25 novembre, la Journée internationale de la lutte contre la violence faite aux femmes, La Femme libanaise face aux violences
Cette année, les Nations Unies ont décidé que leurs actions concernant la cause des femmes soient mises sous le titre de la recrudescence de la violence dans le monde ; pour ce faire, elles ont consacré seize jours de lutte contre ce fléau, du 25 novembre (Journée internationale contre les violences faites aux Femmes) au 10 décembre (Journée internationale des droits de l’Homme).
Et, si l’organisation internationale a bien fait de mettre en valeur cette lutte par l’augmentation du nombre des journées et de conventions internationales, le problème demeure entier, vu que les jours qui passent font que les gouvernements oublient peu à peu l’événement, surtout que ces gouvernements, notamment ceux des puissances capitalistes, ont le droit d’émettre des réserves sur les clauses qui ne leur plaisent pas et, surtout, de choisir parmi les articles qu’ils vont mettre en pratique sans que l’ONU puissent intervenir pour les obliger à exécuter l’accord où ils ont apposé leur signature.
Prenons le Liban pour exemple.
Le gouvernement libanais avait, en 1996, signé la « Convention internationale relative aux droits de l’Enfant » qui considère comme un enfant toute personne de moins de dix-huit ans et qui insiste sur la nécessité pour cet enfant de bénéficier d’une protection spéciale, sur son droit d’avoir un nom et une nationalité et de grandir dans un environnement sain, avec l’interdiction de le faire travailler… mais si nous observons ce qui est mis en œuvre, nous verrons que notre gouvernement pratique le contraire de ce qu’il a signé ; et les taux, qui vont augmentant, des décrochages scolaires, du mariage des adolescentes ainsi que du travail des enfants constituent des preuves sur ce que nous affirmons.
Quant à la « Convention internationale por l’élimination de toutes sortes de discrimination contre la femme » (appelée communément CEDAW), elle est mise en marge, à part quelques exceptions très peu nombreuses. Bien plus, les gouvernements libanais successifs depuis 1996 ont refusé de mettre fin aux réserves faites sur les deux articles concernant les statuts personnels et le droit des femmes de donner leur nationalité à leurs enfants et, ce, malgré toutes les luttes que nous avions menées et que nous menons toujours… Il nous faut aussi noter que ces gouvernements ont même ignoré des articles et des clauses élémentaires, à commencer par le contenu de l’introduction de la Convention qui fait référence à la préoccupation concernant « les états de pauvreté, la malnutrition, la faible part accordée aux femmes en matière de santé, d’opportunités de trouver un emploi ainsi que d’autres besoins ». Il en va de même des articles qui parlent de la nécessité de modifier les lois nationales afin de promouvoir la justice sociale et politique et de changer les modèles sociaux et comportementaux qui prévalent dans notre pays, ce qui nous garantira, à nous Femmes libanaises, la possibilité de jouir de nos droits fondamentaux à travers l’égalité dans les domaines de l’éducation, de l’orientation professionnelle et du travail, des soins de santé et des lois… mais aussi à soutenir la lutte que nous menons contre la violence, domestique et autre, et « la prise de toutes les mesures appropriées », y compris les mesures juridiques nécessaires pour faire face à la traite des femmes et à la prostitution
Quelle est notre situation, aujourd’hui, surtout après la pandémie du Covid et l’exacerbation de la crise économique et sociale dans notre pays, en l’absence, ou l’effondrement de toutes les institutions constitutionnelles, la mainmise des « princes » des confessions et des dirigeants des partis sectaires sur les richesses du pays et la présence de plus de quarante pour cent de déplacés syriens et de réfugiés palestiniens parmi la population libanaise ?
La réponse à cette question est que la classe dominante du système capitaliste libanais, rétrograde et, surtout, dépendante du capitalisme mondial, a réussi le coup de transformer l’écrasante majorité des Libanais, les femmes en particulier, en pauvres et en chômeurs, dont une grande partie tente de quitter le pays dans des « bateaux de la Mort » qui ont coûté la vie à des familles entières, sans distinction entre hommes, femmes et enfants en bas âge.
En effet, quatre-vingts pour cent des Libanais vivent, aujourd’hui, en dessous du seuil de pauvreté et trente pour cent en dessous du seuil d’extrême pauvreté.
Quant aux femmes libanaises, elles ont le pourcentage le plus élevé dans les deux catégories, surtout si l’on tient compte du nombre de celles qui ont été obligées au chômage, ou celles soumises au statut de « chômage déguisé », ou, encore, celles qui subissent une réduction de leur salaire qui ne vaut plus rien avec l’inflation galopante et la chute de la livre face au dollar qui est, en réalité, la monnaie-étalon de l’économie libanaise. A cela il faudra ajouter les violences et le harcèlement qui se multiplient, non seulement sur les lieux du travail, mais aussi dans les écoles, sans que les dirigeants des ministères responsables lèvent le petit doigt pour résoudre les problèmes nombreux auxquels ils sont confrontés… et n’oublions pas, non plus, les violences domestiques, surtout mortelles qui, selon les forces de sécurité intérieure, ont augmenté de cent-quatre-vingts pour cent cette année.
Des crimes sauvages ont ébranlé, cette même année, la conscience humaine, à l’exception des responsables, et le terrorisme et la violence augmentent jour après jour sans rencontrer les mesures dissuasives nécessaires pour y mettre fin.
Comment pourrons-nous faire face à tous ces crimes ?
Il est vrai que nous insistons sur la primauté des lois ; cependant, et en attendant le retour de l’Etat de droit sur le devant de la scène dans notre pays, il nous incombe d’agir, et d’agir vite, dans des sens différents, dont le premier consiste à développer le rôle de la sensibilisation, mais aussi à briser le silence mortel qui permet au criminel de brouiller les pistes.
Ensuite, il nous faut sortir du carcan de l’individualisme et de « l’ego » qui prévalent dans bon nombre d’associations œuvrant dans le domaine de la lutte pour les droits des femmes. Oui, il nous faut aller vers l’unification des forces, des slogans et des programmes, afin de rassembler toutes celles et tous ceux qui veulent que cela change.
Nous devons aussi prendre la rue et lutter avec les médias, tout en tenant compte que la plupart d’entre eux se trouvent sous la coupe de la classe dominante corrompue qui nous a mis dans le marécage de la pauvreté et des humiliations quotidiennes et qui a profité des divisions sectaires confessionnelles afin de nous mettre sous sa coupe…
Le mouvement des Femmes, surtout, doit retrouver sa mission originelle. Il se doit de coordonner ses luttes avec celles du mouvement syndical et populaire, sans lequel il est incapable de faire aboutir ses droits. Parce que la coordination avec ce mouvement syndical et populaire, voire même l’adhésion à ce mouvement et à ses représentants politiques fut pour nous le moyen d’imposer la reconnaissance de nos droits essentiels, à commencer par le droit au travail et par l’imposition des lois instaurant l’égalité des salaires, l’égalité sur les plans de la santé et de l’éducation, mais aussi l’accès au droit de vote et d’éligibilité.
Il est vrai que ces droits ne sont pas appliqués comme ils devraient l’être, ce qui signifie qu’il faut un grand mouvement afin de mettre en place les mécanismes de mise en œuvre nécessaires. La persévérance dans ce domaine est nécessaire pour améliorer nos conditions générales en attendant le changement requis qui signifie un changement du système dans son infrastructure économique et sociale, mais aussi sur les plans politique et idéologique. En clair, il nous faut en finir avec le système économique basé sur la rente et construire un système économique productif. En même temps, il est nécessaire de se débarrasser du système des quotas politiques accordés aux confessions religieuses, qui est à la base de tous nos malheurs, afin de mettre à sa place un système démocratique et laïc. Un régime qui préserve notre territoire et notre peuple, et ne les vend pas dans des transactions suspectes comme celles qui ont eu lieu récemment à l’intérieur du pays et, surtout, avec l’entité israélienne.
Marie Nassif-Debs – 25 novembre 2022