Depuis sa victoire aux élections, une véritable campagne internationale est menée contre Rodrigo Duterte par la presse occidentale. Autoritarisme, populisme etc. les critiques ne manquent pas, mais ce n’est évidemment pas cela qui motive les attaques. Les capitales occidentales se satisfaisant très bien des dictateurs les plus rétrogrades et féroce – tel les pétromonarchies du golfes – pour peu que cela soit leurs dictateurs.
Roberto Duterte a annoncé vouloir reprendre le processus de négociations de paix avec les communistes et libérer les prisonniers politiques, alors que la répression anti communiste a déjà causé des dizaines de milliers de morts. Il propose de confier les ministères du travail, de la réforme agraire de la santé et de l’environnement au parti communiste.
On comprend mieux la campagne de presse lancée contre le président élu des Philippines, un pays écrasés pendant des décennies sous la botte de fer du dictateur pro US Marcos.
Philippines : Docteur Duterte ou Mister Rody ? Pas si simple
Phillippe RIVELLIPhoto : Philippe RevelliDans quelques jours, Rodrigo Duterte, le nouveau président des Philippines prendra ses fonctions. Que savez-vous de lui ? « Une sorte de Le Pen tropical, adepte d’une justice à la tronçonneuse », répondent à la question tous mes copains, pourtant de gauche. Faut dire que l’image qu’en véhiculent les médias hexagonaux ne laisse guère place au doute. Raison de plus pour y regarder à deux fois.
Le lundi 9 mai 2016, les philippins élisaient un nouveau président pour les six années à venir (élections à un tour) et les députés à l’Assemblée nationale.
Résultats :
1) Rodrigo Duterte (PNB-Laban) : 39,01% / 16,6 millions de voix
2) Mar Rojas (Parti Libéral soutenu par le président sortant) : 23,45% / 9,9 millions de voix
3) Grace Poe (candidate indépendante) : 21,39% / 9,1 millions de voixQu’en dit la presse française ?
Une recherche sur les sites Internet du Monde, du Figaro, du Nouvel Obs et de Libération, en entrant les mots clé « Duterte » et « Philippines » me donne les titres d’articles suivants :
- « Violent, misogyne et bientôt président ? » (Nouvel Obs du 26/04/2016, à la veille du scrutin présidentiel).
- « Sulfureux, meurtrier, populiste : portrait du nouveau président des Philippines » (Le Figaro du 10/05).
- « Le Trump philippin s’impose à Manille » (Le Monde du 10/05).
- « Dix sorties du président philippin qui font de Trump un enfant de chœur » (Nouvel Obs du 10/05).
- « Duterte Harry s’empare de la présidence philippine » (Libération du 10/05) – référence à Dirty Harry, héros à la gâchette facile du jeu vidéo du même nom ; le chapô de l’article met les points sur les « i » : « Après une campagne outrancière et violente, le candidat démagogue du sud s’apprête à succéder à Benigno Acquino III ».
Pas un seul article positif ou simplement neutre.
Duterte // Trump
Le parallèle est rabâché à longueur de colonnes alors que :
– Duterte n’est pas un milliardaire et n’est pas issu du sérail des grandes familles philippines qui ont la main mise sur les affaires et la politique.
– Duterte est maire de Davao depuis près de trois décennies
– Trump n’a jamais exercé le moindre mandat électoral – et c’est en connaissance de cause que 80 % des électeurs de Mindanao ont voté pour lui.
– Duterte s’affirme de gauche et déclare vouloir mener une politique de réduction de la pauvreté… ce n’est pas vraiment au programme de Donald Trump.
Même quand Duterte se déclare favorable à l’éducation sexuelle et à une sensibilisation à la contraception à l’école, une position progressiste et courageuse dans un pays à 90 % catholique, le Monde du 31/05/2016 se débrouille pour titrer : « Le futur président se met l’église à dos ».
Et la presse d’outre-Atlantique n’est pas plus tendre.
Alors oui, c’est vrai, Duterte n’est pas un ange, il n’a guère d’estime pour les organisations de défense des droits humains et ne s’en cache pas.
Oui, il a favorisé et couvert l’action d’escadrons de la mort et leurs opérations de « nettoyage social » à Davao.
Oui, il est favorable au rétablissement de la peine de mort.
Oui, il raffole des sorties fracassantes – fin mai, il déclare en substance que les journalistes corrompus qui se font buter l’on bien cherché *.
Oui, on l’a surnommé « The Punisher »… mais il serait réducteur de s’arrêter là.Troisième plus importante agglomération du pays, Davao est située dans l’île de Mindanao, au sud de l’archipel des Philippines. Le territoire de la commune, d’une superficie de près de 300 km2, dispose d’importantes ressources agricoles et minières. C’est aussi l’un des bastions des guérilleros de la NPA (Nouvelle armée du peuple), bras armé du Parti communiste des Philippines.
Élu maire de Davao en 1998, Rodrigo Duterte est, depuis, resté aux commandes de la ville (se contentant de céder son poste de maire à sa fille, pour la durée d’un mandat, et le reprendre aux élections suivantes).
Sous son administration, l’épandage aérien de pesticides sur le territoire de la commune a été interdit – au grand dam des compagnies bananières qui y opèrent de grandes plantations.
Plus récemment, c’est l’exploitation minière à ciel ouvert qui a été bannie par décret municipal – alors que plusieurs gros projets miniers (or) avaient été approuvés par le ministère des mines.
En 2015, Duterte a pris position en faveur des écoles communautaires indigènes – que l’armée considère comme des nids de communistes et de guérilleros – alors que le ministère de l’éducation nationale prétendait les fermer.
Avec la guérilla du NPA, Duterte entretient des relations basées sur un respect mutuel : en juillet 2015, après la mort de Ka Parago, un des principaux chefs guérilleros, Duterte avait autorisé la tenue de funérailles publiques à Davao.
Et dès sa victoire aux élections présidentielles connue, Duterte a réaffirmé vouloir donner quatre ministères à la gauche – la vrai gauche, celle qui se situe dans la mouvance du Parti communiste philippin, et pas de n’importe quel ministères : du travail, de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et des ressources naturelles -, libérer les prisonniers politiques et relancer le processus de paix avec les insurgés de la guérilla communiste.
Le nouveau président prendra ses fonctions ce Jeudi 30 juin mais, d’ores et déjà, une rencontre a eu lieu, aux Pays-Bas, entre les émissaires du futur gouvernement et José-Maria Sison ** et d’autres dirigeants du mouvement insurgé d’obédience communiste. La reprise des négociations est annoncée pour la mi-juillet, à Oslo (Norvège). Et l’on sait que le prochain ministre de l’agriculture sera Rafael Mariano, dirigeant du KMP, la principale organisation paysanne des Philippines, qui entend mener à bien une vaste réforme agraire.
Faudra bien sûr juger sur pièces, mais cette face-là du personnage méritait peut-être quelques lignes dans la presse française, non ?
Philippe Revelli
Sur la photo qui illustre cet article, Rodrigo Duterte s’apprête à monter dans un hélicoptère après avoir rencontré la guérilla et « pris livraison » d’un prisonnier de guerre libéré par la NPA.
* La réaction indignée de Reporter Sans Frontières, appelant à boycotter les conférences de presse du nouveau président, a reçu un accueil très mitigé de la part des journalistes professionnels philippins, qui ont réaffirmé leur attachement à faire leur travail, y compris pour rendre compte de déclarations présidentielles plus que contestables.
** Quand il était étudiant à l’Université Nationale, Rodrigo Duterte a suivi les cours d’un certain José-Maria Sison, fondateur du Parti communiste des Philippines et aujourd’hui exilé aux Pays-Bas. Les relations entre les deux hommes sont, depuis lors, demeurées cordiales.