Le PRCF était invité ce samedi 28 mai à un congrès international organisé par les camarades (sud-)coréens du PDP (Parti de la démocratie du peuple) sur le thème : Au delà de la guerre. De l’Ukraine à la Corée du Sud.
Ont également participé à cette conférence Le Parti communiste de Grande-Bretagne-marxiste léniniste, le Parti Communiste Ouvrier de Russie (PKRP-CPSU), le Parti pour le Socialisme et la Libération (PSL, USA), l’Association Nationale des Communistes (ANC, France), le Fronte Comunista (Italie), le Parti Communiste de Belgique, le Parti Communiste (Suisse), le MLPD (Allemagne), le Parti communiste révolutionnaire de France, le Parti Socialiste de Lettonie, le Parti Ouvrier Hongrois, le Parti Communiste de Pologne, le Parti Communiste du Kirghizistan, le Parti Communiste des Philippines, l’Association d’amitié franco-coréenne (AAFC), Corea is One – association d’amitié belge-coréenne, et du Forum Coréen International ;
Déclaration du camarade Aymeric Monville, secrétaire de la commission internationale,
Chers camarades,
Il serait futile de débattre entre communistes sur la guerre en Ukraine et ses répercussions internationales sans avoir à l’esprit les réactions importantes, formulées par des poids lourds du mouvement communiste international: je pense au KKE, le Parti communiste de Grèce, et au KPRF, le Parti communiste de la Fédération de Russie, deuxième force du pays et ce, depuis la fin de l’URSS. Une divergence s’est en effet exprimée, fort heureusement dans le respect mutuel, comme le montre la réponse du KPRF du 16 mai dernier, intitulée « En Ukraine, la Russie combat le néo-nazisme », réponse implicite à l’analyse des camarades grecs au sujet de l’opération menée par la Russie et qualifiée par eux de « guerre impérialiste », au sens que lui donnait Lénine.
Qu’on trouve inconsidérée ou non l’intervention russe, le péril systémique encouru par la Fédération de Russie devant l’expansion belliqueuse de l’OTAN est souligné à raison par le KPRF. Ce parti, contrairement à ses habitudes, n’a pas parlé de la Chine dans sa réponse ; mais l’affrontement avec l’OTAN se situe aussi à ce niveau et signifie un affrontement entre deux systèmes économiques, deux modes de production différents. L’expansion de l’OTAN, qu’on ne décrit pas assez, à mon avis, comme parfaitement « totalitaire » – terme que l’Occident a pourtant toujours à la bouche pour désigner ses adversaires -, peut conduire à un affrontement nucléaire. S’il s’agit, comme le premier l’historien rationaliste de l’Occident, Thucydide, de chercher l’étiologie, les causes profondes de la guerre, je ne vois pas en quoi l’expansionnisme de l’OTAN, et les manœuvres des États-Unis en 2014 à Maïdan, pourraient être oubliées.
À cet expansionnisme militaire s’oppose une réponse économique, marquée par une tendance à la dédollarisation, l’émergence d’un pétro-rouble voire d’un pétro-yuan, c’est-à-dire la fin du privilège de Bretton Woods, renforcé par la déclaration de la Jamaïque qui a découplé définitivement le dollar de l’or et qui ne reposait que sur la capacité des États-Unis à faire acheter par les autres pays le papier-monnaie qu’ils imprimaient. On observe ainsi au plan international un isolement de « l’Occident » sur la question ukrainienne. Peut-être sont-ce les prodromes de « la fin de l’époque colombienne » (au sens de l’ère de Christophe Colomb marquant le départ de la domination coloniale européenne), décrit par feu le philosophe Domenico Losurdo. L’après-midi sera consacré à la situation en Asie, également très tendue, mais qu’on ne peut dissocier. L’Asie secoue le joug impérialiste, le carcan imposé par les États-Unis.
Bien entendu, ni plus ni moins qu’aucun pays capitaliste, la Russie de Vladimir Poutine n’échappe aux tendances décrites par Lénine et qui sont caractéristiques de ce mode de production. Mais au-delà de ces généralités, il faut tout de même rappeler que ce n’est pas la même chose d’être encerclé par 700 bases et de faire face à une menace à ses frontières, et, comme dans le cas des États-Unis, de se prévaloir d’une « destinée manifeste » en bombardant de nombreux pays et en leur imposant de nombreux embargos au mépris du droit international quand aucune menace, ni au Mexique, ni au Canada, ne pointe à ses frontières. Il est mensonger de présenter l’opération russe comme une simple guerre de prédation sans mentionner ce contexte. Dans le cas présent, l’économie jouant toujours « en dernière instance », il n’est même pas certain que ce soient les intérêts économiques qui priment. Et l’on voit bien qu’il s’agit pour le pouvoir russe également de tordre le bras aux oligarques. Il y a forcément, dans le pouvoir russe, un double intérêt à organiser une défense patriotique du pays et également à se maintenir coûte que coûte au pouvoir.
Dans ce contexte tendu, il n’est pas exclu que Poutine se retourne ou bien contre une partie des oligarques ou bien qu’il poursuive dans l’autoritarisme plébiscitaire qui le caractérise, cette fois-ci contre les communistes. La situation est incertaine. Ce qui est certain, c’est qu’il faut, pascaliennement, évidemment compter sur les communistes et renforcer la solidarité internationale.
Selon moi, le phénomène Poutine est un bonapartisme, au sens conceptuel où l’a étudié Gramsci : un compromis entre deux forces, réactionnaires sur toute la ligne d’un côté et communistes de l’autre. Avec les mêmes limites et les mêmes ambiguïtés. On peut penser ce qu’on veut du bonapartisme, chacun comprend que Waterloo a marqué la fin de la séquence historique ouverte par 1789 et l’Europe de la prison des peuples instaurée par le congrès de Vienne.
La différence, c’est que la France bonapartiste n’avait guère d’alliés, alors que la Russie a principalement la Chine. On peut gloser à l’infini sur la nature de classe de la Chine. Force est de constater que 80% des secteurs clefs de son économie et 40% des secteurs non essentiels demeurent nationalisés. Libre à vous de penser que c’est suffisant ou pas assez, mais cela n’a rien à voir avec notre pays, où dépourvu de contrôle sur notre propre monnaie, nous nous plaçons à la traîne des États-Unis, voire de l’Allemagne. La Chine n’est peut-être pas notre modèle idéal de communisme mais elle nous donne aujourd’hui des leçons de jacobinisme. Comme le notait l’historien Bruno Drweski, il n’est pas exclu de voir la Russie renforcer la planification, laquelle n’est pas en soi socialiste mais constitue un élément important pour y parvenir. Le KPRF souligne souvent que la défense patriotique du pays devra passer forcément par un passage au socialisme.
Notons également qu’à la faveur de la guerre en Ukraine, la fascisation et la répression anticommuniste, pour laquelle l’Ukraine mais aussi ses voisins baltes et polonais ont joué un rôle de ban d’essai, s’étend. Ne pas nommer la fascisation et la nazification en nous abritant derrière le « ni ni », le « tous pourris » et le « tous pareils », c’est nous exposer nous aussi. Ne pas marcher dans la propagande de guerre qu’on nous impose en Occident est selon moi un minimum. Propagande de guerre qui nous rappelle la guerre d’Algérie, les ciseaux d’Anastasie de la Grande guerre. Le livre récemment paru, La Russie sans œillères, peut contribuer à cela.
On y lira notamment l’analyse de la grande historienne Annie Lacroix-Riz, qui, je suppose, fait l’unanimité parmi nous pour l’intégrité de ses recherches et qui montre l’opération occidentale sur l’Ukraine depuis plus de cent ans. Georges Gastaud s’y exprime également, dans une position qui étaye les présupposés anti-otaniens de la décision prise unitairement par le PRCF, laquelle a, me semble-t-il, marqué les esprits. Mais d’autres analystes, comme Jean-Pierre Page, ancien responsable international de la CGT, sont également présents. Ce qui n’en souligne que plus la nécessité de reprendre conscience, au sein de la CGT, de nos responsabilités internationales.
Revenons à nos camarades grecs. Le KKE a quitté l’hémicycle lors de la venue de Zelensky, lequel était accompagné de militants fascistes. Le KKE participe activement au non-envoi des armes. La Grèce s’inscrit, avec l’Italie, à l’avant-garde du refus de la guerre de l’OTAN par des actions très efficaces et que nous devrions davantage prendre en exemple. J’observe de nombreuses actions anti-OTAN en Grèce en ce moment.
Je crois que c’est là l’essentiel, et que cela prime les discussions qu’on peut avoir à l’infini sur les causes du conflit actuel. Nous serons tous d’accord sur le fait qu’il faut maintenir l’unité du camp communiste et contribuer à la désescalade et à la paix.
La position « ni-ni » est respectable à une seule condition : que l’on comprenne que « l’ennemi principal est dans ton propre pays », comme disait Karl Liebknecht. Que chacun fasse son travail contre son propre impérialisme. Il est en effet trop facile de parler de l’impérialisme de l’autre en chœur avec sa propre bourgeoisie, comme le fait la fausse gauche de Jadot à Hidalgo mais parfois aussi, hélas, Mélenchon et Roussel.
Le peuple français, avec son flair politique proverbial, s’est massivement exprimé à la dernière élection contre les va-t-en-guerre : Jadot, Pécresse et Hidalgo ont tous échoué à dépasser la barre fatidique des 5%. Les Français comprennent bien que les 5 milliards d’euros revendiqués par Victoria Nuland pour Maïdan 2014 et les 40 milliards d’armement, c’est cela de moins pour les services publics : la guerre à l’extérieur veut dire fascisation.
Il faut maintenir l’unité du camp communiste, de l’agir communiste, ne pas cultiver pour le plaisir ce que Freud appelait le « narcissisme des petites différences » et ne poser les divergences que lorsqu’elles se présentent et je remercie les camarades coréens de nous donner cette occasion, si utile, de débattre publiquement entre nous. Bientôt viendra le jour où, dans le chaos général, les communistes et leur organisation de fer, entée sur les forces vives du peuple et de la Nation tout entière, seront le seul recours pour sauver nos différents pays. L’unité doit donc se forger dès maintenant.