A peine mis en place, le fasciste Milei qui a pris en main la présidence de l’Argentine a démarré sous les applaudissements du Fond Monétaire Internationale qui a plongé dans la misère l’une des principales économies d’Amérique Latine un plan de vente à la découpe du pays et d’exploitation terrible des travailleurs argentins. Démontrant une nouvelle fois que les menées fascistes sont bien le prolongement naturel et systèmique de la prédaction capitaliste. Livraison des ressources en lithium aux USA avec des contacts pris avec la multinationale Tesla du milliardaire Elon Musk. Décrets empêchant de manifester. Liquidation de la monnaie nationale et avec elle de la capacité pour l’Argentine à mener une politique économique souveraine indépendante du dollars et pouvant résister aux pressions compradores du FMI… Le projet de loi qualifié par divers médias de « loi omnibus » comprend plus de 360 articles. Parmi les initiatives du décret d’urgence (DNU) figurent des changements dans le système du travail et l’abrogation de la loi sur les loyers, que Milei avait promis d’éliminer.. L’arrivé au pouvoir de Milei prend sa source à la fois dans ces puissants soutiens par les milieux capitalistes en particulier Nord Américain, mais aussi dans les difficultés de la population, exsangue à cause des difficultés économiques provoquées par la mise en coupe réglée du pays par les politiques austéritaires du Fond Monétaire International. Des difficultés qu’il n’est pas possible de résoudre sans sortir du capitalisme. Un FMI évidemment ravi de voir venir aux affaires un dirigeant autoritaire, à la politique ouvertement fasciste.
L’escalade dans la répression et la violence austéritaire et exploiteuse capitaliste lancé par le fasciste Milei inquiète les capitales latino américaine. A Caracas, le président Maduro a mis en garde mercredi contre l’impact du dernier décret du président argentin, Javier Milei, sur la démocratie et la souveraineté économique du pays sud-américain.
Selon le chef de l’État vénézuélien, le dernier décret du président Milei, composé de 360 articles et comprenant des modifications à la réglementation dans les domaines du travail, de la production, de la santé et de la réforme de l’État, viole tous les droits du peuple argentin. .
Le président Maduro a déclaré que Milei « va de pair avec les secteurs les plus extrémistes d’Amérique du Nord : le Trumpisme ». et il l’a appelé « une construction, une élaboration du sionisme et du trumpisme pour tester un projet de colonisation d’un pays aussi important et aussi vaste ». comme l’Argentine.
La rédaction d’Initiative Communiste vous propose un dossier spécial Argentine
Les deux principaux syndicats argentins lancent la résistance : « Monsieur le Président, nous ne sommes pas la caste, nous sommes les travailleurs »
ce 27 décembre c’est par une manifestation faisant face à la répression que Les deux principaux syndicats argentins, le CTA Autónoma et le CTA de los Trabajadores ; Avec d’autres organisations, ils ont confirmé leur participation à la marche de protestation de ce mercredi contre le décret de déréglementation économique et de réforme de l’État du président d’extrême droite Javier Milei.
La mobilisation dénonce la « réforme du travail farouchement régressive » expliquant que son seul objectif est de mettre sous pressions les travailleurs, de restreindre l’activité syndicale et de privilégier uniquement les intérêts capitalistes.
La manifestation a pour épicentre la Place Lavalle, devant le siège du Tribunal où se trouve le Tribunal Suprême de Justice de la Nation (CSJN) et sera rejointe par l’Union des Travailleurs
de l’Économie Populaire (UTEP) ; l’Association des travailleurs de l’État (ATE) et le Front des organisations en lutte (FOL).
Dans le même sens, les trois co-présidents de la CGT, Héctor Daer, Carlos Acuña et Pablo Moyano, ont appelé à la marche.
La semaine dernière, lors de l’appel à la protestation, le leader syndical Hugo Yasky a déclaré que « ils ne nous intimideront pas par la répression », en réponse directe aux menaces de la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, d’appliquer son discours anti -protocole de piquetage et contre les protestations sociales.
Pourtant, ce mercredi matin, les premières arrestations ont été réalisées par le ministère de la Sécurité.
Déréglementation des loyers, vente du lithium aux USA
À la demande du gouvernement des États-Unis, le président Javier Milei prépare un cadre juridique spécial pour que les hommes d’affaires de ce pays, dont Elon Musk, puissent conserver le lithium argentin, a révélé le président lui-même dans un talk-show.
« Une des choses qui m’est arrivée, c’est qu’Elon Musk m’a appelé, qui est extrêmement intéressé par le lithium, et le gouvernement des États-Unis et de nombreuses entreprises là-bas sont également très intéressés, mais ils ont besoin d’un cadre juridique qui respecte les droits de propriété. « , a déclaré le président.
Les déclarations de Millei ont provoqué des réactions de rejet chez de nombreux utilisateurs argentins des réseaux sociaux.
Avec ces déclarations, le président semble privilégier le PDG de Tesla et les entreprises américaines par rapport au rôle que jouent actuellement les provinces argentines dans le développement de cette ressource stratégique clé pour le pays.
Le lithium est une matière première essentielle pour l’industrie mondiale en pleine croissance des véhicules électriques. L’Argentine, avec des réserves estimées à 19 millions de tonnes, fait partie du triangle du lithium, avec la Bolivie (21 millions de tonnes) et le Chili (neuf millions de tonnes).
De nombreux utilisateurs se souviennent qu’Elon Musk est PDG de Tesla, une industrie automobile qui produit et distribue des véhicules électriques, et qu’il a qualifié le lithium de nouveau pétrole.
L’Argentine est en passe de devenir le troisième producteur de lithium dans quelques années, conséquence de la demande existante au niveau mondial et aussi grâce à l’avancée des projets en cours, qui permettront au pays de plus que tripler. sa production en 2026. actuelle et atteindre jusqu’à 260 000 tonnes de carbonate de lithium.
Cette mesure est à mettre en perspective d’une autre décision prise par Milei : libéraliser le montant des loyers. Alors qu’une large partie de la population sombre chaque jours un peu plus dans la misère, il s’agit de faire ainsi les poches des travailleurs argentins au profit des spéculateurs immobiliers. Démontrant ce qu’est une politique d’extrême droite. Servilité absolu à l’égard des capitalistes, violence totale contre le peuple.
Retrouvez ci après deux articles analysant en détail la situation en Argentine, les causes et les conséquences;
- En Argentine, un cataclysme à arrière-goût de FMI – par Maurice Lemoine
Argentine. « Le plan de Milei ne se termine que par la répression » par Claudio Katz
En Argentine, un cataclysme à arrière-goût de FMI
par Maurice Lemoine pour Mémoire des luttes : https://www.medelu.org/En-Argentine-un-cataclysme-a-arriere-gout-de-FMI#nb15
La situation est critique. Les changements dont notre pays a besoin sont radicaux. Il n’y a pas de place pour le gradualisme, pas de place pour la tiédeur, pas de place pour les demi-mesures ! » Treize minutes de discours devant une multitude euphorique : élu le 19 novembre 2023 à la présidence de la République argentine, Javier Milei termine sa harangue par l’inévitable « la liberté, bordel ! », son distingué slogan.
Plus que par ses compétences intrinsèques dans sa spécialité, l’économiste libertarien (ou anarcho-capitaliste) s’est avant tout fait connaître – à l’instar en France et dans son registre d’un Eric Zemmour – en tant que « bon client » des plateaux de télévision. A partir de 2018, il a été l’ « économiste » le plus consulté pour distiller à la radio ou face caméras ses philippiques iconoclastes, provocatrices et désordonnées. Le genre de présence permanente qui laisse des traces dans l’opinion.
En bref, en vrac et en désordre (comme sa coupe de cheveux) : pour tailler dans les coûts et les déficits, Milei prétend réduire l’Etat à la portion congrue ; privatiser tout ce qui est privatisable, de la santé à l’éducation en passant par la compagnie pétrolière nationale YPF et les médias publics ; baisser drastiquement les impôts ; éliminer les allocations familiales et les subventions ; lutter contre le « marxisme culturel » et les écologistes qui veulent « exterminer l’humanité » ; interdire l’avortement (légal depuis 2020), mais libéraliser le port d’arme et la vente d’organes ; en finir avec la classe politique, « les rats » de « la caste parasitaire et corrompue ».
Pendant l’entre-deux tours, Diana Mondino, la future ministre des Affaires étrangères de l’ « homme à la tronçonneuse » (symbole des coupes massives que Milei promet d’opérer dans les budgets de l’Etat), a comparé l’homosexualité au choix que font certains « d’avoir des poux ». Choisie pour accompagner le « libertarien » en tant que vice-présidente, Victoria Villarruel, fille de hauts gradés militaires, nie les crimes de la dictature qui a sévi de 1976 à 1983. Il est vrai que Milei a de son côté été conseiller économique de l’ex-général Antonio Bussi, recyclé en député (1993) puis gouverneur de la province de Tucumán (1995) avant d’être condamné à perpétuité pour l’un des centaines de crimes qu’il a commis pendant la « guerre sale » [1]. Pas de volte-face : trois décennies plus tard, Milei exprime son refus de « faire des pactes avec les communistes », en se référant à la Chine, et, pour les mêmes raisons, préconise la rupture des liens diplomatiques avec le Brésil de Luiz Inácio « Lula » da Silva (et même le Vatican de « l’idiot qui se trouve à Rome », le pape argentin Francisco !). Quant au Marché commun du sud (Mercosur) [2], il le dissoudrait bien…
Gagner une élection avec un tel programme et un tel pedigree ? Impossible ! Encore que… Au Brésil, le pyromane Jair Bolsonaro n’était guère plus crédible en 2018. Jusqu’au moment où…
De sorte qu’en Argentine le même cataclysme se produit : ce 19 novembre, Milei et son parti La Liberté avance (LLA) l’emportent au second tour avec 55,7 % des suffrages sur le ministre de l’Economie sortant, le « péroniste » Sergio Massa (Union pour la patrie ; 44,3 % des voix).
« Aujourd’hui commence la reconstruction de l’Argentine », clame le nouveau chef de l’Etat.
Si l’on en croit les faiseurs d’opinion, le péronisme, version argentine de l’Etat-Providence, a conduit le pays dans une impasse économique et une crise sociale que symbolisent un taux de pauvreté de 40 % et une inflation incontrôlée de 140 %. Pas d’autres responsables, apparemment…
Avant même d’entamer l’inévitable pèlerinage de tout nouvel élu conservateur aux Etats-Unis, Milei s’entretient une première fois en ligne, le 24 novembre, avec la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Kristalina Georgieva. Sur X (ex-Twitter), cette dernière se félicite que cet échange ait permis d’aborder « les défis importants de l’économie argentine et les actions politiques décisives nécessaires ».
Arrivé le 27 novembre à New-York, Milei y enchaîne les rencontres privées et d’affaires – dont une symbolique visite aux couleurs de l’Ukraine et d’Israël sur la tombe du rabbin Menachem Mendel Schneerson (« Le Rabbi ») [3]. A Washington, il s’entretient avec Jake Sullivan, conseiller à la Sécurité nationale, et Juan González, principal conseiller de Joe Biden sur l’Amérique latine, tout en expédiant en priorité ses proches collaborateurs au siège de l’omniprésent FMI.
Une vieille et sinistre connaissance dans le Río de la Plata…
Entre le début de la dictature (mars 1976) et l’année 2001, parallèlement à la mise en œuvre des réformes économiques néolibérales, la dette argentine a été multipliée par 20 ou presque, passant de moins de 8 milliards de dollars à près de 160 milliards. Pendant cette même période, le pays remboursait environ 200 milliards de dollars et, via la fuite des capitaux, une bonne partie de l’argent emprunté allait ruisseler à l’étranger et dans les paradis fiscaux.
Quand, le 24 octobre 1999, le péroniste néolibéral Carlos Menem cède la place à Fernando de la Rúa, dirigeant d’une coalition de gauche hétérogène, le Front pour un pays solidaire (Frepaso), les finances sont en ruine. Sur 36 millions d’Argentins, 14 millions vivent officiellement en dessous du seuil de pauvreté.
Dans une décision rendue le 13 juillet 2000, le juge fédéral Jorge Ballesteros qualifie d’ « illégale » une partie considérable de la dette publique, compte tenu de l’arbitraire avec lequel elle a été contractée et des irrégularités auxquelles elle a donné lieu. Pourtant, sous la pression du FMI et en échange d’un prêt de 10 milliards de dollars pour se refinancer, le pouvoir élabore un plan d’ajustement structurel qui provoque les effets d’une bombe à fragmentation : hausse des impôts et des taxes, réduction des dépenses fédérales en direction des provinces, dérégulation de la sécurité sociale, démantèlement de ce qui reste du service public, libéralisation du secteur des télécommunications – sans parler de multiples et cætera.
Décembre 2001 : en dernier recours, le ministre de l’économie Domingo Cavallo tente d’imposer le gel des avoirs bancaires des petits épargnants – le « corralito ». C’en est trop. La vertigineuse dégradation des conditions de vie déclenche la mise à sac des supermarchés. Puis un soulèvement général qu’ensanglantent 38 morts et des centaines de blessés. Au milieu du tumulte, une revendication revient en boucle : « Que se vayan todos ! » (« Qu’ils partent tous »). De la Rúa est le premier à le faire, le 20 décembre, en catastrophe et en hélicoptère, après quarante-huit heures de troubles violents.
En onze jours, quatre présidents de la République lui succèdent, dont, pour une journée, le président provisoire du Sénat, Ramón Puerta. Elu par l’Assemblée législative (23 décembre) et sous la pression de la rue, Rodríguez Saa prend ses distances avec le FMI en annonçant que l’Argentine suspend le paiement de sa dette jusqu’au retour au plein emploi. Le plus grand « default » (défaut de paiement) de l’histoire à l’égard des créanciers privés ! Saa ne gouverne néanmoins qu’une semaine avant de devoir s’enfuir à son tour, caché dans une camionnette, pour échapper au vacarme des « cacerolazos » et à la furie des manifestants. Pour vingt-quatre heures, le président de la Chambre des députés Eduardo Óscar Camaño prend le relais.
Projeté à son tour (1er janvier 2002) au palais présidentiel – « la Casa Rosada » –, le sénateur membre du Parti justicialiste (PJ ; péroniste) Eduardo Duhalde confirme s’il en était besoin l’insolvabilité du pays, dévalue le peso de 30 % et met fin à la mortifère parité avec le dollar instaurée en 1991 sous la férule de la Banque mondiale et, comme il se doit, du FMI [4]. Le conflit social et les incertitudes politiques s’intensifiant malgré quelques mesures d’assistance envers les plus démunis, Duhalde avance à avril 2003 les élections. Que gagne – son adversaire Carlos Menem se retirant au second tour pour éviter d’être battu – un certain Néstor Kirchner, gouverneur péroniste peu connu de la Province de Santa Cruz (Patagonie).
La vie des Argentins bascule – dans le bon sens, cette fois.
Discours d’investiture, le 25 mai : Kirchner en appelle à la justice sociale et au rôle accru de l’Etat pour « mettre de l’égalité là ou le marché exclut ». Dès septembre 2003, à Dubaï où se réunit l’assemblée générale de la Banque mondiale et du FMI, il négocie directement avec le marché et, plutôt que de s’y soumettre, annonce que l’offre qu’il avance est « à prendre ou à laisser ». Quelques temps plus tard, il enfonce le clou : le gouvernement ne paiera pas la dette « au prix de la faim et de l’exclusion de millions de ses citoyens ». Le 11 septembre 2004, son obstination obtient du FMI un refinancement à hauteur de 23 milliards de dollars, à payer sur trois ans. Adossé à ce premier succès, Kirchner notifie à ses créanciers médusés que l’Argentine ne remboursera que 25 % de sa dette. Le 25 février 2005, au terme d’un bras de fer mémorable, il les fait plier : 80 % d’entre eux acquiescent à l’offre proposée.
Le « kirchnérisme » est né.
Rupture avec le néolibéralisme, retour en force de l’Etat, confrontation avec le patronat et ses auxiliaires des médias privés, mise en œuvre de programmes sociaux : l’économie redémarre, l’extrême pauvreté recule spectaculairement. Dès son arrivée au pouvoir, Néstor a de plus aboli les lois d’amnistie et a destitué sans hésiter cinquante-quatre généraux et amiraux [5]. Pour ne rien gâcher, les planètes latinas s’alignent. En compagnie du vénézuélien Hugo Chávez et du brésilien Lula, Kirchner œuvre à la création de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), organe de concertation politique des pays de la région, sans présence des Etats-Unis.
A Néstor succède son épouse, l’avocate et ex-sénatrice Cristina Fernández de Kirchner (CFK), le 10 décembre 2007. Le face à face avec les créanciers n’est pas encore entièrement terminé. Au Club de Paris [6], CFK impose en novembre 2010 une renégociation « sans intervention du FMI », considéré comme responsable du désastre qu’a connu le pays. C’est la première fois que le club en question accepte une telle exigence. Belle victoire politique pour Cristina, mais aussi, à titre posthume, pour Néstor, décédé au mois d’octobre précédent.
Devenue ce que l’on appelle une dirigeante charismatique (et « populiste » pour les observateurs bien pensants), CFK est réélue en 2011 dès le premier tour, avec 54 % des voix. Mais, si le peuple l’aime, les financiers veulent sa peau.
A ce stade, au terme de deux rounds de négociation (2005 et 2010), 92,4 % des créanciers de l’Argentine ont accepté la restructuration de la dette et seulement 7,6 % – les « hold out » – l’ont rejetée. Parmi ces contestataires, des « fonds vautours » aux becs crochus volent en rase-motte au-dessus de leur proie. Il s’agit d’entreprises financières qui, souvent domiciliées dans les paradis fiscaux, rachètent à très bas prix, sur le marché secondaire [7], la dette d’Etats en difficulté. Après l’avoir acquise pour un montant infime de sa valeur d’origine, ils en réclament le paiement à 100 %, agrémenté d’intérêts et de pénalités.
CFK refusant de donner satisfaction à ces charognards, la justice des Etats-Unis s’en mêle. C’est une situation fréquente en Amérique latine, depuis qu’a été édictée la Doctrine de Monroe [8]. En 2012, après une longue bataille juridique, le juge fédéral du District de New York Thomas Griesa condamne l’Argentine à verser 1,33 milliard de dollars aux « vautours » NML et Aurelius. Saisie par Buenos Aires, la Cour suprême des Etats-Unis confirme la décision de Griesa. Craignant de voir les autres « hold out » prendre exemple sur les prédateurs pour réclamer d’être remboursés sans tenir compte de la décote qu’ils ont acceptée – la facture pouvant alors dépasser les 100 milliards de dollars –, CFK refuse catégoriquement de se soumettre au diktat. La décision tend à l’extrême les échanges entre les autorités argentines et la « justice » américaine. En juin 2014, le juge Griesa bloque le versement de 539 millions de dollars d’intérêts sur une partie de la dette restructurée – la somme restant sous séquestre auprès de Bank of New York Mellon. Il ressort de cette décision que l’Argentine ne peut plus procéder à aucun paiement aux créanciers ayant accepté la restructuration à New York et à Londres tant qu’elle n’aura pas remboursé, en priorité, les « fonds vautours ». Bien que n’étant pas en faillite et qu’ayant les capacités de payer, le pays se retrouve de fait en « défaut de paiement ».
En septembre 2014, à la tribune de l’ONU, la présidente Kirchner dénonce le « harcèlement » des « fonds vautours » et accuse le système judiciaire américain de « complicité ». Au même moment, les « fonds vautours » sont condamnés par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU.
Douze années de « kirchnérisme ». Un souvenir, « Néstor », une étoile, « Cristina ». La Constitution interdit de briguer plus de deux mandats successifs. Dans l’entourage de CFK, il n’existe aucune individualité d’envergure susceptible de lui succéder et de poursuivre son action. Il convient dès lors de composer avec les idéaux réversibles et les éthiques à géométrie variable du péronisme. Un courant politique qui, allant de la gauche à la droite en passant par de nombreux chemins de traverse, rassemble néolibéraux et protectionnistes, pro-Américains et souverainistes, libre-échangistes et partisans d’un Etat fort.
Dans la perspective de l’élection présidentielle du 22 octobre 2015, trois noms émergent : Mauricio Macri, Sergio Massa et Daniel Scioli. Maire de Buenos Aires, à la tête d’une coalition Cambiemos (Changeons) réunissant l’Union civique radicale (UCR ; le plus ancien des partis argentins) et Proposition républicaine (Pro), sa propre formation, Macri représente un néolibéralisme « pur jus ». Venu initialement de la droite la plus classique (Union du centre démocratique ; Ucede), fort opportunément rallié au péronisme, ex-fonctionnaire de Néstor Kirchner puis chef de cabinet de CFK, Massa a de nouveau retourné sa veste en 2013, passant dans l’ « opposition responsable » à cette dernière et fondant le Front rénovateur. Scioli, enfin, est également à la gauche péroniste ce que François Hollande est au socialisme, pour prendre un exemple parlant. Anciennement champion de motonautisme, riche homme d’affaires, vice-président de Néstor puis gouverneur de la province de Buenos Aires, il a pris ses distances avec les Kirchner ces dernières années. Toutefois, il est donné en tête par toutes les enquêtes d’opinion. Fort de cette onction, il est intronisé « candidat péroniste » face à Macri dans ce qui est en réalité un combat entre deux hommes de l’« élite » économique du pays. Au grand dam du « peuple kirchnériste », ulcéré d’avoir à voter pour Scioli.
C’est néanmoins celui-ci qui arrive en tête au premier tour (37,1 % des voix), devant Macri (34,1 %) et Massa (21,4 %). En vue du second tour, pas plus d’enthousiasme, côté progressistes : « Je considère Scioli comme très faux, soupire Hebe de Bonafini, l’emblématique dirigeante des Mères de la Place de Mai. Il a ruiné la province [de Buenos Aires], les hôpitaux sont une honte, les écoles sont une honte. Mais, pour que Macri ne gagne pas, il faut voter pour lui. »
En dernière analyse, le résultat dépendra d’où tomberont les 5,2 millions de voix de Massa. Ayant souvent occupé des postes importants dans les premières années du « kirchnérisme », ses amis politiques choisissent « la neutralité ». A l’instar d’un poids lourd comme Roberto Lavagna, ministre de l’Economie sous Duhalde et Néstor Kirchner, Massa n’étale aucun états d’âme à l’heure de trancher : « Je ne veux pas que Scioli gagne », jette-t-il à la télévision.
Merci, Massa ! Le 22 novembre, Macri l’emporte avec 52,11 % des suffrages. Apprenant sa victoire, il lance, euphorique, à ses partisans : « C’est un jour historique, c’est un changement d’époque qui va être merveilleux ! »
Merveilleux, c’est sûr. Surtout pour les « fonds vautours ». Dès le début de son mandat, Macri se couche devant le juge new-yorkais Griesa. Aux prédateurs, il verse sans barguigner 4,6 milliards de dollars, leur permettant de faire un bénéfice de 300 % [9]. Dirigée par Paul Singer, le leader de l’offensive judiciaire, l’entreprise NML Capital rafle à elle seule 2,4 milliards de dollars pour des obligations achetées… 177 millions.
Historique ! Washington applaudit. Le FMI exulte. La « grande presse » se réjouit. « Wall Street a de nouveau le vent en poupe dans la nouvelle Argentine, affirme Bloomberg, qui poursuit : Depuis sa victoire en novembre, le président Mauricio Macri a rempli l’Etat d’hommes d’affaires, de financiers, d’économistes et de cadres (…) Ce ne sont pas seulement les anciens de JP Morgan et de Deutsche Bank qui dominent les postes gouvernementaux. Goldman Sachs Group Inc, Barclays Inc et Morgan Stanley sont également représentés, avec d’anciens membres occupant des postes clés à la Banque centrale et à l’Agence nationale des fonds de pension [10]. »
Depuis Washington, le secrétaire au Trésor Jack Lew affirme que son pays cessera de s’opposer aux prêts des banques de développement multilatérales à l’Argentine en raison des « progrès et de la trajectoire économique positive » du nouveau gouvernement.
Outre son cadeau aux « fonds vautours », le gouvernement a réglé rubis sur l‘ongle les sommes dues aux autres « hold out ». Coût total : 9,3 milliards de dollars. Au même moment, dans le cadre de ce que d’aucuns dénonceront sous l’appellation de « fête financière », la politique de liberté totale de sortie des capitaux permet à ceux-ci de s’enfuir allègrement. En quête d’argent frais, le gouvernement émet donc juin 2017 une dette de 2,75 milliards de dollars, à rembourser sur 100 ans, avec un taux d’intérêt annuel de 7,9 %.
Ancien trader à la Bourse de New York, passé par JP Morgan et la Deutsche Bank, le ministre des Finances qui a réussi cette performance porte un nom qu’il convient de retenir : Luis Caputo. Considéré par Macri comme « le Messi de l’économie », il va encore faire mieux. La dévaluation (88,4 %) du peso argentin par rapport au dollar ayant grandement affecté l’économie d’un pays entré en récession, Caputo, en mai 2018, en appelle au FMI. Et pas pour des broutilles ! Sous la direction de Christine Lagarde, le Fonds accorde à l’Argentine un prêt faramineux de 57 milliards de dollars. Dépassant le record précédent de la Grèce (avec les conséquences que l’on connaît) [11], le plus important jamais accordé à un seul pays [12].
Pendant ce temps, et pour les Argentins, ça va vraiment très mal. Augmentations des impôts, baisse de l’investissement public, milliers d’employés licenciés, crise de l’emploi, dégradation du pouvoir d’achat, augmentation délirante des tarifs (depuis 2015, en fonction des catégories et du type de consommation, entre 1053 % et 2388 % de hausse pour l’électricité ; 462 % et 1353 % pour le gaz ; 554 % et 832 % pour l’eau [13]). Plus d’un tiers des Argentins vivent à nouveau sous le seuil de pauvreté. Détail funeste : dans un premier temps, Macri a bénéficié de l’appui de tout un courant péroniste opposé à CFK – la majorité des vingt gouverneurs, en particulier.
Seulement, la rhétorique de « l’effort nécessaire » ne fonctionne plus. Dès avril 2019, des sondages indiquent que, en cas de second tour à la présidentielle à venir en novembre, Cristina Kirchner l’emporterait largement sur Macri.
Pour la droite, un seul mot d’ordre désormais : il faut neutraliser « Cristina ».
« Law fare » ! L’utilisation non conventionnelle de l’appareil judiciaire pour déstabiliser et éliminer les opposants et les adversaires politiques a fonctionné en 2012 pour renverser Fernando Lugo au Paraguay ; en 2016, pour éjecter Dilma Rousseff de la présidence brésilienne ; à compter du 7 avril 2018, pour incarcérer Lula et l’empêcher de se présenter à la présidentielle, dont il est le favori ; depuis juin 2018 pour maintenir l’ex-chef de l’Etat équatorien Rafael Correa en Belgique et lui interdire tout retour dans son pays, car faisant l’objet d’un mandat d’arrêt ; en continu contre l’ex-vice président équatorien Jorge Glas qui, condamné à huit ans de prison et libéré pour raisons de santé après avoir passé trois années en détention, vient de se réfugier, le 17 décembre dernier, dans l’ambassade du Mexique pour échapper à la persécution (accusé cette fois de… « liens avec le narcotrafic »).
En Argentine, l’artillerie de la presse dominante se met au service des manipulations politiques et d’un système judiciaire qui, d’après CFK, mais pas que d’elle, « vit en marge du système démocratique ». Mise en examen dans plusieurs affaires de « corruption » durant ses deux mandats consécutifs, celle-ci, élue en octobre 2017 au Sénat, bénéficie toujours de l’immunité, parlementaire cette fois. Toutefois, si sa popularité demeure exceptionnelle au sein des milieux populaires, la campagne haineuse menée contre elle a trouvé écho dans une partie notable de l’opinion. Pour beaucoup, le nombre d’actions judiciaires qu’affronte l’ex-présidente ne lui permettra pas de mener une campagne électorale dans de bonnes conditions. S’agissant des possibilités de victoire de la gauche, une formule résume la situation : « Avec Cristina seule, ce n’est pas possible ; sans elle, ce n’est pas possible non plus. »
A tort ou à raison, mais pour ne prendre aucun risque face à Macri, qui se représente, Cristina Kirchner fait un pas de côté le 18 mai 2019 – trois jours avant que ne démarre l’un des procès qui, fort judicieusement quant au « tempo », est censé la mener sur le banc des accusés. « Nous, dirigeants, déclare-t-elle, devons mettre de côté nos ambitions et nos vanités personnelles et je suis prête à apporter ma contribution là où je peux être le plus utile. » Elle annonce qu’elle ne se présentera pas à la présidence, mais que (demeurant de ce fait très présente), elle accompagnera son ex-chef de cabinet (il le fut également de Néstor) Alberto Fernández en tant que vice-présidente. Une large alliance regroupée autour du péronisme accompagnera cet attelage, Le Front de tous (Frente de todos ; FdT).
Au sein du péronisme, d’aucuns estiment « géniale » cette manœuvre qui élargit la base électorale en jouant sur deux tableaux. Déçue, la base « kirchnériste » fait grise mine. Considéré comme modéré, Fernández, alors chef de cabinet de « Cristina », a rompu avec elle en 2008, en plein conflit avec un monde agro-industriel vent debout contre une hausse des taxes à l’exportation. Il s’est par la suite allié à d’autres « péronistes critiques », comme Sergio Massa, a créé le Parti du travail et de l’équité (PARTE) avant de ne se « réconcilier » avec CFK qu’à la fin 2018.
Ces péripéties ne peuvent néanmoins occulter l’essentiel : les quatre années de Macri – par ailleurs allié inconditionnel des infréquentables présidents Donald Trump (Etats-Unis), Jair Bolsonaro (Brésil), Iván Duque (Colombie), sans parler de l’illuminé vénézuélien autoproclamé Juan Guaido – ont fait trop de dégâts. Le 27 octobre 2019, Fernández est élu au premier tour avec 47,45 % des voix [14]. Une victoire, pas un triomphe. Et un défi : sortir l’Argentine du marasme dans lequel Macri l’a plongée.
Depuis juin 2018, le FMI a versé au gouvernement Macri 44,3 milliards de dollars sur les 57 milliards promis. Par ailleurs, pendant les quatre années de gestion néolibérale, le pays s’est endetté de 85 milliards de dollars en obligations. Ni investissements ni stabilisation de l’économie : selon le solde de change de la Banque centrale (BCRA), la fuite des capitaux durant la même période a atteint 88,37 milliards de dollars [15]. Le gouvernement de Fernández demande au FMI de mettre un terme à cette folie et de stopper les envois d’argent.
Dès février 2020, le ministre de l’Economie Martín Guzmán (ex-collaborateur du « prix Nobel » Joseph Stiglitz), met en cause le Fonds, « en partie responsable de la crise ». Puis il entame des négociations. Pas de souci : le FMI admet que la dette extérieure de l’Argentine « n’est pas soutenable » et exige que la restructuration se fasse sur la base d’une « contribution significative des créanciers privés ». En revanche, il précise qu’il n’accepte « ni annulation ni reprofilage » de ses propres prêts. De leur côté, les principaux créanciers privés – parmi lesquels la crème du secteur, Black Rock, Fidelity, Pimco et Franklin Templeton – refusent toute restructuration. En cas de litige, ils saisiront les tribunaux internationaux contre l’Argentine pour « cessation de paiement ».
Alors que la pandémie déferle, enfonçant encore plus le pays dans la crise, une polémique commence à enfler : pourquoi le pouvoir continue-t-il à tenter de négocier les termes et les conditions du paiement de la dette, quand, s’agissant d’une « dette odieuse », comme celle de la fin des années 1990, il faudrait en contester la légitimité ?
Selon la doctrine, une dette est réputée « odieuse », et donc nulle, à deux conditions : si elle a été contractée contre l’intérêt de la Nation ou contre l’intérêt du peuple ou contre l’intérêt de l’Etat ; si les créanciers ne sont pas en mesure de démontrer qu’ils ne pouvaient pas savoir que la dette était contractée contre l’intérêt de la Nation [16].
Les 57 milliards de dollars (devenus 44,3 milliards) accordés à Buenos Aires l’ont été au mépris de toutes les normes et procédures encadrant habituellement les opérations du FMI. Il peut légitimement être reproché à l’institution l’absence d’une analyse de faisabilité du remboursement en fonction de l’état de l’économie du pays et de ses perspectives ; le large dépassement des normes prudentielles pour l’octroi des prêts ; la non consultation du Parlement argentin par le pouvoir exécutif de Macri avant la demande faite au FMI.
Majoritaire à la Chambre, le bloc des sénateurs du FdT a adressé le 11 novembre 2020 une lettre à la directrice générale du Fonds Kristalina Georgieva. Ils ont entre autres invoqué l’article VI du règlement du FMI impliquant que (sauf dans les cas prévus à la section 2 de cet article) aucun Etat membre ne peut utiliser les ressources générales du Fonds « pour faire face à une sortie importante ou continue de capitaux ». En cas de non respect de cette norme, le Fonds peut demander à ce Etat de prendre des mesures de contrôle pour empêcher que les ressources octroyées ne soient utilisées à cette fin. « Il est donc intéressant pour nous de savoir quelles mesures de contrôle le Fonds a demandé à l’Argentine dans ce contexte, ont souligné les législateurs, puisque, à notre avis, non seulement cela ne s’est pas produit, mais que le Fonds a continué à effectuer des décaissements sans tenir compte de cette situation (…) [17] ».
Rien de vraiment mystérieux. On apprendra bientôt, par une indiscrétion de l’ex-représentant des Etats-Unis au FMI, Mauricio Claver-Carone, que ce crédit hors norme fut suggéré par l’administration Trump, pour favoriser la réélection de Macri et « empêcher le retour des politiques populistes ».
Le 22 décembre 2021, le FMI lui-même, suite à une enquête interne, publiera un rapport (très modérément) autocritique sur sa brillante opération : les conditions du prêt « n’étaient pas suffisamment solides pour faire face (…) à la fragilité des finances publiques et à l’inflation élevée (…) ».
Au total, en cette année 2021, l’Argentine a remboursé un peu plus de 5 milliards de dollars au FMI. Fernández et son équipe persistant à vouloir renégocier tout en refusant d’imposer un programme de choc à une population déjà éprouvée, le Fonds rétorque que « davantage de discussions seront nécessaires » pour sceller le refinancement des 40 milliards de dollars que le pays doit payer au cours des trente prochains mois.
De fait, Buenos Aires ne renonce pas d’emblée à la résistance. Dans un premier temps, Guzmán impose comme principal concept la « soutenabilité de la dette ». Le camp d’en face se met à croasser. Faisant encore preuve de fermeté, Alberto Fernández résiste aux pressions des créanciers qui veulent le voir remplacer Guzmán. Mais, peu à peu, gouvernement ploie sous la pression. Membre du Parti justicialiste, le gouverneur de San Luis Alberto Rodríguez Saa (frère de l’ex-éphémère président) avait pourtant, sur Zoom, pandémie oblige, posé les termes de l’équation : « Négocier avec le Fonds, avec la catastrophe que cela signifie pour les années à venir et la condamnation des générations futures, et ne pas dénoncer cette dette comme odieuse, comme une escroquerie, c’est une mauvaise voie que je ne partage pas. Pardonnez-moi, je sais que c’est une vérité inconfortable [18]… »
Inconfortable, elle l’est. Le péronisme se déchire (plus qu’à l’accoutumée). Tandis que le « kirchnérisme » réclame davantage de dépenses sociales, le ministère de l’Economie, malgré quelques mesures notoires – programme d’urgence d’Aide au travail et à la production (ATP), Revenu familial d’urgence (IFE) [19] –, piétine passablement. « Cristina » fait pression sur le président Fernández pour que, au minimum, il suspende les paiements au FMI et au Club de Paris jusqu’à la fin de la pandémie. De vastes secteurs populaires se mobilisent contre la négociation.
Premières alertes : le 12 septembre 2021, lors des primaires ouvertes, simultanées et obligatoires (PASO) chargées de définir les candidats qui se présenteraient aux élections générales partielles du 14 novembre suivant (dites également de mi-mandat), l’opposition de droite l’a largement emporté sur le FdT, avec plus de deux millions de voix d’avance. Fidèles de la vice-présidente, qui poussait le chef de l’Etat à remanier son cabinet, cinq ministres – Intérieur, Justice, Environnement, Sciences, Culture – ainsi que plusieurs hauts fonctionnaires ont présenté leur démission. Bousculé, Fernández a répondu sur Twitter en manifestant son irritation : « La gestion continuera à se développer comme je l’entends ; ce n’est pas le moment de soulever des différends. »
Si le FdT a limité les dégâts lors des élections de novembre, destinées à renouveler 127 des 257 députés et 24 des 72 sénateurs, celles-ci n’en ont pas moins marqué un recul du camp gouvernemental au sein des deux Assemblées et, surtout, une perte du contrôle du Sénat.
Epiphénomène (a-t-on alors espéré) : nouveau venu en politique, élu député de la ville de Buenos Aires avec 17 % des voix, le sulfureux Milei a créé la surprise et fait son entrée au Congrès en compagnie de quatre autres députés de LLA.
Le 28 janvier 2022, alors que devait être réalisé le premier paiement de l’année – 731 millions de dollars d’intérêts – pour éviter un nouveau défaut de paiement, le ministre Guzman parvient in extremis à un accord avec le FMI. « Nous avions une dette impayable qui nous laissait sans présent ni avenir ; maintenant, nous avons un accord raisonnable qui nous permettra de mener à bien nos politiques de croissance, de développement et de justice sociale », communique le chef de l’Etat.
Le pacte prévoit une diminution graduelle du déficit censé arriver à zéro en 2026. Le « kirchnérisme » rue dans les brancards. Considérant qu’un tel « ajustement » constitue une sentence de mort dans la perspective de la présidentielle de 2023, il vote contre le texte au Congrès, le 18 mars 2022.
Le différend s’approfondit quand, en juillet, dénonçant l’impossibilité pour lui de mettre en œuvre les mesures nécessaires, en raison de la résistance de fonctionnaires liés à la vice-présidente et des atermoiements du chef de l’Etat, Martín Guzmán démissionne du ministère de l’Economie. Pendant le bref intérim d’une nouvelle titulaire, Silvina Batakis, l’attitude négative des marchés, la poursuite des attaques contre le peso, la relance de l’inflation et la dramatique baisse des réserves de la Banque centrale obligent Alberto Fernández et Cristina Fernández à enterrer la hache de guerre et à se rencontrer – ce qu’ils ne faisaient plus depuis longtemps.
Implicite ou explicite, l’appui de CFK permet au président de nommer un « super ministre de l’Economie » aux pouvoirs étendus : l’ambitieux Sergio Massa.
Opposant en 2015 contre le « péronistes » Scioli, Massa a choisi de rejoindre avec armes et bagages la coalition formée par Fernández et CFK en 2019, leur apportant les voix décisives de ses partisans. Elu de la province de Buenos Aires en décembre 2021, il est logiquement devenu le troisième personnage de l’Etat quand il a accédé à la présidence de la Chambre des députés.
Cette fois, la politique du pouvoir porte un nom : plan d’austérité. Fin des avances du Trésor à la banque centrale, réduction des dépenses publiques, révision des aides sociales, explosion des tarifs de l’énergie (entre 25 % et 30 % pour le gaz, jusqu’à 100 % pour l’énergie électrique en mai 2023)…
Et le Fonds monétaire international continue à faire pression !
Dépendante, vulnérable, appauvrie, l’Argentine ne peut en aucun cas se mettre à dos les Etats-Unis – dont elle espère l’intercession auprès du FMI. Dès son arrivée à la « Casa Rosada », Alberto Fernández a réservé sa première visite internationale à Israël et à son premier ministre Benjamín Netanyahu. Il a par ailleurs qualifié d’ « autoritaire » le président vénézuélien Nicolás Maduro. Non sans toutefois rétablir les contacts avec les gauches « latinas », relations mises à mal par Macri. Dès juillet 2020, Fernández, malgré ses réserves, reconnaît la légitimité de Maduro et rompt tout contact avec l’ « autoproclamé » Juan Guaido, puis se retire du Groupe de Lima (24 mars 2021), constitué pour déstabiliser le Venezuela, tout au dénonçant – clin d’œil à la Maison Blanche – la violation des droits humains dans ce pays et en immobilisant et confisquant arbitrairement, à la demande du Département du Trésor américain, un avion cargo Boeing 747 de la compagnie vénézuélienne Emtrasur qui s’est on ne peut plus légalement posé sur l’aéroport international d’Ezeiza (Buenos Aires). Ce qui s’appelle ménager la chèvre et le chou. Mais aussi spolier le Venezuela.
La docilité à l’égard de Washington n’entraîne toutefois, et en aucune manière, un assouplissement du FMI. Dès lors, Fernández se permet un écart remarqué quand, début février 2022, il rend visite à Vladimir Poutine et avance « nous devons voir comment faire en sorte que l’Argentine devienne la porte d’entrée de la Russie en Amérique latine ». Moscou lançant quelques jours plus tard l’invasion de l’Ukraine, il n’a pas fini d’entendre parler de cette déclaration. Le retour au Brésil de Lula, le 1er janvier 2023, marquant une nette inflexion de la galaxie « latina », le président argentin annonce que son pays reviendra dans l’Union des Nations sud-américaines (Unasur), puis demande son incorporation dans le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), qu’il obtiendra, grâce à Lula, quelques jours avant la fin de son mandat. Entretemps, il s’est rendu en Chine, pays devenu le second partenaire commercial de l’Argentine après son voisin brésilien.
Ces exercices d’équilibrisme diplomatiques ne passionnent guère une population en butte aux difficultés quotidiennes. Les relations entre le gouvernement et les organisations sociales, qui théoriquement le soutiennent, se font de plus en plus tendues. « Tout ce que nous entendons, ce sont des mesures à destination des marchés, s’insurge, le 7 août 2022, devant des milliers de personnes, Dina Sánchez, secrétaire générale de l’Union des travailleurs de l’économie populaire (Utep). Il ne va donc y avoir aucune mesure en faveur des classes populaires ? Nous demandons une politique pour mettre fin à la misère en Argentine ! » Déjà, les élections de 2023 se profilent à l’horizon. Beaucoup encore espèrent en « Cristina ».
Présidente du Sénat, vice-présidente d’un chef d’Etat de plus en plus impopulaire, CFK est, d’une certaine manière, rentrée dans le rang. Soit elle critique Alberto Fernández et la soumission aux exigences du FMI, et elle nuit au gouvernement auquel elle participe. Soit, pour éviter une fracture du péronisme, elle assure le président et son ministre de l’Economie de son appui, et elle perd de son aura. Elle est par ailleurs toujours soumise à un infernal harcèlement judiciaire. Elle a découvert avoir été victime d’un espionnage illégal effectué par l’Agence fédérale du renseignement (AFI), qui dépendait directement de Macri quand il gouvernait. Dans les affaires qui donnent lieu à sa mise en cause – entrave au profit de l’Iran [20] ; recyclage de fonds d’origine illégale (Los Sauces) ; « Route de l’argent K » – , elle bénéficie de non lieux [21]. Les tribunaux engagent ou poursuivent d’autres interminables procédures, toutes aussi entachées d’irrégularité.
Sur la base de photos connues de tous, on sait que les persécuteurs de la vice-présidente, les procureurs fédéraux Diego Luciani et Sergio Mola, jouent à l’occasion au football avec le président du tribunal, Rodrigo Giménez Uriburu, dans la propriété « Los Abrojos » de Macri. En chefs de meute répercutant tous leurs bobards, les quotidiens Clarín et La Nación se régalent. A l’exception de Pagina12, aucun média ne prend la défense de CFK. Tous répètent en boucle les mises en cause et les lieux communs. Dans l’opinion publique, « Cristina » devient soit une Sainte, soit un démon. Résultat garanti : le 1er septembre 2022, dans le quartier Recoleta de Buenos Aires, elle échappe par miracle à une tentative d’assassinat, un homme tentant de lui tirer dessus à bout portant. Quinze mois plus tard, malgré la détention du coupable, Fernando André Sabag Montiel, qui n’a rien d’un « loup solitaire », aucun auteur intellectuel n’a été retrouvé, la justice faisant ostensiblement obstruction à… la justice et prenant plus que son temps.
En revanche, le 6 décembre 2022, reconnue sans preuves coupable d’ « administration frauduleuse au préjudice de l’Etat », dans le cadre de l’attribution de marchés publics dans sa province de Santa Cruz, CFK a été condamnée à six ans de prison et à l’interdiction à vie d’exercer un emploi public. Dans une allocution qu’elle a prononcé en direct, elle a déclaré être victime d’« une mafia judiciaire » et d’un « Etat parallèle ». Qui a finalement eu sa peau. Et, d’une certaine manière, celle du péronisme. Car, si elle a nié toutes les charges et a prévu de faire appel, Cristina Kirchner a en même temps annoncé qu’elle ne se présenterait pas à la prochaine présidentielle : « Je ne vais pas soumettre la force politique qui m’a fait l’honneur d’être deux fois présidente et vice-présidente au risque d’être maltraitée en période électorale, en disant qu’elle a une candidate condamnée. »
Conscient de son impopularité, y compris dans son propre camp, le président Alberto Fernández fait savoir à son tour, le 21 avril 2023, qu’il ne se présentera pas pour un second mandat.
Intronisé pré-candidat au cours d’une tambouille de rivalités intestines entre (pour aller vite) « kirchnéristes » et « albertistes », Massa arrive en tête de son camp rebaptisé Union pour la patrie (UxP), devant le dirigeant social Juan Grabois, lors des PASO du 13 août, avec 27,2 % des voix. L’événement du jour se trouve cependant ailleurs. En nombre de votes collectés, Massa arrive derrière l’incontestable vainqueur de la consultation, Javier Milei (29,8 %). En la personne de Patricia Bullrich (ex-ministre de la Sécurité et protégée de Macri), la droite classique (Ensemble pour le changement ; JxC), avec 28 % des suffrages, devance également le péronisme.
Représentant de la gauche, Massa ? Non. Bien que sur-jouant la sobriété et le pragmatisme, il apparaît avant tout comme le ministre de l’Economie d’un gouvernement qui, pour n’avoir pas su, pu ou voulu affronter le FMI, se présente avec un bilan de 143 % d’inflation, 44 % de pauvreté et 60 % de pauvreté infantile… Très proche par ailleurs de l’ambassade des Etats-Unis, qu’il fréquente assidument. Pas de quoi déchaîner l’enthousiasme de la frange la plus progressiste. Même si CFK, sincèrement ou dans un rôle de composition, sans apparaître à ses côtés, tente de convaincre ses troupes de l’appuyer fermement. Lors du débat entre candidats, tandis que Milei vitupère, Bullrich (oubliant le bilan exécrable de son ex-patron Macri) a beau jeu de lancer à Massa : « Vous avez eu faux sur toute la ligne, vous avez multiplié l’inflation par deux. Expliquez aux Argentins comment le pire ministre de l’Economie pourrait faire un bon président. »
Le 22 octobre, dans un climat d’incertitude et d’inquiétude, le premier tour a pu faire illusion. Arrivé en tête avec 36,6 % des suffrages, Massa devance un Milei très déçu (29,8 %) et Bullrich (23,8 %), éliminée. Malgré une campagne très digne, pour ne pas dire brillante, la candidate du Front de gauche et des travailleurs (FIT-U), Myriam Bregman, ne recueille que 2,70 % des voix.
Bien que, somme toute, deux tiers des Argentins aient voté contre le parti au pouvoir, la perspective d’un second tour renouvelant la réussite de Gabriel Boric au Chili (contre le candidat d’extrême droite José Antonio Kast) et de Lula au Brésil (l’emportant sur Bolsonaro) trotte dans les esprits. Sauf que… Oubliant sa supposée détestation de « la caste », l’ « outsider antisystème » accepte immédiatement l’alliance que lui propose la droite traditionnelle de Bullrich et du revenant Macri. Sauvagement insultée par Milei il n’y a pas si longtemps, Bullrich se fend d’un sourire large et rayonnant : « Nous avons des différences, mais nous sommes confrontés au dilemme du changement ou de la continuité mafieuse. La majorité des Argentins a choisi le changement, et nous faisons partie de ce changement. »
Plus qu’une adhésion au programme de Milei, le désespoir des exclus, l’absence d’un candidat de gauche – Massa n’a guère fait rêver en préconisant une administration « d’unité nationale » pour appliquer « l’ordre fiscal » afin de rembourser le FMI et d’autres créanciers –, la rage et le rejet de la classe politique font le reste. Le 19 novembre se traduit par un séisme qui s’apparente plus à un suicide collectif par la voie électorale qu’à un vote sanction. Avec un taux de participation de 76 %, le candidat « antisystème » l’emporte avec 55,6 % des voix. Le changement tant annoncé peut commencer.
Investiture sans grand relief, mais très parlante, le 10 décembre, en fin de matinée. Aucun poids lourd ne se déplace. A l’exception du chilien Gabriel Boric, aucun chef d’Etat de la vague progressiste. La droite, représentée par l’uruguayen Luis Lacalle Pou, le paraguayen Santiago Peña, le roi d’Espagne Felipe VI. L’Internationale réactionnaire : Viktor Orban, Jair Bolsonaro, Santiago Abascal (Vox). Un message de l’ultra María Corina Machado, en provenance du Venezuela : « Comme Javier Milei en Argentine, je représente la liberté. »
Après avoir prêté serment devant l’Assemblée législative, le « libertarien » s’est rendu sur les marches du Congrès et s’adressant à ses partisans, rassemblés sur la place du Parlement, leur a lancé en toute modestie : « Tout comme la chute du mur de Berlin, ces élections ont marqué la fin d’une époque. » Avant de répéter une fois de plus : « Il n’y a pas de solution alternative à l’ajustement. »
Mais au fait… En parlant de changement…
Finies les rodomontades. Milei manque de forces vives et de compétences « libertariennes » pour gérer le pays. La « caste » se réinstalle tranquillement dans le gâteau. Ministre des finances : Luis Caputo – l’homme des 57 milliards de dollars du FMI, le « plus grand expert financier » du pays (épinglé dans les « Panama Papers », comme Macri). Ministre de la Sécurité : Patricia Bullrich (même poste que sous Macri). A la Défense, Luis Petri (colistier de Bullrich lors de la présidentielle). Daniel Scioli le « péroniste » choisit pour sa part de demeurer ambassadeur au Brésil, se contentant de déclarer « l’important est que les forces du ciel l’accompagnent », à propos de son nouveau patron Milei.
La « dollarisation », qui a fait couler tant de litres d’encre ? Caputo n’y est pas favorable. La suppression de la Banque centrale ? Plus à l’ordre du jour non plus. Elle hérite d’un nouveau gouverneur, Santiago Busili, ex de la Deutsche Bank et de JPMorgan, secrétaire aux Finances sous l’administration Macri.
Parallèlement à la collaboration enthousiaste de la droite dite traditionnelle avec l’extrême droite, se livre une sourde bataille pour les postes entre « macristes » et nouveaux venus. Macri souhaite s’emparer de l’Autorité nationale des communications (Enacom), comme d’un trophée. Milei impose l’un des siens à la tête d’YPF, la compagnie pétrolière nationale. Qu’il a prévu de privatiser. En oubliant un détail : la participation publique de 51 % d’YPF est blindée au Congrès. Pour revenir dessus, il faut deux tiers du soutien de la Chambre des députés. Ce que Milei ne possède pas.
A la Chambre, l’anarcho-capitaliste ne dispose que de 37 législateurs de LLA sur 257. Sauf désaccord (toujours possible et même probable sur certains textes), il pourra compter sur l’appui des 37 représentants d’Ensemble pour le changement. Mais le péronisme en compte 108. Il domine donc, même s’il n’a pas la majorité absolue [22]. Au Sénat, le parti de Milei ne compte que huit membres sur 72 (le péronisme en alignant 33). Il faudra donc en permanence négocier, sachant toutefois que, pour imposer certains changements politiques, Milei peut émettre des décrets présidentiels [23]. Ce qu’il va faire très rapidement…
« Il n’y a plus d’argent ! » D’ici février 2024, l’Argentine va faire face à des engagements en devises pour environ 5 milliards de dollars (dont 3,7 milliards auprès du FMI et 1 milliard auprès d’autres organisations internationales et du Club de Paris). Le 12 décembre, deux jours après l’investiture du chef de l’Etat, le ministre Caputo fixe donc la ligne en présentant une première batterie de mesures permettant de réduire les dépenses publiques de 5 % du PIB : dévaluation de 100 % de la monnaie nationale ; suppression de neuf des dix-huit ministères existant ; fin des subventions à l’énergie et aux transports ; licenciement des employés recrutés dans la fonction publique depuis moins d’un an ; coupes dans les transferts de fonds de l’Etat fédéral aux provinces ; blocage des travaux d’infrastructure publique n’ayant pas encore démarré (et désormais confiées au secteur privé).
Cynisme, provocation ou inconscience ? Le 20 décembre, vingt-deux ans jour pour jour après la fuite en hélicoptère de Fernando de la Rúa, c’est Milei en personne qui, cette fois, dévoile un vaste « décret de nécessité et d’urgence » (DNU) qui impose plus de 300 mesures pour déréglementer l’économie. Tout y passe (en attendant pire) : abrogation des réglementations couvrant la location de logements, les dispositions douanières à l’exportation, la propriété foncière, les détaillants de produits alimentaires ; modification des règles applicables aux secteurs du transport aérien, de la santé, de la pharmacie et du tourisme (afin d’encourager la concurrence) ; réduction des indemnités de départ et prolongation de la période d’essai des employés ; transformation du statut juridique des entreprises publiques afin de permettre leur privatisation….
Pour faire avaler la pilule aux plus vulnérables, une augmentation des allocations familiales et de l’aide alimentaire a été annoncée. Mais…
Ce même 20 décembre, « piqueteros », syndicats et organisations sociales ont prévu de descendre dans la rue pour mettre le pouvoir en garde en commémorant l’anniversaire de la grande révolte de l’an 2001. Par le biais d’un message enregistré, la ministre du capital humain Sandra Pettovello a prévenu : les programmes de soutien aux chômeurs ou aux familles à faibles revenus – Allocation universelle pour enfant (AUH) ; Stimuler le travail ; Carte alimentaire – seront suspendus pour ceux qui bloquent la circulation. « S’ils descendent dans la rue, il y aura des conséquences, avait déjà menacé Bullrich en conférence de presse. Nous allons mettre de l’ordre dans le pays pour que les gens puissent vivre en paix. » Pour intimider les protestataires, le pouvoir prévoit de faire payer l’intervention de la police aux organisations et individus qui manifestent, ainsi que des sanctions pour les parents qui vont aux manifestations avec leurs enfants.
Dégageant de nauséeux relents de « néofascisme », ces menaces répressives n’ont pas empêché, dans tout le pays, les premières manifestations de l’ère Milei. A Buenos Aires, défiant les messages qui tournaient en boucle dans les stations de train et de métro – « Celui qui coupe n’est pas payé » – et les consignes prétendant les obliger à défiler sur les trottoirs et non sur la chaussée, des dizaines de milliers de mécontents ont convergé vers la mythique Place de Mai. Comme un boomerang, sa consigne préférée – « La liberté, bordel ! » – a commencé à repartir en direction de Milei. Des banderoles incisives résumaient parfaitement la situation : « Finalement, “la caste” c’était le peuple ». Venus des fenêtres et des balcons ont résonné des rafales de « cacerolazos ».
Depuis Washington, tout de suite après l’investiture de l’anarcho-capitaliste, la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a fait part de sa satisfaction : « Je salue les mesures décisives annoncées par M. Milei et son équipe pour relever les défis économiques importants de l’Argentine – une étape importante vers la restauration de la stabilité et le rétablissement du potentiel économique du pays. »
1] https://www.pagina12.com.ar/365428-javier-milei-reconocio-que-trabajo-para-el-genocida-antonio-
[2] Argentine, Bolivie (depuis le 7 décembre 2023), Brésil, Paraguay, Uruguay (et Venezuela suspendu depuis 2016). États associés : Chili, Colombie, Equateur, Guyana, Pérou et Surinam.
[3] Juif d’Ukraine expulsé d’Union soviétique dans les années 1920, septième héritier de la dynastie du Hassidisme Habad-Loubavitch, considéré par nombre de ses adeptes comme le Messie (« Moschiach »), « Le Rabbi » est considéré comme l’une des personnalités juives orthodoxes les plus importantes des temps modernes.
[4] Les comptes en dollars étant transformés en pesos dévalués, les Argentins y perdent la plus grande partie de leur épargne.
[5] Les lois dites du « Point final » et du « Devoir d’obéissance » avaient été votées en 1986 et 1987 pendant l’administration du président radical Raúl Alfonsin, sous la pression des militaires.
[6] Groupe informel de créanciers publics censé « trouver des solutions coordonnées et durables » aux difficultés de paiement de pays endettés en leur accordant un allègement de dette obtenu par un rééchelonnement ou une réduction des obligations du service de ces dettes pendant une période définie (traitements de flux) ou une date fixée (traitements de stock).
[7] Marché d’occasion où se vendent et s’achètent des titres de la dette.
[8] Edictée en 1823 par le président James Monroe, la doctrine en question s’est essentiellement manifestée par un interventionnisme dans la zone latino-américaine afin d’y défendre les intérêts étatsuniens.
[9] https://www.lesechos.fr/2016/03/argentine-les-fonds-vautours-raflent-la-mise-203905
[10] https://www.bloomberg.com/news/articles/2016-03-09/jpmorgan-and-deutsche-bank-boys-are-running-the-new-argentina#xj4y7vzkg
[11] Lire Stelios Kouloglou, « Grèce, le coup d’Etat silencieux », Le Monde diplomatique, juin 2015.
[12] Cette enveloppe doit être complétée par des prêts d’autres organisations internationales – Banque interaméricaine de développement (BID), Banque mondiale (BM), Banque latino-américaine de développement (CAF) – pour un montant total de 5,65 milliards de dollars au cours des douze mois suivants.
[13] https://centrocifra.org.ar/el-incremento-en-las-tarifas-de-servicios-publicos-y-su-peso-sobre-los-salarios/
[14] Pour être élu, un candidat doit obtenir 45 % des suffrages exprimés lors du premier tour, ou 40 % des voix avec au moins dix points d’avance sur celui arrivé en deuxième position. Dans le cas contraire, un second tour est organisé, dans les trente jours, entre les deux candidats arrivés en tête.
[15] https://www.resumenlatinoamericano.org/2020/01/24/argentina-el-macrismo-logro-la-fuga-de-capitales-mas-grande-de-la-historia-us-88-371-millones-en-4-anos/
[16] https://www.cadtm.org/L-Argentine-en-pleine-crise-de-la-dette
[17] https://radiografica.org.ar/2020/11/16/la-carta-completa-de-la-camara-de-senadores-al-fmi/
[18] https://colectivoepprosario.blogspot.com/2022/01/tropel-del-10012022.html
[19] L’ATP subventionne jusqu’à 50 % des salaires des travailleurs du secteur privé enregistré ; l’IFE protège principalement les ménages sans revenu formel.
[20] En relation avec l’attentat contre une mutuelle juive (AMIA) qui a fait 85 morts et 300 blessés en 1994 à Buenos Aires.
[21] Le non lieu concernant la « Route de l’argent K » a été annulé le 28 novembre 2023 par la Cour d’appel fédérale.
[22] Le solde des députés se répartit entre treize formations et groupuscules, parmi lesquelles l’Union civique radicale (34 représentants) et le Front de gauche et des travailleurs (4).
[23] En revanche, toute réforme fiscale devra être approuvée à la fois par la Chambre des députés et par le Sénat.
Argentine. « Le plan de Milei ne se termine que par la répression »
Claudio Katz est argentin, diplômé en économie et docteur en géographie (1997). Il dirige des projets à l’Université de Buenos Aires et est chercheur au Conseil national de la science et de la technologie. Il a coordonné le groupe de travail Clacso et est membre de l’Institut de recherche économique d’Argentine.
Il a reçu trois mentions honorables du Prix Libertador de la Pensée Critique pour ses livres « Sous l’Empire du Capital ». (2011), « Les dilemmes de la gauche en Amérique latine » ; (2008) et « L’avenir du socialisme » (2008). (2004).
Il est membre du comité de rédaction de plusieurs revues académiques et est intensément actif dans les syndicats, les mouvements sociaux et les organisations politiques en Argentine, en tant que membre du collectif « Economistas de Izquierda ».
Interview par Telesur, traduction Initiative Communiste
Nous souhaitons réfléchir un peu sur la façon dont vous voyez cette offensive du président Javier Milei, qui veut profiter non pas des cent premiers jours mais des deux premières semaines pour lancer une attaque très forte contre le mouvement populaire, contre la plupart les gens humbles et aussi contre la classe moyenne. Il est évident qu’ils viennent pour tout et contre tout le monde après l’annonce du décret de nécessité d’urgence (DNU), qui comprend 300 points. Quel est ton opinion?
-Exactement comme ça. Je crois que le discours de ce mercredi confirme que nous sommes en présence d’une tentative de contre-réforme globale de la société argentine. Aucun des noms utilisés n’est exagéré. En d’autres termes, on parle d’un plan de guerre contre la classe ouvrière, d’une tronçonneuse contre le peuple ou du plus grand ajustement de l’histoire argentine. Il n’y a aucun nom abusif. Tout vaut. Nous n’avons jamais rien vu de pareil. Et les comparaisons avec le passé – Martínez de Hoz, Menem, Macri… – sont totalement insuffisantes, absolument éclipsées par ce que nous voyons actuellement. Dans son discours, il a ratifié l’argument qu’il expose depuis son arrivée au pouvoir, à savoir présenter une crise d’une nature énorme avec des chiffres capricieux : une inflation de 15 000 pour cent n’a aucun fondement d’aucune sorte. Il cherche en fait à provoquer délibérément une crise. L’économie argentine, nous le savons déjà, traverse une période complexe et difficile. Nous y sommes habitués, mais le pronostic de Milei ne justifie en aucun cas ce qu’il fait. Il accentue les déséquilibres réels pour générer un énorme ajustement qui semble acceptable face au scénario chaotique et ingérable qu’il suggère. C’est la thèse selon laquelle vous devez souffrir. C’est cette idée que nous devons souffrir et que nous devrons tous souffrir pour que le pays avance, de sorte qu’en réalité un groupe minoritaire de puissants profite de la situation.
Dans ce cadre vient le « package » de 300 lois, les unes plus nuisibles et destructrices les unes que les autres. Cela ressemble à une attaque contre le gouvernement par un groupe interprofessionnel mafieux.
-C’est un « package » ce qui est sans précédent. Il y a d’abord la validation du pillage des salaires, la destruction des revenus et des retraites, la validation d’une mégadévaluation de 100 pour cent et d’un taux d’inflation qui tourne autour de 20 ou 30 pour cent par mois et qui portera la pauvreté facile à 55 ou 60 pour cent dans les mois à venir. Il annule la loi de ravitaillement, la loi gondole. En réalité, ce qu’il établit, c’est le principe de la libération totale des prix et donc la possibilité d’un remarquage absolu qui valide cette pénurie. Par exemple, il autorise tous types d’exportations. Cela signifie que la viande, dont chaque fois que le prix augmente beaucoup, l’exportation est restreinte pour permettre à quelqu’un de manger de la viande, avec cette nouveauté la viande part à l’étranger, personne ne pourra plus la consommer. Et le deuxième axe du paquet de lois est le changement en matière de travail. Il ne s’agit pas de baisser les coûts, car le coût du travail est déjà pulvérisé avec l’hyperinflation que nous connaissons ; est de créer les conditions d’une précarité totale des travailleurs à travers une réforme qui annule le système d’indemnisation. Et surtout, il introduit ce type de restrictions aux grèves, qui est le véritable objectif du projet Milei, visant à valider un taux de chômage élevé.
-Tout cela a des antécédents dans la pire politique appliquée par Carlos Menem.
-L’une des particularités de l’économie argentine est que, dans la crise que nous traversons, nous avons un faible niveau de chômage. Eh bien, en coupant les travaux publics, en coupant les transferts aux provinces, il veut générer un chômage semblable à l’époque de Menem pour assurer la précarité définitive du travail, avec la destruction des acquis ou des droits qui existent encore, comme le droit pour la santé. Parmi ce qui est inclus dans le « package » C’est la destruction des œuvres sociales pour que celles qui sont prépayées gardent la crème des adhérents et que tout le reste est laissé de côté des œuvres sociales, celles qui sont prépayées et finit dans l’hôpital public démantelé par l’ajustement budgétaire.
-En bref, c’est un plan qui tente d’anéantir les humbles mais aussi la classe moyenne.
– Je vous dirais qu’en termes généraux, en caractérisant globalement le paquet, il me semble que c’est un plan de toute la classe dirigeante, de toute, toute cette classe. C’est pour cela que tous les groupes de la bourgeoisie, des capitalistes, approuvent ce qu’il fait, même ceux qui savent qu’à moyen terme ils seront touchés. Mais ils sont d’accord avec Milei sur la priorité de modifier les rapports sociaux de force, d’imposer une défaite substantielle aux travailleurs et d’installer un modèle comme le Chili, comme la Colombie, comme le Pérou, un néolibéralisme structurel et durable. C’est pourquoi le changement central réside peut-être dans un article du Code Civil et Commercial qui donne tout le pouvoir aux entreprises, qui permet aux entreprises de gérer « a piacere » tout type de controverse juridique. Si l’on précise un peu, je pense que la proéminence inhabituelle de (Federico) Surzenegger est incroyable, un homme qui n’a pas de désignation de fonctionnaire et qui était là à côté de (Luis) Caputo comme piliers de l’annonce, confirme que cela est un plan de capital financier. Ceux qui commandent ce plan sont les grands groupes financiers liés au capital international, visant à assurer dans les mois à venir un cycle, ce qu’on appelle le « carry trade », qui cherche à ce que le taux d’intérêt soit supérieur à l’inflation pendant une période pour attirer capital, contracter une nouvelle dette, générer une nouvelle dette, et avec cela ouvrir un coussin jusqu’en avril, qui est leur calcul, lorsque les dollars d’exportation entrent et stabilisent le plan. C’est la stratégie qui est présente ici. C’est pourquoi ils ont déjà annoncé une nouvelle nationalisation de la dette, un bonus spécial pour les importateurs, ils veulent créer un marché secondaire des obligations, lancer une série d’initiatives qui encouragent le retour du capital financier en Argentine pour une courte période. Et le plus ridicule, c’est que tout cela est une réduction brutale des dépenses publiques, cela fait en un an ce que le FMI avait prévu de faire en cinq ans, en réexaminant année après année, ils veulent tout faire en un an. Et cela va nous laisser avec le même déficit budgétaire, voire un déficit plus important. Parce que tout ce qu’ils épargnent avec les retraites, les travaux publics, les provinces… tout leur est enlevé plus tard par le paiement des intérêts de la dette précédente et de la nouvelle dette que ces gens créent. Il me semble même qu’ils sont tellement audacieux, contrairement au passé, qu’ils ont la dollarisation comme carte alternative. Ils l’ont comme projet, et ils l’ont comme carte si ça tourne mal. S’il y a une crise monétaire, une crise bancaire, ils ont la dollarisation comme ressource d’urgence pour forcer un ajustement si l’ajustement ne se déroule pas comme ils le souhaitent.
Il faut considérer ces personnes comme des personnes très audacieuses, très déterminées, qui vont mettre tous leurs efforts cette fois, sans hésitation, et avec une série d’alliances très spécifiques avec certaines entreprises. Parce que le plan de privatisation est sur mesure. Milei a même commis un acte raté lorsqu’il a parlé de Starlink, qui est la société d’Elion Musk, pour lui donner ARSAT. Mais il a déjà Techint pour rester chez YPF. Vous savez déjà quelles compagnies resteront chez Aerolíneas Argentinas une fois le changement effectué. C’est un plan de capital financier, c’est un plan d’affaires à long terme. Notez qu’hier, ils ont annulé la loi du feu, c’est-à-dire l’extractivisme total, selon lequel ils brûlent toutes les forêts qui doivent être brûlées pour augmenter la productivité du soja. C’est un projet qui finira par affecter l’industrie en raison de cette libéralisation totale des importations. Mais l’industrie, les grands groupes industriels, mettent entre-temps en avant les prix et mènent des réformes du travail. Ils donnent la priorité à la défaite des travailleurs plutôt qu’à l’effet que cette mesure pourrait avoir sur leurs propres entreprises. Mais c’est là une question économique et le plus important se situe peut-être au niveau politique.
–Actuellement, la réponse qui s’entend de la part des politiques, mais aussi de la Confédération générale du travail (CGT), est que cela est anticonstitutionnel, que cela doit être judiciarisé. Il y a même des réponses surprenantes, comme celle de (Miguel Ángel) Pichetto, qui théoriquement jusqu’à hier était un allié de toute cette conspiration du parti de la Proposition Républicaine (PRO) et de ce qui pourrait aussi être Milei, et qui dit maintenant qu’il a a été exagérée avec l’affaire DNU, et que cela doit passer par le Congrès. Plusieurs députés suggèrent la même chose, à savoir que cela n’est pas encore clos car cela doit passer par le Congrès, par les députés et les sénateurs. C’est assez délicat car les deux chambres doivent se mettre d’accord pour le rejeter. Comment voyez-vous, au-delà de la réponse qui pourrait être donnée dans la rue, comment l’application du DNU pourrait être bloquée ou entravée ?
-Ecoute, il a deux plans. Au niveau juridique, il ne fait aucun doute que nous sommes confrontés à un écrasement de la division des pouvoirs, à une tentative de totalisation du pouvoir public, à une parodie de tout principe républicain, à une absurdité de déclarer la nécessité et l’urgence de 300 décrets qui modifient les lois. D’un point de vue juridique, cela n’a aucun sens. Et du point de vue du fonctionnement institutionnel il s’agit en fait d’une tyrannie, la somme du pouvoir tyrannique entre les mains d’un empereur qui vient de mélanger des décrets avec des lois pour gérer les destinées du pays comme il le pense. Je crois qu’un combat politique a commencé ici. Cette lutte politique exerce une forte pression sur le Parlement. Le piège des décrets de nécessité et d’urgence est que le Parlement doit les rejeter avec une majorité spéciale et c’est pourquoi il ne finit jamais par le rejeter. Il suffit que la négociation soit bloquée pour que les décrets continuent d’avancer et c’est le pari de Milei. Un pari qui nécessite avant tout de neutraliser le péronisme, d’obtenir l’aval des gouverneurs, de poursuivre le chemin que Villarruel a commencé au Sénat, de gérer les commissions, de tout bloquer et d’obtenir cette permission que la classe dirigeante donne à Milei le soin de faire l’ajustement. Il est désormais évident que Milei ne peut à elle seule avancer sur cette voie.
-Pensez-vous à la répression ?
– Désormais, il va compléter cela par une stratégie répressive. Il ne faut pas se laisser emporter par le succès de la marche du mercredi 20. Ce jour-là, le modèle anti-piquetage n’a pas pu être imposé mais c’est une stratégie, une politique. Il sait que cela ne va pas sans répression et c’est pourquoi il s’est comporté comme un clown, de manière pathétique, avec un uniforme militaire lorsqu’il s’est rendu à Bahía Blanca. C’est pourquoi il a fait don à l’Ukraine des hélicoptères dont elle a besoin pour lutter contre les problèmes climatiques. Envoyez des messages permanents de ce type. Et je vous dirais que le message qui me semble le plus significatif, il faut voir si cela se produit ou non, c’est l’appel qu’ils lancent à une marche de soutien. Il faudra voir si cela ne mène à rien. Mais Milei sait qu’il ne peut pas gouverner s’il ne gagne pas la rue. Et c’est la première tentative de Bolsonaro en Argentine. Car avec le macrisme, la droite a commencé à avoir la rue mais pas sur les questions centrales. Le macrismo a construit une mobilisation autour des questions de corruption, autour des questions du (procureur Alberto) Nisman, mais il n’a jamais généré de mouvement explicitement contre le mouvement populaire. L’appel à une marche samedi est la deuxième tentative. Le premier, c’était le jour de sa prise de fonction avec ces slogans « Vive la Police » et anti-piquetage, et créer le scénario de groupes d’extrême droite, qui agiront ensuite comme groupes de travail, dans l’action contre les mouvements populaires, donnant cette idéologie mystique quelque peu ésotérique qui l’entoure. Par conséquent, je crois qu’il a un projet de présidentialisme autoritaire très défini, qui coïncide même avec une stratégie internationale très définie de Milei.
-Il est clair depuis son entrée en fonction que ses alliés stratégiques se trouvent à Washington et à Tel-Aviv.
-Milei pense que s’il continue dans cette voie, les États-Unis le soutiendront enfin pleinement. (Joe) Biden hésite parce qu’il a peur que cet homme joue pour (Donald) Trump, mais il attend que les États-Unis lui apportent enfin un soutien plus explicite. C’est pourquoi il est plus israélien que (Benjamin) Netanyahu et il va aux Nations Unies pour voter pour la première fois avec Israël, il soutient le retour de Trump à la Maison Blanche et cela joue avec le feu, car la Chine lui a déjà dit qu’il ne donnera pas le yuan. Et en réduisant le yuan, ils constituent la seule réserve de devises étrangères dont dispose l’Argentine. En outre, il tente un ménémisme des relations charnelles à une époque où les États-Unis ne sont plus dans l’après-guerre froide, dans un moment de démonstration de puissance, mais sont en net déclin, perdant, par exemple, la guerre en Ukraine. Il va à contre-courant sur le plan économique car il s’agit d’un projet ultra-néolibéral à l’heure où les grandes puissances reviennent à des politiques d’interventionnisme économique et où la vision simplement ouverte et néolibérale perd du poids. Mais je vous dis que la question centrale, partout où nous la verrons, dans les semaines à venir, se jouera dans la rue. Et c’est pour moi la question centrale. Nous pouvons parler beaucoup des aspects économiques, nous pouvons aborder le degré de tension que Milei peut avoir avec Macrismo, nous pouvons nous donner une évaluation très sophistiquée, mais nous allons perdre de vue le point central. L’essentiel est que celui qui gagne la rue remporte la partie entière. Celui qui a gagné là-bas a gagné.
-En ce sens, comment évaluez-vous la marche multisectorielle réalisée le 20 contre toutes sortes d’inconvénients, depuis l’imposition de la peur aux plus pauvres, en les faisant chanter pour qu’ils ne reçoivent pas le programme mensuel dévalorisé, jusqu’à la présence de 2 000 policiers plus la Gendarmerie pour empêcher les gens de circuler.
-Je pense que mercredi 20 est un tournant important. Il me semble que ce fut la première réponse significative à Milei, ce fut un grand succès, une grande victoire pour les organisations de gauche qui réclamaient la Place de Mai parce qu’elles neutralisaient en réalité le protocole anti-piquetage. Et il y a aussi quelque chose d’intéressant : il y a eu un différend entre la Gendarmerie, entre les forces fédérales et la police municipale. Les forces de Jorge Macri, de la City, ne voulaient pas s’embarrasser de ce que (Patricia) Bullrich voulait faire, c’est-à-dire générer un événement diabolique. Et c’est intéressant parce que cela signifie que lorsqu’il y a une mobilisation populaire dans la rue, la crise apparaît au sommet entre les macristas et les mileistas. Cela vaut pour tout ; S’il n’y a pas de mobilisation populaire, Pichetto sera d’accord avec Milei, les gouverneurs seront d’accord avec Milei, tous ceux qui luttent accepteront le plan. Ils n’accepteront pas le plan selon les conditions de Milei s’il y a une mobilisation populaire. Et que dix jours après l’investiture de Milei, il y a eu une marche où ce qui a été important, d’une part par le nombre – je ne pense pas que le nombre ait diminué comme on dit – mais surtout par l’enthousiasme et la force militante qui s’est manifestée dans la Place. En d’autres termes, nous avons vu un réseau d’organisations prêtes à déployer leurs efforts dans le combat à venir. A cela s’ajoutait l’autre côté nocturne, les cacerolazos, qui étaient très différents car spontanés. Et dans la tradition de 2001, à une date emblématique comme le 20 décembre, le fantôme des « piquets, casseroles et poêles, le combat est un » réapparut. Et cette fois-ci, la classe moyenne n’est pas partie parce que ses dépôts ont été confisqués, mais parce que ses revenus ont été confisqués. C’est une classe moyenne appauvrie qui n’a plus d’épargne en banque ; Maintenant, ce qu’ils ont, c’est qu’ils détruisent leurs forfaits prépayés, ils détruisent leur école privée, ils détruisent leurs vacances. Et un aperçu de « Laissez-les tous partir » encore une fois, dans le sens progressiste, pas dans le sens anticaste dont parle Milei. Je crois donc que la clé est dans la rue. Il me semble que si on continue à hésiter, que si les organisations populaires qui ne sont pas de gauche mais du reste de l’échiquier politique, du péronisme, du centre-gauche, continuent de laisser passer les jours, elles continuent dans cette hésitation, si la CGT vit dans un autre monde, si la Centrale ouvrière d’Argentine (CTA) n’adopte pas de mesure concrète, le temps passe, le temps pour Milei. Parce que nous avons la rue maintenant grâce à notre tradition, notre organisation, notre histoire, mais il peut construire la rue si nous nous paralysons. C’est ce qui s’est passé au Brésil avec le Parti des Travailleurs (PT), ils sont restés, se sont démobilisés, ont perdu leurs illusions et (Jair) Bolsonaro a construit une force politique dans la classe moyenne basée sur cette désillusion. Alors le jour qui passera, le jour où nous donnerons à Milei la possibilité de renforcer sa force politique.Il me semble donc que nous devons viser à créer de grandes mobilisations en peu de temps. Parce que l’idée que cela aura un résultat en mars, c’est oublier que nous sommes à trois mois d’une inflation de 20 pour cent. En d’autres termes, celui qui arrivera en mars arrivera avec un salaire réduit de 80 pour cent. Quelqu’un peut-il imaginer que son salaire représentera 20 pour cent de ce qu’il est actuellement et qu’il durera jusqu’en mars ? Les temps avancent donc et il me semble qu’il faut agir en phase avec cet avancement du calendrier. Il y a un homme qui veut, il y a un homme qui agit comme (Boris) Eltsine et comme (Alberto) Fujimori. A la Eltsine dans le sens de détruire un système, d’effondrer un système économique ou politique, un rapport de forces, et cela avec un consensus passif et avec une démoralisation populaire. Ou nous avons un Fujimori, qui envisage de faire le même changement mais en recourant à la force.
– Vous parliez d’Israël. Justement, ce qui se passe en Palestine avec Israël pourrait avoir une similitude, un caractère politique, car la dissolution qui est maintenant proposée de l’État argentin avec ce nouveau DNU et ce que vous expliquez, est très similaire à ce qui se passe à Gaza et dans tout le pays. Palestine. Y a-t-il une décision pour faire de l’Argentine ce pays où toutes les richesses, tous les biens communs, ainsi que son territoire, peuvent être monopolisés ?
-Je pense que l’analogie est importante à ce niveau. Jusqu’à il y a deux ou trois mois, nous connaissions l’extrême droite verbale mais pas l’extrême droite en action. En d’autres termes, nous avons connu Trump, Bolsonaro, (Víktor) Orban, (Giorgia) Meloni, des gouvernements d’extrême droite dans leur discours mais qui dans leur gestion ont été plus ou moins similaires à la droite conventionnelle des dernières décennies. Le changement s’est produit avec Netanyahu et le changement tend à se produire avec Milei. On passe d’une extrême droite dans le domaine idéologique, dans le domaine des projets, à une extrême droite dans le domaine de l’action. Ils commencent à faire ce qu’ils disent et jusqu’à présent on se demandait s’ils allaient oser le faire ou non. Eh bien, nous avons maintenant un cas clair qu’il ose et un autre qu’il répète. Celui qui ose, c’est Netanyahu. Netanyahu est en train de produire un génocide éhonté, il est en train de produire une action avec toutes les caractéristiques d’une action fasciste, engendrant un meurtre de masse ouvert pour changer le rapport des forces dans un endroit clé qu’est le Moyen-Orient, pour tenter de produire une défaite du peuple palestinien. et donner aux États-Unis une force géopolitique récupérée pour faire pression sur la Chine via l’Arabie Saoudite. C’est pourquoi ce n’est pas une coïncidence si les États-Unis déclarent : « J’envoie des porte-avions en mer Rouge ». Parce que l’Arabie saoudite a hésité récemment, elle a eu beaucoup d’affaires avec la Chine. Et l’Arabie Saoudite est la clé d’une éventuelle dédollarisation de l’économie mondiale. Ainsi, d’un point de vue stratégique, les États-Unis et Israël veulent commettre un acte de force brutal non seulement contre les Palestiniens, mais aussi un avertissement général au Moyen-Orient pour qu’il y lance une contre-offensive impériale. Qu’ils réussissent ou non, c’est une autre affaire. Et Netanyahou peut provoquer un très grand massacre, mais il est peu probable qu’il puisse provoquer une nouvelle Nakba. Parce qu’une nouvelle Nakba, un nouvel exil, implique 2 000 000, 1 500 000 de personnes et l’Egypte y résiste déjà parce qu’elle en connaît les conséquences. Mais le plan est en cours, et Milei est un autre côté de l’extrême droite, pas dans le domaine de la guerre comme Netanyahu parce que ce n’est en aucun cas le scénario en Argentine, mais c’est le pilier qu’a Trump, une sorte de stratégie de La contre-offensive impériale générale de Trump contre l’Amérique latine. C’est pourquoi ils le regardent avec beaucoup d’attention. C’est le grand contrepoids que les États-Unis veulent construire dans la région avec un plan qui leur donne les ressources centrales de l’Argentine, mais qui utilise surtout Milei comme contrepoids à Lula, AMLO et au Venezuela, de Cuba, et permet nous de reprendre ce que Trump n’a pas pu faire auparavant : un groupe de Rio, mais au lieu d’être un groupe fragile comme l’était la tentative de restauration conservatrice de Trump il y a quelques années, ce sera un groupe d’extrême droite plus fort qu’il ne le soutient. le retour de l’Uribisme, le retour de Bolsonaro, le triomphe de (José Antonio) Kast au Chili, la consolidation du coup d’État au Pérou.Je crois que Milei est comme le deuxième moment du coup d’État au Pérou. En 2023, l’extrême droite a eu un point de départ dans la contre-offensive contre un cycle progressiste très modéré, très effiloché, mais où la rébellion populaire est toujours une menace. Le premier coup porté par l’extrême droite a été le coup d’État au Pérou, qui s’est imposé à feu et à sang comme on le sait. Milei est la deuxième tentative dans la même veine. Mais l’axe initial de Milei est d’imposer un plan qui modifie le scénario politique et économique de l’Argentine.