CONFÉRENCE SUR LES QUESTIONS INTERNATIONALES, 4 ET 5 MAI 2013
Je veux tout d’abord remercier les communistes français de m’offrir la possibilité de participer à cette réunion. Les relations de proche camaraderie avec les partis communistes étrangers nous sont une source d’inspiration.
Pour commencer, je dirai quelques mots sur notre parti. Le parti communiste d’Union soviétique fut refondé en 1992. Nous avons à présent quelques organisations dans certaines des anciennes républiques soviétiques, mais la majorité des membres de notre parti vit et travaille dans la fédération de Russie.
Dans certaines des anciennes républiques soviétiques, l’activité du PCUS est interdite, dans d’autres, le parti, sans être interdit, ne bénéficie pas d’une reconnaissance publique par le biais d’une déclaration. Une telle déclaration n’est pas possible car, dans nos républiques, la loi et la pratique juridique sont trop restrictives. Par exemple, cela reste encore impossible en Russie, même après la libéralisation de la loi électorale russe. Dans notre cas, un autre parti nous a en quelque sorte pris de vitesse pour la déclaration en s’enregistrant avec des initiales correspondent exactement aux nôtres, ce qui constitue un empêchement à la déclaration de notre organisation d’après le nouvel amendement de la loi sur les partis.
Depuis 1992, notre parti a conduit plusieurs campagnes politiques couronnées de succès : pour la défense de l’intégrité territoriale de la Russie, et en particulier les Iles Kuriles, pour la défense du mausolée de Lénine.
Par la condamnation de l’opportunisme de droite comme de gauche, ce sont les principes du marxisme-léninisme, éprouvés par le temps, qui guident l’activité de notre parti.
Cette ligne est aujourd’hui éminemment d’actualité. Selon les estimations d’économistes indépendants et les nôtres, le niveau moyen de revenus et donc de vie de la majorité des Russes a connu une baisse de 30 à 50% ces dernières années. Cela provoque bien évidemment des tensions sociales et politiques extrêmement fortes, qui s’expriment par des protestations massives.
En Occident, les plus connues parmi ces protestations sont celles qui touchent à la mise en cause de la démocratie, et s’élèvent contre les fraudes électorales. La presse bourgeoise présente dans la plupart des cas ces actions comme l’émanation d’une soi-disant « classe moyenne », généralement organisée à droite. La réalité est tout autre.
Bien sûr, parmi les manifestants, on trouve des gens de droite, mais ils sont minoritaires. D’après ce que révèlent les sondages d’opinion et nos propres estimations, la majorité des gens qui protestent est composée de gens de gauche et de personnes sans étiquette politique, personnes qui se prononcent en faveur d’une « démocratie réelle » et contre le régime de Poutine. La sociologie de ces manifestants renvoie plus ou moins à la sociologie de la ville de Moscou. D’un autre côté, ces protestations sont purement spontanées, sans organisateur ni dirigeant. Comme j’ai pu le constater, l’immense majorité des contestataires refusait ne serait-ce que d’écouter les « leaders » auto-désignés de la protestation, « leaders » émanés de la droite.
Dans les faits, cette protestation repose sur une base beaucoup plus large et reflète le mécontentement croissant que suscite le régime de Poutine dans les différents secteurs de la société. Pour certains occidentaux, et même pour des gens de gauche, marqués par tout ce qu’ils entendent ou lisent sur la rapidité de la croissance économique russe, sur la stabilité politique, sur le soutien national à Poutine, etc., c’est difficile à croire. En réalité, tout cela n’est qu’un flot de propagande, il n’y a pas de croissance économique, et il n’y a surtout pas d’élévation du niveau de vie moyen de la population, il n’y a pas non plus de soutien national à Poutine. La seule stabilité apparente qu’on puisse évoquer repose sur un fragile compromis entre divers groupes impliqués dans la conduite du régime. Sa fin est toutefois programmée.
J’ai déjà évoqué le déclin des indicateurs du niveau de vie de la plupart des Russes. Il découle d’un déclin économique général tel que même les statistiques officielles russes le reconnaissent aujourd’hui. Dans les faits, les autorités sous-estiment systématiquement l’inflation, pervertissant d’emblée toute appréciation de la situation économique. Et cette situation économique n’est pas bonne.
Il ne peut de toute façon pas en être autrement. Le système économique existant actuellement en Russie est corrompu, bancal et inefficace. Après 25 ans de « réformes » bourgeoises et de privatisation massive, de nombreux secteurs industriels ont été détruits. Pour prendre un exemple, la production des machines-outils est aujourd’hui 25 fois inférieure (et j’insiste bien, 25 fois) à ce qu’elle était sous l’Union Soviétique, celle des tracteurs, 30 fois inférieure et ainsi de suite. Une telle désindustrialisation ne pouvait que déboucher sur un chômage de masse, et sur la désertification industrielle de bien des régions. Officiellement, le taux de chômage en Russie est de 5 à 6% mais récemment un des dirigeants a admis que le gouvernement était incapable de dire où travaillaient 38 millions de Russes. Bien sûr, un certain nombre d’entre eux travaille au noir, mais un tiers d’entre eux, au bas mot, est tout simplement sans emploi, élevant le taux réel de chômage en Russie à 20-25%.
Autre aspect. Le pouvoir d’achat corrélé au taux de change de la monnaie russe est en baisse constante en raison d’une inflation élevée. Nous répétons constamment que les autorités sous-estiment volontairement l’inflation, ce fut d’ailleurs un vrai scandale lors cette sous-estimation a été confirmée par un ex-directeur de l’Institut de statistiques gouvernemental qui a déclaré que le taux réel de l’inflation en Russie est de 18% et non 6%.
Enfin, le niveau de corruption est très élevé en Russie, les abus dans le domaine de la justice, l’arbitraire des actions policières pèsent de façon insupportable sur la vie quotidienne des gens. La marchandisation de l’éducation et de la santé publique, leur qualité en chute libre constitue un autre facteur de mécontentement public.
Quand les Russes dans leur majorité vivent dans des conditions de plus en plus difficiles, la confiance en Poutine ne peut pas atteindre des sommets. Si l’on se fie à des instituts de sociologues plus ou moins indépendants, sa cote de popularité se situe autour de 30-40% (et sans doute beaucoup moins).
D’un autre côté, l’ignominie du système politique russe pousse dans la rue même l’opposition bourgeoise. Il est à présent possible de fonder un parti (même si cela ne s’applique pas au nôtre), mais les candidats de ce parti peuvent être invalidés à tout moment au cours des campagnes électorales, et surtout, les résultats des élections sont systématiquement falsifiés. Un représentant d’un groupe semi-officiel d’expertise a récemment déclaré que lors des élections législatives de 2011, le parti au pouvoir (du Pouvoir), Russie Unie, avait recueilli 25 à 30% des voix au lieu des 49% annoncés. Cela correspond en tous points avec nos estimations réalisées dans les jours qui ont immédiatement suivi les « sondages ». De même, toujours selon nos estimations, Poutine n’a pas gagné l’élection présidentielle puisqu’il n’aurait récolté que 40 à 45% des voix.
Dans ces conditions, les manifestations de protestation sont inévitables. Même si elles s’apaisent dans un futur proche, il est évident que les autorités susciteront de nouveaux motifs de contestation, par leurs actions antipopulaires et souvent irrationnelles. La Russie est aujourd’hui au seuil d’une profonde transformation en démocratie bourgeoise, et peut-être même au seuil d’une révolution, sans que l’on puisse en déterminer le moment précis.
Le rôle des forces de gauche peut s’exercer dans différentes directions. Il peut être celui d’observateur, comme ce fut le cas dans les révolutions « teintées » (orange) de plusieurs républiques post-soviétiques, ou le processus de transformation peut s’approfondir dans une voie révolutionnaire vers le socialisme, comme ce fut le cas en 1917. Les prérequis sont là : beaucoup de Russes n’en peuvent plus du réformisme bourgeois. Par exemple, Staline est aujourd’hui la figure la plus populaire, parmi les chefs d’Etat russes, Lénine venant en second. Selon des sondages officiels d’opinion, 80% de la population apprécie favorablement la révolution socialiste d’Octobre. L’avènement d’une révolution rouge ou « teintée » dépend finalement des forces de gauche elles-mêmes.
Chers camarades, c’était une brève description de la situation dans la Russie d’aujourd’hui, j’espère qu’elle vous aura intéressés et qu’elle vous sera utile. Merci de votre attention.