« Plus grande démocratie musulmane ». C’est souvent par ces termes caricaturaux sonnant faux qu’est dépeinte dans les médias occidentaux l’Indonésie. Une image éloignée de la réalité de ce très grand pays de 270 millions d’habitants, la 4e population mondiale, membre du G20. En-effet 60 ans après le génocide anticommuniste de 1965 – qui a installé jusqu’en 1998 l’horrible dictature de Suharto renversée au cœur de la crise économique des pays asiatique par des manifestations étudiantes et populaires – la gauche est toujours écartée de la politique, en raison du maintien des lois anticommunistes qui frappent évidemment l’ensemble du mouvement populaire. Dans ce pays riche, les inégalités sont écrasantes et la misère terrible. Le revenu mensuel moyen y est d’à peine 192 $ alors que le PIB y est de plus de 4300€/habitants. L’Indonésie compte une cinquantaine de milliardaires et des dizaines de milliers de millionnaires. Pays émergeant, ces dernières années l’Indonésie avait tenu une trajectoire profitant du développement apporté par la Chine mais en maintenant ses liens avec les Etats-Unis fortement implantés dans l’archipel depuis l’installation de la dictature de Suharto en 1965 que ce soit au niveau économique, politique et militaire.
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Alors que l’Indonésie est frappée depuis le choc du Covid par la crise économique généralisée du capitalisme mondialisé, les conditions économiques des classes populaires se sont dégradées. En raison du chomage et de l’inflation. Sans être effacés par les grands projets d’infrastructures, appuyés par la Chine, qui sont à mettre au crédit des deux mandats de Jokowi. Les mobilisations populaires se développent, notamment dans les banlieues ouvrières de Jakarta qui regroupe une classe ouvrière forte de dizaines de millions d’ouvriers et employés.
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C’est dans ces conditions que se tiennent ce 14 février 2024 les élections présidentielle et générales. Le président en exercice, Jokowi au terme de deux mandats consécutifs, ne peut se représenter. Il avait été élu à la faveur de la promesse de mise en œuvre d’une politique formulant plus de préoccupations pour les intérêts populaires, promettant des réformes. Les progressistes et défenseurs des droits humains avaient fondés quelques timides espoirs sur son élection, Jokowi sortant du cénacle direct des personnalités de la dictature d’Ordre Nouveau. Pour cela il était régulièrement accusé de façon grotesque de communisme. Espoirs déçus. De fait, Jokowi se sera astreint à refuser de faire juger les criminels responsables du génocide de 1965 et de la répression qui a suivi, en se bornant à reconnaitre au bout du bout de son double mandat en janvier 2023 « la réalité des crimes » à travers une mission portant sur la « résolution non judiciaire à de graves violations des droits de l’homme passées » incluant le général Kiki Syannakri, qui en 2016 avait mené la fronde pour faire échec à la réhabilitation des victimes communistes et au contraire poursuivre leur criminalisation et la répression anti communiste. L’impunité de la dictature et de ses hommes de mains reste totale tandis que les victimes ne sont toujours pas rétablies dans leurs droits. Perpétuant un état bien réel de terreur de l’opposition politique progressiste, alors que sont toujours maintenues et utilisés les violentes lois d’interdiction anticommunistes. Jokowi lui même avait vu ses adversaires utiliser les accusations de communisme pour le disqualifier.
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Jokowi a été élu à deux reprises dans un duel face à un candidat d’extrême droite, faisant figure de repoussoir, le général Prabowo Subianto 72 ans, issu de la junte Suharto et dont la fortune personnelle est estimée à 135 millions de dollars. Principalement dans le secteur de l’huile de palme, de l’énergie et de la pêche, tandis que son frère est milliardaire. Battu en 2014, il se représente contre Jokowi en 2019 et conteste les résultats des élections provoquant de sanglantes émeutes à Jakarta, la capitale du pays. Sous cette violente pression, il est cependant nommé ministre de la défense du gouvernement Jokowi. Et c’est ce même Prabowo que Jokowi a choisi de soutenir en s’alliant avec lui, en imposant comme vice président du ticket Prabowo… son fils Gibran Rakabuming. Un coup éclatant de népotisme. Jokowi démontrant après deux mandats où il n’aura rien changé du cours de la domination du pays par les élites issues de la dictature de l’Ordre Nouveau, qu’il recourt aux même méthodes habituelles de l’oligarchie capitaliste du pays pour rester un acteur de pouvoir. Dans la pire carricature du théâtre d’ombre javanais, ou les habitudes totalitaire du système capitaliste.
Faut il rappeler que sur les neufs partis politiques représentés au pléthorique parlement indonésien, quatre sont dirigés par des proches d’anciens présidents, et un cinquième par le fils d’un ancien éminent ministre, montrant la consanguinité, le féodalisme et le népotisme flagrant du régime.
Face à Prabowo/Gibran Jokowi, il n’y a pas de candidat pour défendre le camps du progrès et plus spécifiquement la très nombreuse classe ouvrière et paysanne indonésienne :
- Anies Baswedan, petit fils d’un ministre, issu de la mouvance islamiste a tenté de se dépeindre en candidat de la liberté d’expression. Il est pourtant le tombeur du gouverneur de Jakarata Ahok écarté et embastillé au terme d’une violente chasse aux sorcières en raison de sa confession chrétienne et de ses origines chinoises. Son colistier est apparenté à l’ancien président Abdurrahman Wahid
- Ganja Pranowo, gouverneur de Java Centre, investi par la parti de Jokowi le PDIP, privé du soutien du président en exercice n’est pas en capacité de peser sur les élection, faisant de la figuration au profit de l’autre enjeu électoral, celui du parlement où sont principalement fixées les ambitions de Megawati la fille de l’ancien président Sukarno, présidente du PDIP…et ancienne présidente.
Le ticket Prabowo/Gibran n’est pas un changement profond de la situation politique en Indonésie. Prabowo était déjà le numéro 2 de Jokowi, au poste clé de ministre de la défense, alors que l’armée demeure la colone vertébrale du régime. Gibran assure à Jokowi de se maintenir au pouvoir en occupant le seul poste qui ne sera pas à la main de Prabowo. Une forme de statu quo, dans une lutte d’influence principalement tourné contre Megawati. Sur le plan international, il faut noter que Prabowo, bien que proche des américain, participait déjà de la stratégique d’indépendance de l’Indonésie. Il a ainsi formulé un plan de paix pour la guerre en Ukraine en proposant des réferendums d’indépendance dans les régions faisant l’objet du conflit, allant à l’encontre donc des desiderata de Washington. Il s’est également vigoureusement opposé à toute implication militaire contre le Chine, notamment dans le cadre du conflit régional en cours en mer de Chine.
Alors que les résultats seront proclamés en mars, Prabowo annoncé en tête par les sondages est donné largement gagnant dès le premier tour avec 59% des suffrages. Profitant de la grande popularité de Jokowi dont la cote de confiance de 80% a été largement gagnée par le contraste de sa politique avec celle terrible menée par ses compétiteurs dont… Prabowo est la principale figure.
Prabowo Subianto une figure de la sanglante dictature Suharto
Prabowo est un homme clé de la dictature Suharto. Il est le fils de l’économiste anticommuniste Djojohadikusumo, qui a été ministre de l’économie de la dictature Suharto. Dans les années 1950, il est le dirigeant en exil au mouvement insurrectionnel contre Sokarno, président progressiste et figure des pays non alignés, assurant les liens avec les puissances occidentales, notamment avec la CIA. Il est rappelé comme ministre de l’économie en 1967 par Suharto au sein de la dictature fasciste de l’Ordre Nouveau.
Au retour d’exil de son père avec le renversement de Sukarno par Suharto, Prabowo s’engage dans l’armée comme officier et sert à partir de 1976 dans les forces spéciales (KOPASSUS) de la dictature. Il est commandant du Kopassandha une des unités commando qui agit au Timor Est où le régime Suharto commet des massacres de masse. On estime à plus de 200 000 les morts causés par ces tueries. Il capture le premier ministre du Timor. Il suit ensuite la formation militaire américaine de Fort Benning. A nouveau au Timor, en tant que major général du KOPASSUS il y attaque le mouvement d’independance avec des troupes paramilitaires lors de l’opération Eradicate. En 1996, il conduit la sanglante opération Mapendum en Papouasie là aussi contre les mouvements indépendantistes.
Prabowo, cacique du régime, est aussi le gendre de Suharto dont il a épousé la fille.
Il prendre la tête de la KOSTRAD en mars 1998, sous le régime Suharto. La KOSTRAD est la partie de l’armée qui était commandée par le général Suharto et qui a mené le coup d’état de 1965. Il demande à réprimer les manifestations de 1998 et est accusé de faire venir des troupes et groupes de délinquants dans la capitale pour briser la contestation populaire, allant ainsi à l’encontre du chef d’état major de l’armée. Ses troupes torturent des manifestants pro démocratie. Prabowo est directement accusé de l’enlèvement et la disparition de 13 militants. Suharto démissionne le 21 mai 1998, immédiatement Prabowo demande à être nommé chef de l’armée, mais le vice président Habibie refuse. Il est alors menacé par Prabowo à la tête d’une colonne armée de la Kostrad. Prabowo est débarqué et placé à la tête du collège militaire de Bandung. En conséquence de ce parcours, les groupes de défense des droits de l’homme ont toujours contesté l’éligibilité de Prabowo.
Pour sa campagne, le candidat de la classe capitaliste fascisante a fait l’objet d’un habile camouflage à base de web3.0. Dans un pays très jeune, ultra connecté sur les réseaux sociaux, il s’est fait passer via tiktok à coup de pas de danse maladroits et de même de dessins animés comme un vieil homme inoffensif. Les millions de morts et de victime de la dictature d’Ordre Nouveau, toujours privés de la parole en Indonésie et ciblés par la répression, ne peuvent évidemment pas dénoncer l’horrible supercherie. Cela d’autant plus que la propagande, y compris dans les écoles, continue de laver les cerveaux de la jeunesse pour nier le génocide anticommuniste, criminaliser le communisme et légitimer la dictature de l’ordre de nouveau. Tandis que Prabowo utilise ses ressources financières quasi illimitées pour financer son buz sur les réseaux sociaux de la jeunesse et la caisse de résonnance du clan Jokowi masquant les exactions passées.
Jokowi installe sa dynastie avec son fils Gibran Rakabuming (36 ans) en dépit de la constitution
Lors des deux précédentes élections, Joko Widodo avait affronté Prabowo, avec le soutien du PDI-P. L’investiture comme candidat vice président au coté de Prabowo de son fils Gibran a démontré ce que sont les priorités de Jokowi. Il avait installé ce fils comme son héritier en tant que maire de Surakarta une importante ville de Java. Son autre fils Kaesang Pangarep est devenu chef du Parti indonésien de solidarité et son gendre est devenu maire de Medan. Maintenir, comme les autres, son réseau de pouvoir à la tête de l’Etat plutôt que de changer le système. Ce Jokowi qui s’est fait élire comme un réformateur n’aura été que le candidat du changement pour que rien ne change. la filière Jokowi tentant simplement de prendre la place de la filière Megawati.
Ce ticket est d’autant plus carricatural que Gibran Rakabuming Raka, désigné en novembre 2023 par l’ancien général comme son vice-président n’a pas l’âge légal de 40 ans fixé par la constitution. Il aura fallu plusieurs décisions controversées de la Cour constitutionnelle – conduite par des proches du clan Jokowi, pour lui permettre de concourir à l’élection. Rappelons que le président de la cour constitutionnelle est le beau frère… de Jokowi. Ce dernier a depuis été suspendu par un comité d’éthique le 7 novembre dernier.
Ce tragique tour de passe passe en Indonésie illustre combien aucune classe ouvrière et paysanne n’a nul part à espérer que la bourgeoisie ne vienne jamais, en régime capitaliste, à défendre ses intérêts. Posant partout la difficile question de l’organisation indépendante de la classe des travailleurs. La question donc du parti. Un travail extrêmement difficile en Indonésie où la répression et le joug de la dictature capitaliste n’a pas renoncé à son emprise. Dans ces conditions, plus que jamais, la solidarité internationaliste doit s’exercer avec le mouvement populaire, ouvrier et paysan d’Indonésie.
jbc pour www.initiative-communiste.fr