Nos écologistes et « nos » médias mettent effectivement en accusation Monsanto pour la vente de ses pesticides et ses effets de santé dévastateurs disons dans l’espace civil.
Mais c’est motus et bouche cousue s’agissant de l’usage des produits autrement toxiques dans les guerres américaines, notamment en Asie.
Alors que c’est par millions que se comptent les victimes, pas seulement du temps de la guerre du Vietnam, mais dans le présent et dans les chairs des populations exposées alors à ces bombardements!
Il est donc plus qu’utile que ces faits soient rappelés et que les peuples et les États victimes de ces crimes de guerres soient secourus !
À l’heure où, de surcroît cyniquement, les puissances occidentales utilisent le rejet de l’usage des armes chimiques comme instrument justifiant leurs criminelles interventions !
(article et traduction reprise du site internet de nos camarades du Front Syndical de Classe)
Par Christina Lin
Paru Sur Asia Times sous le titre Vietnam seeks US reparations for the chemical Agent Orange
Hanoï exige une indemnisation des fabricants américains du défoliant chimique agent orange, comme dernier recours pour aider les familles qui souffrent encore de malformations congénitales parfois extrêmes, près de 50 ans après la fin de la guerre du Vietnam.
Jeudi, le ministère des Affaires étrangères a demandé que Monsanto et d’autres entreprises américaines versent des dommages-intérêts aux victimes de l’agent orange, un défoliant contenant de la dioxine, un produit chimique hautement toxique.
De 1961 à 1971, les États-Unis ont largué plus de 75 millions de litres d’agent orange et d’autres herbicides sur le Vietnam, le Cambodge et le Laos dans le cadre de ce qui s’appelait alors « Opération Ranch Hand », une politique de la terre brûlée qui visait à détruire tout ce qui poussait pour affamer et vaincre les Viet Cong.
Au cours des 10 années de cette opération, plus de 2 millions d’hectares de forêt et 200 000 hectares de cultures ont été lourdement empoisonnés ou détruits. L’US Air Force a pulvérisé environ 95% du produit chimique en utilisant l’indicatif d’appel « Hades », et les 5% restants ont été pulvérisés par le 266th Chemical Platoon de l’US Army.
Les dioxines subsistent longtemps dans l’environnement, s’infiltrent dans le sol, l’eau et la chaîne alimentaire, contaminent les poissons, les mollusques et le bétail. Ainsi, bien que la guerre soit terminée, les nouvelles générations vietnamiennes continuent de souffrir des effets du poison par le biais de l’alimentation, ainsi que de malformations dues à des mutations génétiques acquises par les parents lors de la guerre et transmises aux enfants.
L’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange/dioxine (VAVA) affirme que plus de 4,8 millions de personnes ont été exposées à l’herbicide et que 3 millions d’entre elles ont succombé à des maladies mortelles. Washington a finalement commencé à aider le Vietnam à nettoyer le pays en 2012, en commençant par l’aéroport international de Danang, à l’époque transformé en base aérienne américaine qui stockait de l’agent orange.
De plus, les Vietnamiens ne sont pas les seuls à réclamer une indemnisation – les vétérans américains de la guerre du Vietnam qui souffrent des effets du poison ont également demandé une indemnisation au gouvernement américain.
Il y a près de 30 ans, le sénateur Tom Daschle, alors sénateur américain, a parrainé l’Agent Orange Act de 1991 pour étudier les liens entre maladies et exposition aux dioxines et autres composés chimiques des herbicides. En 2015, le ministère des Anciens combattants a versé 24 milliards de dollars d’indemnités d’invalidité à 1,3 millions d’anciens combattants de la guerre du Vietnam.
Cependant, le Vietnam n’a pas été indemnisé pour les mêmes dommages. Bien que son gouvernement ait préféré porter plainte contre une société (Monsanto) plutôt que de procéder à un dépôt de plainte d’État à État, afin de préserver les liens bilatéraux stables entre Hanoï et Washington au cours des dernières années, l’héritage de l’agent orange demeure une question épineuse.
C’est également d’une question épineuse entre Washington et Vientiane, car le Laos a également été la cible d’attaques chimiques dans le cadre de l’opération Ranch Hand. Les programmes d’aide au nettoyage d’agent orange des États-Unis au Vietnam ne se sont pas étendus au Laos même si, lorsque le président américain Barack Obama s’était rendu à Vientiane en septembre 2016, il avait offert l’aide de Washington pour le nettoyage des bombes à fragmentation non explosées – un autre héritage de la « guerre secrète » des États-Unis au Laos.
Comme indiqué dans un précédent article d’Asia Times [Article intitulé « Les USA demandent pardon au Laos pour les bombes à fragmentation, puis en vendent pour pilonner le Yémen », NdT], le Laos détient le record du pays le plus bombardé par habitant de la planète – entre 1964 et 1973, les États-Unis ont largué plus de 270 millions de minuscules bombes à fragmentation sur le pays.
(Les USA ont mené presque 600 000 raids de bombardements sur le Laos entre 1964 et 1973. Chaque point de la carte sur cette vidéo représente l’un de ces raids. En vert, les bombardements dits « conventionnels ». En rouge, les largages de bombes à fragmentation, NdT)
De plus, entre 1965 et 1970, les États-Unis ont largué au moins 2 millions de litres d’agent orange sur le sud du Laos pour défolier la piste Ho Chi Minh – la route d’approvisionnement nord-sud qui permettait au Nord-Vietnam de mener sa guerre dans le sud – et pour affamer les partisans locaux du Vietnam, les Lao, le long de la Cordillère annamitique.
Bien que la guerre du Vietnam ne se soit pas terminée avant 1975, les États-Unis ont cessé d’utiliser l’agent orange en 1971. En raison de l’opprobre international croissant sur l’utilisation du « spray à poison »pendant la guerre, le nouveau gouvernement de Richard Nixon a annoncé une interdiction partielle du précurseur 2,4,5-T le 15 avril 1970, et le Pentagone lui a rapidement emboîté le pas en interdisant tous les largages d’agent orange au Vietnam.
Aujourd’hui, l’opération Ranch Hand et la guerre du Vietnam sont finis depuis longtemps, mais le Laos reste un pays pauvre alors que le Vietnam s’en est mieux tiré économiquement. Au Laos, le nombre de mines et autres munitions non explosées éparpillées dans le pays dépasse les 80 millions, qui continuent à tuer, mutiler et à maintenir tragiquement le pays dans un état de grande pauvreté, des décennies après la guerre.
Les agriculteurs ne peuvent pas utiliser des terres fertiles pour l’agriculture ni développer d’infrastructures, d’industries ou de résidences dessus, et le Vietnam est confronté aux mêmes problèmes dans certaines parties du pays, avec une estimation de 350 000 tonnes de bombes et de mines non explosées restantes. Il faudrait 300 ans pour les débarrasser du paysage vietnamien au rythme actuel.
Ainsi, pour beaucoup de gens dans ces pays, la guerre n’est pas encore terminée. Et il reste à voir si Hanoï obtiendra finalement une compensation de Monsanto ou si l’initiative incitera les États-Unis à apporter une aide supplémentaire, ou une aide tout court, au Laos et au Vietnam.
Enfin, étant donné que d’autres agents chimiques tels que le gaz CS et le napalm étaient efficaces dans la guerre des tunnels au Vietnam, et comme les djihadistes utilisent de plus en plus des tunnels au Moyen-Orient, cela pourrait aussi susciter un nouveau débat sur l’équilibre entre éthique et efficacité de la guerre chimique dans les opérations antiterroristes modernes.
Traduction Entelekheia