Au lendemain de chaque scandale, l’Union européenne et divers pays du G20 jurent qu’ils vont engager une lutte sans merci contre les paradis fiscaux. Déclarations creuses et promesse de papier : il n’y a ensuite aucun acte contre ces paradis fiscaux – dont certains sont au cœur de l’Union Européenne et de son fonctionnement comme les affaires luxleak ou clearstream l’ont démontré -des zones de non droit ou grenouillent l’ensemble de l’oligarchie capitaliste pour y abriter les milliards volés en exploitant les travailleurs du monde entier, au coté de la criminalité organisée.
Rappelons par exemple, que le Panama – jusqu’au scandale des Panama Papers avait été sorti de la liste des paradis fiscaux par le gouvernement français et l’Union Européenne. Et si un rapport parlementaire de 2015 alertait sur les dizaines de milliards d’euros d’impôts non payés grâce à l’évasion fiscale, les députés LR, FN et PS se sont débrouillés pour bloquer un timide amendement imposant un minimum de transparence comptable aux entreprise : l’amendement 340. Cet amendement prévoyait que les entreprises multinationales rendent publiques chaque année leur chiffre d’affaires, leurs bénéfices, le nombre de leurs filiales et de leurs employés ainsi que le montant des impôts payés et ce, dans chacun des pays étrangers dans lesquels elles sont implantées. Une mesure immédiatement dénoncée comme dangereuse par le MEDEF. D’abord adopté par les députés, le PS l’a fait revoter dans la nuit du 15 décembre par une poignée de députés qui l’ont rejeté. Y compris la député PS qui avait déposé cette amendement. Cette dernière s’est justifié en expliquant que :
« L’amendement proposé de « reporting pays par pays » pour des entreprises à partir de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel n’est – à ce stade – pas envisagé par le Parlement européen ni par la Commission. » Valérie Rabault député PS
démontrant sur un nouvel exemple que l’Union Européenne c’est le dumping et l’évasion fiscale.
L’exemple de l’Equateur
Pour ne pas en rester au stade des incantations, Rafael Correa, président de la République de l’Equateur propose à ses concitoyens une mesure relativement symbolique certe, mais qui a le mérite de la clarté : interdire à tout candidat à une élection et à tout détenteur d’une charge publique de détenir des avoirs dans un paradis fiscal. Ce « pacte éthique » fera l’objet d’un référendum organisé en février 2017. Voila qui ne risque pas d’arriver pour le moment en France quand on se souvient du ministre des finances Cahuzac soutenu par F Hollande et P Moscovici (désormais promu commissaire européen des finances), ou que le scandale des panama papers a mis sur la place publique les pratiques des cadres du FN en la matière. Rappelons par ailleurs que le président de la Commission Européenne JC Juncker est le premier ministre du Luxembourg en exercice d’un pays au coeur du dumping et de l’optimisation fiscale en Europe révélé par l’affaire Luxleaks.
On lira ci-dessous le message à la nation du président équatorien, dans lequel il explicite les motivations de sa démarche.
Par Rafael Correa, Président de la République de l’Equateur
Citoyens équatoriens,
Les paradis fiscaux constituent l’un des pires ennemis de nos démocraties, en raison de ce qu’ils signifient en termes d’évasion fiscale, de dissimulation de transactions financières, de promotion de la criminalité organisée et de soutien au terrorisme.
Dans ces régimes, tout est obscur, permettant la dissimulation de données, des vrais noms des titulaires de comptes bancaires, ainsi que de toutes les informations sur les opérations financières faites à partir des paradis fiscaux ou par leur entremise.
L’argent de ces « paradis » n’est jamais apporté par les ouvriers, les paysans, les enseignants, les médecins ou par les milliers de petites et moyennes entreprises qui ont confiance dans leur pays et construisent quotidiennement l’avenir de leurs familles et de toute la nation. C´est le repaire de ceux qui cherchent à ne pas assumer leurs responsabilités, en ne payant pas d´impôts ou en cachant la source de leur richesse – parfois illégale –, en utilisant les méthodes sophistiquées de sociétés fictives grâce aux conseils de grands cabinets d’avocats et d’experts fiscaux. Ce phénomène ne génère pas seulement de la corruption, il approfondit les inégalités sociales. L’évasion fiscale concerne tous les pays, mais, en proportion, les pays pauvres sont les plus touchés. En Amérique latine, 32 millions de personnes pourraient sortir à la pauvreté si l’argent caché dans les paradis fiscaux était imposé.
Dans notre pays, en 2014 et 2015, plus de 3 milliards de dollars ont été envoyés dans des paradis fiscaux, soit un montant équivalent au coût de la reconstruction totale des zones touchées par le tremblement de terre d’avril dernier.
Soustraire la richesse de l’endroit où elle a été produite et où elle est la plus nécessaire, qui plus est dans son propre pays, est tout simplement immoral. Prétendre, comme certains le disent, « je peux faire ce que je veux de mon argent » témoigne d’un manque total d’éthique et d’engagement pour le pays. La lutte contre les paradis fiscaux doit transcender toute idéologie. Nous devons mettre fin à cette économie sans visage qui n’a pas de but vraiment humain, comme le dit le pape François.
Depuis le début de notre gouvernement, nous nous sommes battus contre ces paradis fiscaux. A cette fin, nous avons proposé plusieurs initiatives juridiques. Cependant, aucun effort ne sera suffisant si ceux qui sont à la tête d’une nation ou aspirent à la représenter par un poste public, cherchent à cacher ou à faire sortir leur argent du pays.
Voilà pourquoi, dans mon dernier Rapport à la nation du 24 mai, j’ai proposé au pays l’adoption d´un pacte éthique : rejeter tous les candidats qui ont leur argent dans des paradis fiscaux. De nombreux secteurs, dont certains opposants, ont réagi à cet appel et l’ont accepté. Mais, comme il fallait s’y attendre, d’autres secteurs ont justifié leur amoralité et ont même prétendu que cela menaçait le droit à la participation politique.
Personne ne les empêche de se livrer à des activités commerciales, mais ils doivent accepter leur responsabilité juridique et éthique et payer leurs impôts. Personne ne les empêche de préférer leurs intérêts personnels, mais s’ils veulent être des agents ou des fonctionnaires publics, ils doivent avoir comme première obligation éthique d’aimer leur patrie, de lui faire confiance et d’y investir.
Il est temps de passer des paroles aux actes. Ce matin, j’ai envoyé à la Cour constitutionnelle une demande afin que, après le contrôle préalable de constitutionnalité que ladite institution doit effectuer, le Conseil national électoral convoque une consultation populaire où le peuple serait amené à se prononcer sur la question suivante : « Êtes-vous d’accord pour que la détention d’actifs ou de capitaux de quelque nature que ce soit dans des paradis fiscaux soit interdite à quiconque veut participer à une élection populaire ou assumer une charge publique ? Moins d’un an à compter de la date de la proclamation des résultats définitifs de ce référendum, l’Assemblée nationale modifierait la Loi organique de la fonction publique, le Code de la démocratie et d’autres lois pertinentes afin de les adapter à la décision de la majorité du peuple équatorien. Au cours de cette période, les fonctionnaires qui détiennent des capitaux et des actifs de toute nature dans des paradis fiscaux devraient respecter le mandat populaire. Son non respect serait un motif de destitution. »
Il ne s’agit pas d’empêcher qui que ce soit de se porter candidat. Toutefois, dans le cas où cette proposition serait acceptée, tout fonctionnaire ou responsable public disposerait d’un an pour commencer à croire en sa patrie et pour se débarrasser de toutes sociétés off-shore et de tous capitaux cachés dans des paradis fiscaux. Comme le disait notre cher Pepe Mujica, ancien président de l’Uruguay : « S’ils aiment tant l’argent, qu’ils fassent des affaires, mais pas de la politique. » Cette consultation n’aura pratiquement aucun coût pour le pays, car elle sera réalisée lors des élections législatives de février 2017.
Préparons-nous à une campagne acharnée contre cette mesure, puisque les principaux médias appartiennent à de grands groupes économiques qui placent capitaux et entreprises dans des paradis fiscaux.
Compatriotes,
Pour un monde meilleur, NON aux paradis fiscaux
Pour un Pacte éthique
Hasta la victoria siempre, compañeros !
Rafael Correa, Message à la nation, 14 juillet 2016.
Ici l’article original traduction du courrier de R Correa par Pressenza