Depuis une semaine un mouvement populaire sans précédent secouent le Liban, par centaines de milliers, de la capitale Beyrouth aux plus petites villes, les travailleurs libanais sont dans la rue. La création d’une taxe sur les communications par message internet a mis le feu au poudre. Marie Debs, une des figures du parti communiste libanais, dont elle a été secrétaire générale adjointe, a accepté de répondre aux questions d’Initiative Communiste, en direct de Beyrouth. Les communistes français, par la voix du PRCF, apportent évidemment leur total soutien aux camarades et au peuple libanais en lutte.
Initiative Communiste : Le peuple a pris la rue au Liban : pouvez vous décrire la situation ?
Marie Debs : Pour la première fois depuis son indépendance, en 1943, le Liban vit un soulèvement populaire généralisé. Toutes les grandes villes du pays, à commencer par la capitale Beyrouth, mais aussi les villages les plus éloignés sont en ébullition depuis le 17 octobre.
Pour la première fois, des centaines de milliers de femmes et d’hommes, des jeunes notamment, divisés jadis par un clivage confessionnel, se retrouvent ensemble scandant les mêmes slogans et demandant la démission du gouvernement et le départ du président de la République ainsi que des 128 députés.
Initiative Communiste : Quelles sont les revendications populaires ? Quelles sont les causes de la situation ?
Marie Debs : Ce soulèvement constitue l’aboutissement de milliers de mouvements, grèves, manifestations et autres démonstrations, qui se sont déroulés durant les trois dernières années, à la suite de l’élection du président Michel Aoun, contre le chômage galopant, l’augmentation de la dette publique, la cherté de la vie, envenimée encore plus par une augmentation outrancière des impôts indirects et des taxes et une corruption à tous les niveaux des institutions publiques.
Chaque Libanais qui nait aujourd’hui a, à son passif, une dette de 24000 euros à payer et 28 % de la population se trouvent en dessous du seuil de la pauvreté, dont le tiers d’entre eux n’a pas plus de 1 euro et 80 centimes par jour.
Les jeunes, diplômés notamment, ne trouvent pas de travail, et la concurrence des déplacés syriens (un million et quelques deux cent mille actuellement pour une population libanaise de quatre millions et demi), qui travaillent au noir et sont par conséquent sous-payés, exacerbe encore plus les problèmes.
A cela il faudra ajouter les dernières mesures prises par le gouvernement Hariri sous les diktats des pays capitalistes et des organisations financières internationales qui se sont réunis, en avril 2018, à Paris sous le nom de « Cèdre 1 » et qui ont promis un prêt de 10 milliards d’euros, échelonné sur cinq ans, contre ce qu’ils appellent « l’assainissement du secteur public », la remise en question des salaires et des retraites et la réduction du déficit budgétaire, non seulement par le gel des salaires, mais aussi à partir de nouveaux impôts et, surtout, de l’augmentation de la TVA. Par contre, on ne toucha pas aux rémunérations des députés et des ministres ; bien au contraire, la loi du budget 2019 contenait des dépenses inutiles et exorbitantes concernant les voyages, les conseillers et les loyers…
Face à cette situation, les syndicats ouvriers et autres, les organisations de jeunes, les associations de femmes… etc., n’avaient d’autre solution que de prendre la rue.
Ils revendiquent le départ du gouvernement, en premier lieu, et la restitution par la classe au pouvoir de quelques 200 milliards de dollars volés au peuple et placés dans les banques suisses et autres. Ils demandent aussi des élections anticipées.
Leur slogan préféré est « Tous sont des voleurs » ; ou, encore « Pain, liberté, unité populaire ».
Initiative Communiste : Pouvez-vous nous dire ce que sont les principales analyses et propositions des communistes libanais et leur place dans cette mobilisation ?
Marie Debs : Les Communistes libanais sont au cœur de la lutte. Tant sur le plan des syndicats ouvriers que sur le plan de leur présence à la tête d’organisations de jeunes (étudiants et autres), de femmes, de locataires et dans certaines municipalités, surtout dans les régions les plus défavorisées.
Depuis plus d’un an, nous avions appelé à la tenue d’une assemblée réunissant plus de quarante organisations et nous avions mis au point un programme de lutte.
Partant du principe que le régime libanais, basé sur le clivage confessionnel et économiquement sur la rente et les secteurs non productifs, a fait son temps et qu’il est de plus en plus pressant de sortir le Liban de la crise institutionnelle et économique dans laquelle il se débat, je viens de présenter, pas plus tard que ce matin du 21 octobre, qui marque le cinquième jour du soulèvement, une proposition appelant à la démission du gouvernement et du parlement (élu suite à une loi confessionnelle qui fausse la représentation) et à la création d’une Assemblée constituante dont la tâche première sera de mettre la main sur les richesses accumulées par les représentants de l’oligarchie financière et de ses alliés au pouvoir. La seconde tâche consiste à réviser la Constitution, de créer la Commission pour la déconfessionnalisation des institutions politiques et de mettre au point deux projets de lois, la première concernant les statuts personnels civils et la seconde les élections législatives. A cela doit s’ajouter une révision totale des politiques économiques et sociales.
Il faut dire que la lutte sera âpre et difficile, parce que la classe dominante ne va pas se laisser faire facilement. Un exemple : le président du Conseil a présenté aujourd’hui un programme de réformes tenant compte des grands titres se rapportant aux revendications majeures des manifestants ; mais il est resté dans le flou et, surtout, il a essayé de nous faire avaler de nouvelles privatisations, surtout dans le secteur des télécommunications et de l’électricité.
Beyrouth 21 octobre 2019.