulièrement à s’étendre : Sumatra, Sulawesi, même les petites îles comme Kupang, Buton, Flores, Sabu, Alor… pas un lieu n’a été épargné. Ces massacres ont été massifs, systématiques, méthodiques. Ce furent les pires après l’holocauste de la Seconde Guerre mondiale commis par les hitlériens. Le nombre des victimes se situe entre 500 000 et 3 millions de personnes assassinées. Au moins 2 autres millions furent emprisonnées ou déportées dans les camps. La liste des camps de concentration et des prisons serait malheureusement bien longue à énumérer. Une des conséquences parmi les plus dramatiques de cette répression concerne le sort de centaines milliers d’enfants, abandonnés après la disparition de leurs père et mère, vivant dans les rues, de mendicité, de trafics en tout genre, de prostitution.
Tout au long de ces cinquante années, le peuple indonésien n’a cessé de lutter, malgré les répressions, malgré les disparitions forcées des activistes. En 1998, lors de « la crise financière asiatique », la colère populaire a chassé Suharto du pouvoir. Depuis l’Indonésie est entrée dans l’ère qu’on appelle « reformasi », celle des réformes. La presse est devenue libre, le rôle des militaires a été progressivement amoindri, même s’il reste encore présent, petit à petit on construit l’État de droit. À ce jour, avec le nouveau président Joko Widodo (surnommé « Jokowi »), de premières avancées ont déjà eu lieu : école et fournitures scolaires gratuites pour tous les enfants, notamment les enfants des familles les plus démunies ; gratuité des soins ; autant de signes concrets que l’ère des réformes concerne aussi les couches les plus défavorisées du peuple… Si, lors de sa campagne électorale, le président Joko Widodo a effectivement promis de régler ce problème des graves violations des droits de l’homme au cours de l’ère Suharto, il n’en demeure pas moins, qu’en juin dernier, il a signé un projet de loi de révision du Code pénal stipulant en son article 219 l’interdiction de diffuser la pensée communiste, et sanctionnant toute diffusion, que ce soit verbalement ou par écrit, par quelque canal de communication que ce soit, d’une condamnation jusqu’à sept ans de prison. Est passible d’une peine jusqu’à dix ans de prison toute tentative de fonder une organisation soupçonnée de collusions communistes. Récemment, Joko Widodo a confirmé qu’il n’allait pas présenter, au nom du gouvernement, d’excuses aux victimes des massacres de 1965.
Ce n’est pas trop de dire que la route est encore longue sur la voie d’une démocratie assumée, mais la vérité commence à surgir, la justice viendra. Du 10 au 13 novembre prochain, il y aura un Tribunal international des peuples à La Haye (Pays-Bas) pour juger le gouvernement indonésien sur le génocide de 1965 et les crimes contre l’humanité, et le jugement sera présenté par la commission de l’ONU.
30 octobre 2015 – l’Humanité