Octobre 1965 – octobre 2015 : il y a 50 ans débutait en Indonésie un génocide, celui des communistes indonésiens dans une immense opération de répression visant à éliminer toute les forces proches du parti communiste indonésien (PKI). Cette opération, menée par une partie de l’armée soutenue par le bloc capitaliste occidentale a conduit au massacre d’entre 1 et 3 millions de personnes, à l’arrestation et à la déportation de millions d’autres, puis durant des décennies et jusqu’à maintenant encore à la répression de leurs familles, enfants et petits enfants y compris, ainsi qu’à la mise en place de la dictature fasciste pro-USA de Soeharto !
Le mouvement communiste indonésien s’appuyait sur diverses organisations de masse outre le parti communiste. Mouvement de jeunesses, syndicats ainsi également qu’un mouvement féministe, le mouvement des femmes indonésienne (Gerwani : Gerakan Wanita Indonésia) fort de plus d’un demi-millions de militantes. Ces dernières ont également été visées par les massacres et la répression.
www.initiative-communiste.fr poursuit le travail de mémoire pour briser le silence et propose ci-après la traduction d’un article de la chercheuse australienne Anne Pohlman basé sur le recueil de témoignage direct de victimes, en particulier s’agissant de la répression des Gerwani.
Un fragment d’histoire: la vie des Gerwani et Tapol [1]
I. Ce n’est qu’un fragment d’histoire Bien que ce ne soit qu’un fragment Cependant Cette histoire-ci émane d’uneHorreur aussi épouvantable que l’étendue de l’océan Ces pauvres personnes mortes torturées Qui doivent supporter D’être des victimes éternelles Sont ce sur quoi j’écris maintenant. Comment ne pourrais-je pas. Les enfants de l’humanité Des centaines de milliers torturés jusqu’à la mort Des centaines de milliers emprisonnés, Jetés sur la côte d’une île pour exil, A lutter avec la forêt Menacés par les pythons Des mères mortes, des pères morts aussi, des mères emprisonnées, des pères emprisonnés aussi, Des enfants laissés à ramper seuls. Des jeunes filles violées, Des grossesses indésirées, Réprimandées à cause de ces maudits enfants, Jetés hors des écoles ! Bâtards ! … |
Ini hanya sepenggal cerita lega rasanya Meski hanya sepenggal, Tetapi cerita ini datang dari kengerian yang melaut. Duka siksa mati manusia yang menanggung pengorbanan yang tiada habisnya Kini telah kutulis. Betapa tidak. Anak manusia ratusan ribu mati disiksa, ratusan ribu masuk penjara, terdampar di pulau buangan, bergulat dengan tanah hutan Di bawah ancaman ular sanca. Ibu mati ayah pun mati, Ibu dibui ayah pun dibui, Anak-anak melata sendiri. Anak gadis diperkosa, Hamil tak terjaga, Dihardik anak keparat, Keluar dari sekolah! Bedebah! … |
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II. L’année 1979 Mère et père reviennent de prison, mais un mort ne peut revenir à la maison, Disparu sans avoir laissé une trace, Mort sans témoins,Jugé selon la loi de la jungle. Est-ce ça la démocratie ?! Est-ce ça Pancasila[1] ?! Est-ce ça les droits de l’homme ?! Les petits-enfants peuvent dire : Non ! C’est des conneries! Le dieu cruel Cherche encore sa proie, Cherche, Pour ceux qui font la chasse aux droits de l’homme. Démocratie économique, Justice sociale, Liberté d’opinion, Ecrivains et artistes, Sont ses proies.Sulami.[2] (Ancien 3ème Secrétaire de Gerwani, emprisonné de 1967 à 84) |
Tahun satu sembilan tujuh delapan Ibu dan ayah pulang dari bui, tetapi yang mati tak kembali Hilang tanpa rimba, mati tanpa saksi, hukum rimba mengadili. Itu demokrasi?! Itu Pancasila?! Itu hak azasi?! Anak cucu bisa berkata: Bukan! Itu jahanam! Batara Kala Masih mencari mangsa, Mencari, di mana pemburu hak azasi. Demokrasi ekonomi, Keadilan sosial, Kebenaran berpendapat, Menulis dan kreasi – Itulah mangsanya. |
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Sulami est l’une des milliers de victimes emportées par la montée au pouvoir de Suharto (1966-98) suite à la prétendue tentative de coup d’état du 1er Octobre 1965.[3] Contrairement au demi million de victimes estimées, elle a réussi à survivre aux massacres sanglants des personnes suspectées d’être communistes qui ont balayés l’archipel indonésien fin 1965 et début 1966. Elle a, cependant, été une des 580 000 personnes[4]au moins emprisonnées pendant le Nouvel Ordre de Suharto pour sa supposée implication dans le coup d’état. La majorité de ces gens étaient détenus sans procès sous les charges d’inculpation d’ « implication directe ou indirecte dans le mouvement du 30 Septembre / PKI ».[5] Ces détenus, appelés tapol (une abréviation de tahanan politik —prisonniers politiques), ont beaucoup souffert pendant leur emprisonnement où ils étaient soumis à des interrogatoires, de la torture délibérée ou par caprice, affamés et brutalisés pour faire un travail obligatoire dans des prisons et centres de détention surpeuplés et insalubres.[6] Parmi ces arrestations suite au coup d’état, les Femmes de Gerwani (membres de Gerakan Wanita Indonesia, le mouvement des femmes indonésiennes) sont devenues des cibles spéciales suite à leur diabolisation par la campagne de propagande militaire indonésienne qui décrivaient les membres de Gerwani comme des putes immorales qui se sont prostituées pour le Parti Communiste Indonésien (PKI) et qui ont trahi la nation par leur supposée implication dans le coup d’état.[7] Pour étudier ce qu’ont vécu les tapol, notamment les femmes, après leur arrestation, pendant leur proces et leur détention, puis après leur libération en tant qu’ex-tapol, j’utiliserai les témoignages et réponses de plusieurs anciens membres de Gerwani rassemblés dans le cadre de mes recherches en Indonésie ainsi que pour un travail autobiographique mené par deux membres dirigeants cette organisation, Sudjinah and Sulami.[8] Examiner les témoignages des détenus et les écrits de leurs efforts pour transformer leur vécu en histoire écrite et orale peut aider à comprendre cette victimisation et la répression menée pendant le Nouvel Ordre de Suharto.
Le coup d’état
Il y a eu, pendant des années, une grande discorde sur les événements entourant le coup d’état, tant en Indonésie qu’à l’extérieur. La version officielle du gouvernement de Soeharto est essentiellement la suivante : la nuit du 30 Septembre 1965, des anciens membres de la garde présidentielle, accompagnés de membres de diverses organisations communistes menés par un certain nombre d’officiers de second rang et prétendument guidés par le Parti Communiste Indonésien, ont kidnappé et assassins six généraux et l’assistant d’un général. Les victimes ont ensuite été emmenées à la base militaire aérienne de Halim, qui se trouve être près des camps d’entraînement de Gerwani et Pemuda Rakyat (Organisation des Jeunes Communistes) pour les volontaires de la campagne militaire anti-Malaisie du gouvernement. A Halim, les femmes de Gerwani se serraient soi-disant dénudées et auraient dansé la lascive “Danse des fleurs parfumées” devant les rebelles, puis auraient torturé les généraux en les tailladant avec des lames de rasoirs, enlevant les yeux des orbites et sectionnant leurs organes génitaux. Après que les corps soient jetés dans un profond puits (l’infâme Lubang Buaya ou «trou du Crocodile »), les femmes de Gerwani se sont abandonnées à une orgie avec toutes les personnes présentes. Au même moment, les rebelles, qui se sont auto-désignés « Mouvement du 30 Septembre », ont pris le contrôle d’un certain nombre de bâtiments importants près de Jakarta et ont annoncé à la radio qu’ils prenaient le pouvoir afin de protéger le président Sukarno du Conseil des généraux qui prétendument conspirait à renverser le président lors du Jour des Forces armées, le 5 Octobre. En vingt-quatre heures, le mouvement a été écrasé, principalement par l’unité militaire dirigée par le général Soeharto.[9]
Arrestation, « procès », catégorisation et chiffres
Les vagues d’arrestations successives effectuées en masse par les commandants militaires locaux sous la supervision des KOPKAMTIB [10], agents du gouvernement, ont commencé à Jakarta dans les heures suivant l’échec du coup d’Etat et se sont rapidement étendues à toute l’Indonésie.[11] Bien que KOPKAMTIB n’a pas été officialisée en tant qu’entité avant le 11 Mars 1966, elle a été instituée par le général Suharto, sous son commandement, le 10 Octobre 1965.[12] La virtuelle loi martiale comprenait le droit d’arrêter toute personne pour laquelle il y avait des «indications de participation», soit «directs ou indirects … dans la tentative de coup d’Etat de 1965 / dans le Parti communiste ».[13] Certains mandats ont été émis contre des victimes dont les voisins, en raison de conflits fonciers, les ont dénoncé à l’armée comme étant communistes, et dans d’autres cas, des personnes ont été arrêtées qui se trouvaient être dans la maison d’une personne déjà détenue.[14]
En 1996, suite aux premières arrestations d’au moins un demi million de personnes, un système à 3 catégories, A, B et C, a été développé pour les détenus. [15] Ceux de la catégorie A étaient de supposés « communistes extrémistes qui ont joué un rôle majeur [dans le coup d’état] », [16] ou de façon plus réaliste, ceux contre qui il y avait des « preuves suffisantes » pour permettre « de porter leur affaire devant les tribunaux » [17]. Etaient affectés à la catégorie B « les personnes qui ont joué un rôle secondaire dans le coup d’état » [18] mais pour qui il n’y avait que des preuves insuffisantes pour les traduire en justice, [19] alors que les « compagnons de route » ou les personnes qui ont été précédemment des membres du PKI ou une de ses organisations affiliées étaient catégorisés comme « C » tapol. [20]
Parmi le grand nombre de personnes détenues en Indonésie dans le cadre du Nouvel Ordre en relation avec le coup d’Etat, ceux de la catégorie «A» ne représentent que la pointe émergée de l’iceberg. Les personnes de cette catégorie étaient les seuls traduits en justice; ceux de la catégorie «B» et des catégories «C» se sont vu refuser même l’apparence d’un procès ou d’une procédure judiciaire. [21] Cependant, même pour ceux qui ont été traduits en justice, ces procès se sont avérés être des «rituels utilisés par le gouvernement pour des raisons politiques et à des fins de relations publiques… [dont] les accusés [étaient] immanquablement condamnés. » [22] Certains des procès, en particulier ceux menés à la fin des années 1960, ont eu lieu devant des tribunaux militaires spéciaux et étaient ce que Amnesty International a dénommé des «coups publicitaires » visant à renforcer la culpabilité du PKI, avec des accusés condamnés à mort sur la base de preuves très discutables.[23] Bien que jamais traduits en justice elle-même, une informatrice, en commentant ce qu’elle appelle l’ «absurdité de la situation», a fait remarqué que son amie, sans doute une tapol de catégorie « A », n’a rencontré son avocat que le jour de son procès et que «les charges, les preuves … toutes… étaient ridicules.» [24]
Les femmes en procès
Lorsque l’on examine les affaires dans lesquelles les accusés étaient des femmes, une incongruité apparaît. Pas une des femmes arrêtées en relation avec le meurtre des généraux à Lubang Buaya n’a été traduite en justice. [25] Cependant ces membres de Gerwani ont été impliquées dans le meurtre des généraux, comme la campagne médiatique de l’armée largement affirmé, ces femmes auraient «joué un rôle majeur [dans le coup d’Etat]» et il y aurait eu des «preuves suffisantes» pour permettre «leur affaire à être jugée.» [26] Le gouvernement indonésien avait sans doute la possibilité de «prouver» ses revendications au sujet des atrocités commises contre les généraux au-delà de tout doute raisonnable cependant ces femmes n’ont jamais été traduites en justice. Beaucoup d’entre elles avaient signé des aveux au sujet de leur implication dans les meurtres,[27] et leur procès aurait seulement servi à renforcer leur culpabilité – ainsi que celle du PKI– dans l’esprit du public. Pourtant, le gouvernement indonésien n’a jamais tenté d’établir la véracité de ses allégations devant les tribunaux.[28]
Parmi les quelques membres de Gerwani passés en jugement, [29] l’affaire la plus célèbre a eu lieu en 1975; quatre accusées à savoir Sulami, la principale accusée, Troisième Secrétaire de Gerwani; Sudjinah, qui était dans l’équipe du Conseil d’éducation et de la culture de Gerwani et l’une des rédactrices en chef du magazine de l’organisation, Api Kartini; Sri Ambar Rukmiati, en réalité non membre officielle de Gerwani mais chef de la section des femmes du syndicat de gauche SOBSI; et Suharti Harsono qui était dans l’équipe de l’organisation paysanne du PKI, le RTC (Front agriculteurs indonésiens). [30] D’après les écrits autobiographiques de Sulami et Sudjinah qui décrivent toutes deux leur procès en détail, il devient évident que leurs audiences ont été utilisées comme encore un moyen de discréditer Gerwani et le PKI. [31]
L’acte d’accusation contre ces quatre femmes était basé sur leurs présumées participations collective et individuelle dans le coup d’état et leur implication dans les activités souterraines dans l’espoir de relancer le PKI après qu’il a été interdit en 1966. Cependant, seule Sulami a été accusée d’avoir recruté des femmes pour aller à Lubang Buaya – pour aider à la couture et la cuisine; ce qui, selon l’avis de l’accusation, était une preuve suffisante de son implication dans le coup d’Etat. Les preuves présentées contre les quatre accusées était uniquement liées à leurs activités d’après le 1er Octobre 1965. Les charges incluaient leur implication dans l’édition et la distribution d’un bulletin illégal, [32] l’obtention de fausses cartes d’identité et l’aide apportée aux enfants de prisonniers politiques.[33] Sulami raconte comment, le premier jour de leur procès, un avocat de la défense n’ayant pas encore été choisi, le procès a été repoussé de quelques jours le temps qu’un avocat soit désigné.[34] Elle décrit ensuite leur procès avec des différents degrés d’incrédulité et d’humour, racontant cette expérience comme «une situation si drôle », rappelant comment « les témoins [de l’accusation] se contredisaient souvent les uns les autres dans cette parodie de tribunal subversif.» Elle a ensuite relaté avec colère ses sentiments à être jugée dans de telles circonstances, en commentant «combien les tribunaux de cette nation étaient arrogants, barbouillés du sang de tant d’innocents citoyens indonésiens. » [35] Sudjinah, pour sa part, raconte leur procès de façon très poignante. Quand elle entra pour la première fois dans le tribunal et a reconnu l’un des juges comme un vieil ami de l’école, elle a été rempli d’espoir. Elle « n’avait rien fait de mal » et croyait qu’elle serait en mesure de convaincre son vieil ami de leur innocence. Mais cet espoir fut vain et «le marteau a frappé le bureau, et [ils] ont tous été condamnés». [36]
Figure 1. “Les femmes en procès, Jakarta, Février 1975. De gauche à droite : Suharti Harsono, Sri Ambar Rukmiati, Sudjinah and Sulami.” De Tapol, Indonesia: The Prison State, p. 12. |
Toutes ont été reconnues coupables et condamnées par la Cour de Jakarta Central à des peines allant de quinze ans pour Rukmiati et Harsono à dix-huit ans pour Sudjinah et vingt ans pour Sulami. Les condamnations ont été prononcées sur la base des «preuves» présentées censées indiquer que non seulement les accusées avaient «participé» au «mouvement» du coup d’Etat et au PKI – bien qu’il est difficile de discerner exactement quels rôles elles auraient supposément pu jouer – mais aussi qu’elles avaient «passé un accord criminel pour renverser l’idéologie de Pancasila, [37] créé «la division parmi les gens », «avaient « délibérément calomnié, directement ou non », et, après le coup d’Etat, avaient tenu des réunions « dans divers endroits tenus secrets » afin de « discuter de l’avenir » du PKI. [38]
Bien qu’un grand nombre de membres du Conseil central de Gerwani ont été emprisonnées après 1965, y compris sa présidente, Umi Sardjono, et les vice-présidentes, Mmes Mudigdio et Charlotte Salawati, aucune de ces femmes n’a jamais été traduite en justice. [39] Très peu de choses au sujet d’autres membres de Gerwani traduites en justice sont connues. Il est fait mention du procès d’une Mme Munadi à Sulawesi, mais il n’y a aucune indication du moment où le procès a eu lieu ou de sa peine, seulement qu’elle était décrite comme chef de file locale de Gerwani «directement impliquée dans les événements de 1965». [40]
Parmi les femmes interrogées et les informatrices dont j’ai reçu des informations, une seule avait été déférée devant la justice [41], tandis qu’une autre a mentionné que deux de ses amies de Gerwani arrêtés en même temps qu’elle ont été traduites en justice. [42] Ce qui est frappant parmi tous leurs témoignages est leur ressentiment partagé d’avoir été détenues pendant de nombreuses années, la plupart du temps jusqu’à la fin des années 1970, sans jamais avoir été traduite en justice.
Les interrogatoires et la torture
Entre le moment où les personnes étaient arrêtées et leur catégorisation en « A », « B » ou « C » , les détenues ont été soumises à des interrogatoires. Ces interrogatoires ont été menés par des services de renseignement militaires avec l’aide, dans certains cas, des civils recrutés par le KOPKAMTIB en raison de leur forte opposition connue au PKI [43]. Pour de nombreuses prisonnières, «interrogatoire» était synonyme de «torture», un grand nombre étant soumis à de fréquents traitements brutaux et inhumains dans le but de les démoraliser, les intimider et de les terroriser. [44] La torture a également été utilisée pour extraire des informations et des aveux ou pour contraindre les détenues à dénoncer d’autres personnes, un processus auquel aucun avocat n’a jamais été autorisé à assister, même si l’information obtenue a souvent été utilisée en tant que preuve dans les procédures judiciaires. [45]
KOPKAMTIB a également fait une distinction entre l’interrogatoire initial subi par les prisonnières après leur arrestation, qui a été appelé «opérationnel» et les interrogatoires suivants, dénommés «judiciaire». La différence entre les deux était que les interrogatoires «opérationnels» étaient directement liés aux opérations de KOPKAMTIB contre les opposants politiques, visant à dévier toute résistance au Nouvel Ordre, alors que les interrogatoires «judiciaires» ont été utilisés pour établir la culpabilité des détenues et déterminer dans quelle catégorie elles seraient placées [46].
Les bâtiments utilisés pour ces interrogatoires n’étaient pas toujours connus et n’avaient aucune désignation officielle; nombre d’entre eux ressemblaient à des logements privés, des magasins, des écoles ou des bureaux. [47] Il y avait quelques exceptions, comme des bases militaires régulièrement et exclusivement utilisées comme centres d’interrogatoire, par exemple les installations de Jl. Tanah Abang et Jl. Gunung Sahari à Jakarta à la fin des années 1960 et 1970. [48] Décrites avec le plus de justesse par Sudjinah comme des «boîtes de sardines », ces centres, en particulier à la fin des années 1960, ont souvent été pleins à craquer de personnes détenues dans le noir, dans des conditions insalubres et déplorables. [49]
Les interrogatoires varient dans la durée, la fréquence et l’intensité. On estime que 90 % des prisonnières étaient soumises à des interrogatoires avec torture et traitements inhumains, tant physiques que mentaux. [50] Dans la description des brutalités qui ont eu lieu, je m’appuie sur les témoignages de deux anciens membres Gerwani, Sulami et Sudjinah [51] qui décrivent toutes deux certains traitements inhumains auxquels les prisonnières politiques étaient soumises au cours des interrogatoires. J’ajoute ces témoignages pour présenter le vécu individuel et spécifique de seulement deux des centaines de milliers de tapol torturées sous le Nouvel Ordre en Indonésie. En faisant cela, j’espère éviter l’assimilation de ces atrocités commises contre les prisonniers politiques en catégories d’abus, en compartimentant les victimes en celles qui ont été violées, celles qui ont été battues, etc. dont l’effet peut, à certains moments, faire ressembler la description de ces actes de violence à des listes de courses. [52]
Le premier récit est issu du travail autobiographique de Sulami « Perempuan-Kebenaran dan Penjara » (1999). Dans cet extrait, elle décrit certaines des méthodes extrêmes et brutales employées par les interrogateurs pour arracher des aveux aux détenues. Dans le cas de Sulami, cependant, ses interrogateurs ont effectué leur travail vicieux en vain.
« Je suis arrivée au poste [militaire], où tous les détenus ont été sévèrement torturés … Il y avait des personnes en train d’être torturées dans la cour derrière le bâtiment, complètement nues, le sang coulant de leurs têtes et d’autres parties de leur corps, forcées à marcher autour de la cour, hommes et femmes. Quelque soit ce que les soldats voulaient, ils le faisaient pendant que d’autres regardaient et riaient … J’ai été déshabillée … je ne pouvais pas compter le nombre de coups de canne en rotin que je recevais sur tout le corps. La canne a laissé des coupures sur mes seins, les bras et le torse. Tout mon corps ayant été battu était de noir et de bleu. Mais cela ne suffisait pas à me faire avouer que j’avais été impliquée dans le Mouvement du 30 Septembre … Je restai complètement nue devant [mes] sanguinaires et mes violents [interrogateurs]. Je suis restée comme ça pendant environ une heure. J’étais tellement furieuse que mes dents claquaient, mes lèvres étaient fermées hermétiquement, mes yeux fermés, et mon cœur battant très fort … Mes vêtements ont été jetés devant moi. Je les ai mis. On m’a ordonné de m’asseoir. Je me suis assise. Le silence vaut mille mots. J’ai étouffé toutes mes menaces et protestations. Je me doutais bien que le pire de la torture restait à venir. J’ai attendu … Plusieurs pièces en rotin de la longueur d’un doigt ont été jetées sur la table devant moi. Pourquoi? Peu de temps après, deux … tortionnaires sont entrés. J’ai été menacée pour me faire « avouer ». J’ai refusé. Par un hochement de tête [du commandant], l’ordre a été donné aux deux tortionnaires qui se tenaient de chaque côté de moi. Mes bras ont été tendus. Les morceaux de rotin ont été mis entre mon index, le majeur et l’auriculaire. Quatre morceaux de rotin pour les deux mains. Puis, [les tortionnaires] … ont poussé dur sur [les morceaux de rotin]. La douleur a torturé mon corps, jusque dans mes os. La sueur coulait sur moi. Mes deux yeux étaient fermés, et mes dents claquaient. La douleur m’a fait uriner involontairement, mais je ne criais pas … Puis ils ont enfin arrêté. Mes doigts ne pouvaient plus bouger et je ne pouvais même plus les sentir. Ma peau a viré au bleu. Peut-être que mes os étaient brisés. On m’a ordonné de me tenir contre le mur. Une fois de plus on m’a ordonné de me confesser. Je ne répondis pas. Sans avertissement, un couteau m’a poignardé derrière chacune de mes oreilles et sur le haut de ma tête. Cela a continué pendant quelques minutes … puis je suis tombée sur le sol pleine de douleur. » [53]
En plus de la torture physique, telle que celle décrite par Sulami, qui comprenait également des chocs électriques, d’être battue avec des objets rigides, avoir les ongles des doigts et des orteils arrachés ou des membres écrasés, être traînée derrière une voiture, être mise dans un baril de pétrole puis rouée de coups, et autres tortures sous bien d’autres formes, [54], il y avait aussi des tortures psychologiques. Cela inclue des tortures indirectes, ce qui signifie qu’un détenu était forcé d’assister à la torture d’une autre personne tel un être cher ou des parents forcés de regarder leurs enfants torturés ou son conjoint battu ou violé. [55]
Ce second extrait est tiré de l’œuvre de Sudjinah « Terempas Gelombang Pasang » (2003). Elle y décrit non seulement sa propre torture mais aussi celle des autres dont elle a été le témoin. Elle rend compte des endroits où elle et d’autres personnes ont été détenues dans des conditions déplorables, décrivant les pièces ensanglantées remplies de prisonniers, tous affamés et battus à plusieurs reprises.
« [Nous sommes arrivés] dans une ancienne école chinoise qui semble avoir été transformée en un centre de détention et d’interrogatoire. Dès que je suis arrivée, j’ai tout d’un coup compris, pourquoi ce bâtiment qui avait autrefois été un endroit pour l’apprentissage des enfants avait été appelé la «Maison du diable» par les détenus … On m’a mis dans une petite cellule où les murs étaient tachés de sang. Je pouvais entendre des cris et des gémissements provenant de la salle d’interrogatoire. Mon amie Lami [Sulami] a été interrogée en premier, puis ce fut mon tour … « Oi, ouvrez votre bouche ou sinon … » [dit l’interrogateur] puis ils m’ont frappé avec de longs bâtons de rotin sur tout le corps. Il y avait environ huit de ces «diables» vêtus de chemises rayées de vert et jaune qui ont attaqué mon corps avec des coups et des menaces. Je fermai les yeux alors que je sentais les coups sur mon corps nu, mon estomac, ma poitrine, mon visage et mes bras. Je pouvais sentir le sang suintant de ma bouche. Quand j’ai ouvert les yeux, je pouvais voir les autres qui avaient déjà été battus gisant sur le sol, certains d’entre eux inconscients. Puis ils m’ont traîné dans la cour derrière la « Maison du diable ». « Regardez ça », [ils ont dit],« vous serez jetés dans ce trou si vous ne nous dites pas qui sont vos amis, nous vous enterrerons vivante ! » Mais je restais muette … [Plus tard] on m’a mise dans une grande salle avec un certain nombre d’autres femmes détenues, bien sûr toutes avaient été battues et subies de sévères tortures. Il y avait des taches de sang partout sur nos nattes de couchage … Il y avait plus d’une trentaine de femmes et de filles dans cet endroit, parmi elles des jeunes filles chinoises … une était inconsciente. Elle avait été interrogée. Quand elle a refusé de répondre aux questions, ils l’avaient électrocutée. C’est du moins ce que son amie a dit… En plus de la torture physique, d’autres tortures ont été perpétrées contre les détenus, par exemple avec la quantité de nourriture [qu’on nous a donné]. On nous a seulement donné un peu de nourriture une fois par jour, ce qui, bien sûr, ne suffit pas à combler un ventre affamé, surtout quand il doit en plus subir des coups répétés. » [56]
Pour les femmes détenues, elles subissaient souvent en plus des agressions sexuelles violentes. Dans de nombreux cas, les femmes étaient forcées de se déshabiller et étaient ensuite violées ou avaient divers instruments insérés dans leur vagin et subissaient de coups de poing vicieux sur leurs seins. [57] Dans le récit de Sudjinah, elle continue de parler de l’une de ses amies, Sri , qui, bien que ce qui lui est arrivé ne soit pas très clair, semble avoir été violée. «[Après avoir été déplacée dans un autre camp, je me suis retrouvée avec] ceux avec qui j’avais été capturée en Septembre 1966. Sri avaient été soigneusement battue. Elle était très sexy avec sa peau dorée et une forte poitrine, alors quand elle avait dû se tenir nue devant les soldats interrogateurs à la «Maison du Diable», elle a été largement «insultée et sa féminité dégradée ». [58] Les histoires sur les tortures subies par les présumées membres de Gerwani qui ont a priori fait partie des massacres de Lubang Buaya sont particulièrement horribles. Beaucoup de ces femmes ont été brutalement torturées pour les contraindre à signer des aveux. Certaines ont dit avoir été violées, avoir eu des bâtons, des poignées de fouet ou des bouteilles forcés dans leurs vagins, ont été contraintes à avoir des relations sexuelles avec des détenus de sexe masculin pendant que des chocs électriques leur étaient appliqué aux organes génitaux, on les a faites ramper comme des chèvres, et elles ont été très sévèrement battues. [59]
Presque toutes les informatrices avec qui j’ai parlé et les questionnées dont j’ai recueilli des informations ont attesté soit avoir été elles-mêmes torturées pendant les interrogatoires, après avoir assisté à la torture d’un autre prisonnier soit connaître quelqu’un qui avait été soumis à la torture. [60] Parmi leurs témoignages, il y a des histoires de viol, [61] et de femmes forcées à marcher nue devant des prisonniers et / ou des gardiens de sexe masculin, [62] à avoir des poils pubiens brûlés en public et être enchaînées nues à des prisonniers de sexe masculin sur qui elles ont été contraintes de s’asseoir, [63] à avoir été sévèrement battues[64] et forcées à regarder les autres être torturés. [65] De temps en temps, une informatrice a montré quelques réticences à parler de ces expériences, en particulier si la torture avait impliqué des abus sexuels. Une femme, avec qui j’ai mené une entrevue téléphonique, n’a pas été claire sur le fait d’être la personne qui avait été violée par quatre de ces interrogateurs ou si c’était une de ses amies..[66] D’autres n’ont tout simplement pas donner de détails sur leur interrogatoire ou ont changé de sujet, mentionnant seulement qu’elles avaient été torturées. [67]
Figure 2. “Carte des centres de détention en Indonésie”, ca. 1976. De Tapol, Indonesia: The Prison State, pp. 10-11. |
Les conditions en prison
Avec les premières vagues d’arrestations de masse menant en détention des centaines de milliers de personnes, les centres pénitentiaires existants ont été incapables de traiter ou d’accueillir un si grand nombre de prisonniers. En conséquence, lorsque les prisons ont été pleines à craquer, des centres de détention provisoire et des installations ad hoc ont été créés ou adaptés. Des camps ont été érigés à la hâte et les sites utilisés pendant la Seconde Guerre mondiale par les Japonais ont été ré-utilisés pour détenir les prisonniers. [68] Au fil des ans, comme certains tapol ont été libérées et d’autres arrêtées, le nombre de sites de détention a augmenté. En plus d’être détenus dans des prisons ordinaires – qui avaient été réaffectées aux prisonniers politiques ou dans lesquels il y avait des sections distinctes affectés à ces prisonniers – les détenus ont également été détenus dans des centres d’interrogatoire. Ces centres n’étaient pas seulement utilisés lors de l’arrestation initiale d’une personne, mais aussi à tout moment de la détention lorsque un nouvel interrogatoire intensif était jugé nécessaire. Les détenus ont également étéemprisonnés dans des camps de détention militaires ordinaires. En outre, les prisonniers ont été incarcérés dans des camps de travail spécialement créées où ils étaient censés « être utiles », y compris en étant utilisés par les commandants militaires locaux à leurs bureaux ou au poste de commandement pour diverses tâches. Les prisonniers étaient également «loués» pour une taxe par le personnel militaire aux plantations et autres centres de travail. Il y avait aussi des tempat tahanan gelap [des centres de détention illégaux], probablement nommés ainsi parce que leur existence n’a jamais été officiellement reconnue par le Nouvel Ordre du gouvernement indonésien et parce que les civils de la région n’étaient pas au courant de l’existence de ces centres. [69]
Le gouvernement indonésien a fait valoir à plusieurs reprises que son traitement des tapol était humain et que les conditions de détention étaient raisonnablement adéquates. [70] Les conditions de ces prisons et de ces camps, cependant, et en particulier avant le début des années 1970, étaient en réalité épouvantables; la plupart étaient sérieusement surpeuplés, les détenus souffrant de carence nutritive et de soins médicaux, de très mauvaises conditions d’hygiène, de traitement brutal, n’ayant que des contacts limités avec les amis et la famille et un isolement presque complet du monde extérieur. Les prisonniers n’étaient même pas autorisés à lire les journaux ou avoir accès à une radio ou aux journaux télévisés. [71] Jusqu’en 1972, un certain nombre de journalistes étrangers ont été autorisés à visiter ces camps et les installations des prisons. Les rapports sur les conditions dans lesquelles les journalistes ont trouvé les prisonniers politiques étaient, cependant, très critiques. Ainsi, après 1972, le gouvernement indonésien a mis un terme à d’autres enquêtes menées par la presse étrangère sur la question. [72]
En plus de ces conditions, les prisonniers, en particulier ceux qui n’ont pas coopéré avec les autorités, ont été soumis à des épreuves encore plus arbitraires. Par exemple, si un tapol refusait de donner des informations lors des interrogatoires suivants, cette personne pouvait avoir à subir la torture à long terme. Un cas particulièrement horrible a été celui d’un homme qui, après avoir été sévèrement battu, a été soumis à une torture appelée diplentong, ou crucifié sans clous – une main et un pied enchaînés dans une cellule de sorte qu’il ne pouvait ni se tenir debout ni s’allonger pendant onze mois. [73] D’autres formes de torture à long terme incluaient la famine, les coups répétés ou diverses formes de privation sensorielle, comme être placé à l’isolement dans des cellules qui avaient pas de lumière et trop petites pour se coucher. [74] Ceux qui ont échoué à l’examen régulier d’endoctrinement Pancasila ont également été punis. [75]
Ce sont sur les conditions générales de ces prisons, qui varient d’un cas à l’autre, cependant, que mes informateurs et questionnés ont la plupart du temps témoigné. Les privations physiques le plus souvent décrites sont celles de la famine, du surpeuplement, de l’insuffisance des soins médicaux, d’une mauvaise hygiène, de vêtements et de literie. Le régime totalement inapproprié peut être en partie expliqué par le fait que l’allocation monétaire officielle pour chaque tapol jusqu’au milieu des années 1970 n’était que de 65 Rp par jour, soit environ 0.15 US$ à cette époque. [76] Cette petite somme était également utilisée pour nourrir les gardiens de prison qui s’appropriaient souvent de grandes quantités de nourriture avant de donner aux tapol leur part. [77] Tous mes informateurs et les questionnés ont parlé de la famine dans les prisons et les camps, décrivant les petites portions de nourriture qui leur ont été donnés et l’état lamentable, souvent pourries, dans lequel elles étaient servies.
Les autres questions sur lesquelles les interrogés ont le plus répondu concernaient la literie et vêtements inadaptés , les mauvaises conditions sanitaires. Les témoignages soulignent systématiquement d’avoir à dormir sur des nattes de paille sans couverture ni oreiller sur la pierre froide ou le béton, [78] le manque de vêtements en général, les tapol ne recevaient jamais de vêtements ou de quoi dormir [79] – et le manque de savon[80]. Les femmes ont décrit comment, si elles voulaient un quelconque de ces objets, elles devaient surtout compter sur les membres de la famille pour les leur fournir. [81] Pour compenser le manque de nourriture, de vêtements et de literie, certaines femmes dans les prisons, comme à la prison pour femmes Bukit Duri à Jakarta, ont pu fabriquer et vendre – avec l’aide de parents – leurs confections.[82] Sudjinah elle-même décrit comment, après dix ans, elle a été en mesure d’acheter un matelas, mais que, après avoir dormi sur le sol froid pendant si longtemps, il lui avait fallu un certain temps pour s’y habituer. [83] En plus de ces privations subies par les tapol, il y avait aussi l’interdiction complète de tout équipement permettant la lecture ou l’écriture – à l’exception des copies de la Bible et du Coran. [84] Compte tenu de cette restriction, il est tout à fait remarquable que Sudjinah a été en mesure d’avoir certaines de ses œuvres, écrites en prison sous un pseudonyme, clandestinement envoyées à la publication. [85]
Pour illustrer les conditions que la plupart des femmes m’ont décrites, j’ai choisi une partie du témoignage de Ibu Ayu. Sa réponse donne une description de la prison et les conditions dans lesquelles elle a vécu pendant plus de onze ans. Dans son récit, Ibu Ayu parle des sujets tels que les dispositions inappropriées afin de priver de sommeill, l’isolement des tapol par rapport à leurs familles, de la faim et des soins médicaux inappropriés, ainsi que leurs tentatives pour surmonter ces difficultés.
« L’état de la prison en elle-même n’était pas si mal. C’était une ancienne prison abandonnée depuis l’ère hollandaise. Les carreaux de sol étaient encore assez bons, il y avait une grande fenêtre en verre, à moitié ouverte, et la nuit il faisait très froid. L’endroit où nous étions était un mélange de gens comme nous [les prisonniers politiques] et des prisonniers criminels… En tant que prisonniers politiques nous avons été traités de façon inhumaine, nous comptions seulement comme un tiers de criminel. Pendant deux ans, nous étions dans notre cellule, dormant sur des petits tapis sans oreillers ni couvertures. Vous imaginez combien les nuits y étaient froides, ajoutées au fait que nos familles avaient interdiction de nous rendre visite. Ainsi, vous pouvez deviner les conditions de santé des détenus à cette époque … Tout ce que nous avons fait était pour survivre, pour ne pas mourir de faim. En fait il y avait une cour devant notre cellule où quelques plantes poussaient, dont nous avons mangé quelques feuilles … En parlant du problème de la nourriture, l’allocation pour les tapols était très différente de celle pour les prisonniers criminels qui avaient du poisson salé, parfois un œuf salé, des haricots verts et des bananes tandis que les tapols n’avaient qu’un peu de maïs bouilli pour le petit déjeuner. Chaque personne avait 17 à 18 grains de maïs, si vous en aviez 20, c’était bien le maximum. Au déjeuner, nous avions un peu de riz avec des légumes bouillis et au dîner, du riz avec un peu de soja (mais seulement un tout petit peu). Mais les choses ont changé et nous avons été autorisés à sortir [de nos cellules] pour une demi-heure [par jour]. Nous avons utilisé ce temps pour planter des légumes dans le jardin … pour pouvoir manger nos produits … Une paire d’années plus tard, nous avons eu l’occasion de travailler pour la prison, par exemple, broder, coudre … et faire du crochet pour un très petit salaire … et [nous pouvions utiliser l’argent] pour acheter du sucre et du manioc. Ensuite, nos familles ont été autorisées à nous rendre visite et nous pouvions leur demander de nous apporter des choses. Après cela, si les membres de la famille visitaient quelqu’un, les choses qu’ils avaient apportées … comme du lait et des vitamines… étaient partagées. [Les geôliers] ne portaient pas vraiment attention à notre santé, tout le temps que je suis restée en prison, je n’ai vu un médecin qu’une seule fois. L’Eglise nous a donné des verres .. et d’autres choses comme de la nourriture … et des vitamines …. Nous avions vraiment besoin d’eau, chaque jour, nous avons eu une portion qui était insuffisante pour tout un jour et une nuit … Peu de temps avant ma libération, nous avons eu une visite de la Croix-Rouge internationale … à leur première visite nous avons eu des matelas, des draps, des oreillers, des couverts et de quoi jouer au ping-pong. Et une télévision, même si lors des journaux télévisés d’information elle était éteinte. » [86]
Bien que le témoignage de Ibu Ayu donne un aperçu de la vie quotidienne des femmes tapol, il y avait d’autres récits choquants donnés par mes informateurs et les interrogés. Une informatrice, après beaucoup de discussions, a déclaré que si elle avait été en prison, elle avait vu «beaucoup [de gardiens / soldats] violer et pénétrer un certain nombre de femmes détenues.» [87] Bien qu’aucun des autres informateurs n’a mentionné cela, étant donné que les femmes détenues subissaient des abus sexuels pendant l’interrogatoire, il est tout à fait possible que ceux-ci ont continué pendant leur incarcération. En fait, d’après mon expérience issue des discussions avec mes informateurs, chaque femme a eu tendance à se distancier de toute sorte de violence sexuelle qu’elle ou d’autres personnes ont connu pendant sa détention; quand elles étaient mentionnées, très peu de détails étaient donnés. Les femmes se concentraient plutôt sur leur quotidien, leurs relations avec les autres femmes dans les cellules, de leurs efforts collectifs et des identités. Ce maintien dans l’ombre d’expériences traumatisantes personnelles peut signifier que lorsque vous écoutez les récits de ces femmes, nous devons non seulement entendre leurs voix, mais aussi leur silence.
Libérée mais n’être pas libre : être ex-tapol sous l’Ordre Nouveau
« Nous sommes ex-tapol, citoyens de seconde classe. Nous avons été privés de nos droits de l’homme fondamentaux … nos cartes d’identité, la police … tout cela! Nous ne sommes pas de vrais citoyens de ce pays. » [88]
Au cours du Ordre Nouveau, les prisonniers politiques qui ont été libérés de prison (appelé ex-tapol) ont souvent, après plusieurs années d’emprisonnement injustifié, été l’un des groupes les plus opprimés et stigmatisés au sein de l’Indonésie. [89] Hanté par le spectre de l’implication présumée du PKI dans le coup d’Etat du 1er octobre 1965, le gouvernement ne permettait pas à ceux qui ont été détenus pour leur implication passée avec le Parti communiste de se réinsérer avec succès dans la société. [90] Loin de chercher à faciliter l’intégration sociale de ces tapol libérés, le gouvernement du Nouvel Ordre leur a imposé des restrictions sévères sur l’emploi, le mouvement, la parole, la résidence et la participation politique, le tout sans procédure légale, et a justifié ces restrictions contre le risque d’inoculation sociale et le «danger latent» d’un renouveau communiste. [91]
Ces avertissements d’une société indonésienne étant menacée par le danger imminent d’éléments communistes subversifs ont souvent été répétés tout au long de la période du Nouvel Ordre. [92] Ce «danger latent» a été évoqué dans les déclarations officielles, des livres, des cours d’histoire à l’école, même des films officiels,[93] tous ont abouti à la création d’un environnement d’appréhension, de méfiance et de peur dans la société indonésienne d’une supposée menace communiste. [94] Même ceux qui sont associés avec des ex-tapol pouvaient être sujet à cette suspicion, reflétant l’avis du gouvernement que ceux étroitement liés à d’anciens membres du PKI ou à des sympathisants étaient influencés par eux. Ainsi, non seulement les ex-tapol ont été soumis à des restrictions en vertu du Nouvel Ordre, mais les membres de leur famille proche pouvaient aussi être soupçonnés de complicité et ont dû faire face à des restrictions de leurs droits humains fondamentaux. [95]
Dans les années 1980, des séminaires organisés à l’Institut de la Défense nationale ont examiné ce «danger latent» du communisme, ce qui a conduit au conseil à préconiser d’être «propre» et «propre dans son environnement », c’est-à-dire vis-à-vis des déductions pouvant être faites des relations d’une personne avec d’anciens membres du PKI, des sympathisants ou d’organisations associées. [96] En raison de la position du gouvernement sur cette question, des «certificats de non-participation au Mouvement du 30 Septembre ou au PKI » ont été créés en 1966, ils étaient requis pour toute recherche d’emploi dans les services gouvernementaux, dans l’armée et dans quelques grandes entreprises ainsi que pour toute admission à l’école ou à l’université, ou de tous ceux qui souhaitent déménager vers un nouveau quartier. [97]
Ces certificats étaient nécessaires pour que tout tapol libéré soit banni de ces services importants et, dans le début des années 1980, la liste des professions leur étant interdit a été élargie pour inclure tout emploi dans lequel on pourrait éventuellement influencer l’opinion publique, comme journaliste, enseignant, clerc, avocat, juge, dalangs, ou gouverneurs locaux. [98] Leur liberté de mouvement a également été sévèrement limitée. Avant la libération, tout tapol a été obligé de signer un engagement de non seulement éviter toute activité politique, de renoncer à toutes demandes d’indemnisation résultant d’une peine d’emprisonnement et de mauvais traitements illicites, mais aussi de rendre compte à intervalles réguliers aux autorités de sécurité. [99] En plus de tout cela, tous les anciens prisonniers politiques ont vu leurs cartes d’identité estampillées avec les initiales « E/T » (signifiant ex-tapol), un acte d’étiquetage flagrant des détenus libérés. [100] Pour beaucoup, ces marques étaient l’équivalent d’une «marque » , les identifiant pour mieux les stigmatiser. [101]
Les ex-tapol ont également été soumis à des restrictions sur l’écriture, la prise de parole en public, et ont été l’objet de surveillance accrue. [102] Les anciens prisonniers politiques étaient souvent victimes de gouvernement corrompu ou vindicatif et de responsables militaires et pendant les nombreuses purges et répressions à la recherche de preuves communistes dans diverses institutions, ils ont souvent été convoqués pour un nouvel interrogatoire à propos de leur propre activité ainsi que celles des autres. [103]
Les familles des anciens prisonniers ont également été confrontées à de nombreuses difficultés à la fois lorsque les tapol étaient en prison mais aussi après leur libération. Beaucoup d’épouses de détenus de sexe masculin ont très difficilement trouvé un emploi, devant souvent non seulement subvenir à leurs besoins ainsi que ceux de leurs enfants mais aussi d’apporter des aides à leurs maris emprisonnés lorsqu’ils étaient détenus à proximité. Comme Carmel Budiardjo, elle-même ancienne tapol, rappelle dans ses écrits sur son temps passé dans ce qu’elle appelle les «goulags », les difficultés et les souffrances des femmes et des enfants de détenus sont une histoire en soi. La grande majorité de ces femmes n’avait aucun moyen de subsistance ni de revenu régulier et étaient méprisées, même par des parents proches, qui avaient peur d’être contaminés par le contact avec les prisonniers et leurs familles. Certaines femmes ont réussi à survivre en vendant de la nourriture et des gâteaux faits maison … mais peu étaient en mesure de gagner assez pour calmer la faim. Certaines, en désespoir de cause, ont confié leurs enfants à des proches ou des voisins.» [104] Sulami aborde également ce problème de la misère dont les enfants de tapol ont souffert. «Lorsque seul le père ou la mère était détenu, ça n’allait pas si mal. Quand les deux parents l’étaient, tout allait mal. Les enfants étaient jetés hors de l’école, ceux qui n’étaient pas exclus étaient harcelés à droite et à gauche. Même si leurs parents n’avaient rien à voir avec ce qui est appelé le Mouvement du 30 septembre de Lubang Buaya … Le nombre d’enfants de tapol devenus les victimes des circonstances ne peut être connu. Seule la bonté humaine pouvait aider ces enfants, afin qu’ils puissent manger, boire, avoir des vêtements, être en bonne santé et continuer leur scolarité. » [105]
Les Tapol et ex-tapol ont également connu la douleur d’être séparés de leurs enfants. Un interrogé a écrit: «Je suis obligé de laisser mes trois enfants avec leur grand-mère et leur tante. J’ai été en prison pendant 21 ans, et pendant ce temps, pas une seule fois je n’ai pu voir mes enfants. Ainsi mes enfants ne ressentent pas l’amour que j’ai pour eux. » [106] Commentant sa séparation de ses êtres chers, Sulami écrit,« c’était comme s’il n’y avait plus de douceur dans le monde. Il n’y avait plus que l’amertume de vivre. Les questions politiques, les accusations calomnieuses et les abus pouvaient cesser … mais qu’en est-il des besoins du corps et de l’âme? Qui peut supprimer l’amour entre un mari et sa femme? L’amour entre parents et enfants? » [107] Les familles des ex-tapol, qui ont tous souffert de la stigmatisation de l’association avec d’anciens communistes, ont souvent blâmé les anciens détenus de leur situation. Les enfants, à qui était enseigné la version de l’histoire du Nouvel Ordre et à qui on rappelait le «danger latent» des communistes, étaient parfois parvenus à haïr leurs parents et grands-parents qui avaient été détenus. [108] Comme une ancienne membre de Gerwani m’a raconté, «Ce qui me rend vraiment triste c’est que mes enfants apprennent à l’école ces choses laides sur Gerwani. J’ai réalisé que mon fils n’osait pas me dire quelque chose. Un jour, il est venu à moi et m’a demandé: «Maman, pourquoi es-tu devenue membre d’un tel groupe, si moralement dépravé, apportant la ruine du pays? Etais-tu une putain aussi ? Tout le monde dit que les membres de Gerwani étaient des putes et des mauvaises femmes. » Comment puis-je lui expliquer ce pour quoi nous nous battions, ce que nos idéaux étaient? Je vois encore la confusion et la honte dans ses yeux. Comment pourrait-il jamais comprendre ma vie? » [109]
Comme Sulami l’écrit dans le début de son poème, ce n’est qu’un fragment d’histoire; une histoire dans laquelle plus d’un demi million de personnes ont souffert de la négation de leurs droits fondamentaux durant l’Ordre Nouveau, à la fois en prison et en dehors. Pendant plus de 32 ans sous le régime militaire du président Suharto, les histoires de femmes de Gerwani, ainsi que les histoires d’autres membres des anciennes organisations sympathisantes communistes, ont été réprimées en Indonésie. Pour leur implication présumée dans le coup, les femmes de cette organisation ont été dépeintes comme des traîtres à leur nation perverties sexuellement et les putains immorales du Parti communiste indonésien. Les propres histoires des femmes de Gerwani ont été omises des récits historiques sur l’Ordre Nouveau. Il pourrait être possible, grâce à la collecte de ces histoires, de contester l’histoire moderne indonésienne et de fournir une contre-version subversive et d’opposition aux histoires officielles.
traduction www.initiative-communiste.fr 14 octobre 2015
Notes
[1] Cet article est une version révisée de deux chapitres de ma thèse, ‘The Demonisation of Gerwani and the Repression of its Members under the New Order in Indonesia,’ University of Queensland, 2003.
[2] De son poème ‘Gugatan Anak Manusia’ publié dans le prologue de son autobiographie, Sulami, Perempuan—Kebenaran dan Penjara, Jakarta: Cipta Lestari, 1999, pp. ix-xii.
[3] Le coup d’état du 1er Octobre 1965 est référencé sous de nombreux noms; tels que le “coup d’état communite avorté”, ou simplement “le coup d’état”. Des questions perdurent comme qui étaient les conspirateurs et co-conspirateurs derrière ces événements de la nuit du 30 septembre 1965 mais pour en savoir plus sur les analyses du coup d’état et ses conséquences, voir Benedict R. Anderson et Ruth T. McVey, A Preliminary Analysis of the October 1 1965 Coup in Indonesia, Cornell: Cornell University, 1971; W.F. Wetheim, ‘Whose Plot?—New Light on the 1965 Events,’ dans Journal of Contemporary Asia vol. 9 (1979): 197-215; et Harold Crouch, The Army and Politics in Indonesia, Ithaca and New York: Cornell University Press, 1978.
[4] Justus M. van der Kroef, ‘Indonesia’s Political Prisoners,’ dans Pacific Affairs, vol. 49 (1976): 625-647, p. 625.
[5] Tapol, Indonesia: The Prison State, London: Tapol, 1976, p. 1.
[6] Patrick Flanagan et Julie Southwood, Indonesia: Law, Propaganda and Terror, London: Zed Books, 1983, p. 3.
[7] Tapol, ‘Women on Trial,’ dans Tapol Bulletin, vol. 9 (1975): 1-4, p. 4. Pour les excellentes analyses de la campagne de propagande militaire indonésienne contre les Gerwani et autres organisations de gauche suite au coup d’état du 1er octobre 1965, voir Saskia Wieringa, The Politicisation of Gender Relations in Indonesia, Amsterdam: Universiteitsbibliotheek, 1995; The Birth of the New Order State in Indonesia: Sexual Politics and Nationalism, The Hague: Institute of Social Studies, 2001; and Sexual Politics in Indonesia, New York: Palgrave and MacMillan, 2002. Steven Drakeley’s Lubang Buaya: Myth, Misogyny and, and Massacre, Clayton: Centre for Southeast Asian Studies, 2000, fournit aussi un exceptionnel complément au travail de Wieringa en étudiant les sous-entendus misogynes de la campagne.
[8] Témoignages recueillis par interview en 2002 et par questionnaire en 2003. Les noms des informateurs et des interrogés, à l’exception de Ibu Sudjinah qui souhaitait que son nom soit utilisé, ont été changés pour garantir leur anonymat.
[9] Jacques Leclerc, ‘Girls, Girls, Girls, and Crocodiles,’ dans Outward Appearances: Dressing State and Society in Indonesia, ed. Henk Schulte Nordholt, Leiden: KITLV Press, pp. 291-305; Arswendo Atmowiloto, Pengkhianatan G30S/PKI, Jakarta: Pustaka Sinar Harapan, 1986, qui était le roman dont est tiré le film d’Arafin Noer du même titre; Djanwar, Mengungkap Penghianatan/Pemberortakan G30S/PKI: Dalam Rangka Mengamankan Pancasila dan UUD 1945, Bandung: Yrama, 1986, pp. 5-6; Staf Pertahanan Keamanan, Lembaga Sejarah, 40 Hari Kegagalan G30S, Jakarta: PUSSEDJAB, 1966, pp. 33-46; and KOPKAMTIB, G.30.S./PKI, Jakarta: KOPKAMTIB, 1978, pp. 134-36. Cette version des événements du 1er octobre 1965 est, comme précisé ci-dessus, grandement contesté. Pour d’autres versions et spéculations sur ces événements, voir les références listées en note 3.
[10] Le commandement opérationnel de restauration de la sécurité et l’ordre.
[11] Greg Fealy, The Release of Indonesia’s Political Prisoners: Domestic Versus Foreign Policy, 1975-1979, Clayton: Centre for Southeast Asian Studies, 1995, p. 4.
[12] Voir Tapol, Indonesia: The Prison State, p. 2; et Crouch, The Army and Politics, pp. 160-161.
[13] van der Kroef, Indonesia’s Political Prisoners, p. 629, cité dans Fealy, The Release of Indonesia’s Political Prisoners, p. 5.
[14] Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, London: Amnesty International, 1977, p. 21. Se référer à ce livre pour les affaires rapportées par Amnesty International des nombreuses victimes des circonstances des arrestations.
[15] van der Kroef, Indonesia’s Political Prisoners, p. 628. Ce système a été créé sur l’instruction présidentielle no. 09/KOGAM/1966, issue en Mai 1966 par le Général Suharto, par délégation du Président Sukarno.
[16] Embassy of the Republic of Indonesia, Stockholm, The Intolerable Tolerance: A Short Review of the Collapse of the Indonesian Communist Party and the Birth of the New Order in Indonesia, Stockholm: Brod, pp. 41-42 (Hereafter, called Embassy).
[17] Département des Affaires Etrangères, République Indonésienne, Indonesian Government Policy in Dealing with the G.30.S/PKI Detainees, Jakarta: [17] Département des Affaires Etrangères, 1978, p. 17, cité dans Fealy, The Release of Indonesia’s Political Prisoners, p. 5.
[18] Embassy, The Intolerable Tolerance, p. 42.
[19] van der Kroef, Indonesia’s Political Prisoners, p. 628.
[20] Fealy, The Release of Indonesia’s Political Prisoners, p. 6. Fealy ajoute en juin 1975 que, le gouvernement indonésien a créé un système de sous-catégorie pour la catégorie “C” de prisonniers et a ordonné que tous les tapol de cette catégorie soit désignés ‘C1’, ‘C2’ ou ‘C3’. Pour une analyse de cette catégorisation à trois niveaux supplémentaires, voir Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 38. Ceux en ‘C1’ étaient soi-disant impliqués à un niveau moindre que ceux de la catégorie “B”, alors que pour être classé en “C3” on avait juste besoin d’avoir “montré de la sympaqthie pour le PKI” par son “comportement et ses actions”.
[21] Flanagan and Southwood, Indonesia: Law, p. 48. Selon Amnesty International aussi, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 20, ceux des catégories “A” et “B” n’étaient pas autorisés à consulter des avocats à aucun moment de leur incarcération.
[22] Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 46.
[23] Comme les procès du Député Premier Ministre et Ministre de l’étranger de Sukarno, Dr Subandrio, du chef du PKI, Njono, et du secrétaire général du PKI, Sudisman. voir Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, pp. 45-47 Pour plus de détails sur leurs procès individuels.
[24] D’une interview avec Ibu Marto, Septembre 2002.
[25] Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 65.
[26] Voir les références des notes de bas de page 13 et 14, pour une définition de la catégorie ‘A’.
[27] Voir Wieringa, Sexual Politics, pp. 296-98.
[28] Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 103, fait valoir qu’aucun de ceux présumés directement impliqués dans les événements de Lubang Buaya n’a jamais été jugé.
[29] Des informations collectées par Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, pp. 60-66; Wieringa, Sexual Politics, p. 84; Tapol, ‘Women on Trial,’ pp. 1-4; et d’autres, pas plus d’une poignée de members de Gerwani n’a été traduite en justice.
[30] Tapol, ‘Women on Trial,’ p. 1.
[31] Wieringa, Sexual Politics, p. 85, fait valoir que le procès a été utilisé comme moyen de justifier le discrédit jeté sur Gerwani, les décrivant comme de dangereuses femmes communistes, l’anti-thèse des bonnes mères et bonnes épouses.
[32] Le journal, ‘Pembela Komando Presiden Sukarno,’ était un papier clandestin qui apportait son soutien au Président Sukarno. Voir Sulami, Perempuan—Kebenaran, p. 10.
[33] Voir Sudjinah, Terempas Gelombang Pasang, Jakarta: Pustaka Utan Kayu, 2003, pp. 75-81; Sulami, Perempuan – Kebenaran, pp. 43-64; and Tapol, ‘Women on Trial’, p. 3.
[34] Sulami, Perempuan – Kebenaran, p. 60. Il faut noter que pour tous les témoignages donnés dans le présent document, qu’ils soient de sources narratives orales ou écrites, il est possible que les souvenirs des participants et les informateurs de leurs expériences ne soient pas tout à fait exact en ce sens que chacune d’elles offrent seulement le témoignage d’une seule personne de certains événements. Pour des discussions détaillées et exploratoires sur les discours de mémoire par rapport à l’expérience traumatique et le témoignage, je vous recommande les ouvrages suivants : Paul Antze and Michael Lambek (eds), Tense Past: Cultural Essays in Trauma and Memory, New York and London: Routledge, 1996; Cathy Caruth, Unclaimed Experience: Trauma, Narrative, and History, Baltimore: John Hopkins University Press, 1996; and Gerald Sider and Gavin Smith (eds), Between History and Histories: The Production of Silences and Commemorations, Toronto: University of Toronto Press, 1997.
[35] Sulami, Perempuan – Kebenaran, pp. 60-62.
[36] Sudjinah, Terempas Gelombang Pasang, pp. 78-80.
[37] Pancasila—l’idéologie officielle de l’Etat Indonésien. Pour une brève introduction de cette idéologie, voir Asia Watch, Human Rights in Indonesia and East Timor, New York: Human Rights Watch, 1988, pp. 41-43.
[38] van der Kroef, ‘Indonesia’s Political Prisoners,’ p. 639, citant Angkatan Bersenjata, 17 juin, 1975.
[39] Tapol, ‘Women on Trial,’ p. 5.
[40] Tapol, ‘Women on Trial,’ p. 5.
[41] Ibu Sinta, qui a purgé en tout 21 ans
[42] Ibu Ayu dit que de ces 7 amies arrêtées avec elle, seules 2 ont été traduites en justice.
[43] Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 21.
[44] Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 21; et Tapol, Indonesia: The Prison State, p. 5.
[45] Asia Watch, Human Rights, p. 142.
[46] Carmel Budiardjo, ‘Political Imprisonment in Indonesia,’ dans Bulletin of Concerned Asian Scholars (April 1974): 20-23.
[47] Des nombreuses réponses des informatrices.
[48] Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 75.
[49] Sudjinah, Terempas Gelombang Pasang, p. 30.
[50] Flanagan and Southwood, Indonesia: Law, p. 107. Il peut être prudent, cependant, de mettre en cause cette estimation. Bien qu’il puisse sembler brutal de réduire la souffrance des victimes à des estimations, il pourrait être bien de dire que le chiffre de ceux qui ont subi une forme de violence (en dehors de l’abus inhérent à la détention) pourrait bien être supérieur de 90 pour cent celui cité dans Flanagan et Southwood. Je ne crois pas que tout pourcentage définitif peut être calculé sur le nombre de personnes qui ont subi une forme de traitement inhumain, pendant leur interrogatoire.
[51] Dans mon interview avec Ibu Sudjinah en 2002, elle a discuté de certaines de ses expériences avec moi, mais j’ai choisi d’utiliser mes traductions de ses écrits car ils donnent une plus grande profondeur de son interrogatoire.
[52] Rose Lindsey, ‘From Atrocity to Data: Historiographies of Rape in Former Yugoslavia and the Gendering of Genocide,’ dans Patterns of Prejudice, vol. 36(4) (2002): 59-78, p. 63. En espérant éviter de compartementaliser les victimes par les différents types de brutalité dont elles ont souffert , je suis également consciente que je risque de diminuer l’horreur “spécifique” de la torture calculée et qu’elle soit alors confondue avec d’autres abus.
[53] Sulami, Perempuan—Kebenaran, pp. 21-23.
[54] Flanagan and Southwood, Indonesia: Law, p. 108.
[55] Flanagan and Southwood, Indonesia: Law, p. 107.
[56] Sudjinah, Terempas Gelombang Pasang, pp. 20-25.
[57] Tapol, ‘Women on Trial,’ p. 4.
[58] Sudjinah, Terempas Gelombang Pasang, p. 27.
[59] See Wieringa, Sexual Politics, pp. 297-99, 337, Stanley, ‘Penggambaran Gerwani Sebagai Kumpulan Pembunuh dan Setan,’ dans Munindo, vol. 1, (undated), URL: http://www.munindo.brd.de/artikel_02/art02_gambaran_gerwani.html, accès au site le 5 Novembre 2002; et Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, pp. 104-07.
[60] Les 3 qui n’ont pas mentionné de scènes de torture spécifiques ont seulement dit qu’elles étaient sujet à des “traitements inhumains” ou ont décrit leurs geôliers comme “brutaux”.
[61] Des réponses de Ibu Eti et Ibu Eny.
[62] Des réponses de Ibu Eti, Ibu Eny et Ibu Marto.
[63] Des réponses de Ibu Marto.
[64] Presque tous ceux qui ont parlé de leur interrogatoire ont mentionné des coups brutaux avec différents outils tels que des bâtons ou des cannes en rotin.
[65] Des réponses de Ibu Marto et Ibu Nana.
[66] Interview avec Ibu Eny, 2002.
[67] Réponses données par Ibu Sri et Ibu Nani.
[68] Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 76.
[69] Tapol, Indonesia: The Prison State, pp. 4-5.
[70] Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 71.
[71] Fealy, The Release of Indonesia’s Political Prisoners, p. 5 et Tapol, Indonesia: The Prison State, p. 6.
[72] Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 15. Les seules exceptions ont été les visites effectuées à l’île de Buru par des journalistes indonésiens accompagnés par des fonctionnaires de KOPKAMTIB et, jusqu’à la fin des années 1970, la brève visite d’un journaliste de la télévision néerlandaise de l’île en 1976. À la fin des années 1980, Asia Watch a également été autorisé à faire des observations de 7 institutions à Java. Voir Asia Watch, Prison Conditions in Indonesia, New York et Washington BC: Human Rights Watch, 1990. Ces observations, cependant, ont été gravement entravées par des fonctionnaires. Les équipes ne sont pas autorisées à interviewer spontanément les détenus, ils devaient être accompagnés par des gardes. Les cellules inspectées avaient été prédéterminées et les équipes n’ont pas été autorisées à en inspecter d’autres, etc. Voir Asia Watch, Prison Conditions, pp. 11-13.
[73] Flanagan and Southwood, Indonesia: Law, p. 107.
[74] Budiardjo, ‘Political Imprisonment,’ p. 20.
[75] Flanagan and Southwood, Indonesia: Law, p. 113.
[76] Tapol, Indonesia: The Prison State, p. 5.
[77] Tapol, Indonesia: The Prison State, p. 6.
[78] Comme Ibu Sinta
[79] Tapol, Indonesia: The Prison State, p. 6, et information de Ibu Galih.
[80] Interview avec Ibu Sudjinah, 2002.
[81] Interview avec Ibu Sudjinah, 2002.
[82] Information de Ibu Galih, Ibu Sinta, Ibu Tari, Ibu Sri et Ibu Ayu, ainsi que de Sudjinah, Terempas Gelombang Pasang, p. 57 et Sulami, Perempuan – Kebenaran, pp. 76-77.
[83] Citation de Sudjinah dans Wieringa, Sexual Politics, p. 299.
[84] Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 79.
[85] Sudjinah, In a Jakarta Prison: Life Stories of Women Inmates, Jakarta: The Lontar Foundation, 2000, p. xiii.
[86] Réponse au questionnaire par Ibu Ayu.
[87] Interview avec Ibu Marto, 2002.
[88] D’une interview avec Ibu Eny, 2002.
[89] Fealy, The Release of Indonesia’s Political Prisoners, p. 43. A noter que bien que l’ère du Nouvel Ordre soit le seul évoqué dans ce chapitre, la stigmatisation des ex-tapols a continué pendant l’époque de la Réforme (1998-). Voir Helene van Klinken, ‘Coming Out,’ dans Inside Indonesia, vol. 58, 1999: pp. 16-17, p. 17.
[90] Asia Watch, Human Rights, p. 5.
[91] Asia Watch, Human Rights, p. 5.
[92] Asia Watch, Human Rights, p. 63.
[93] Les exemples incluent: Atmowiloto, Pengkhianatan G30S / PKI, qui était, comme indiqué à la note 9, la version en roman du film d’Arafin Noer du même nom, Djanwar, Mengungkap Penghianatan / Pemberontakan G30S / PKI, Staf Pertahanan Keamanan, Lembaga Sejarah, 40 Hari Kegagalan G30S, et KOPKAMTIB, G.30.S / PKI. Dans la période de la fin de Suharto (1990), il y avait d’autres efforts déployés par le régime d’Ordre Nouveau à poursuivre sa propagande contre Gerwani et d’autres anciennes organisations communistes. Ces nouvelles propagandes ont notamment pris forme dans le bâtiment du Musée de la trahison du PKI, qui a été érigé au milieu des années 1990, avec le monument sacré de Pancasila, situé non loin du lieu où le coup d’Etat a eu lieu, Lubang Buaya, Jakarta.
[94] Fealy, The Release of Indonesia’s Political Prisoners, p. 10.
[95] Asia Watch, Human Rights, p. 64.
[96] Quoted in Asia Watch, Human Rights, p. 64.
[97] van der Kroef, ‘Indonesia’s Political Prisoners,’ p. 643. Pour plus d’échanges voir ‘Surat Bebas G30S/PKI.’ Voir aussi Amnesty International, Indonesia: An Amnesty International Report, p. 107.
[98] Asia Watch, Human Rights, p. 64.
[99] Fealy, The Release of Indonesia’s Political Prisoners, p. 38.
[100] Tapol, ‘All Forms of Discrimination Must End,’ dans Tapol Bulletin, vol. 130 (1995): p. 5.
[101] D’une interview avec Ibu Eny, 2002.
[102] Voir Asia Watch, Human Rights, pp. 65-73, pour des exemples spécifiques de quand les ex-tapol étaient soumis à des restrictions.
[103] Fealy, The Release of Indonesia’s Political Prisoners, p. 43.
[104] Carmel Budiardjo, Surviving Indonesia’s Gulags, London: Cassell, 1996, p. 57.
[105] Sulami, Perempuan – Kebenaran, p. 90.
[106] Response by Ibu Sinta.
[107] Sulami, Perempuan – Kebenaran, p. 90.
[108] van Klinken, ‘Coming Out,’ p. 4.
[109] Pris d’un extrait anonyme, cité dans Wieringa, Sexual Politics, p. 15.
[1] Pancasila : désigne les 5 principes fondateurs de la république indonésienne
Ce qui me gène quand on parle de répression communiste, de guerre contre le communisme, c’est que le mot « communisme » est employé pour ses connotations historiques (Staline, le goulag), alors que la réalité est qu’on a massacré des pauvres sans terre, des syndicalistes, des défenseurs des droits de l’homme , pour installer la grande propriété exportatrice et l’impérialisme économique des USA, ce qui bien sûr est plus trivial que de parler noblement de démocratie et de liberté.