par Massimiliano Ay, secrétaire général du Parti communiste (Suisse)
Nous avions pensé, ou peut-être mieux dit : nous avions espéré, que le monde multipolaire émergerait grâce à la croissance économique impétueuse des pays émergents, Chine en tête. En substance, une transition pacifique vers un nouvel ordre géopolitique qui vaincrait l’impérialisme en s’appuyant sur le développement des forces productives et un commerce plus équitable.
Pourtant, nous savions qu’il ne pouvait en être ainsi, que ce n’était que de l’idéalisme : le marxisme nous avait prévenus dès ses origines que la route tracée était autre. Non seulement parce qu’il y aura des guerres tant que l’impérialisme existera, avec son potentiel de pillage et de domination, mais surtout parce que tout changement d’époque est en fait le résultat de l’explosion d’un conflit de classe, et que celui-ci prend souvent des formes violentes : la bourgeoisie montante, afin d’amener l’Occident à la démocratie libérale, a décapité des monarques et mené des révolutions sanglantes en France et aux États-Unis. Même au Tessin, nous avons eu une révolution libérale-radicale à coups de canons. Aujourd’hui, les pays émergents qui ont jusqu’à présent supporté toutes les oppressions occidentales la tête baissée, comme le bombardement de l’ambassade de Chine à Belgrade par l’OTAN en 1999, la destruction de la Jamahiriya arabe populaire et socialiste de Libye en 2011, le coup d’État banderiste en Ukraine en 2014, la tentative de coup d’État güleniste en Turquie en 2016, ou en générale la balkanisation des nations non-alignées, etc… en ont eu assez et ont décidé que, malheureusement pour nous, le recours à la force n’est plus tabou et surtout n’est plus le monopole des USA, de l’UE et de leurs alliés.
Si, en revanche, ces décisions d’équilibre absolu échouent ou ne sont même pas prises en compte, et si donc les pays émergents continuent à se sentir menacés et asphyxiés dans leurs aspirations à l’indépendance, alors les guerres continueront à éclater et, au niveau interne en Europe occidentale – pour faire face à la dégradation des conditions de vie qui se dessine déjà à la suite des sanctions contre la Russie – nous connaîtrons une tournure autoritaire et militariste ainsi qu’une subordination totale aux multinationales atlantiques, qui ne seront toutefois pas en mesure, à moyen terme, de garantir le bien-être social et économique à la population d’une zone vouée au déclin. La banalisation par l’Europe du nazi-fascisme ukrainien est un signe inquiétant qui rappelle l’avertissement d’Ernesto « Che » Guevara : « La démocratie libérale est le système de gouvernement de la bourgeoisie quand elle n’a pas peur, le fascisme quand elle a peur ! »
Puisque l’Europe et la Suisse se retrouvent avec une classe politique inepte et irresponsable au pouvoir, seule une action d’en bas, populaire, peut empêcher le pire de se produire. C’est pourquoi il est nécessaire de renforcer des organisations telles que le Mouvement suisse pour la paix et les syndicats au niveau de la masse, de mettre au centre de l’agenda politique le respect scrupuleux de la neutralité et de la souveraineté nationale, sans oublier l’importance d’un Parti communiste, avec une forte composante de jeunes libres de préjugés passéistes, qui soit présent électoralement dans les institutions pour freiner les tendances les plus anti-populaires et belliqueuses du pays.