C’est l’un des pays qui aura maintenu le plus longtemps l’esclavage, un état de ségrégation où l’apartheid visant les noirs et s’étendant également aux latinos, et plus largement à tous les immigrés est toujours ancré, un état qui est l’archétype de ce qu’est le capitalisme, les Etats-Unis d’Amérique. Edifiés sur le pillage et la colonisation, sur la base du génocide des peuples autochtones (les « indiens »), il serait faux de croire que l’impérialisme en aurait fini de son racisme institutionnalisé avec Obama. C’est tout le contraire. C’est ce que montre Chris Hedges dans une analyse très factuel de ce que sont les nouveaux codes noirs, ces codes qui encadraient les lois de l’esclavage.
Les nouveaux « Black Codes »
Chris Hedges – 2 décembre 2019
Dans les communautés urbaines appauvries, les forces de police équipées d’armes militaires et habilitées à harceler et à tuer largement et à volonté, ainsi que l’incarcération massive, sont les principaux outils de contrôle social des pauvres. Il y a peu de prétention à la justice et encore moins à la protection et à la sécurité. L’État au service des grandes entreprises et nos dirigeants oligarchiques craignent un retour de bâton de ceux qu’ils ont abandonnés dans des enclaves désindustrialisées à travers le pays, ce que Malcolm X appelait nos « colonies internes ». La brutalité et la terreur quotidiennes maintiennent en servitude les pauvres, en particulier les pauvres de couleur. En moyenne, plus de 1 100 personnes, soit une personne toutes les huit heures, presque toutes désarmées, sont tuées chaque année par la police aux États-Unis. Ces meurtres ne sont pas des accidents. Ils ne sont pas le résultat d’un système qui a échoué. Le système fonctionne exactement comme il est conçu pour le faire. Et jusqu’à ce que le système du pouvoir corporatiste soit détruit, rien ne changera pour les pauvres, ni pour le reste des Américains.
Toutes les réformes de la police depuis des décennies, y compris l’application de la loi, les droits Miranda et les protocoles de dépôt de plainte n’ont fait qu’accroître le pouvoir et les ressources de la police. Notre débat national sur la race et le crime, qui refuse de mettre en cause le système économique, social et politique d’exploitation et la suprématie blanche, n’a été qu’un simulacre. Les vastes bassins de chômeurs et de sous-employés, en particulier chez les gens de couleur, font partie du dessein du capitalisme prédateur. Il en va de même pour les institutions, et spécialement la police, les tribunaux, les pénitenciers et les prisons, dont la tâche est de maintenir le contrôle social sur ceux que le système a rejetés.
Les élites sont tout à fait conscientes que sans la terreur policière et le système carcéral américain, qui détient 25% de la population emprisonnée mondiale, il y aurait d’énormes troubles sociaux. L’indignation causée par les meurtres, commis par la police, de Michael Brown à Ferguson dans le Missouri, d’Eric Garner à New York, de Walter Scott à Charleston, en Caroline du Sud, de Tamir Rice à Cleveland, de Freddie Gray à Baltimore et de Laquan McDonald à Chicago — attisée par des vidéos ou la publication dans des médias sociaux — a peut-être contribué à l’émergence de groupes comme as Black Lives Matter, mais elle n’a rien fait, et ne fera rien, pour freiner les violences policières. Davantage de formation, de caméras corporelles, de services de police communautaires, l’embauche d’un plus grand nombre de membres des minorités comme agents de police, un meilleur service de probation, des amendes équitables et des unités spéciales pour enquêter sur les abus de la police sont des gadgets pour les relations publiques. Personne, au sein du pouvoir, n’a aucune intention de desserrer l’étau. Les autorités ont trop peur de ce qui pourrait se passer.
Les réductions d’impôt pour les grandes entreprises et les riches, la perte des emplois industriels syndiqués, aux salaires corrects, et l’effondrement des institutions publiques ont décimé les budgets des villes et des comtés. Les services de police sont utilisés pour compenser les pertes de recettes par l’imposition constante d’amendes aux pauvres, souvent pour des crimes fabriqués tels que bloquer la circulation piétonne (c’est-à-dire se tenir sur un trottoir), boire directement d’un conteneur ouvert ou vendre des cigarettes hors taxe. Les arrestations et les amendes importantes pour de tels délits sont qualifiées d’actions pour la « qualité de la vie ». La pauvreté a obligé beaucoup de gens, en particulier les jeunes, de tirer des moyens d’existence de l’économie illégale. Le manque de travail dans l’économie légitime et le besoin inépuisable de recettes pour le gouvernement ont transformé le maintien de l’ordre en une guerre soutenue contre le « quart-monde ». C’est au cours de cette guerre que Garner, qui tentait de subvenir aux besoins de sa famille en vendant des cigarettes hors taxe, est devenu la cible répétée de harcèlement policier et qu’il a finalement été étouffé à mort par des agents de police le 17 juillet 2014 à Staten Island.
Le livre de Matt Taibi, I Can’t Breathe: A Killing on Bay Street (Je ne peux plus respirer: un meurtre sur Bay Street), utilise le meurtre de Garner pour mettre en évidence l’architecture de la répression étatique. Rien dans cette répression et ces violences, explique Taibbi, n’est accidentel, et rien de cela ne sera réparé tant que les injustices sociales, économiques et politiques infligées aux pauvres par le pouvoir des entreprises ne sera pas renversé. [Cliquer ici pour voir Hedges interviewer Taibbi.]
« Éric Garner a été assassiné par l’histoire », écrit Taibbi. « Le motif était le péché secret d’une société divisée, un pays figé dans le temps depuis plus de cinquante ans, qui a interrompu une étape cruciale peu avant la réconciliation et est déterminé à y rester. »
La guerre contre les pauvres de couleur a été un projet bipartisan. Personne n’a été exécuté aux États-Unis entre 1968 et 1976, mais des changements radicaux ont été apportés aux lois dans les années 1990. Sous l’administration de Bill Clinton, les Démocrates et les Républicains ont adopté une série de projets de loi sur l’ordre public qui ont vu le nombre de crimes passibles de la peine de mort passer à 66 en 1994. En 1974, un seul crime de ce type avait été identifié dans la loi fédérale.
Les deux partis, pour reprendre les mots de Naomi Murakawa, se sont engagés dans « une guerre pour faire monter les enchères en faveur de la peine de mort ». Joe Biden était un des principaux promoteurs de l’élargissement de la peine de mort. Biden s’est vanté d’avoir « ajouté aux lois fédérales plus de 50 peines capitales ». La loi de 1994 sur le contrôle des crimes violents et le respect des lois (Violent Crime Control and Law Enforcement Act), promue par Clinton et Biden, a fourni du financement pour des dizaines de milliers de policiers de proximité et aux tribunaux spécialisés dans les affaires de drogue. Elle a interdit certaines armes d’assaut. Elle a imposé des peines de prison à perpétuité pour quiconque était reconnu coupable d’un crime violent après deux condamnations antérieures ou plus, y compris pour les délits liés à la drogue. Les peines de prison à perpétuité étaient connues sous le nom de « dispositions des trois coups ».
La population dans les prisons d’État et fédérales Durant l’administration Clinton a augmenté de 673 000 détenus — 235 000 de plus que sous la présidence de Ronald Reagan. La police est devenue toute-puissante dans les rues des communautés pauvres. Les tribunaux sont devenus des convoyeurs transportant les pauvres dans les prisons et les pénitenciers.
En ouverture de son livre, Taibbi écrit sur une agression policière sans provocation en 2014, contre Ibrahim Annan, le fils d’immigrants africains, alors qu’il était assis dans sa voiture à Staten Island. Annan, approchant la fin de la trentaine, a été sauvagement frappe au visage et à la tête par la police avec ce qu’on croit avoir été une matraque télescopique en métal. Sa jambe gauche a été brisée en trois endroits. Un an plus tard, il marchait toujours avec une canne. Comme c’est souvent le cas dans les affaires de violences policières, un grand nombre d’accusations ont été portées contre lui : menaces, possession délictueuse de marijuana au cinquième degré, obstruction à l’administration gouvernementale, agression au deuxième degré et agression au troisième degré, entre autres. Taibbi écrit :
La longue liste des accusations portées contre Annan faisait partie d’un jeu élaboré que la police et les procureurs jouent souvent avec les personnes prises dans des arrestations « problématiques » Un homme noir avec une jambe cassée a presque un argument automatique pour certains types de poursuites judiciaires au niveau fédéral en termes de droits civiques. Mais ces poursuites sont difficiles à gagner lorsque l’arrestation aboutit à une condamnation. Donc lorsque la police frappe quelqu’un assez violemment, la première ligne de défense de la ville est souvent de passer à l’offensive et de déposer une longue liste de plainte, en espérant que l’une sera retenue. Les avocats civils, pour leur part, essaieront souvent d’attendre jusqu’à ce que les charges criminelles soient déclarées nulles et non avenues pour intenter une action.
C’est un jeu d’influence. Si le passage à tabac est sévère, la victime peut obtenir une somme d’argent importante de la ville. Mais ce n’est que de l’argent, et il vient de la poche du contribuable. L’État, pendant ce temps, a le pouvoir de faire, des pertes dans ce jeu de poker très particulier, une affaire très personnelle. Il peut mettre le perdant en prison et celui-ci peut perdre des années de sa vie en comparutions au tribunal. Comme Annan le découvrirait, le temps est l’ultime atout de l’État.
Les victimes de telles violences sont systématiquement vilipendées par une population prédisposée à craindre les personnes visées par la police. Il en va de même pour ceux qui témoignent, comme Ramsey Orta, qui a filmé sur son téléphone le meurtre de Garner.
« Essayez d’imaginer un monde où il n’y a pas un vaste consensus tacite sur le fait que les hommes noirs sont intrinsèquement effrayants, et alors la plupart de ces agressions policières passeraient dans les médias comme des attaques spontanées de folie », écrit Taibbi. « Au lieu de quoi, elles sont vendues comme des scènes de bataille dans une histoire d’occupation, où il est facile de comprendre qu’il faut avoir un doigt habile sur la gâchette lorsqu’on patrouille sur la planète d’étrangers violents. »
Le succès du maintien de l’ordre ne se mesure pas en luttant ou en enquêtant contre le crime, mais à l’aune des arrestations et des citations à comparaître, transformant le travail des services de police en ce que Taibbi appelle « un mode de production industriel ». En même temps, il est impératif de supprimer le plus grand nombre possible de signalement de délits pour parvenir à des statistiques criminelles favorables. Cela crée une situation où, note Taibbi, les policiers sont « découragés de rapporter de véritables crimes dans la communauté, ce qui a pour effet de faire savoir aux gens que la police n’est pas intéressée à consacrer des ressources à leurs besoins réels ».
La police a le pouvoir d’arrêter tout le monde pour une longue liste de raisons, y compris une « tenue vestimentaire inappropriée » et « une bosse suspecte ». Cela fournit une couverture légale aux contrôles et aux fouilles aléatoires effectuées par les policiers, en particulier contre les jeunes garçons et les hommes de couleur. Garner a été harcelé de cette manière pendant une grande partie de sa vie.
« Garner était inoffensif, mais il était aussi un homme noir massif, voyant, vêtu de manière débraillée, qui se tenait devant un pâté de maison pendant les heures de travail », écrit Taibbi. « Les gens comme lui deviendraient le centre de l’attention d’une révolution dans le maintien de l’ordre qui, à la fin des années 2000, était devenue le grand chic intellectuel dans toute l’Amérique sous un nom éminemment évocateur : la vitre brisée. »
La politique de la vitre brisée — l’idée que les arrestations pour des délits mineurs préviennent des délits majeurs — a été déformée par ce que Taibbi appelle « un syllogisme effrayant » : les New-Yorkais qui ont peur des crimes sont déjà des victimes. Beaucoup de New-Yorkais ont peur des Noirs. Donc être noir est un crime.
C’est sur la base de ce syllogisme, écrit Taibbi, que « 90% à 95% de tous les prisonniers détenus pour des infractions liées à la drogue à New York dans les années 1990 étaient noirs et hispaniques, malgré des études montrant que 72% de tous les usagers de drogues illégales dans la ville étaient blancs ».
L’arrêt et la fouille aléatoire de gens de couleur pauvres est devenu connu sous le nom de stop et fouille, et présenté comme un rempart protégeant New York par son maire, Michael Bloomberg. Le gouvernement de la ville a soutenu qu’il ne pratiquait pas le profilage racial. Il arrêtait des pauvres noirs et bruns, a-t-il dit, parce qu’ils étaient statistiquement plus susceptibles d’être des délinquants. En 2011 et 2012, écrit Taibbi, « les Noirs et les Hispaniques représentaient 87% de toutes les personnes arrêtées. La ville de New York justifiait toutes ces arrestations en déclarant que “approximativement 83% de tous les suspects de crimes connus et à peu près 90% de tous les suspects de crimes violents étaient des Noirs et des Hispaniques” ».
C’est un aveu surprenant de la part de la ville, mais qui explique la guerre aux pauvres. « Une explication unique et générale, écrit Taibbi, justifiait les “soupçons raisonnables” présidant à au moins 80% de ces fouilles : il s’agissait de résidents noirs ou hispaniques de quartiers à forte criminalité. »
Le ciblage des Noirs appartient à une longue tradition dans l’histoire américaine. Il trouve ses origines dans les Black Codes instaurés après la guerre civile, qui interdisaient aux Noirs de posséder des armes, restreignaient leurs droits à la propriété, leur interdisaient de se réunir en groupes et leur infligeaient des peines sévères pour des délits mineurs ou insignifiants. « Quelle que soit l’époque, de la guerre civile à la fin de la période Jim Crow, la police a toujours eu à disposition une série de lois extrêmement souples si elle ressentait le besoin d’arrêter toute personne noire suffisamment peu coopérante sans avoir commis de véritable délit », écrit Taibbi.
Les ghettos et les quartiers à forte criminalité, nos « archipels raciaux », écrit-il, « ont été créés artificiellement par une série d’arnaques immobilières ». Dans les années 1960, les sociétés immobilières lançaient des campagnes provoquant la peur pour faire partir les résidents blancs. Ils ont fait venir « un nouveau genre de propriétaires, souvent des minorités, et souvent avec de mauvais crédits et des profils professionnels incertains. Ils ont soudoyé des fonctionnaires de la FHA (Federal Housing Administration) pour qu’ils approuvent des prêts hypothécaires pour tout le monde. Les évaluations seraient gonflées. Des prêts seraient accordés pour les réparations, mais les réparations ne seraient jamais faites ».
Le propriétaire cible typique de l’arnaque était une famille noire s’installant à New York pour échapper au racisme du Sud. On montrerait à la famille une maison dans un endroit comme New York Est qui ne valait que 15 000 dollars environ Mais l’évaluation serait falsifiée et un prêt de 17 000 dollars serait approuvé.
La famille emménagerait et se retrouverait instantanément dans une maison valant 2000 dollars de moins que son prix d’achat, et peut-être avec des toilettes, la lumière, le chauffage défectueux et (c’est ironique) des fenêtres cassées. Entretemps, le prêt garanti par le gouvernement, créé par un prêteur comme Eastern Service, avait été vendu à un pigeon sur le marché secondaire : une caisse d’épargne, un fonds de pension ou peut-être à Fannie Mae, la société hypothécaire soutenue par le gouvernement.
D’ici peu, la famille ferait défaut et serait saisie. Les investisseurs se précipitaient et achetaient la propriété à un prix en dessous de celui du marché, une fois de plus. Ensuite, la maison destinée à une seule famille serait convertie en un immeuble locatif pour trois ou quatre familles qui, bien sûr, se dégraderait encore plus rapidement.
Ce processus a créé des ghettos presque instantanément. Le blockbusting racial [le fait de vendre des biens immobiliers à bon marché en jouant sur la peur des propriétaires de perdre de l’argent si des minorités raciales viennent s’installer dans le quartier, NdT] est la cause du passage de l’East New York de 90% de Blancs en 1960 à 80% de Noirs et d’Hispaniques en 1966.
Une fois que les pauvres de couleur étaient en quarantaine dans ces ghettos, il leur était presque impossible d’en sortir.
Le maintien de l’ordre agressif est le rempart d’une Amérique ségréguée. Les policiers patrouillent les frontières entre nos friches urbaines et nos quartiers blancs aisés. Ce maintien de l’ordre, écrit Taibbi, « maintient l’illusion de l’intégration en permettant aux de prendre la responsabilité des politiques menées par des contribuables blancs de l’autre côté du mur bleu ». “Suivez presque tous ces cas de brutalité policière jusqu’à leur conclusion logique et vous finirez par en venir à une vérité monstrueuse », écrit Taibbi. « La plus grande partie de ce pays est investie dans la perpétuation du cessez-le-feu nerveux de la ségrégation de facto, avec son “État garnison” de ghettos sous occupation, soigneusement maintenus hors de la vue et de l’esprit. »
traduction depuis l’anglais DG pour www.initiative-communiste.fr
Le Parti communiste américain, le CP-USA, est le seul espoir. Il présente des candidats aux diverses élections, tant au plan local que fédéral. Il devrait logiquement gagner des sièges et permettre à terme, par le moyen d’une majorité au Congrès, l’avènement du socialisme aux Etats-Unis.