Initiative communiste publie l’analyse de Marie Debs, figure majeure du mouvement communiste libanais, sur l’actuelle situation politique et socioéconomique du Liban, où le gouvernement dirigé par Hassan Diab brandit le spectre de la guerre civile tout en appliquant les mêmes recettes capitalistes néolibérales face à un peuple en révolte depuis octobre 2019 et désireux d’en finir avec l’austérité et la paupérisation qui servent les intérêts de l’oligarchie bourgeoise libanaise. Et si le spectre de la guerre civile hante le Liban, celui de la révolution populaire hante l’ordre capitaliste sévissant au pays du Cèdre…
Beyrouth 10 juin 2020 – Quand, à la fin de l’année précédente et à la suite de beaucoup de tergiversations, le président de la République annonça que M. Hassan Diab formerait le nouveau gouvernement libanais, beaucoup de Libanais (dont nous ne faisions pas partie )s’étaient réjouis parce que ce nom qui ne faisait pas partie du club des présidents du Conseil pouvait – selon eux – aider à juguler la crise dans laquelle le Liban est plongé, depuis fin de la guerre civile, à cause d’une classe dominante pourrie par la corruption et le clientélisme, et protégée par un système de quotas confessionnels très particuliers doublé d’allégeance à l’étranger. L’optimisme chez certains avait même atteint des degrés tels qu’ils avaient cru que bientôt tout rentrerait dans l’ordre puisque le nouvel élu s’était juré que les revendications du soulèvement du 17 octobre 2019 formeraient les titres essentiels de son programme et qu’il serait toujours le porte-parole du peuple…
Bien plus, ces optimistes, parmi lesquels nous comptons des amis très proches et qui connaissaient bien le parcours de certains nouveaux ministres, sont allés jusqu’à nous demander de nous tenir tranquilles pendant les « cent jours » requis par le gouvernement, faisant fi de nos avertissements portant sur le fait que Hassan Diab et ses ministres vont exécuter l’agenda mis au point par « ceux » qui les ont nommés et que les promesses ne vont pas tarder à s’évaporer…
Malheureusement, Hassan Diab ne nous a pas « déçus » sur toute la ligne. En effet, le programme rédigé par son gouvernement constitue une copie conforme des grandes lignes que contenaient les programmes présentés par tous ceux qui se sont, depuis 1992, succédé à ce poste. Quant aux « nouveautés » qui y sont introduites, on y retrouve le plan de restructuration économique que la société McKinsey avait mis au point en 2018 ainsi que la feuille des « réformes » que le gouvernement sortant de Saad Hariri avait présentée avant de démissionner et qui contenait l’augmentation des taxes et des impôts indirects touchant surtout les petits salaires, en plus des projets de vente (ou de privatisation) des entreprises productives du secteur public… Tout cela accompagné d’une nouvelle restructuration des salaires et des retraites, dans la fonction publique en particulier, telle que l’avaient exigé le Fonds monétaire international et les autres pays créditeurs réunis à la conférence de « CEDRE » qui se tint à la hâte avant les dernières élections législatives, dans le but d’aider les constituants de la classe au pouvoir à consolider leurs positions branlantes et, par suite, de poursuivre leur exploitation des biens que recèle notre pays.
D’ailleurs, si quelqu’un nous demande de compter les « réalisations » que le gouvernement libanais a pu enregistrer durant les cent jours escomptés en plus d’un nouveau mois que sont la vie de ce gouvernement, nous dirons qu’elles sont tellement nombreuses qu’il nous sera difficile de les nommer toutes… à commencer par le faire-part du ministre des finances annonçant, le jour même de la prise de la photo officielle, la mort de notre monnaie nationale, ou, encore, les tergiversations entre le premier ministre et le gouverneur de la Banque centrale qui ont eu les effets les plus néfastes sur cette même monnaie nationale ; sans oublier la destruction par forces de la police des tentes érigées sur les grandes places à Beyrouth et la violence qu’ils opposent aux manifestants. Ajoutons à cela l’immixtion dans les affaires du pouvoir judiciaire, le refus de mettre fin à la contrebande vers la Syrie (surtout le marché des dollars et du fuel), le dernier scandale concernant le fuel frelaté (qui nous coûte de nouvelles coupures de courant), le dollar qui est passé de 1515 à 6000 livres, le chômage qui a dépassé le seuil des cinquante pour cent de la population active, ainsi que le scandale des dernières nominations administratives… Tout cela à l’ombre de la pandémie du Covid 19 et tout ce qui en a résulté. Cependant, dans ce décompte, le danger le plus virulent reste celui créé par les directives données par le groupe mondial de conseil financier Lazard et par les diktats du FMI qui fut appelé parmi nous depuis plus d’un mois.
Et, tandis que la famine frappe à nos portes et que des milliers et des milliers de PME, suivies par quelques grandes entreprises, ferment leurs portes au nez des ouvriers et employés, la classe au pouvoir brandit le spectre de la guerre civile face au peuple soulevé : telle fut l’image captée, le 6 juin, dans les rues de Beyrouth et de sa banlieue sud, image dessinée par les deux factions de la bourgeoisie libanaise (appelées communément les groupes du 8 et 14 mars).
Tous ces faits et, surtout, méfaits nous poussent à brandir le mot d’ordre d’en finir avec tous les corrompus-corrupteurs qui sont toujours prêts à mettre le pays à feu et à sang afin de se maintenir sur les sièges du pouvoir qu’ils gardent jalousement depuis trente ans (et plus pour certains d’entre eux).
Oui, le gouvernement de Hassan Diab est KO, non seulement parce qu’il a suivi les traces de ses prédécesseurs qui ont pressuré le peuple depuis trente ans et plus, mais aussi par le fait des personnes qui la composent, ou qui lui assurent sa force, et le programme qu’elle a adopté. Le gouvernement est surtout KO parce qu’il nous a mis à nouveau au bord du gouffre appelé « guerre civile »… et ce KO lui fut asséné par ceux qui avaient demandé à ce que nous lui donnions le temps de réaliser ses promesses et qui eurent la plus mauvaise surprise de leur vie quand ils ont vu la guerre civile se profiler devant leurs yeux.
Devant de tels dangers, il était devenu indispensable d’appeler au départ de ce gouvernement et, avec lui, toutes les composantes de la classe dirigeante, tant celles au pouvoir aujourd’hui que celles qui se trouvent dans « l’opposition ».
Il est temps de revenir aux titres sur lesquels la majorité des composantes du mouvement populaire s’était entendue le 17 octobre 2019, et que nous avions résumés par l’appel à un gouvernement d’union populaire ayant de larges prérogatives dans les trois directions suivantes :
La première direction étant la restructuration de l’économie nationale dans le sens du développement des secteurs productifs et de la sortie de l’économie rentière, tout en déterminant les priorités qui peuvent sortir les pays de la crise à court et moyen termes.
La seconde consistant à prendre des décisions, précises et rapides, sur les plans financiers et monétaires, dont le problème des petits épargnants, ainsi que celui de la dette publique et le rôle des banques (qui ont gagné des sommes mirobolantes durant les dix dernières années) afin d’aider à sortir le pays de l’impasse dans laquelle il se trouve.
Quant à la troisième direction, elle consiste à la création d’un conseil spécial formé de juges aux mains propres. Le but en est de traduire en justice toutes celles et tous ceux qui étaient des personnalités publiques depuis trente ans, et ce afin de récupérer les deniers publics là où ils se trouvent.
Tout cela accompagné, bien entendu, de la promulgation d’une nouvelle loi électorale anti-confessionnelle, basée sur la proportionnelle et la circonscription unique, afin de créer des institutions représentatives et non basées sur les quotas confessionnels.
Beyrouth – Traduction de l’article paru le 10 juin 2020