Réflexions de Georges Gastaud et de Léon Landini.
Le soulèvement démocratique du peuple et de la jeunesse tunisiens, avant tout des milieux populaires, appartient d’abord aux Tunisiens qui ont rappelé au monde ce que peut l’héroïsme des masses face au régime le plus brutal.
Ce soulèvement n’en comporte pas moins certaines leçons de portée universelle.
1°) La tyrannie n’est pas seulement puissante par son Etat policier. Comme l’a depuis longtemps expliqué La Boétie, le philosophe de la Renaissance qui écrivit le Discours sur la servitude volontaire, la force du tyran réside avant tout dans le consentement de ses victimes. Quand celles-ci surmontent leur peur, leur naïveté et leur isolement, quand elles prennent conscience de la force irrésistible du « tous ensemble et en même temps », alors les masses sont mûres pour appliquer le précepte de la 1ère Constitution républicaine de notre pays : « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour toute fraction du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
2°) Quoi qu’en disent la fausse gauche, les dirigeants euro-« communistes » du PCF et l’« extrême gauche » caviar, les Tunisiens viennent de démontrer qu’une révolution de dimension nationale reste parfaitement possible en 21ème siècle. C’est parce qu’il a pris d’abord à bras le corps la lutte dans et pour leur propre pays, c’est parce qu’il n’a pas abandonné à Benali le drapeau et l’hymne tunisiens, que le peuple tunisien est aujourd’hui en capacité d’attirer les masses algériennes et marocaines vers l’action révolutionnaire. Qui peut le plus peut le moins : comment la « révolution internationale » serait-elle possible sans qu’un peuple « passe le premier », secoue le joug de la tyrannie et donne ainsi, par sa victoire, le signal à tous les autres peuples ? Rappelons à ce sujet la juste remarque de Politzer, le philosophe communiste assassiné par les nazis : « l’internationalisme de la classe ouvrière, c’est la fraternité des peuples face à leurs ennemis. Il inclut la défense de la nation parce que la liberté réelle de l’humanité est solidaire de la liberté de chaque peuple ».
3°) Un troisième élément qui se dégage de la révolution démocratique tunisienne en marche, -un élément sur lequel Marx n’a cessé d’insister depuis le Manifeste du Parti communiste-, c’est la nécessité pour les ouvriers de se doter d’un parti à eux, d’un parti de classe, d’un parti communiste portant la perspective de la révolution sociale. Sans quoi, comme les masses tunisiennes peuvent le redouter, les exploiteurs et leur appareil d’Etat restent en place, ils « font la part du feu », éjectent quelques individus discrédités, le sang des martyrs est oublié et, sous l’égide d’un nouvel homme-lige, l’oligarchie capitaliste reste aux manettes avec les même tortionnaires (ces flics barbares qu’Alliot-Marie voulait aider en leur envoyant des renforts issus de la police française !), avec les mêmes ministres-banquiers à genoux devant le FMI de DSK; les sacrifices du peuple servent alors à porter au pouvoir une autre fraction de l’avide bourgeoisie compradore qui a fait tant de mal à la Tunisie en s’associant au CAC 40 « français », grand spécialiste de l’exportation des usines de France vers les pays où la main-d’œuvre est surexploitée. Ce gouvernement réactionnaire n’est pas « La France », il la déshonore. Pour nous, la France, c’est d’abord l’émancipation des peuples par la Révolution, chantée dans la Marseillaise
Par bonheur, les travailleurs tunisiens disposent aujourd’hui du PC ouvrier (PCOT) et c’est Benali lui-même qui a désigné ce parti à l’attention des masses en arrêtant le camarade Hammadi au plus fort de l’insurrection : mais face au soutien massif que le capital international apporte à la bourgeoisie tunisienne pour neutraliser l’insurrection au nom de la prétendue « union nationale » entre l’opposition et le parti de Benali, la tâche des communistes du monde entier est d’aider les communistes tunisiens ; ce serait aujourd’hui la tâche internationaliste n°1 si le Mouvement communiste international se reconstituait.
En revanche, en France, un tel parti communiste n’existe pas car le PCF a été totalement dénaturé par sa « mutation ». Raison de plus pour les communistes de France de s’unir dans l’intervention auprès des masses ; pour cela il faut cesser de nourrir l’illusion attentiste d’une « remise sur rails » du PCF : n’a-t-on pas vu récemment M. Pierre Laurent, secrétaire du PCF et président du Parti de la Gauche Européenne, monter au créneau pour… défendre l’euro, -cette arme de guerre contre les nations et contre les travailleurs- (cf l’Huma du 15 janvier où Laurent qualifie l’appel à sortir de l’euro de « solution dangereuse et illusoire » )? Ne sait-on pas d’avance qu’au second tour de la présidentielle et des législatives, le PCF se ralliera politiquement au PS, y compris s’il le faut à l’indécent Strauss-Kahn qui félicitait il y a peu Benali pour ses « progrès économiques ».
Ces leçons du soulèvement tunisien : rôle de l’insurrection populaire, dialectique du combat social et du combat national, nécessité du parti d’avant-garde, nous devons les méditer aussi pour la France. Même si la situation est à l’évidence très différente de part et d’autre de la Méditerranée, ici aussi nous avons affaire à un régime antipopulaire qui strangule comme jamais le peuple et la nation pour aligner la France sur les « normes » réactionnaires promues par l’Europe supranationale.
Certes la France appartient jusqu’ici au camp impérialiste et en ce sens, le juste mot d’ordre de Lénine/Liebknecht « l’ennemi principal est dans ton propre pays » vaut aussi pour les communistes français. Mais à l’heure où l’impérialisme « français » étouffe la nation entre la Franceurope et la Françafrique, il ne peut en rien être confondu avec celui qu’applique en réalité « notre » bourgeoisie impérialiste : « l’ennemi principal est ton propre pays ». Au contraire, le mouvement communiste et progressiste doit devenir le meilleur défenseur de la France assassinée par « notre » bourgeoisie à genoux devant l’Europe atlantique (destruction des acquis démocratiques et sociaux de 1789 et de 1945, de la langue française au profit du tout-anglais, de l’héritage des Lumières et de la laïcité, du « produire en France », des services publics, etc.).
Ignorant les criailleries de la fausse gauche, la classe ouvrière doit donc se saisir des deux drapeaux, -le drapeau tricolore et le drapeau rouge-, pour « devenir la nation » (Marx), virer ce régime odieux qui « bénalise » au plus haut point notre pays , sortir la France de l’euro-dictature, rompre avec la domination du CAC 40 qui détruit le pays, avancer, non dans les mots mais dans les faits, vers une nouvelle révolution française, socialiste et anti-impérialiste, sous la direction de la classe ouvrière.
Et pour cela, il revient aux vrais communistes de s’unir dans l’action, de renforcer l’outil PRCF, de dessiner la voie de la renaissance d’un vrai parti communiste qui saura renouer avec ce mot d’ordre héroïque, qui s’applique si bien aujourd’hui au peuple tunisien frère : « jamais un grand peuple comme le nôtre ne sera un peuple d’esclaves » (appel Thorez-Duclos du 10/7/40).