A une semaine de l’élection présidentielle au Brésil qui prédit un second tour en le fasciste Bolsonaro et l’ancien président Lula, Initiative communiste vous propose un entretien exclusif avec Sofia Manzano, la candidate déclarée du Parti communiste brésilien (PCB). Très actifs dans le combat contre la politique et le régime fascisants du Brésil de Bolsonaro, mais aussi dans le soutien aux classes populaires détruites par des années de capitalisme néolibéral agressif, à l’image des paysans pauvres, des travailleurs du secteur public, des jeunes ou encore des Noirs. Une candidature d’autant plus bienvenue et courageuse que Bolsanaro, franc partisan de la dictature militaire passée, a mené une violente politique anticommuniste dès son arrivée au pouvoir, comme en témoigne l’expulsion des médecins cubains des déserts médicaux où ils s’étaient implantés pour secourir les plus pauvres.
Face au fasciste Bolsanaro et alors que Lula pactise avec le chef de la droite conservatrice catholique, Geraldo Alckmin, la candidature de Sofia Manzano est une bouffée d’oxygène pour les classes populaires et offre une véritable alternative pour les travailleurs et les forces progressistes du Brésil. Puisse la camarade Sofia Manzano obtenir le meilleur résultat possible et permettre de toucher au maximum les masses dans l’indispensable combat pour la perspective socialiste au Brésil !
Initiative communiste (IC) – Quel est le bilan du mandat de Bolsonaro pour la classe ouvrière et le peuple brésilien ?
Sofia Manzano (SM) – Le gouvernement d’extrême droite du fasciste “agit-prop” Jair Bolsonaro a mené et approuvé au Congrès National un ensemble de contre-réformes responsables de la destruction du travail, en supprimant tout le système de protection au travail, en jettent la classe ouvrière brésilienne dans le secteur informel et en aggravant la précarisation prononcée des conditions de travail : les salaires sont payés par jour et par heure, sans aucune protection liée à la retraite ! Cette logique destructrice du travail social a accéléré les politiques de désarticulation du système de protection sociale, en empêchant que les travailleur-e-s puissent demander la protection concernant la période au cours de laquelle ils auraient le droit à la retraite. En outre, les travailleur-es- du secteur public ont été attaqué-e-s avec la suppression de leurs droits, les coupes dans le budget public (notamment dans l’éducation et la santé), les attaques contre les Universités publiques et la Science et la Technologie, en désorganisant la recherche scientifique au Brésil.
Bolsonaro mène un ensemble de forces de droite néo-fascistes, néonazies, réactionnaires et obscurantistes qui ont mis en péril les libertés démocratiques et la “normalité” institutionnelle, avec le soutien des fractions de la bourgeoisie rentière, de l’“agrobusiness”, du secteur bancaire et des secteurs de la bourgeoisie industrielle brésilienne. Sa base sociale d’extrême droite est composée des secteurs de la classe moyenne qui reçoit de gros salaires, une partie importante des secteurs religieux néo-pentecôtistes, des segments de l’armée et des agents des milices liés au crime organisée.
Avec Bolsonaro, la famine a augmenté, la misère a frappé une population de 33 millions de personnes, l’accès aux services publics a été dramatiquement réduit, le chômage a avancé énormément, la population noire et pauvre des plus diverses banlieues est attaquée sans cesse. De plus, les violences policières, le racisme et les féminicides ont contribué à l’augmentation de la mortalité de la jeunesse noire et de la population LGBT.
En réalité, le pays est entré dans le chaos social et la violence politique. Les invasions des territoires indiens et la destruction environnementale grandissent et les assassinats des “quilombolas” – communauté formée par les esclaves en fuite dans des régions reculées – des Indiens et des militants politiques avancent.
IC – Pourquoi le PCB a-t-il décidé de présenter un candidat indépendant ?
SM – Le PCB , qui a fêté ses 100 ans en mars dernier, ne pouvait pas laisser passer l’opportunité de présenter à la classe ouvrière et au peuple brésilien un projet ancré dans la lutte populaire et dans la perspective du socialisme. Dans un moment où nous considérons que la classe laborieuse vit un processus de politisation, nous voulons être dans les rues, dans les parcs publics, dans les écoles et les universités, dans les banlieues, à la campagne et dans les petits villes, en discutant le projet qui intéresse les travailleur-e-s en faveur d’une transformation révolutionnaire. Pourtant, ce projet doit inclure, évidemment, une médiation tactique pour faire face aux luttes immédiates de la classe laborieuse. Présenter le projet émancipateur, y compris par des médiations tactiques, est justement la raison la plus importante de notre candidature à la présidentielle. En effet, le projet de conciliation de classe mené par Lula/PT ne permet pas ce débat et cette mouvance.
IC – Quelles sont les principales propositions du PCB pour l’élection ?
SM – D’abord, il faut affirmer que notre lutte vise à établir un pouvoir populaire et s’inscrit dans la perspective socialiste. Mais dans le cadre de l’élection, nous devons avoir un programme qui puisse satisfaire la classe ouvrière et ses besoins les plus immédiats. C’est pourquoi notre campagne a trois piliers centraux :
1- Contribuer à la réorganisation de la classe ouvrière, qui a eu ses structures autonomes (les syndicats, les mouvements, etc.) cooptés par la politique conciliatoire du PT, pour la mettre au centre de la lutte de classes, de manière indépendante vis-à-vis des intérêts de la social-démocratie brésilienne.
2- Forcer la gauche démocratique libérale à assumer les compromis avec la classe laborieuse, et non avec la bourgeoisie.
3- Présenter des demandes immédiates qui animent la classe ouvrière, très particulièrement la jeunesse, pour encourager la lutte et l’organisation politiques. Des mesures telles que : la réduction de la journée de travail sans réduction salariale ; la reforme foncière que combat l’“agrobusiness” ; le rétablissement des services publics d’enseignement et de la santé en embauchant les professionnel-le-s sur concours ; l’étatisation des entreprises stratégiques de l’énergie – minerais et pétrole.
IC – Quelles sont les principales critiques faites au PT et au duo Lula-Rousseff ?
SM – Nous pouvons faire une liste de questions témoignant de la capitulation des gouvernements “burgo-petistes” vis-a-vis la politique de conciliation de classes. Certes, ces gouvernements ont eu des actions publiques : même en apportant des ressources au secteur privé, ils ont intégré plusieurs jeunes dans l’enseignement universitaire et ont construit une quantité significative d’habitations sociales pour les populations pauvres.
Cependant, ce même gouvernement a beaucoup contribué à l’affaiblissement de la classe ouvrière, en transférant de façon scandaleuse des ressources publiques au secteur rentier via le mécanisme de la dette publique ; en adoptant le décret dit de “La Loi et l’Ordre”, décret que Bolsonaro a appliqué pour poursuivre les militant-e-s sont en lutte pour défendre notre classe.
IC – Quelles sont perspectives pour le PCB et la classe ouvrière si Lula est réélu ?
SM – Le PCB ne participera pas à un éventuel gouvernement Lula : en 2023, nous serons là où nous avons toujours été, au côté de la classe ouvrière et de ses luttes. Le bolsonarisme ne sera pas éliminé par la probable victoire de Lula. Nous devons agir avec détermination et discipline dans la lutte des classes.
En outre se posent d’autres questions : y aura-t-il une réforme foncière qui affronte l’“agrobusiness” ? Comment le gouvernement va-t-il mener le budget de l’Éducation et de la Santé publiques ? Sans oublier le sujet de l’avortement avec Lula a la tête du gouvernement.
En réalité, le scénario politique d’un probable gouvernement Lula génère plusieurs préoccupations. D’abord, quel sera le rôle de la bourgeoisie dans l’appareil de l’État (représentée par Geraldo Alckmin, catholique conservateur désigné comme le vice-président de la coalition menée par Lula), au-delà des coalitions qu’il a faites pour se présenter en tant que candidat, face à la crise sociale vécue par le pays ? Deuxièmement, quelle sera la base d’appui pour les élections législatives ? Et, troisièmement, quelle sera la position du nouvel gouvernement face aux contre-réformes récentes et aux lois comme celles limitant les dépenses ou ayant débouché sur la privatisation de plusieurs entreprises stratégiques du pays ?
Face à ce cadre conçu Lula, le PT et ses alliés, nous ne percevons pas un scénario favorable pour la classe ouvrière : au contraire, nous ne doutons pas que la “démocratie” et la normalité institutionnelle bourgeoises seront préservées.
IC – Quelle est la position du PCB en ce qui concerne la guerre entre l’OTAN et la Russie en Ukraine ?
SM – Ma position à propos de cette guerre reflète la position du PCB. La guerre de l’Ukraine consacre l’épuisement des négociations diplomatiques pour résoudre le conflit incluant l’Ukraine elle-même, la Russie et l’OTAN. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN menacerait gravement la sécurité de la Russie, comme l’explique son gouvernement. L’enjeu central est la pression que le gouvernement des États Unis pratique auprès des pays membres de l’OTAN pour développer cette organisation militaire vers les pays frontaliers avec la Russie, y compris l’Ukraine. L’OTAN est installée déjà dans 14 pays de la région, depuis la chute de l’URSS, avec l’intention très nette d’encercler la Russie et de contrôler le renforcement international du Bloc China-Russie. Celui-ci joue le rôle d’un contrepoids à l’impérialisme états-unien et ses alliés qui veulent saboter le gazoduc North Stream 2. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN offrirait la possibilité d’installer, dans ce pays, des missiles à moyenne portée et des ogives nucléaires, ce qui est inacceptable pour la Russie, au nom d’une prétendue “sécurité stratégique”. Depuis l’avènement de la crise mondiale de 2008, on observe le poids croissant de la Chine dans le monde, et, dans une moindre mesure, de la Russie : cela révèle les contradictions chaque jour plus fortes au sein du bloc impérialiste occidental ainsi que le déclin des États Unis comme puissance absolue.
Nous devons aussi considérer l’hégémonie croissante de l’impérialisme de l’Allemagne sur le bloc de l’OTAN et les impasses de cette alliance inter-impérialiste. Dans ce sens, les rapports économiques et politiques de la Russie avec certains pays d’Europe, depuis les dernières décennies, intensifie les contradictions inter-capitalistes à l’intérieur de l’OTAN.
D’une façon cynique, et même devant tant des actes de guerre et de sabotage à la paix mondiale, les États-Unis imputent exclusivement à la Russie la responsabilité du bellicisme dans la région – et ce, malgré les innombrables guerres menées par l’impérialisme états-unien et ses alliés en Afghanistan, en Libye, au Irak ou en Syrie, qui ne sont que quelques exemples des guerres de proie récentes menées par le bloc otanien pour maintenir ses propres intérêts politiques et économiques au niveau mondial.
La fin de l’ URSS aurait dû entraîner l’extinction de l’OTAN ; mais ce qu’on observe, c’ est l’avancée belliciste de l’impérialisme états-unien qui, avec sa phraséologie hypocrite sur la paix, maintient plus de 700 bases militaires dans presque tous les continents, y compris en Amérique latine, au-delà des structures d’intelligence actives partout dans le monde entier.
La Russie actuelle n’est plus l’URSS d’autrefois, socialiste, qui a jeté par terre les innombrables et profondes conquêtes des travailleurs soviétiques. Aujourd’hui, la Russie est un pays capitaliste, dont le gouvernement a des prétentions expansionnistes et qui réprime fermement les mouvements sociaux. Les intérêts des bourgeoisies états-unienne et russe sont évidents dans cette lutte pour le partage du monde capitaliste et la guerre n’intéresse pas du tout aux travailleurs. Donc, nous dénonçons les actions de l’impérialisme états-unien, qui a livré la région au fascisme et à la Réaction, avec l’objectif de consolider son influence globale.
Surtout, nous appelons tous les travailleurs de pays membres de l’OTAN à lutter pour la sortie de leurs pays de cette alliance inter-impérialiste pour le partage du monde : sans la dissolution de l’OTAN, un futur de paix pour l’humanité devient inconcevable.
L’unique solution pour résoudre ce conflit, loin d’être fini, inclut la lutte autonome de la classe laborieuse mondiale contre l’impérialisme des États-Unis, de l’OTAN et du système capitaliste tout entier. Aucune bourgeoisie d’aucune nation du monde ne peut apporter la paix aux exploités et aux opprimés. Et surtout, nous considérons que la classe ouvrière ukrainienne doit s’organiser pour liquider une fois par toutes le régime néo-fasciste afin d’établir un pouvoir populaire, autodéterminé et socialiste, hostile à toute intervention étrangère. Nous plaidons pour le renforcement de l’unité des travailleurs russes et ukrainiens pour surpasser le capitalisme et marcher vers le socialisme dans ces pays, et exhortons les travailleur-e-s de tous les pays à construire la Révolution Socialiste Internationale !
BIOGRAPHIE DE SOFIA MANZANO
Sofia Manzano est née le 19 mai 1971, dans la ville de São Paulo, SP. Elle a vécu à Guarulhos pendant son enfance et a ensuite déménagé avec sa famille dans une ferme de la zone rurale de la ville de Santa Isabel, dans la région métropolitaine de São Paulo. Elle a suivi le cycle de l’éducation de base entre l’école publique et les institutions privées à São José dos Campos et Santa Isabel. Elle est revenue vivre dans la ville de São Paulo en 1988.
Mariée, elle a un fils de son premier mariage. Musicienne, elle joue du piano et de la flûte. En 1989, elle a participé en tant que flûtiste à l’enregistrement d’un album intitulé « Zimbo Trio e as crianças ». Elle a fait des études spécialisée dans la littérature russe du XIXe et du début du XXe siècle.
Elle est titulaire d’une licence en sciences économiques de PUC/SP, d’un master en développement économique de l’Institut d’économie de l’Unicamp et d’un doctorat en histoire économique de l’USP. À São Paulo, elle a fait partie du conseil d’administration de l’Institut Luiz Gama (ILG). Première place d’un concours public pour enseigner l’économie à l’UESB (Universidade Estadual do Sudoeste da Bahia), elle s’installe à Vitória da Conquista, à Bahia, en octobre 2013. Aujourd’hui, elle développe des recherches sur le marché du travail et les inégalités sociales dans le capitalisme. Auteur de plusieurs articles scientifiques publiés au Brésil et à l’étranger, elle a publié le livre Économie politique pour les travailleurs (São Paulo, ICP, 2e édition, 2019), à nouveau épuisé.
Elle a commencé à militer au sein du PCB en 1989, pendant la campagne présidentielle de cette année-là. En 1990, encore très jeune, elle participe au soutien des délégations de syndicalistes qui décident, lors d’une conférence historique à Praia Grande (SP), la désaffiliation du mouvement syndical commandé par le PCB à la CGT et approuvent l’affiliation à la CUT. Elle a participé à tous les congrès de ce parti depuis le 9e congrès en 1991. A partir de 1992, elle fait partie du Comité central de la reconstruction révolutionnaire du PCB.
Outre son militantisme dans la Reconstruction Révolutionnaire du PCB, à partir de 1992, avec d’autres jeunes communistes, Leandro Alberto par exemple, elle réorganise l’Union de la Jeunesse Communiste (UJC), dont elle occupe la présidence. Toujours dans cette organisation, et également à partir de 1992, elle a eu un travail important de rétablissement des contacts internationaux des communistes, sous l’impulsion des mouvements de jeunesse communistes dans plusieurs pays qui promouvaient également leurs ajustements de comptes avec les différentes scissions réformistes dans le mouvement communiste et dans les partis communistes. Pour cette tâche, Elle a voyagé en Colombie, en Argentine, au Portugal, à Cuba, toujours dans les années 1990. Au Portugal, où elle avait été deux fois chargée de cette tâche au cours de cette décennie pour les activités politiques de l’UJC,elle a participé en février 1995 à la réunion du FMJD qui cherchait à réorganiser cette instance de la jeunesse démocratique et révolutionnaire. A cette occasion, elle a assurée la permanence de l’UJC au sein du Conseil général du FMJD.
Du point de vue des tâches internationales du mouvement de la jeunesse révolutionnaire, en tant que dirigeant de l’UJC, elle a participé à l’organisation de la délégation brésilienne au XIVe Festival mondial de la jeunesse qui a eu lieu à Cuba en juillet 1997, ainsi qu’à l’opération du Cône Sud pendant le Festival. Dans le mouvement étudiant, elle a été un dirigeant du Centre académique Leão XIII, à la PUC, ayant participé à plusieurs congrès de l’UNE dans les années 90.
Dans le mouvement syndical, alors qu’elle travaillait dans l’enseignement supérieur privé, à São Paulo, elle faisait partie de la base de Sinpro – SP. Depuis 2013, elle a rejoint la base de l’Association des enseignants de l’université d’État du sud-ouest de Bahia, ADUSB, section syndicale de l’ANDES. Elle a été vice-présidente de l’ADUSB entre les années 2015 et 2016. En 2015, elle a rejoint la direction = de la grève des universités de l’État de Bahia, participant aux tables de négociation avec le gouvernement de l’État. Une grève importante qui avait pour ordre du jour la défense de la carrière d’enseignant, l’augmentation du budget des universités publiques et le soutien aux programmes de permanence des étudiants.
Elle fait partie de l’Unité de classe et constitue la Fraction nationale de l’UC dans les Andes-SN. Ainsi, elle a régulièrement participé aux congrès de ce syndicat ainsi qu’au mouvement syndical de la base. En 2014, elle a intégré la liste du PCB, dirigée par Mauro Iasi, à la vice-présidence.
Aujourd’hui, elle est la candidate du PCB à la présidence de la République.