Comme c’est son droit souverain, le Niger a annoncé ce 3 août la dénonciation des accords militaires qui permettent à l’armée française d’occuper d’importantes bases militaires au Niger avec un contingent militaire – notamment une force aérienne – solide de 1500 soldats et de plusieurs dizaines d’aéronefs militaires de frappe aérienne (chasseurs mirage 2000, drones, hélicoptères de combat, transports de troupes) qui en fait la principale force militaire aérienne au Sahel. Une force qui travaille conjointement avec une importante base militaire américaine de 1500 hommes également, le tout étant intégré au sein des forces de l’OTAN, sous l’égide de l’Africom de l’US Army, qui assure une large partie de l’appui logistique des corps expéditionnaires maintenus par la France au Sahel. De fait, c’est bien d’un bloc militaire américano-français dont la composante américaine est la principale qu’il est question dans le déploiement au Niger et dans les pays avoisinants (Tchad, Nigeria…)
Washington a installé un contingent de 1 100 hommes au Niger construisant une de ses bases les plus importantes du continent à Agadez, avec notamment, des drones de frappe, et compte plusieurs autres bases dans le pays dont l’une, à Dirkou, est située à proximité de la Libye.
C’est bien dans ce contexte qu’il faut comprendre les expressions et menaces conjointes de Washington et de Paris – son gendarme régional. Le président Joe Biden a appelé « à la libération immédiate du président Bazoum », qu’il avait reçu avec tous les honneurs lors du dernier sommet Etats-Unis-Afrique, en décembre, le plaçant à côté de lui lors du dîner de gala, tandis qu’il faisait paraître dans le Washington Post un appel de Bazoum à une intervention contre son pays. Dans le même temps, l’Elysée et le Quai d’Orsay multiplient les déclarations guerrières.
Dans les lignes prêtées à Bazoum et transcrites par le journal relais habituel du département d’Etat américain, on peut lire « J’appelle le gouvernement américain et l’ensemble de la communauté internationale à aider à restaurer l’ordre constitutionnel », signant bien la tutelle américaine sur l’opération en cours.
Préparatifs de guerre : les signaux diplomatiques et logistique inquiétants
La semaine dernière, alors qu’aucune violence d’aucune sorte n’a été commise contre les expatriés occidentaux au Niger, Paris a fait procéder à l’évacuation des ressortissants français, Washington faisant de même ; une manœuvre qui participe non pas de la sécurisation des civils mais plutôt d’une démonstration de force et de crédibilisation des appels à la guerre lancés également depuis Paris et repris dans son officine régionale qu’est la CEDEAO.
Dimanche, Emmanuel Macron avait promis de répliquer « de manière immédiate et intraitable » si les intérêts français étaient attaqués. « Les Français n’ont aucune raison objective de quitter le pays », a répliqué le général en charge des autorités provisoires.
Dans le même temps, un blocus économique – à l’image de ce qui a été pratiqué contre le Mali ou le Burkina reprenant leurs indépendances en débarquant les dictateurs mis en place sous l’ombre de Paris et avec le soutien de Washington -, a été lancé sous l’égide de la CEDEAO.
L’organisation a déjà imposé de lourdes sanctions économiques au Niger, fermant des frontières (le Niger ne communique plus par voie terrestre ou aérienne qu’avec cinq pays amis ou neutres de la région), bloquant les transactions financières, ce qui a déclenché, déjà, de fortes inquiétudes sur les approvisionnements de Niamey, la capitale, où les prix montent en flèche. Les mêmes qui poussent des cris d’orfraie à la suspension de l’accord sur le transport de céréales par l’Ukraine n’ont ici aucun scrupule à affamer des millions de Nigériens.
Le Nigeria, qui fournit 70 % de l’électricité du Niger, a interrompu son approvisionnement, entraînant de nombreuses coupures. La Banque mondiale, qui a déboursé 1,5 milliard de dollars (1,37 milliard d’euros) d’aides au Niger en 2022, a annoncé la suspension des versements « pour toutes ses opérations et jusqu’à nouvel ordre ». Dans le même temps la France suspendait son « aide au développement ». Une aide dont on comprend bien ici que l’usage n’est pas le développement d’un pays dont les immenses richesses sont exploitées par les multinationales françaises, sans jamais lui avoir fait quitter les toutes premières places des tristes records de la faim et de la pauvreté dans le monde.
Déclaration guerrière et occupation occidentale
La CEDEAO emmenée par le Nigeria, pays aligné sur les USA, ne cesse d’escalader les déclarations guerrières. Posant un ultimatum à la date de dimanche, le Nigéria la Côte d’Ivoire et le Sénégal dont les régimes sont toujours alignés sur Paris, ont réuni leurs chefs d’état-major pour entamer des préparatifs militaires. C’est « le dernier recours, mais nous devons nous préparer à cette éventualité », a déclaré mercredi le commissaire chargé des affaires politiques et de la sécurité de la Cedeao à Abuja où se tenait jusqu’à ce vendredi une réunion des chefs d’état-major ouest-africains. Dans la presse française, le régime Macron a fait confirmer de façon informelle, par exemple par les propos du général Bruno Clément-Bollée dans Le Monde, ancien commandant des forces françaises en Côte d’Ivoire et consultant international sur l’Afrique, que ces déclarations martiales sont à prendre aux sérieux.
De fait, ni Paris ni Washington – en violation du droit international – n’ont programmé le retrait de leurs troupes militaires du Niger, qui, entre les contingents français et américains et ceux d’appui de l’Union Européenne, représentent déjà plusieurs milliers d’hommes très lourdement armés. Une ossature militaire qui de fait n’a guère besoin au plan des armes et de la troupe que du cache sexe de la prétendue intervention de la CEDEAO pour tenter une opération d’occupation du pays.
Ce paravent de la CEDEAO est d’autant plus grossier qu’il faut savoir que plus de 98% du financement des troupes africaines dites de maintien de la paix intervenant dans la région sous l’égide de l’Union Africaine provient en fait de l’Union Européenne. Comme on dit, qui paye les miliciens…
Ce samedi matin, la ministre des affaires étrangères du régime Macron, interviewée par la radio d’Etat, se répandait d’ailleurs en propos guerriers. Indiquant que, quoi qu’il arrive, le régime Macron ne compte pas retirer ses troupes. Ne pas retirer ses troupes d’un pays étranger qui a mis fin à des accords de coopération, cela a bien un nom. Est-il utile de le rappeler à ceux qui soutiennent en Ukraine une guerre sanglante, en appui du régime qu’il y ont installé lors du coup d’Etat de l’Euromaïdan en 2014 ?
L’ombre de Washington : l’intégration de l’axe impérialiste euro-atlantique
Les déclarations d’appel à la guerre lancées par le régime Macron ne sont d’évidence pas celles d’un impérialisme autonome. Si d’évidence l’impérialisme français et ses ressorts atroces de la Françafrique néocoloniale sautent aux yeux, il ne doivent pas masquer l’ombre de l’impérialisme américain. Ce n’est évidemment pas anodin que l’appel de Bozoum, publié dans le Washington Post, s’adresse à la Maison Blanche et non à l’Elysée. Bazoum est une pièce forte de l’échiquier impérialiste américain dans la région. Il était ainsi l’un des dirigeants mis en avant en décembre dernier lors du forum organisé en présence de Blinken à Washington, au coté du régime fantoche de Somalie.
Cela est à mettre en perspective avec l’absence d’autonomie militaire stratégique de l’armée française : cette dernière doit compter sur l’appui des chaînes logistiques américaines pour assurer son déploiement permanent dans le secteur. Transports des blindés et de la logistique, ravitaillement en vol des chasseurs bombardiers, appui à l’exploitation des drones Reaper de fabrication américaine, la tutelle américaine est indispensable au fonctionnement du corps expéditionnaire français dans la région, du moins dans le cadre d’opérations d’ampleur. L’armée américaine dispose de plusieurs bases importantes au Niger.
Ce n’est pas non plus un hasard si la tête de file de la construction d’une coalition guerrière régionale tournée contre les pouvoirs indépendants de Bamako, de Conakry ou de Niamey s’affiche au Nigeria.
N’est-ce pas là que le chef du régime Nigérian Muhammadu Buhari a demandé, alors qu’il était en réunion le 27 avril 2021 avec le secrétaire d’état américain Blinken, que l’état major de l’AFRICOM – actuellement positionné à Stuttgart – soit installé au Nigeria ? Ce n’est donc pas à partir des régimes les plus à la main de Paris – le Sénégal et, a fortiori, le Tchad – mais de ceux plus proches de Washington – le Nigeria mais aussi la Côte d’Ivoire – que s’organise la réplique militaire, dans laquelle le régime Macron apparaît de plus en plus comme réduit au rôle de troupe de choc.
L’Afrique indépendante en soutien de l’indépendance du Niger et de la paix
Guinée, Mali, Burkina ont immédiatement fait savoir leur solidarité avec le Niger, affichant clairement leur coopération militaire. Le Tchad voisin, dont le régime Débis est appuyé et conforté par Paris, sans aucun doute sous la pression de son peuple, affiche, lui, sa neutralité.
Surtout, l’Algérie affiche avec sérieux son refus de l’escalade militaire. De fait, ne faut il pas rappeler combien la guerre conduite par l’OTAN en Libye a profondément déstabilisé l’ensemble de la région et provoqué des rivières de sang ?
Un enjeu géopolitique pour l’axe impérialiste euro-atlantique plus qu’une simpliste mainmise sur l’uranium du pays par la seule France
Au carrefour de la bande sahélienne, ce n’est pas pour ses seules richesses minérales que Niger et Tchad attisent la convoitise des armées occidentales. C’est que, depuis Niamey, il est possible de tenir à portée de bombardiers et de drones l’ensemble du Sahel sous la menace des bombes. C’est aussi contrôler la liaison entre le Maghreb et les pays africains. Bref un enjeu géopolitique et militaire majeur pour les troupes d’occupation de l’impérialisme euro atlantique. Un impérialisme au sein duquel l’impérialisme français est sans aucun doute le plus agressif, et cela à mesure que son influence est de plus en plus réduite au rôle de violent supplétif du commandement américain.
Alors bien sûr l’exploitation de l’uranium si précieux pour les centrales nucléaires française est mis en avant. Mais cet arbre ne doit pas cacher une forêt bien plus inquiétante. L’uranium extrait au Niger est exploité depuis quarante ans par le groupe français Orano (ex-Areva), comme combustible pour les centrales nucléaires. EDF a en effet besoin de 8000 tonnes d’uranium naturel chaque année. Orano est détenu à 90% par l’Etat Français, et détient trois mines nigériennes principalement à Arlit, et Imouraren. Si la première est en voie d’épuisement, la seconde est une réserve stratégique puisqu’elle constitue l’un des plus grands gisements au monde. Cependant la production n’y est plus active depuis 2009. Par ailleurs, la France importe principalement son uranium du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan ainsi que d’Australie et de Namibie. Si le Niger n’est pas un fournisseur exclusif, il est cependant important dans la mesure où il était sous le contrôle de l’impérialisme français, à la différence du Kazakhstan ou de l’Ouzbékistan qui figurent dans la sphère d’influence de Moscou.
Agir en France pour défendre la paix
Dans ce contexte, il est urgent pour tous les français soucieux de paix, soucieux de ne pas voir utiliser l’armée française pour occuper à nouveau de façon coloniale un pays africain, d’intervenir pour s’opposer à toute intervention militaire. Oui, la paix doit prévaloir, tout comme un principe démocratique élémentaire : c’est aux Nigériens de décider souverainement de leur pouvoir politique. C’est donc à eux de s’occuper de leurs affaires. Certainement pas à des bataillons de soldats français de faire couler le sang pour maintenir au pouvoir Bazoum, l’héritier du régime Issouphou. Rappelons que ce dernier a été élu à l’issue d’un scrutin très contesté, à la faveur de votes prétendument acquis dans les campagnes où les taux de participation étaient affichés de façon record. Tandis qu’à Niamey, la capitale, il était nettement battu – son opposant recueillant près de 80% des suffrages. Un rapport d’observateurs indiquait : « Dans certaines communes des régions d’Agadez et de Tahoua, les délégués de l’opposition ont été menacés et chassés, parfois avec violence et armes à feu, en violation du principe de représentation des partis politiques au sein des bureaux de vote. Dans ces mêmes régions, les communes affichent des taux de participation hors norme allant jusqu’à 103,07% dans la commune de Timia. » Ce rappel est nécessaire pour qui confondrait la guerre imminente avec une opération de police des affaires démocratiques se faisant dans le cadre du respect du droit international et de la souveraineté des peuples.
Alors que les bruits de bottes ne cessent de gonfler au quai d’Orsay comme à l’Elysée, chacun peut entendre, à l’exception de l’appel lancé par le PRCF, le silence assourdissant des forces se réclamant de la gauche en France, à commencer par le PCF de Fabien Roussel, toujours aligné dans la pratique, notamment s’agissant de la guerre en Ukraine, sur l’OTAN dont il avait indiqué durant la présidentielle qu’il ne souhaitait pas en sortir…
JBC pour www.initiative-communiste.fr
* Par ex. l’un des dirigeants passés, hélas décédé, du PRCF était le prêtre-ouvrier nordiste Désiré Marle, ancien sidérurgiste CGT, toute sa vie professionnelle manoeuvre à la chaîne, militant antifasciste et anti-impérialiste inoubliable, fraternel et chaleureux de la classe ouvrière du Nord-Pas-de-Calais.