Applaudissant lors de la commémoration de la révolution sandiniste, ces jeunes artistes nicaraguayens ont chanté à la paix devant le théâtre national Rubén Darío. Le triomphe sandiniste ne représente pas seulement la victoire face à 45 ans de Somozistes ; c’est la victoire face à 150 ans de domination étrangère.
Les confrontations entre libéraux et conservateurs, et particulièrement pendant le soulèvement d’Augusto César Sandino entre 1927 et 1934, contre le général Emiliano Chamorro et l’occupation du pays par les troupes nord-américaines. Il convient alors de commencer par reconstituer le continuum des actions de guérilleros dans lequel s’inscrit la guerre civile de 1978-1979, et postérieurement les confrontations sandinistes/ opposants de 1979 à 1987.
Un continuum guerrier
Au-delà des périodes d’apparente stabilité marquées par le gouvernement du général Zelaya (1893-1909), la première occupation nord-américaine (1912-1925), et le long règne de Somoza García, qui succède à celui de ses fils et à celui de René Schick Gutiérrez (1956-1979), les confrontations armées et la mesure des forces parmi les factions politiques et leurs alliés étrangers, non seulement ont rythmé avec persistance le XXème siècle nicaraguayen, mais aussi elles ont constitué en bien des aspects sa trame.
Les périodes de paix civile n’ont jamais été exemptes de démonstrations de force des parties présentes, qui ont fait régulièrement appel à des puissances étrangères, surtout aux Etats Unis. Cela montre jusqu’à quel point, depuis le début du XXème siècle jusqu’aux années 1980, le jeu politique nicaraguayen s’inscrit sur un fond de continuum guerrier où l’ingérence de forces étrangères fut la norme.
Voici les principaux faits marquants de l’histoire nicaraguayenne :
1911 : Adolfo Díaz lance une nouvelle guerre entre conservateurs et libéraux. S’en suit l’envoi d’un contingent d’infanterie de marine des Etats-Unis (1912-1925) qui a permis aux Etats Unis d’asseoir son hégémonie.
1913 : traité entre Etats Unis et Nicaragua qui cède aux Etats Unis les droits d’exclusivité sur le fleuve San Juan, ainsi que l’usage des îles du Maiz et du Golfe de Fonseca pour sa marine de guerre. Les Etats Unis prennent le contrôle sur les finances nicaraguayennes, et rédigent un projet de loi électoral approuvé en 1924, en vigueur jusqu’aux années 1960.
1925 : retrait des troupes nord-américaines qui conduit à a reprise de la guerre entre libéraux et conservateurs, après le coup de force du général conservateur Emiliano Chamorro contre le candidat libéral aux élections, Juan Bautista Sacasa. Les libéraux reçoivent le soutien du président mexicain Plutarco Elías Calles, alors en conflit avec les Etats Unis. Appui diplomatique et militaire du Mexique, et incontestable soutien populaire, les libéraux prennent l’avantage militaire sur leurs rivaux conservateurs, qui font à nouveau appel aux Etats Unis, ce qui débouche sur l’envoi d’un corps d’expédition.
1928 : signature d’un pacte entre libéraux et conservateurs, le général libéral, José María Moncada, est élu président de le République. Les troupes nord-américaines, occupent le pays jusqu’en 1933, c’est-à-dire peu après les élections de 1932 qui voient la victoire du candidat libéral, Juan Bautista Sacasa.
Sandino, un espoir pour la révolution au Nicaragua.
Tandis qu’au moment de leur première occupation, les Etats Unis n’avaient pas trouvé une plus grande résistance, la seconde occupation a suscité des protestations vigoureuses sur le plan international, et l’opposition armée d’un général dissident, Augusto César Sandino. Son nom s’est transformé en symbole de la lutte anti-impérialiste, puisque sa lutte s’et seulement finalisée avec l’entrée des « marines ». En effet, jusqu’à présent, les guerres internes au Nicaragua et les interventions des Etats Unis dans ce pays, ont attiré certes, l’attention des centre-américains-souvenons nous de la résonance du poème de Rubén Darío : « A Roosevelt » -, comme celle des élites politico-financières européennes et nord-américaines ; mais ici, pour la première fois, la lutte de Sandino a mobilisé l’intelligentsia de gauche en Europe comme dans le continent américain.
Ainsi donc, il reçoit pour un temps le soutien du Secours Rouge International, une organisation créée par l’Internationale Communiste. C’est dans ce contexte qu’une poignée de combattants du caudillo libéral s’est transformé progressivement en une « armée de défense de la souveraineté nationale » de plus de mil hommes, composée en grande partie de paysans et de mineurs de la région de Nueva Segovia, es montagnes situées au Nord du pays.
On ajoute à ces conscrits, des volontaires latinoaméricains, centre-américains, venus soutenir le « David nicaraguayen ». Le gouvernement du Nicaragua et ses mentors nordaméricains de leur côté, ont mobilisé contre « les bandits de Segovia » jusqu’à douze mille marins, lesquels furent remplacés peu à peu par les soldats de la nouvelle armée nicaraguayenne, la Guardia Nacional, organisée avec le soutien des Etats Unis.
Cette guerre de sept ans a causé plusieurs milliers de morts dans les régions centrales d’un pays qui comptait 680 000 habitants en 1930, et au total environ 150 000 dans les zones où s’est tenu le plus gros des combats. La seconde occupation militaire s’est conclue par un accord du président Juan Bautista Sacasa avec le général sandino, qui, face à la volonté des Etats Unis de retirer ses troupes dans le cadre de la nouvelle politique du « bon voisin » de Roosevelt, a signé un pacte avec le gouvernement nicaraguayen (1933). De son côté, il a désarmé 1 800 soldats, en conservant uniquement une garde personnelle d’une centaine d’hommes, ce qui ne supposait pas la fin des confrontations entre les membres de ses anciennes troupes et la Guardia Nacional. Il semble que ce soit lui en personne qui fut assassiné en 1934 sous les ordres du nouveau commandant en chef de la Guardia Nacional, Anastasio Somoza García au moment où il venait négocier à nouveau avec le président Sacasa (Cerdas, 1986 ; Schroeder, 1993 ; Wunderlich, 1995; Ramírez, 1980; Torres-Rivas, 1983; Selser, [1957] 1974; Somoza, 1936).
Si le règne de Somoza et de ses deux fils, Luis et Anastasio, a duré plus d’une quarantaine d’années et a été d’une étonnante stabilité, les trois Somoza non seulement ont dirigé le pays en multipliant les pactes avec certaines branches du parti conservateur. Ils ont également multiplié les coups de force et ont fait usage de la terreur contre certains de ses opposants.
La première élection de Somoza García à la tête de l’Etat en 1936, a eu comme antécédant la défaite du président Sacasa. En 1944, il a réduit par la force les manifestations de civils, qui, comptant sur les grands espoirs suscités par la défaite des puissances de l’axe et sur la nouvelle carte des Nations Unies, dénonçaient sa volonté d’aspirer à un second mandat présidentiel. Alors qu’il était encore puissant, il finit par céder aux désidératas nordaméricains qui lui firent savoir que son « continuisme » était de mauvaise loi, et qu’il devait y renoncer. Il a cependant battu le président élu en 1947, Leonardo Argüello, par un coup d’Etat, lorsque ce dernier avait tenté de prendre sa relève à la tête des forces armées.
Somoza a réprimé sans avoir recours au combat deux soulèvements armés lancés à l’initiative des observateurs et des officiers de la Guardia Nacional en 1947 et 1948, et a emprisonné ou mis sous surveillance rapprochée, un grand nombre de personnalités de l’opposition, souvent sans lien avec ces mouvements insurrectionnels. Son assassinat, en 1956 a donné lieu à une répression particulièrement sanglante contre tous les chefs des mouvements d’opposition (Walter, 2004 ; Gould, 1992, 1997 ; Millet, 1977).
Les présidences de Luis Somoza (1957-1962) et de Rene Schick (1963-1967) ont dû résister à différents soulèvements armés, aussi bien de conservateurs que de dissidents libéraux ou d’anciens partisans de Sandino.
C’est ainsi qu’ils ont dû affronter, les actions d’une nouvelle organisation armée, le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN), fondé par un noyau d’anciens membres du Parti Socialiste Nicaraguayen en 1961, suivant les pas de la révolution cubaine.
Antoine LUCI Responsable Secteur Amérique Latine Pour I.C.