Affairistes paniqués cherchent bureaucrate mesquin
Le 29 Février dernier, l’activiste panafricaniste Kémi Seba annonçait sur sa page Facebook qu’une procédure de perte de nationalité avait été engagée à son encontre. Né et ayant grandi en France, Kémi Seba a, après quelques errements idéologiques de jeunesse que ses détracteurs – dont nous reparlerons plus loin – ne manquent jamais de rappeler, embrassé la cause du panafricanisme et est parti vivre au Bénin. Dans le pays d’origine de ses parents, dont il est binational, il a fondé l’ONG « Urgence Panafricaniste » dont il est le président qui s’active énergiquement dans toute l’Afrique Francophone pour mobiliser les masses contre le néo-colonialisme.
Volontiers véhément contre les gouvernements français, mais pas que, Kemi Seba ne manque jamais de souligner sa solidarité avec le « prolétariat français », selon ses propres mots, et la convergence de lutte objective entre ce dernier et les masses africaines. Un positionnement historique des militants panafricains d’Afrique et d’Amérique, mais également des luttes de libération nationale, qui n’est pas sans rappeler les mots d’Engels « Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre. » : l’impérialisme est également, bien que selon des modalités différentes, un système d’oppression pour les travailleurs.
Las, conquis sans doute par l’invocation paranoïaque en vogue du « racisme anti-blanc », mais moins soigneux que son destinataire dans la discrimination gouvernants/gouvernés, le courrier adressé à l’activiste lui reproche « une posture constante et actuelle résolument anti-française, susceptible de porter gravement atteinte aux intérêts français ». Les intérêts français n’étant pas toujours, faut-il le rappeler, confondus avec les intérêts des français, et encore moins ceux des travailleurs de France…
Comme elle n’est pas à une contradiction près, l’administration reconnaît plus loin que les foudres de Kemi Seba s’abattent aussi sur le président du Bénin Patrice Talon et d’autres éminents représentants de la Françafrique ; ce qui n’empêche pas le courrier de s’appuyer sur un article du Code Civil visant « le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger ». On se demande bien ce que cela peut vouloir dire à propos de quelqu’un qui fustige également le pouvoir des deux pays dont il a la nationalité…. Poussons le raisonnement : si contester le président de son pays est le comportement typique d’un national de ce pays, ceci nous fait une large majorité de travailleurs de France bien français, sans distinction d’origine !
Au final, une belle publicité pour l’activiste, qui déclare se ficher royalement de la menace qu’il interprète comme un « ballon d’or géopolitique ». Pour citer une dernière fois le fameux courrier :
« messages particulièrement virulents voire outranciers contre la France (en réalité contre son gouvernement), ses représentants et ses forces militaire, incitant à la rébellion contre les autorités locales jugées proches des autorités françaises et portant régulièrement des accusations graves contre ces dernières » « messages hostiles à la France (bis), critiquant la présence française en Afrique qualifiée de néo-colonialiste »
Cela nous va, et nous suffit pour le soutenir. Pas en ce qui concerne la perte de nationalité, mais pour son combat dans sa globalité. Signalons d’ailleurs que Kemi Seba, qui ne prétend pas être communiste (et d’ailleurs en tant que tels nous pourrions faire état de certaines divergences, sur le plan philosophique notamment), ne manque jamais de rappeler le rôle joué par l’Union Soviétique et Cuba en faveur des luttes de libération nationale en Afrique, ainsi que sa grande proximité politique avec le Parti Communiste du Bénin.
Une question demeure cependant : Kemi Seba tient le discours qui lui est reproché depuis une bonne dizaine d’années maintenant. Pourquoi cette procédure maintenant ?
Un spectre hante (encore) la bourgeoisie française, le spectre de l’anti-colonialisme…
…et il faut reconnaître que le bateau Françafrique prend l’eau de toutes parts : non contents d’avoir mis à la porte les contingents français, les trois pays sahéliens qui ont formé l’AES (Alliance des États du Sahel : Niger, Burkina-Faso, Mali) ont depuis enfoncé le clou en quittant avec fracas la CEDEAO, et leur sortie du Franc CFA ne devrait logiquement pas tarder. Un peu auparavant, c’est la Centrafrique qui avait pris ses distances avec la présence militaire française. Certes, il reste quelques bastions, dirigés par quelques fidèles, du « pré carré français » (Bénin, Sénégal, Côte d’Ivoire), mais là-bas aussi l’agitation populaire grandit…encouragée par divers activistes politiques comme Kemi Seba où d’autres (et par certaines organisations politiques bien sûr). Ces activistes présentent naturellement des orientations idéologiques différentes (populaire, petit-bourgeois voire bourgeois nationaux pour certains) mais avec une revendication commune : la fin de la tutelle néo-coloniale
D’où une certaine fébrilité des classes monopolistes françaises qui ne savent plus trop quoi faire devant cette montée de température, hormis casser le thermomètre. Il ne faut pas se bercer d’illusions, l’impérialisme français a encore des capacités de nuisance plus redoutables qu’un retrait de nationalité. Les nigériens, à titre d’exemple, qui subissent le blocus docilement appliqué par la CEDEAO les privant d’une bonne partie de leur approvisionnement habituel en électricité, nourriture et médicaments, en savent quelque chose. Mais dans sa frustration, cet impérialisme déclinant s’adonne comme en trépignant aux plus navrantes mesquineries bureaucratiques. On a ainsi pu apprendre il y a quelques mois que le Ministère de la Culture avait demandé aux institutions culturelles françaises d’annuler la venue d’artistes nigériens, burkinabé ou maliens, pendant qu’un autre ministère décidait de ne plus accorder de visas aux ressortissants de ses trois pays.
Il n’est pas inintéressant à cet égard de remarquer que l’un des journaux favoris la bourgeoisie plus ou moins affairiste française, Le Figaro, est coutumier de la délation des militants anti-coloniaux. Avec un à-propos qui laisse songeur, le quotidien publiait en ligne le 20 Février dernier, 9 jours donc avant l’annonce de Kemi Seba sur Facebook, un article portant le titre ridicule « Ne nous laissons pas intimider par les influenceurs panafricanistes »1 et présentant comme illustration…une photo de Kemi Seba ! Rédigé par Amélia Lakrafi, député Renaissance des Français de l’étranger, il est un tel concentré de mauvaise foi, de roublardise, sans oublier une conclusion obséquieuse célébrant le grand œuvre d’Emmanuel Macron en Afrique qu’il serait trop long d’en exposer les pépites. Grosso Modo, l’action de la France, et des multinationales, en Afrique n’est plus que vertueuse, la Françafrique n’existe plus et les population nous acclameraient comme au bon vieux temps si seulement ne sévissait pas une minorité bruyante qui manipule les populations en propageant allégrement des fake-news. Même l’opposant sénégalais Ousmane Sonko n’échappe pas à l’ire de la députée. Sans oublier la manipulation de la manipulation, l’influence russe évidemment ! Vieux réflexe : comment expliquer autrement la rébellion de l’africain envers son bon maître si ce n’est par la subversion hier soviétique, aujourd’hui russe ?
Hubbard
1 – https://www.msn.com/fr-fr/actualite/monde/ne-nous-laissons-pas-intimider-par-les-influenceurs-panafricanistes/ar-BB1h4S67?ocid=msedgntp&pc=ASTS&cvid=7ab77d7c60be4e4a9ff398218103c44b&ei=11