Alors que le peuple péruvien se mobilise en masse pour exiger la libération de son président Pedro Castillo, renversé par un coup d’État, la junge Boluarte déchaine l’armée qui a déjà tué plusieurs dizaines de manifestants. Ce dimanche, un premier rassemblement de soutien était organisé place de la République à Paris, par le comité France de Peru Libre. Dans un communiqué, également signé par le PRCF, le mouvement marxiste explique la situation. Javier Jara coordinateur national de Pérou Libre France a également bien voulu répondre à quelques questions d’Initiative Communiste.
Ce 17 décembre, alors que l’armée de Boluarte ensanglante chaque heure un peu plus le pays, les ministres de l’Éducation et de la Culture ont donné leur démission. Dans une escalade de la fascisation, la putchiste Boluarte a décrété un couvre feu dans 8 régions du pays et déployé l’armée avec ses armes de guerre pour réprimer le peuple. Le dernier bilan, partiel, fait état de 24 tués par la répression et plus de 250 blessés.
Ne manquez pas de suivre les développements de la situation en cours en suivant le compte twitter du PRCF
Communiqué de Peru Libre France et du PRCF
Depuis plusieurs semaines, de nombreuses manifestations et blocages frappent le Pérou suite à l’appel d’organisations indigènes, des syndicats agraires et ouvriers, des mouvements sociaux paysans, ainsi que d’une partie de la gauche.
Tous ont appelé conjointement à un mouvement de grève générale et illimitée depuis le mardi 13 décembre. La violence de la répression de ces mobilisations aurait fait au moins vingt morts dont trois adolescents âgés de 15 et 16 ans.
Les manifestants réclament la libération de l’ancien président Pedro Castillo, ex-membre du parti marxiste Pérou Libre, actuellement incarcéré pour une tentative de « coup d’État ».
Cette accusation survient après que ce dernier a tenté de dissoudre le congrès, assemblée majoritairement tenue par la droite conservatrice.
Dans plusieurs provinces, l’état d’urgence a été décrété, plus particulièrement dans l’Abancay. Plusieurs palais de justice ont été incendiés.
Les villes de Cusco dans le Sud-est, Trujillo Arequipa (deuxième ville du pays) sont particulièrement touchées par ces révoltes.
La capitale Lima et ses environs semblent pour le moment épargné.
À l’inverse, dans le Nord et le Sud du pays ainsi que les Andes se multiplient les actions : blocages d’aéroport, de routes, ou encore du Machu Picchu.
Que se passe-t-il ?
Le Pérou a pour particularité d’être monocaméral, c’est-à-dire que le pouvoir législatif n’est régi que par une seule assemblée/chambre dans laquelle se répartissent les élus des 26 circonscriptions ayant franchi le seuil des 5 %.
Le président actuel avait obtenu la présidence avec une très faible avance : 50,1% contre Keiko Fujimori, fille de l’ancien autocrate autoritaire Alberto. Cependant ce score ne lui permet pas d’acquérir la majorité au congrès.
Accusé d’une tentative de coup d’État après avoir voulu dissoudre le parlement, l’ancien président a été arrêté et remplacé par sa suppléante Dina Boluarte, ex-membre du même parti et de la même coalition qui l’a désavoué et a reconnu cette dissolution comme une tentative de coup d’État.
Après avoir remanié un gouvernement fourre-tout « d’union nationale » et nommé le procureur de centre-droit Pedro Angulo Arana en tant que premier ministre, l’ancienne vice-présidente devenue cheffe d’État, a pris la décision d’avancer à 2024 la date des prochaines élections initialement prévues en 2026.
Une mesure jugée insuffisante pour les partisans de Castillo qui demandent sa libération immédiate et son retour à la présidence.
Les chefs d’État du Mexique, d’Argentine, de la Colombie et de Bolivie lui ont apporté un soutien commun, estimant que le président arrêté alors qu’il tentait de rejoindre le Mexique, faisait face depuis le début de son élection en 2021 à un mouvement d’opposition « hostile et anti-démocratique ».
De son côté l’ONU se dit « préoccupée par le fait que la situation pourrait s’aggraver davantage » et appelle « toutes les personnes concernées à faire preuve de retenue ».
Pour essayer de comprendre de quoi il s’agit, revenons brièvement sur le contexte dans lequel interviennent ces événements.
Le Pérou est un pays de 33 millions d’habitants, c’est le troisième plus grand pays d’Amérique du Sud.
La majorité de la population est « métis » ou indigène, et 15 % serait blanche ou en tout cas d’ascendance très majoritairement européenne. Les cultures de différents peuples indigènes y sont profondément ancrées. Le Quechua est la seconde langue après l’espagnol et représenterait plus de 13% de locuteurs.
Les secteurs phares de l’économie péruvienne sont l’agriculture (avocats, cacao, café, la pêche, deuxième producteur mondial derrière la Chine) et le secteur minier (plomb, cuivre, or, fer zinc, phosphates etc…).
Le pays a traversé de nombreuses crises et été en proie à une situation de guerre civile durant les années 80 et 2000 opposant des guérillas au régime. Ce conflit aurait causé la mort de 70 000 personnes en l’espace de vingt ans.
À l’issue de ce conflit, le Pérou se retrouve encore plus fragilisé par des années d’ingérences et de politiques libérales. Il est également marqué par la brutalité et la corruption d’Alberto Fujimori, condamné pour de multiples atteintes graves à l’encontre des droits de l’homme.
S’ensuivent des décennies d’instabilité politique marquées par une succession de chefs d’État inefficaces et tous frappés par des scandales de corruption dont le plus récent est lié à l’affaire du géant brésilien Odebrecht. Depuis 2016, on dénombre trois présidents différents qui se sont succédé, et donc une instabilité politique grandissante.
À la sortie du Covid, l’INEI estime que 3,6 millions de péruviens ont quitté la classe moyenne en 2020. Aujourd’hui, avec l’inflation, 16,6 millions des habitants vivent dans la pauvreté et un quart du pays serait en insécurité alimentaire “modérée” (rapport Banque Mondiale).
C’est dans ce contexte qu’a été élu Castillo.
Instituteur issu d’un milieu très pauvre, en décalage total avec les élites de Lima.
Son ascension politique commence avec un mouvement social au sein de l’éducation nationale.
Il plaide notamment la nationalisation des ressources, l’aide pour les plus précaires, et une réforme législative globale, estimant la dernière constitution en date de 1993 comme largement défavorable à la population, creusant les inégalités dans un pays particulièrement pauvre.
Sa destitution pour « incapacité morale », a été diffusée en direct à la télévision, approuvée par 101 parlementaires dont 80 de l’opposition sur 130 pour “conspiration et rébellion ».
Les accusations de corruption à son encontre paraissent cependant hypocrites alors que 60 parlementaires du congrès sont actuellement poursuivis et font l’objet d’une investigation pénale et fiscale (source France Info).
Cette procédure a déjà permis la démission des deux anciens présidents de droite Martín Vizcarra, puis Pedro Pablo Kuczynski en 2018 et 2020.
Si la corruption est à l’échelle de toute la classe politique un fléau endémique, il est important de préciser que la marge de manœuvre du président pour lutter contre la corruption et mettre en place sa politique sociale est largement restreinte par le congrès.
Une fois encore, comme dans toute l’Amérique du Sud, nous assistons à une polarisation entre gauche anti-impérialiste et libéralisme, sur fond d’influence américaine.
Un récent sondage réalisé en Novembre fait état d’un mécontentement et d’un rejet massif de la part des péruviens à l’encontre de la politique du congrès, partagé par plus de 86% de la population. (Source Le Temps)
Si l’impérialisme américain se réjouit de la décision du congrès, l’ancien président bénéficie visiblement d’un soutien très fort notamment chez les communautés indigènes et les classes populaires.
À lire : Coup d’État contre le président élu, Pedro Castillo, au Pérou
Entretien avec Javier Jara coordinateur national de Pérou Libre France.
Initiative Communiste s’est entretenue avec Javier Jara, coordinateur national de Pérou Libre France.
I.C. : le 28 juillet 2021, Pedro Castillo a été investi Président de la République du Pérou. Quel a été le rôle de Pérou Libre ?
JJ : C’est à l’initiative de Pérou Libre que Pedro Castillo a été proposé comme candidat. C’est un ancien syndicaliste professeur des écoles.
I.C. : Il y a deux députés de Pérou Libre en poste : Margot Palacios, élue d’Ayacucho, -Sud- et Jaime Quito, député d’Arequipa, ville coloniale du sud, 2ème ville du Pérou.
JJ : Je dois préciser qu’au départ, Perú Libre comptait 37 députés mais les évènements de septembre ont amené le Président à faire des compromis électoraux.
I.C. : Aujourd’hui, après avoir proposé au « Congrès », -Chambre des députés et des sénateurs-sous la pression de l’opposition, la dissolution du Congrès, le Président a été arrêté et emprisonné. Peux-tu commenter ?
JJ : Le Congrès l’accuse d’avoir fait un coup d’État alors qu’en réalité, il n’en est rien. Il n’a pas de défense juridique et depuis le 16 décembre il est incarcéré avec les prisonniers de droit commun.
I.C. : C’est fréquent au Pérou, déjà en 1987, Amnesty International dénonçait le fait que l’on place les prisonniers politiques avec les prisonniers de Droit commun.
JJ : Ils n’ont pas respecté son immunité présidentielle comme le stipule la Constitution du 29 décembre 1993, autrement dit il y a 29 ans.
I.C. : Le peuple qui l’a élu démocratiquement a réagi, non ?
JJ : Le contexte est le suivant : Pedro Castillo s’est imaginé qu’il s’agissait d’une simple destitution et croyait que les forces armées étaient avec lui.
I.C. : Au Mexique, au Nicaragua, au Vénézuela, les gouvernants s’appuient sur l’armée d’où la difficulté à laquelle était confrontée P. Castillo. Et puis si on regarde de plus près, c’était déjà le cas dans de nombreux pays : la vice-présidente Cristina Fernández en Argentine, la persécution médiatique, législative et judiciaire qui a démis Dilma Roussef au Brésil et emprisonné le président à peine élu Luiz Inácio Lula da Silva ; la destitution de Fernando Lugo au Paraguay, le coup d’État au Honduras contre José Manuel Zelaya, et enfin celui contre Evo Morales en 2019.
JJ : En effet, et au Pérou c’est Dina Bouluarte, vice-présidente qui s’est octroyée le droit de la prise de pouvoir alors qu’elle était exclue de Pérou Libre pour ses comportements arrivistes et de haute trahison. En juin dernier, elle a fait un discours aux côtés du président Castillo, dans lequel elle promettait de suivre le Président quoi qu’il lui arrive, c’était à Juliaca-Puno au Sud. En fait, elle a trahi le peuple. Elle a fait l’objet d’un chef d’accusation contre elle pour corruption avec le Coup d’État, elle a réussi à entériner l’affaire.
I.C. : Il a demandé l’asile politique au Mexique, tu en sais davantage, Javier ?
JJ : Lorsqu’il a réalisé que c’était un Coup d’État, il sortait du Palais Gouvernemental -Plaza de armas-, les mafieux introduits dans la police l’ont encerclé, braqué avec des mitraillettes et détenu, sans qu’il y ait eu la moindre décision du Congrès, autrement dit arrestation arbitraire d’un Président en exercice.
I.C. : Des manifestations dans tout le pays s’acheminent vers Lima, la capitale. Mais la presse corrompue donne l’interprétation éhontée d’une révolte contre la dictature de Castillo.
JJ : C’est ça, la presse a reçu 180 millions de soles- 1 Euro = 4 soles- pour couvrir les faits en les manipulant.
I.C. : Et Dina Balouarte ?
JJ : Elle a autorisé les militaires et la police à tirer sur le peuple à bout portant. En date d’aujourd’hui, on recense plus de 22 morts et 180 disparus.
I.C. : Tu as une idée des suites du mouvement ?
JJ : Le peuple est très remonté et déterminé. Il exige la libération immédiate de Pedro Castillo, et qu’il soit reconnu dans ses droits en tant que Président. D’autre part, ils exigent la fermeture officielle du Congrès, qu’ils qualifient de néfaste et de narco-congressistes. Ils refusent l’idée d’une nouvelle élection et s’opposent à tout gouvernement issu du Coup d’Etat, un gouvernement marionnette qui tue le peuple, pille l’argent du peuple et s’en sert pour acheter la presse, qui outre le fait qu’elle soit corrompue, désinforme. Ils ne croient pas à une nouvelle consultation ou vote, car la ONPE-Organisme National Péruvien des Élections- est tronqué ainsi que le JNE-Jury National des Élections- vendu aux forces réactionnaires qui soutiennent le Coup d’État.
I.C. : Je te remercie Javier, au nom de la Commission Internationale du PRCF de m’avoir accordé de ton temps pour cet entretien destiné à www.initiative-communiste.fr
JJ : C’est moi qui vous remercie, au nom de Perú Libre et je veux vous dire combien j’apprécie nos liens de Solidarité Internationale.
Javier Jara est agriculteur de formation, il travaillait à la marine marchande, il réside à Montpellier et soutient de toutes ses forces le gouvernement de Pedro Castillo démocratiquement élu.
Pour tout contact, sa page Web : moringalindavida.com
Antoine LUCI, pour I.C
Oficio 617 – Comision Internacional de Derechos Humanos ok (1)[R]